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La Fontaine de Barenton

« La fontaine des merveilles » dans l’histoire et la littérature

La Fontaine de Barenton est située en forêt de Paimpont. Elle entre dans l’histoire au 12e siècle avec le Roman de Rou de Wace. Quelques décennies plus tard, elle devient actrice du légendaire arthurien chez Chrétien de Troyes. Son prestige est rapporté dans de nombreux ouvrages de littérature médiévale, avant de tomber dans l’oubli. Au 15e siècle, le comte de Laval, propriétaire de la forêt, renouvelle le légendaire de la fontaine en l’associant au chevalier Ponthus.

Au début du 19e siècle, des auteurs romantiques, parmi lesquels Brizeux et La Villemarqué, redécouvrent le légendaire arthurien associé à la fontaine.

Situation et toponymie de la Fontaine de Barenton

La Fontaine de Barenton est l’une des nombreuses sources du massif forestier de Paimpont. Elle est située au-dessus du village de « Folle Pensée », à une altitude de 190 mètres sur le contrefort nord de la Butte de Ponthus, sommet qui atteint 258 mètres (point culminant de la forêt et du département d’Ille-et-Vilaine). Elle s’ouvrait autrefois au nord sur un dévers impressionnant de vastes landes qui permettait de contempler un paysage s’étendant à perte de vue. Aujourd’hui, elle est cernée par la forêt, mais il n’en fut pas toujours ainsi.

La Fontaine de Barenton en 2008
2 février 2008
Alain Bellido

Félix Bellamy décrit ainsi les lieux en 1896.

[...] le talus qui limite aujourd’hui la forêt dans tout son pourtour s’arrête à environ douze pas en approchant du côté nord de la fontaine, et si on le prolongeait en ligne droite, il passerait au ras de la fontaine, mais il la laisserait en dehors de la forêt.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. p. 290
Félix Bellamy à la Fontaine de Barenton
Mme Evrard (famille Bellamy)

Des écrits de la première moitié du 20e siècle témoignent que des pâtres gardent les bêtes sur les communs de la lande de Lambrun où se trouve la fontaine et qu’on vient aussi pour y puiser l’eau. Il est évident que, depuis les premiers écrits, le lieu a beaucoup évolué.

Par un arrêté du 6 novembre 1934, le site est classé parmi les monuments naturels et les sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire et pittoresque.

Toponymie de Berenton, Barenton

La Fontaine de Barenton apparaît sous plusieurs noms depuis le 12e siècle : bel-(anton), bar-(anton), bal-(anton) avec quelques variantes. Parmi les nombreuses approches toponymiques, nous en retenons trois.

  • Alan J. Raude rattache le nom « Berenton » tel qu’il apparaît chez Wace à la racine indo-européenne bher-, « bouillonner » et au celtique andon, « source » : la « source bouillonnante » —  RAUDE, Alan Joseph, « Bretagne des Livres », Revue de l’Institut Culturel de Bretagne, Vol. 36, 1997. —
  • Jean-Marie Plonéis part du toponyme le plus usité, Barenton (Baranton) ; il explique que Bar(r) désigne une hauteur, un sommet, ce qui l’amène à : « source de la colline ».
  • Selon le même auteur, la variation Bel- pour « Bel(l)anton » pourrait aussi être liée à « Bel » venant du celte Belenos : la « source de Bel ». —  PLONÉIS, Jean-Marie, La toponymie celtique : l’origine des noms de lieux en Bretagne, Paris, Éditions du Félin, 1989. [page 96] —

La forêt de Brécilien et la Fontaine de Barenton avant le 12e siècle

L’histoire de la Fontaine de Barenton est associée à celle de la forêt de Brécilien ou Brecelien (« Breselien » en breton), nom que l’on attribuait à une grande forêt centrale qui aurait couvert dès l’antiquité, et ce, jusqu’au 11e siècle, la majeure partie de la petite Bretagne. Les découvertes scientifiques (archéologie, toponymie) actuelles mettent à bas le mythe de cette grande forêt centrale.

Au 9e siècle, sous les rois de Bretagne Érispoë, Salomon et Alain Ier le Grand, la forêt et sa fontaine relèvent de leur domaine propre. Au 10e siècle, la forêt de Brécilien passe sous le contrôle des comtes de Rennes, s’imposant comme ducs de Bretagne.

Des actes témoignent que la présence de Raoul l’anglais entre 1024 et 1034 en Bretagne est liée à la remise des terres autour de Gaël qui suit plusieurs révoltes. Ces alleux sont donnés à Raoul l’anglais par le duc de Bretagne et comte de Rennes, Alain III (1008-1040), ils vont donner naissance à la seigneurie de Gaël-Montfort. Nous sommes à la fin des institutions carolingiennes qui, depuis la fin du premier quart du 11e siècle, voient le morcellement de la puissance publique au profit des seigneuries châtelaines. A la fin de ce siècle, Raoul de Gaël, fils de Raoul l’anglais, prend le nom de Montfort (Aujourd’hui Montfort-sur-Meu). Il devient le premier seigneur de la dynastie Gaël-Montfort.

Wace fait entrer la Fontaine de Barenton dans l’histoire

Wace, historien normand du 12e siècle, est l’auteur de deux œuvres majeures. Le premier ouvrage et le plus célèbre, le Roman de Brut 1 —  ARNOLD, Ivor, Le Roman de Brut de Wace, Vol. 1, Paris, Edit. Société des anciens textes français, 1938, Voir en ligne. — achevé en 1155 est une traduction et une adaptation de l’Histoire des rois de Bretagne de Geoffroy de Monmouth 2. Cet ouvrage sera repris ultérieurement et contribuera à l’essor de la littérature arthurienne.

Le second ouvrage est le Roman de Rou —  WACE, et LE ROUX DE LINCY, Antoine, Le roman de Brut, Vol. 2, Rééd. 1838, Rouen, Edouard frères éditeurs, 1155, Voir en ligne. — (1160-1170) dans lequel l’histoire des Normands et celle des Bretons continentaux sont intriquées et qui n’a aucun lien avec le cycle arthurien. C’est dans cet ouvrage que Wace évoque la fontaine de Barenton.

En 1160, Wace se voit commander une histoire des ducs de Normandie par Henri II Plantagenêt, alors roi d’Angleterre et duc de Normandie. Il rédige son histoire en langue vernaculaire romane, d’où le nom Roman de Rou 3. Wace se rend à la fontaine parce qu’on lui en a déjà fait l’éloge. Son témoignage dans le Roman de Rou prouve que la Fontaine de Barenton était déjà célèbre pour ses merveilles, alors qu’elle n’est pas encore associée au monde arthurien de Chrétien de Troyes.

Dans le Rou, Wace raconte la conquête de l’Angleterre entreprise par Guillaume, duc de Normandie 4, en 1066 et insiste sur son caractère exceptionnel, lié à l’union des Normands et de leurs voisins bretons. Il prend l’exemple des Bretons qui ont suivi Guillaume, dont Ralph de Gaël, déjà propriétaire de « Brecheliant » avant 1066.

Alain Felgan vint el passage,
Ki des Bretunz out grant barnage ;
De Peleit le filz Bertran
E li Sire i vint de Dinan,
E Raol i vint de Gael 5
E maint Breton de maint Chastel,

Vers 11508-11513 — WACE, et LE ROUX DE LINCY, Antoine, Le roman de Brut, Vol. 2, Rééd. 1838, Rouen, Edouard frères éditeurs, 1155, Voir en ligne. pages 142-143

À cet endroit du récit, Wace fait part d’une expérience personnelle, c’est-à-dire de sa venue à la fontaine de Berenton un siècle après la conquête de l’Angleterre. Dans le passage qui suit, il évoque la forêt de Brecheliant 6 et sa fontaine de Berenton 7.

E cil de verz Brecheliant,
Dunc Bretunz vont sovent fablant,
Une forest mult lunge è lée,
Ki en Bretaigne est mult loée ;
La Fontaine de Berenton
Sort d’une part lez le perron ;
Aler i solent venéor [Les chasseurs ont coutume d’y aller]
A Berenton par grant chalor,
Et o lor cors l’ewe puisier [pour y puiser de l’eau avec leur cor]
Et li perron de suz moillier,[et mouiller le perron]
Por ço soleient pluée aveir : [pour avoir de la pluie]
Issi soleit jadis pluveir
En la forest tut envirun,
Maiz jo ne sai par kel raisun.
Là solt l’en li fées véir, [Là on a coutume de voir les fées]
Se li Bretunz dïsent veir, [Si les bretons disent vrai]
Et altres merveilles plusors ;
Aigres solt avéir destors [Il y avait là d’habitude des aires d’autours]
E de granz cers mult grant plenté,[Et des cerfs en grande quantité]
Maiz li vilain ont déserté.
Là alai jo merveilles querre, [J’étais allé là-bas en quête de merveilles]
Vis la forest è vis la terre ;[J’ai vu la forêt et j’ai vu le pays]
Merveilles quis, maiz nes’ trovai ;[J’y ai cherché des merveilles, mais n’en ai point trouvé]
Fol m’en revins, fol i alai,
Fol i alai, fol m’en revins,[J’en suis revenu aussi fou que j’y étais allé]
Folie quis, por fol me tins. [Ce que je demandais était fou, et je me tiens pour fou].

Vers 11514-11539 — Wace (1160) op. cit., vol 2, pp. 143-144

Cet épisode incongru sur une fontaine bretonne, dans un livre traitant de l’histoire de Rou et de ses descendants, peut surprendre ; certains auteurs y voient seulement un éloge rendu à la fontaine ; d’autres mettent ce passage en relation avec le cycle arthurien, ce dont il ne saurait être question ici. Pour d’autres auteurs dont nous faisons partie, cette digression n’est pas le fruit du hasard, mais trouve sa raison d’être dans les relations parfois conflictuelles qui existaient entre les Bretons et les Normands depuis l’installation de ces derniers au 10e siècle. Nous suivons en cela l’avis du médiéviste Denis Hüe.

Raisons de la présence de la Fontaine de Barenton dans le « Roman de Rou »

Wace n’hésite pas à mettre l’accent sur l’importance que les Normands accordent à la conquête de l’Angleterre. Il mentionne le soutien que Guillaume reçoit de la papauté, alors que le pape a excommunié Harold, son rival Anglo-saxon. Ce soutien se traduit notamment par la remise de plusieurs objets : l’équivalent de l’oriflamme censé terrasser les infidèles, l’attribut d’un pouvoir sanctionné par une relique et un anneau muni d’une dent de saint Pierre.

E se ço ert ke Deus volsist
K’il Engleterre conquésist,
De Saint Pierre la recevreit,
Altre fors Dex n’en servireit.
L’Apostoile li otréia,
Un gonfanon li envéia,
Un gonfanon e un anel
Mult precios è riche è bel ;
Si come il dit, de soz la pierre
Aveit une des denz Saint Pierre.

Vers 11446-11455 — Wace (1160) op. cit., vol 2, p. 140

Wace insiste aussi sur un phénomène surnaturel venu du ciel : l’apparition d’une comète 8 qui survient au moment des préparatifs de la conquête. Ce prodige est interprété comme un présage de la victoire de Guillaume, venant s’ajouter à la bénédiction du pape.

El terme ke ço estre dut,
Une esteile grant aparut,
E quatorze jors resplendi
Od très lons raiz deverz midi :
Tele esteile solt l’en veir
Quant novel Rei deit regne aveir.
Asez vi homes ki la virent,
Ki ainz è poiz lunges veskirent ;
Comete la deit apeler
Ki des esteiles volt parler.

Vers 11460-11469 — Wace (1160) op. cit., vol 2, pp. 140-141

Denis Hüe note que les deux évènements sont liés.

Le merveilleux associé à la conquête de l’Angleterre est ainsi complètement attesté et contrôlé, par le Saint-père lui-même […] Dieu aide la Normandie et le duc Guillaume, tel est bien l’objet de ce passage, qui précède immédiatement la préparation de la conquête.

HÜE, Denis, « Présence des Bretons dans quelques chroniques normandes : de la latinité à la matière de Bretagne », in Colloque de Cerisy-la-salle, 5-9 octobre 2005 : Bretons et Normands au Moyen Âge ; Rivalités, malentendus, convergences, PUR, 2008. [page 297]

Wace cite la fontaine dans l’intention de mettre en avant « l’archaïsme » des Bretons face au « modernisme » des Normands. Pour Denis Hüe, Wace cherche à dévaluer le crédit porté par les Bretons à la Fontaine de Barenton. Il compare le merveilleux anglo-normand, merveilleux chrétien et absolument attesté, avec le merveilleux des Bretons, dépeint comme étant païen, rustique, dépassé, contraire à la vérité. Wace l’oppose au merveilleux normand lié à l’apparition de la comète. Denis Hüe explique :

Dès lors, la description de la fontaine de Barenton se construit comme en parallèle de la séquence précédente, à commencer par l’affirmation selon laquelle les Bretons « vont fablant » : ce premier mot suffit à disqualifier les propos qui suivent, propos de fiction, de mensonge, opposés à ceux des émissaires de Guillaume au Pape, « clers qui sorent bien parler ». L’opposition se poursuit entre les actes qu’accomplissent maintenant les chasseurs bretons « aller i solent veneor » et ce qui a pu autrefois se produire « Por ce soleient pluie aveir./Issi soleit jadis ploveir » : maintenant, rien de tel ne se produit, et le merveilleux breton est comme oblitéré. C’est la parole des Bretons qui perpétue ce merveilleux, utilisant le présent pour parler des fées qui s’y rencontrent, des oiseaux et des cerfs qui s’y retrouvent.

Hüe Denis (2008) op. cit., p. 298

Wace met en avant la tendance des Bretons à fabuler, montrant qu’il n’y a que les fous qui peuvent y croire. Cette affirmation est d’autant plus crédible qu’il est lui-même témoin de l’inexistence du merveilleux de la fontaine.

Il s’agit de dévaloriser les fées au profit du savoir scientifique, tout cela concourt à nier l’importance présente de la fontaine. Le merveilleux breton, s’il est disqualifié, n’est pas nié absolument ; c’est l’imparfait des premiers vers qui permet de le recevoir, à condition qu’il soit cantonné dans un passé plus lointain : autrefois, la pluie venait quand on versait de l’eau sur le perron de la fontaine. Ce n’est plus le cas maintenant. Ainsi, pendant les préparatifs de la conquête de l’Angleterre, alors que Guillaume s’apprête à être souverain légitime d’une terre éminemment arthurienne, il importe que la petite Bretagne soit en quelque sorte dépossédée de son merveilleux celtique pour mieux investir le souverain de ses prérogatives à la fois chrétiennes et mythiques. Ce qui est à l’œuvre ici, c’est bien un habile travail destiné à donner au roi d’Angleterre descendant de Guillaume non seulement les caractéristiques d’un souverain chrétien, garanties par les dons du pape, mais aussi celles qui ont été élaborées tout au long du roman de Brut : il n’y a qu’un successeur légitime d’Arthur, et la seule terre arthurienne est bien celle de la Grande Bretagne.

Hüe Denis (2008) op. cit., p. 299

Remise en cause du retour d’Arthur

Dans son Roman de Brut, Wace se sert de la transcription de l’Histoire des rois de Bretagne comme moyen de propagande pour le compte des Plantagenêt. Il tente de rapprocher l’image d’Henri II, roi angevin, de celle d’Arthur, roi des Bretons. Arthur est mort alors que Henri II est bien vivant. Wace le pare de toutes les vertus que l’Histoire prête à Arthur. Cette image est nécessaire à Henri II qui se trouve en conflit permanent avec la Bretagne du continent.

Wace se heurte à « l’espoir breton » 9, ainsi nommé par les auteurs contemporains. « L’espoir breton » est une croyance bien ancrée chez les Bretons, ainsi que chez les Gallois d’Outre-Manche, qui remonte à une civilisation de l’oralité. Après la bataille de Camlan, Arthur est mortellement blessé et transporté à l’île d’Avallon où il est soigné par des fées. Il reviendra et les Bretons domineront l’île à nouveau 10.

Wace tente de faire le lien entre ce qu’il a écrit de l’Histoire des Bretons (le Brut) et celle qu’il rédige sur les Normands (le Rou). Nous faisons l’hypothèse que, dans ce dernier ouvrage, il écrit l’épisode de la Fontaine de Barenton pour en finir avec le mythe du retour d’Arthur, hypothèse compatible avec l’analyse historique de Denis Hüe. Wace témoigne de l’absence de merveilles lors de sa venue à la fontaine. Ses propos désavouent l’existence des êtres surnaturels que sont les fées, qu’elles soient d’Avalon ou de Berenton. Il sous-entend que s’il en est ainsi pour la forêt et cette fontaine dont « Bretons vont fablant » (vers 6374), comment en serait-il autrement pour les fées censées soigner Arthur ? Wace cherche à casser le mythe de « l’espoir breton » : Arthur est bien mort, inutile d’espérer son retour.

La Fontaine de Barenton, actrice du cycle arthurien chez Chrétien de Troyes

Peu de temps après la parution du Brut et du Rou écrits par Wace entre 1155 et 1170, le clerc champenois Chrétien de Troyes rédige le Chevalier au Lion (1176-1181), une fiction dont le héros est Yvain. Chrétien va s’emparer des éléments du Rou : l’épisode de la fontaine de « Berenton » (sans toutefois la nommer) et sa forêt (qu’il nomme « Brocheliande » au lieu de « Brecheliant »). La Fontaine de Barenton s’inscrit dans ce merveilleux que recherche Chrétien. Contrairement à Wace qui la dépeint avec un esprit critique envers les Bretons, Chrétien utilise sa magie pour la faire entrer dans la fiction.

C’est en ces termes que Chrétien fait part d’une forêt et de sa fontaine.

je chevauchais de la sorte ;
puis je finis par sortir de la forêt :
c’était en Brocéliande.
[…]
Mais si tu voulais aller
jusqu’à une fontaine près d’ici,
tu n’en reviendrais pas sans quelque difficulté
ni avant de lui avoir payé son tribut. 11

Vers 187-189 […] 368-371 — CHRÉTIEN DE TROYES, Le Chevalier au Lion, Rééd. 2009, Le Livre de Poche, Lettres gothiques, 1176. [pages 60-61 et 72-73]

Cette fontaine du roman du Chevalier au Lion ressemble fort à celle décrite chez Wace. Plusieurs similitudes tendent à le confirmer : la coutume locale utilisée par les chasseurs pour faire tomber la pluie que dépeint Wace.

La Fontaine de Berenton
Sort d’une part lez le perron ;
Aler i solent venéor [Les chasseurs ont coutume d’y aller]
A Berenton par grant chalor,
Et o lor cors l’ewe puisier [pour y puiser de l’eau avec leur cor]
Et li perron de suz moillier,[et mouiller le perron]
Por ço soleient pluée aveir : [pour avoir de la pluie]
Issi soleit jadis pluveir
En la forest tut envirun,

Vers 11518-11526 — Wace (1160) op. cit., vol. 2, p. 143

Le Chevalier au Lion reprend lui aussi le « rituel », à la différence que son effet n’est plus bienfaisant ; là, son action provoque des phénomènes apocalyptiques : foudre, éclairs, tempête, grêle qui mettent en péril la forêt et ses habitants.

J’eus alors envie de voir la merveille
de la tempête et de l’orage,
ce dont je ne me tiens guère pour sage,
car je me serais bien volontiers repris,
si je l’avais pu, aussitôt que
j’eus arrosé la pierre creuse
avec l’eau du bassin.
Sans doute en versai-je trop, je le crains,
car alors je vis le ciel si perturbé
que, de plus de quatorze points,
les éclairs me frappaient les yeux ;
et les nuages jetaient, pêle-mêle,
de la neige, de la pluie et de la grêle.
Il faisait un temps si mauvais et si violent
que je croyais bien que j’allais mourir
à cause de la foudre qui tombait autour de moi
et des arbres qui se brisaient. 12

Vers 430-446 — Chrétien de Troyes (1176-1181) op. cit., pp. 76-77

Autre similitude, les vers employés par Wace lors de sa venue à la fontaine.

Fol m’en revins, fol i alai,
Fol i alai, fol m’en revins
Folie quis, por fol me tins. (Ce que je demandais était fou, et je me tiens pour fou.)

Vers 11537-11539 — Wace (1160) op. cit., vol. 2, p. 144

... et ceux de Chrétien qui leur font écho.

Ainsi j’allai, ainsi je revins,
et au retour je me tins pour fou. 13

Vers 575-576 — Chrétien de Troyes (1176-1181) op. cit., pp. 84-85

Chrétien ajoute une caractéristique importante de l’eau de la fontaine, qui n’apparaît pas dans le Rou de Wace.

Tu verras la fontaine qui bout,
et qui est pourtant plus froide que du marbre. 14

Vers 378-379 — Chrétien de Troyes (1176-1181) op. cit., pp. 72-73

Chrétien est le premier à rapporter cette particularité de l’eau de Barenton qui bout 15. Il n’a pas copié Wace qui n’en parle pas dans ses écrits. Deux hypothèses : ou bien le clerc normand connaissait ce détail et le lui a fourni, ou bien Chrétien est venu lui aussi à la fontaine.

Néanmoins, les similitudes entre les deux textes peuvent laisser penser que Chrétien a eu connaissance des écrits de Wace, voire même que les deux hommes se seraient rencontrés dans diverses cours princières.

La Fontaine de Barenton dans la littérature médiévale du 13e au 15e siècle

Les oeuvres de Wace et de Chrétien de Troyes ont fait de la fontaine de Barenton un topos que l’on retrouve au coeur de trois oeuvres de la littérature médiévale.

—  Hugues ou Huon de Mery est l’auteur d’un poème rimé Tornoiement Antéchrist, dans lequel il se dit chevalier et trouvère. Vers 1232, Huon suit le comte de Champagne dans l’armée de Louis IX lors d’une expédition militaire en Bretagne contre le duc Pierre Mauclerc. Il profite de cette occasion pour se rendre en forêt de Brocéliande à la célèbre fontaine dont parle Chrétien de Troyes dans Le Chevalier au Lion (1176-1181).

Mon coeur qui souvent me commande
Faire autre chose que mon profit,
Me fit faire aussi comme voeu
Que j’irai en Berceliande..
Je m’en tournai et pris ma voie
Vers la forêt sans plus attendre ;
Car la verité voulait apprendre
De la périlleuse fontaine 16

Vers 56-63— MÉRY, Huon de et TARBÉ, Prosper (trad.), Le Tornoiement de l’antéchrist, Rééd. 1851, Reims, Imp. P. Régnier, 1234, Voir en ligne.

Le Tornoiement Antéchrist est un poème allégorique, daté de 1234-1238 qui reprend les thèmes de la littérature arthurienne. Huon de Méry s’inspire à la fois du Chevalier au Lion et du Songe d’enfer, autre poème allégorique de Raoul de Houdenc 17. —  HOUDENC, Raoul de, Le Songe d’Enfer, suivi de La Voie de Paradis : poèmes du XIIIe siècle précédés d’une notice historique et critique par Philéas Lebesgue, Paris, Ed. Sansot, 1908, Voir en ligne. — Ce dernier est un fervent admirateur de Chrétien et Huon éprouve une grande passion pour ces deux auteurs. Il sera considéré comme leur imitateur.

Huon de Mery vient à la fontaine et se met en scène ; reprenant le « rituel » décrit par Chrétien, il joue le rôle d’Yvain. Il verse deux fois plus d’eau sur le perron de la fontaine que ne le fit Yvain et prétend que l’orage qui suit est beaucoup plus violent que celui décrit par Chrétien.

Là je trouvai le bassin, le perron de marbre,
le pin vert et la chaîne
tels que les a décrit Chrétien.
Jamais encore aucun chrétien ne reçut le baptême
dans une eau plus limpide.
Le bassin à la main,
je ne l’économisai pas comme si ç’avait été du Saint Chrême,
car j’en puisais autant que si j’avais voulu l’épuiser.
Lorsque je tendis la main pour y puiser,
je vis s’assombrir tout le firmament ;
quand j’y eus puisé, je le vis s’assombrir quatre fois plus,
et il devint mille fois plus noir et agité
quand j’eus renversé l’eau sur le perron.
Moi qui y étais seul, je le sais
Je n’ai aucune envie de mentir :
j’entendis le ciel se déchirer
et lancer des éclairs de tous côtés.
La forêt fut illuminée
par plus de cinq cent mille déflagrations.
Si tout le ciel n’avait été qu’une cheminée
et si le monde entier avait brûlé d’une seule flamme,
il ne se serait pas produit, me semble-t-il,
une telle clarté ni une tempête si terrible 18.

Vers 101-122 — Méry Huon (vers 1234) op.cit., p. 4

Huon voit alors le ciel s’entrouvrir et le Seigneur lui apparaître... Le récit conduit au combat des Vices et des Vertus où s’affrontent des personnages allégoriques. On y voit l’armée Antechrist, le camp du Christ, mais aussi Artus et les chevaliers bretons qui accourent en une vertigineuse chevauchée depuis l’Irlande et les Cornouailles jusqu’en Berceliande d’Armorique. La noble cohorte des Compagnons de la Table-Ronde apparaît dans les rangs des Légions célestes. Ils arrivent au matin à la fontaine pour prendre part au grand tournoi. Huon lui-même se veut acteur. Il sera atteint d’une flèche décochée par la déesse Cythère avec l’arc de la tentation.

— Claris et Laris est un roman de 30 372 vers octosyllabiques écrit entre 1268 et 1291. Son auteur est anonyme. Dans ce roman original se mêlent les exploits guerriers et le merveilleux. Il raconte l’histoire de deux jeunes Gascons, Claris et Laris, qui se rendent à la cour du roi Arthur pour y faire leurs armes. Ils communiquent leur sens de l’amitié et leur enthousiasme à toute la chevalerie arthurienne. Les campagnes militaires montrent Arthur comme un souverain combattant. La fin du roi et le Graal sont délibérément ignorés.

Dans son livre sur La forêt de Brecheliant, Félix Bellamy consacre de nombreuses pages au récit. Il rapporte que

Le nom de Brocéliande est cité huit fois dans le roman de Claris […] Quant à Bérenton, son nom n’y paraît pas, bien qu’au début il soit fait mention de la Fontaine et de l’aventure d’Yvain.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 82

Mon corps en son comandement,
Pour l’amour du grand hardement
Qu’il a toz les iours maintenu,
Puisqu’il fu au perron venu,
Seur quoi versa de la fontaine,
Ou assez ot anui et paine
De foudre qu’entor li cheoit
Et des arbres qu’il peceoit,
Si com Crestiens le tesmoine,
Et je suis cele sanz essoine
Cui (à qui) la fontaine iert ligement.

Vers 619-629 — Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, pp. 84-85

— Brun de la Montaigne est un roman d’aventures, écrit vraisemblablement dans la seconde moitié du 14e siècle. Son auteur est anonyme. Ce livre, imprimé seulement en 1875, comprend 82 feuillets, pour environ 3900 vers. Dans sa préface, Paul Meyer indique qu’il s’agit du seul manuscrit conservé du roman. Il précise également qu’il manque une portion considérable, difficile à évaluer. —  MEYER, Paul, Brun de la Montaigne, Rééd. 1875, Paris, Librairie Firmin Didot et Cie, 1300, Voir en ligne. p. X —

Le seigneur Butor de la Montaigne vient d’avoir un fils de sa jeune épouse. Il convoque ses vassaux et leur demande de porter son enfant dans la forêt de Breceliant, auprès d’une source où les fées avaient accoutumé de se réunir pendant la nuit. — Meyer Paul (1875) op. cit., p. VI — Après avoir déposé soigneusement l’enfant près de la fontaine, ils s’éloignent suffisamment dans la forêt pour veiller sur lui à distance.

Car il faut qu’ennuit soit en Bersillant portés
Par desous la fontaine ou vos le garderés.

Vers 642-643 — Meyer Paul (1875) op. cit., p. 22

Trois fées d’une merveilleuse beauté arrivent en chantant à la fontaine. Elles se mettent à considérer l’enfant.

Ainsi que chascun d’eus moult melancolioit
II ouïrent .I. chant c’une dame chantoit
Si gracïeussement que proprement sembloit
C’angles de paradis venissent la endroit,
Et tout en ce moument que la dame cessoit
Une autre dame après .I. chant recommançoit,
Et la tier(c)e les .II. a son tour responnoit ;
Chascune main a main a l’arbre s’en venoit
Et adès en chantant le sien cuer deduissoit.
A la fontaine ainsi chascune s’en venoit.

Vers 901-910 — Meyer Paul (1875) op. cit., p. 31

Deux des fées s’empressent de le combler de dons : beauté, courtoisie, redoutable dans les tournois, honoré de tous. Mais la troisième fée s’étant fait devancer pour les dons, se montre susceptible et lui prédit le pire : l’enfant sera mendiant d’amie en sa jeunesse (v. 974).

Que cilz enfes qui ci est devant nous presens,
Soit mendïans d’amie en ses jones jouvens,
Et que de lui amer n’ait la dame talens
A cui fera premiers auscuns acoi(n)temens.

Vers 973-976 — Meyer Paul (1875) op. cit., p. 34

Celle qu’il aimera ne répondra pas à son amour ; il sera un nouveau Tristan et elle lui en donne le nom. (v. 983)

II avra en amour et paines et tourmens,
Meschiés, douleurs, travaux, mais se tu le desfens
Jamès ne soie je dame d’enchantemens,
Ne ne puisse veoir roi Artu ne ses gens.
Et si li doing le nom, en mes bautissemens,
Du restor de Tristram, oiant tous ses parens.

Vers 978-983 — Meyer Paul (1875) op. cit., p. 34

Après s’être querellées quelques temps, les deux autres fées essaient de ramener la troisième à la raison, mais rien n’y fait. Avant de se retirer, l’une d’elle passe au doigt de l’enfant, pour le protéger, un anneau d’or. À leur retour avec l’enfant, les vassaux racontent à leur seigneur les prédictions des fées, mais Butor s’inquiète médiocrement des malheurs annoncés par la méchante fée. L’enfant est baptisé en grande pompe sous le nom de Brun.

Dans la préface du livre, Paul Meyer note au passage.

Mais il ne semble pas qu’aucun autre roman que Brun de la Montaigne nous ait fait connaître l’usage, qui a bien certainement dû exister, de porter les nouveaux-nés auprès de la fontaine où les fées « conversaient ».

Meyer Paul (1875) op. cit., p. XII

— Le roman de Ponthus et Sidoine, écrit entre 1390 et 1425, se déroule, pour une part, en forêt de Berthelien (Bertelien) près de la « fontaine aux merveilles ».

À la suite d’une mésaventure amoureuse avec Sidoine, la fille du roi de Bretagne, le chevalier Ponthus se retire dans un ermitage près de la « Fontaine des Merveilles ou des Adventures », en la forêt de Bertelien. Il décide d’y reconquérir le coeur de sa mie en se dissimulant sous l’apparence d’un « Chevalier noir aux armes blanches ». Chaque mardi pendant un an, il organise un pas d’armes dont le but est de montrer à Sidoine sa vaillance et sa fidélité. Les chevaliers vaincus doivent se constituer prisonniers auprès de Sidoine et glorifier la prouesse de leur mystérieux vainqueur.

Pas d’armes entre Ponthus et Bernard de la Roche.
On remarque la fontaine de Barenton et le perron qui sont stylisés. (Miniature du Maître de Talbot).

Guy XIV de Laval et le « rituel » de la Fontaine de Barenton

Guy XIV, comte de Laval, est le petit-fils de Raoul VIII de Montfort-Gaël. En 1405, son père, Jean de Gaël-Montfort se voit contraint de prendre le nom et les armes des Laval lors de son mariage avec Anne de Laval, héritière des baronnies de Laval et Vitré. Il devient Guy XIII de Laval. Son fils, Guy XIV, seigneur de Montfort est donc propriétaire de la forêt de Brécilien. En 1467, il rédige un acte juridique connu sous le titre Usemens et coustumes de la forest de Brécelien et comme anciennement elle a esté troictée et gouvernée qui réglemente les droits et devoirs respectifs des seigneurs et usagers de sa forêt. Dans cette charte, il est un chapitre intitulé De la décoration de la dicte forest et des mervoilles estans en ycelle, dont le contenu diffère des usages. Guy XIV y reprend à son compte le « rituel » décrit par Wace, sans le citer. Il s’attribue le pouvoir féerique de faire tomber la pluie, laissant croire qu’il l’aurait hérité de ses ancêtres.

Item, joignant la dicte fontayne y a une grosse pierre que on nomme le perron de Bellenton, et toutes les foiz que le seigneur de Monfort vient à la dicte fontayne et de l’eau d’icelle arouse et moulle le dit perron, quelque challeur temps assuré de pluye, quelque part que soit le vent et que chacun pourroit dire que le temps ne seroit aucunement disposé à pluye, tantost et en peu d’espace aucunes foiz plus tost que le dit seigneur ne aura peu recoupvrez son chasteau de Comper, aultres foiz plus tart, et que que soit ains que soit la fin d’icelui jour, pleut ou pays si habundaument que la terre et les biens estans en ycelle en sont arousez et moult leur prouffite 19.

COURSON, Aurélien de, « De la décoration de la dicte forest et des mervoilles estans en ycelle. », in Cartulaire de l’Abbaye de Redon en Bretagne [832-1124], Paris, Imprimerie impériale, 1863, p. CCCLXXXVI, Voir en ligne.

L’historien médiéviste Martin Aurell est extrêmement prudent sur l’origine du « rituel ».

[…] il est impossible d’affirmer si ces rites, trop tardivement attestés, proviennent d’anciennes pratiques païennes dont se feraient l’écho Wace, Chrétien et d’autres clercs dès les années 1160, ou s’ils sont plutôt une réfection savante, réalisée à partir de la création littéraire du XIIe siècle, par les seigneurs de Montfort à la fin du Moyen Âge.

AURELL, Martin, La légende du roi Arthur, Paris, Édition Perrin, 2007. [pages 274-275]

Guy XIV de Laval utilise Ponthus et la fontaine de Barenton pour des raisons de prestige

Pour s’affirmer, Guy XIV va magnifier sa forêt de Brécilien. Il va en dresser les merveilles qu’elle recèle et mettre en avant son prestigieux passé en citant les prouesses que le chevalier Ponthus y aurait accompli, à travers le récit rapporté dans le roman de Ponthus et Sidoine. Il s’agit d’un personnage de fiction qui séjourne une année durant en forêt de Berthelien (Brécilien) où il organise de nombreux pas d’armes à la fontaine des Merveilles ou des Aventures. Dans son chapitre De la décoration de la dicte forest et des mervoilles estans en ycelle, Guy XIV présente Ponthus comme un personnage historique en créant un « breil de Bellenton » pour situer le lieu où se sont déroulées les joutes évoquées dans le roman.

Item, auprès du dit breil y a ung aultre breil nommé le breil de Bellenton, et auprès d’icelui y a une fontayne nommée la fontayne de Bellenton, amprès de laquelle fontayne le bon chevalier Pontus fist ses armes, ainsi que on peult voir par le livre qui de ce fut composé 20.

Le rapprochement du roman et de sa forêt laisse penser que le comte de Laval trouve là une aubaine pour valoriser un lieu dont le prestige, lié à la littérature arthurienne, s’est estompé.

La fontaine de Barenton chez les chroniqueurs médiévaux

S’il apparait que Chrétien a fait de la fontaine de Barenton un « acteur » de son roman, il est aussi vrai que le « prodige » de la fontaine dans la littérature l’a rendu célèbre dans le monde lettré, du 12e au 15e siècle. En témoignent les nombreuses œuvres didactiques du Moyen Âge qui abordent le sujet. Parmi celles-ci, quelques auteurs, et non des moindres, font allusion de manière oblique au prodige de la Fontaine de Barenton que décrit Wace.

  • Giraud de Barri (1146 - 1223)
  • Alexandre Neckam (1157 - 1217)
  • Guillaume le Breton (v. 1165 - ?)
  • Jacques de Vitry (v. 1160 - 1240)
  • Vincent de Beauvais (v. 1190 - 1264)
  • Gossuin ou Gautier de Metz
  • Thomas de Cantimpré (v. 1200 - v. 1270)
  • Noël du Fail (v. 1520 - 1591)

Pour en savoir plus sur La Fontaine de Barenton chez les chroniqueurs médiévaux

Un Tombeau de Merlin à Barenton, selon La Villemarqué

Dans ses oeuvres, Geoffroy de Monmouth († v.1155) dépeint Merlin comme un personnage historique. —  MONMOUTH, Geoffroy de, Vie de Merlin suivie des prophéties de ce barde, Rééd. 1837, Paris, F. Michel et T. Wright, 1149, Voir en ligne. —

Dans la littérature arthurienne qui nous intéresse ici, il s’agit d’un personnage de fiction. Très peu utilisé par Chrétien de Troyes, il est revisité par Robert de Boron († v. 1210) dans son Merlin, dont il fait un antéchrist. Quant à Viviane, un don prophétique la pare de toutes les vertus auxquelles Merlin doit succomber.

L’origine de leur histoire commune apparaît durant la première moitié du 13e siècle, dans la première continuation du Merlin appelée Suite vulgate, sous la plume d’un auteur anonyme ; leur rencontre a lieu aux abords d’une fontaine située dans la forêt de Briogne 21. Toutefois le dénouement intervient, sans que l’on sache pourquoi, en forêt de Brocéliande où Merlin accepte de devenir prisonnier de Viviane.

Félix Bellamy

Enserrement de Merlin dans les récits du 13e siècle

Nous proposons un résumé du récit de la Suite-Vulgate qui fait part de la rencontre de Viviane et de « l’enserrement » de Merlin, évènement qui met fin à l’histoire de Merlin.

Dyonas est le filleul de Dyane, déesse de la Mer. Il sert la duchesse de Bourgogne qui lui donne sa nièce en mariage. De leur union naît Viviane, dotée d’une très grande beauté. Dyane demande aux dieux que la fille de Dyonas soit recherchée et aimée du plus sage des hommes du monde : dès que ce dernier la verra, il en tombera amoureux et ne pourra jamais se défaire de son amour.

Un jour que Merlin vient à passer par la forêt de Briogne où Dyonas a l’habitude de chasser, il trouve une fontaine dont le gravier frémit, si clair et si luisant qu’il semble de fin argent. À cette fontaine, Viviane vient chaque jour s’ébattre, s’amuser et passer le temps. Merlin salue Viviane, s’assoit sur le bord de la fontaine. Un dialogue s’installe au cours duquel Merlin lui révèle son art de la magie. Puis, ils se séparent avec la promesse de se revoir.

Merlin revient près de sa mie. Durant huit jours, Viviane insiste, le prie de lui enseigner la manière d’endormir et d’éveiller un homme comme elle le voudrait. Merlin sait ce que Viviane fera de son enseignement. Aussi lui apprend-il beaucoup de choses tout en se gardant bien de donner suite à sa demande. Puis, Merlin repart faire ses adieux au roi Arthur ainsi qu’à Blaise, son maître. Il revient près de Viviane qui lui demande à nouveau de lui enseigner comment enclore et enfermer un homme sans tour, sans mur, ni fer, sans qu’il puisse sortir par enchantement, sinon par elle. Merlin lui dit qu’il sait qu’elle veut le retenir. Viviane lui dit espérer un lieu tellement beau qu’ils seront dedans en joie et en plaisir. Alors, Merlin commence à lui enseigner et Viviane met tout en écrit.

[Et ils] séjournèrent ensemble un grand moment tant qu’il advint qu’un jour qu’ils s’en allaient main à main par la forêt de Brocéliande, qu’ils trouvèrent un buisson d’aubépine grand et beau, tout chargé de fleurs. Ils s’assirent à l’ombre, sur la belle herbe verte et jouèrent et folâtrèrent à l’ombre. Et Merlin mis sa tête au giron de sa damoiselle, et elle commença à le masser tant qu’il s’endormit en son devant (tablier).

Et quand la damoiselle sentit qu’il dormait, elle se leva tout doucement et fit un cerne de sa guimpe tout autour du buisson et autour de Merlin et elle commença ses enchantements tel que lui-même lui avait appris, et elle fit par neuf fois le cerne et par neuf fois l’enchantement, puis revint s’asseoir près de lui et lui mit sa tête en son giron et le tint de cette manière longuement tant qu’il s’éveilla et regarda autour de lui. Et il lui apparut qu’il était enclos dans la plus forte tour du monde et se trouva couché au plus beau lit où jamais il y eut jeu. Alors il dit à la damoiselle : « Ma dame, vous m’avez trompé si vous ne demeurez pas avec moi, car nul n’a pouvoir, hormis vous, de défaire cette tour. » Et elle dit : « Beau doux ami, j’y serai souvent et m’y tiendrai entre vos bras. » Et de cela lui tint promesse, car peu furent des jours et des nuits où elle ne fut avec lui. Mais jamais depuis Merlin ne sortit de cette tour où sa mie Viviane l’avait mis. Mais elle y entrait et en sortait quand elle voulait 22.

GAIGNEBET, Claude et LAJOUX, Dominique, Art profane et religion populaire au Moyen Âge, PUF, 1985. [pages 309]

Dans ce récit, il n’est nullement question de la Fontaine de Barenton. Merlin et Viviane se retrouvent près d’un buisson d’aubépine. Le prophète n’est pas enterré mais vivant dans un autre monde où lui et Viviane doivent se retrouver.

La tradition d’Armorique situerait le Tombeau de Merlin à la Fontaine de Barenton

En 1837, Hersart de la Villemarqué, dans une chronique intitulée Visite au Tombeau de Merlin 23, mentionne que Merlin serait mort et enterré à la Fontaine de Barenton. Il ne tient pas compte de la « découverte » de J.-C. Damien Poignand, juge d’instruction à Montfort-sur-Meu, qui, dès 1820, révélait l’existence des tombes de Merlin et de Viviane 24 au nord de la forêt de Paimpont, au lieu-dit « Les Landelles », près de Saint-Malon-sur-Mel 25.

Dans sa Visite au Tombeau de Merlin, La Villemarqué ne commente pas la « découverte » de Poignand. Il argumente sur un autre lieu beaucoup plus célèbre, « la Fontaine de Barenton », où Merlin serait enterré. Pourtant, l’un comme l’autre considèrent par ailleurs que Merlin est un druide et que Viviane et lui sont des personnages historiques. Ils s’accordent pour dire que le terme « Brocéliande » est une mystification et que le lieu réel où ont vécu ces personnages est « Brécilien ».

Ce désaccord sur l’emplacement du Tombeau de Merlin pourrait être en lien avec les rivalités entre les érudits bretons, une concurrence qui a un rapport avec le contexte politique et culturel de la première moitié du 19e siècle. Dans le même temps, en 1824, à la suite de la découverte du Tombeau de Merlin, Blanchard de la Musse décrit dans la toute nouvelle revue du Lycée Armoricain, la présence d’un « Val sans Retour » dont l’emplacement sera lui aussi remis en cause. —  BLANCHARD DE LA MUSSE, François-Gabriel-Ursin, « Aperçu de la ville de Montfort-sur-le-Meu, vulgairement appelée Montfort-la-Canne », Le Lycée Armoricain, Vol. 4, 1824, p. 300-313, Voir en ligne. p. 303 —

Des polémiques naissent entre ceux qui vivent en Bretagne et les Bretons de l’extérieur, les apports culturels des uns et des autres faisant l’objet de mésententes entre les érudits bretons. Ainsi, Hersart de la Villemarqué fréquente les milieux littéraires parisiens, il se lie d’amitié avec plusieurs autres Bretons de Paris, notamment Jean-François Le Gonidec, Auguste Brizeux, Émile Souvestre, Aurélien de Courson, Pol Potier de Courcy 26.

Fontaine de Barenton
—  CHARTON, Edouard, « Fontaine de Baranton », Le Magasin Pittoresque, Vol. 14, 1846, p. 331-332, Voir en ligne. —
H. Pisan

Hersart de la Villemarqué a 22 ans lorsqu’il écrit sa Visite au Tombeau de Merlin dans la Revue de Paris fondée en 1829. Ainsi commence le texte.

J’avais tant de fois, dans mon enfance, entendu parler de Merlin, et lu, dans nos romans de chevalerie bretonne, de si merveilleuses choses sur son tombeau, la forêt de Brécilien, la fontaine de Baranton et la vallée de Concoret, que je fus pris d’un vif désir de visiter ces lieux, et qu’un beau matin je partis.

HERSART DE LA VILLEMARQUÉ, Théodore, « Visite au Tombeau de Merlin », Revue de Paris, Vol. 40, 1837, p. 45-62, Voir en ligne. p. 45

La Villemarqué décrit la forêt de Brécilien à laquelle il prête une étymologie issue de son imagination, et la Fontaine de Barenton où dort le vieux druide Merlin.

[...] un immense amphithéâtre couronné de bois sombres, jadis nommés la Forêt de la puissance druidique (Koat brec’hal-léan) 27, et aujourd’hui par corruption, Brécilien. A l’une de ses extrémités, coule une fontaine près de laquelle on voit deux pierres couvertes de mousse que domine une vieille croix de bois vermoulue : c’est la fontaine de Barandon et le tombeau de Merlin ; là dort, dit-on, le vieux druide, au murmure des eaux et du vent qui gémit dans les bruyères d’alentour.

Hersart de la Villemarqué, Théodore (1837) op. cit., p. 46

Son explication sur la présence de Merlin à Barenton reste floue. La Villemarqué accuse les trouvères d’avoir déformé la vraie histoire de Merlin (qui vécut, d’après lui, au 6e siècle) et de ce fait, la grande histoire des Bretons.

Les trouvères, en adoptant les traditions bretonnes, les dépouillèrent de leur vieux costume gaulois, pour les habiller à la mode de leur temps

Hersart de la Villemarqué, Théodore (1837) op. cit., p. 48

Il poursuit en mélangeant les genres, attribuant la Fontaine de Barenton à Viviane, une druidesse, et à ses compagnes : qu’un vœu de perpétuelle virginité enchaînait au bord de la fontaine de Korig-Wenn, (Korig-Wenn est ici traduit « Blanche prêtresse » par l’auteur). Elles ont été détournées de leur histoire par les trouvères pour devenir de bonnes fées auxquelles on voue les petits enfans [...] Enfin, La Villemarqué fait part d’une « sacralisation » de la fontaine des druidesses, arguant que les trouvères du 12e siècle l’ont irrespectueusement sali.

[...] leur fontaine sainte qu’on ne violait jamais impunément, fut changée en une source de tempêtes, sous la garde d’un chevalier toujours prêt à tirer vengeance de l’imprudent qui ose venir en troubler les eaux.

Hersart de la Villemarqué, Théodore (1837) op. cit., p. 48

Il s’agit d’une allusion au Chevalier au Lion dont l’auteur, Chrétien de Troyes, serait selon lui, un trouvère. Comme pour de nombreux auteurs, La Villemarqué suit le sens de l’histoire de Bretagne telle qu’elle était répandue au 19e siècle.

[...] pour La Villemarqué, Merlin est en effet aussi le créateur de la poésie celte et c’est à son imitation que les poètes celtes du XIIe siècle ont créé la littérature arthurienne, avant de la léguer aux écrivains de langue française.

KENDRICK, Laura, MORA, Francine et REID, Martine, Le Moyen Âge au miroir du XIXe siècle (1850-1900), Paris, L’Harmattan, 2003, Voir en ligne. pages 178

Pour expliquer la présence de la sépulture de Merlin à la Fontaine de Barenton, La Villemarqué se réfère aux triades galloises qui traitent de la disparition de Merlin. Selon lui, une de ces triades, apportée par les émigrés bretons venus de Galles au 6e siècle, aurait alors suivi une évolution qu’il nomme « tradition d’Armorique ». La Villemarqué s’inspire de deux courants littéraires arthuriens, l’un en langue romane, l’autre en langue galloise. C’est ce dernier qu’il agrémente d’une tradition d’Armorique pour construire une trame imaginaire expliquant l’« entombement » de Merlin à la Fontaine de Barenton.

La tradition d’Armorique veut que Vivihan l’ait fait mourir par mégarde, et enterré au bord de la fontaine de Barandon ; le roman, nous le verrons bientôt, confirme cette opinion. Il nous reste divers fragmens de poésie que l’on attribue à Merlin-Emrys, ou à un autre barde du même nom. [...] Mais laissons-les [les trouvères] parler eux-mêmes ; ce sera le roman après l’histoire.

Hersart de la Villemarqué, Théodore (1837) op. cit., p. 48

Pour démontrer comment les trouvères ont détourné la vérité, il fait état de trois romans dont il cite de larges extraits : le Chevalier au Lion, Brun de la montagne et la Suite-Vulgate (qu’il appelle « Le roman de Merlin » et qu’il date du 15e siècle). Par contre, le roman qui doit confirmer que la tradition armoricaine enterre bien Merlin à Barenton n’existe pas. Quant aux « fragments de poésie attribués à Merlin » nous n’en avons pas connaissance. La seule trace de la « tradition » qu’il évoque n’est pas un texte argumenté ; elle consiste dans le témoignage oral d’une vieille paysanne de Concoret.

Une vieille filait en gardant ses moutons ; je m’approchai d’elle, et l’interrogeai. [... ]
— On conte aussi de Merlin.
— Ah ! Merlin, fis-je vivement ; et qu’est-ce qu’on en dit, s’il vous plaît ?
— On dit qu’il gît là-haut sous cette grosse pierre, que sa dame l’a occis par engin, mais sans mau-vouloir, et qu’il y a un trésor en son tombeau. Dans une grande famine où le blé valait trente livres le boisseau, les guas de Beauvais s’en vinrent avec des pioches pour fouir dessous ; mais ils n’en purent venir à bout. On dit bien d’autres choses encore, que je ne me rappelle plus, car je suis un tantet vieillotte, et j’ai perdu ma mémoire.

Hersart de la Villemarqué Théodore (1837) op. cit., pp. 53-54
La fontaine de Barenton en 1899
Photographie datée du 12 septembre 1899

Bibliographie

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WACE, et LE ROUX DE LINCY, Antoine, Le roman de Brut, Vol. 2, Rééd. 1838, Rouen, Edouard frères éditeurs, 1155, Voir en ligne.


↑ 1 • Brut/Brutus, petit-fils d’Enée, débarque avec ses soldats sur l’île d’Albion peuplée seulement de quelques géants. Il aurait donné son nom à l’île et aurait appelé ses compagnons les Bretons, d’après l’Historia regum Britanniæ, l’Histoire des rois de Bretagne de Geoffroy de Monmouth

↑ 2 • Traduction française de Historia regum Britanniæ : —  MONMOUTH, Geoffroy de et MATHEY-MAILLE, Laurence, Histoire des rois de Bretagne, 1992, rééd. 2008, Paris, Les Belles Lettres, 1135. —

↑ 3 • Rou, Roll ou Rollon, premier viking à s’installer en Normandie suite au traité de Saint-Clair-sur-Epte, consenti par Charles le Simple en 911.

↑ 4 • Il lui sera donné le surnom de « conquérant » après sa victoire à la bataille d’Hastings

↑ 5 • Katherine Keats-Rohan souligne que pour désigner Gael les documents anglais font part de Guadel. Wace est le premier à écrire Gael, cette orthographe correcte prouve que l’écrivain normand s’est bien rendu à la fontaine. —  KEATS-ROHAN, Katharine, « Le rôle des Bretons dans la politique de la colonisation normande d’Angleterre (c.1042-1135) », in Published MSHAB 74, 1996, p. 181-215, Voir en ligne. pages 181-215 —

↑ 6 • déformation de Brécilien, ancien nom de la forêt de Paimpont, porté depuis le Moyen Âge jusqu’au 19e siècle

↑ 7 • fontaine proche du village de « Folle Pensée » sur la commune de Paimpont, dont le nom s’écrit aujourd’hui Barenton/Baranton.

↑ 8 • Cette comète est représentée sur la célèbre tapisserie de Bayeux (c’est en fait une broderie) du début de la seconde moitié du 11e siècle

↑ 9 • Sur ce sujet, lire —  CASSARD, Jean-Christophe, « Arthur est vivant ! Jalons pour une enquête sur le messianisme royal au Moyen Âge », Cahiers de civilisation médiévale, Vol. 32e année (n°126), 1989, p. 135-146. [pages 135-146] —

↑ 10 • Dans —  ARNOLD, Ivor, Le Roman de Brut de Wace, Vol. 1, Paris, Edit. Société des anciens textes français, 1938, Voir en ligne. [page LXXXIV] —, Ivor Arnold rapporte que

Wace ajoute à ces renseignements, dont il signale l’origine, deux détails : qu’Arthur vit encore, que les Bretons attendent son retour ; et il les attribue à une tradition orale dont il se refuse à garantir l’exactitude.

Dans son deuxième tome, il fait part des écrits de Wace :

Arthur, si la geste ne ment,
Fud el cors nafrez mortelment ;
En Avalon se fist porter
Pur ses plaies mediciner.
Encore i est, Bretun l’atendent,
Si cum il dient et entendent ;
De la vendra, encor puet vivre.
Maistre Wace ki fist cest livre,
Ne volt plus dire de sa fin
Qu’en dist li prophetes Merlin ;
Merlin dist d’Arthur, si ot dreit,
Que sa mort dutuse serreit.
Li prophetes dist verité ;
Tut tens en ad l’um puis duté,
E dutera, ço crei, tut dis,
Se il est morz u il est vis.

Vers 13275-13290 — ARNOLD, Ivor, Le Roman de Brut de Wace, Vol. 2, Paris, Edit. Société des anciens textes français, 1938, Voir en ligne. pages 693-694

↑ 11 • 

Texte original :
M’en alai chevauchant ainsi,
Tant que de la forest issi,
Et che fu en Brocheliande.
[…]
Mais se tu voloies aler
Chi pres dusc’a une fontaine,
N’en revenroies pas sans paine,
Se tu ne rendoies son droit.

↑ 12 • 

Texte original :
La merveille a veoir me plot
De la tempeste et de l’orage,
Dont je ne me tieng mie a sage ;
Que maintenant m’en repentisse
Mout volentiers, se je poïsse,
Que jë oy le perron crevé
De l’iaue au bachin arousé,
Mais trop y en versai, che dout,
Que lors vi le chiel si derout
Que de plus de quatorse pars
Me feri es ialz li espars ;
Et les nues tout pelle melle
Jetoient noif, pluië et graille.
Tant fu li tans pesmes et fors
Que je quidai bien estre mors
Des fourdres qu’entor moi caoient,
Et des arbres qui depechoient.

↑ 13 • 

Texte original :
Ainsi alay, ainsi reving,
Au revenir pour fol me ting.

↑ 14 • 

Texte original :
La fontaine venras qui bout,
S’est ele plus froide que mabres.

↑ 15 • Terme encore employé aujourd’hui par les gens du pays. Il était de coutume de faire un vœu et de jeter une épingle à nourrice dans l’eau de la fontaine pour voir remonter de nombreuses bulles à la surface qui donnaient l’illusion d’un bouillonnement. Ce qui faisait dire que la fontaine rit, selon l’expression consacrée.

↑ 16 • 

Texte original :
Mon cuer, qui sovent me comande
Faire autre chose que mon preu,
Me fist faire aussi comme veu
Que je en Berceliande iroie.
Je m’en tornai et prins ma voie
Vers la verté sans plus atendre ;
Car la verté voloie aprendre
De la périlleuse fontaine.

↑ 17 • auteur d’un roman arthurien, Méraugis de Port-lesguez

↑ 18 • 

Texte original :
Le bacin, le perron de marbre
Trovai en itele maniere,
Et le vert pin, et la chaiere
Comme l’a descrit Crestiens.
En plus clère ewe crestiens
Ne reçut onques le baptesme.
Ne sembla pas que ce fust cresme,
Quant le bacin ting en ma main :
Car tout aussi le puisai plain,
Com se la vousisse (voulais) espuisier.
Quant je mis la main al puisier,
Tuit le firmament vi troubler.
Quant j’oi puisié, lors vi dubler
Cele tremblour en .IIII. doubles ;
Et si fut mil tans noir et troubles,
Quant j’oï sur le perron versé.
Je, qui tout soul y fut, le sai ;
Ne talent n’en ai de mentir.
Mès (bien plus) le ciel oÏ desmentir (rompre)
Et esclaircir de toutes pars,
En plus de V.C. miles espars
Ert la forest enluminée.
Sé tout le ciel fust cheminée
Et touz li mons arsist ensamble,
Ne feist il pas, ce me samble,
Tel clarté ne si grant orage.

↑ 19 • Traduction en français moderne par Alfred Puton.

Près de cette fontaine, il y a une grosse pierre qu’on appelle le Perron-de-Bellanton. Chaque fois que le seigneur de Monfort vient à cette fontaine et y prend de l’eau pour arroser et mouiller ce perron, quelque chaleur et temps contraire à la pluie qu’il fasse, de quelque part que vienne le vent et qu’au dire que chacun le temps ne soit nullement disposé à la pluie, il arrive aussitôt ou peu après, ou parfois avant que le seigneur ne soit rentré en son château de Comper ou, en tout cas, avant la fin de la journée, qu’il pleut au pays si abondamment que la terre et ses biens sont arrosés et en ont grand profit.

A propos de cette traduction Alfred Puton indique.

A raison de la publication faite par le savant bibliothécaire du Louvre et de sa conformité avec les textes, il nous a paru inutile de publier ce curieux document dans son langage ancien et d’en donner une nouvelle reproduction littérale. Il nous a semblé plus intéressant et plus utile d’en donner, ci-après, une sorte de traduction où le langage actuel permet de saisir le véritable sens de l’institution coutumière. De cette manière, la forme ancienne n’arrête jamais l’esprit du lecteur et les mots originaux mis entre parenthèse lui permettent de vérifier le sens que nous donnons au texte dans ces parties les plus délicates. On pourra d’ailleurs toujours recourir soit aux copies anciennes, soit au texte de M. de Courson pour juger l’exactitude et le sens de notre proposition. PUTON, Alfred, « Usages, anciennes coutumes et administrations de la forêt de Brécilien. De ceux qui ont droit d’usage et droit de prendre du bois dans cette forêt pour leurs besoins nécessaires. », in Coutume de Brécilien. Titres, jugements et arrêts concernant les usages de Paimpont et Saint-Péran, Nancy, Imprimerie E. Réau, 1879, p. 1-30, Voir en ligne.

↑ 20 • Traduction en français moderne par Alfred Puton.

Il y a également près de ce breil un autre breil nommé le Breil-de-Bellanton et auprès de celui-ci une fontaine appelée fontaine de Bellanton, auprès de laquelle le bon chevalier Pontus fit ses armes, ainsi qu’on peut voir par le livre qui en fut composé. PUTON, Alfred, « Usages, anciennes coutumes et administrations de la forêt de Brécilien. De ceux qui ont droit d’usage et droit de prendre du bois dans cette forêt pour leurs besoins nécessaires. », in Coutume de Brécilien. Titres, jugements et arrêts concernant les usages de Paimpont et Saint-Péran, Nancy, Imprimerie E. Réau, 1879, p. 1-30, Voir en ligne.

↑ 21 • dans le Brionnais en Bourgogne

↑ 22 • Texte original : sejournerent ensamble grant piece, et tant qu’il vindrent a un jour qu’il aloient main a main devisant pour euls deduire parmi la forest Broceliande, si trouverent un buisson bel et vert et haut d’une aube espine qui estoit tous cargiés de fleirs, si s’assistrent en l’ombre. Et Merlins mist son chief el giron a la damoisele, et ele le commencha a tastonner tant qu’il s’endormi. Et quant la damoisele senti qu’il dormoit, si se leva tout belement, et fist un cerne de sa guimple tot entor le buisson et tout entour Merlin, si commencha sez enchantemens, et eust onques geu. Et lors dist a la damoisele : « Dame, deceu m’avés se vous ne demourés avec moi, quar nus n’en pooir fors vous de ceste tour desfaire » Et elle dist : « Biaus dous amis, jou y serai souvent et m’i tendrés entre vos bras et jou vous. Si ferés des ore mais tout a vostre plaisir. » Et elle fust avec lui, ne onques puis Merlins n’en issi de celle forteresce ou s’amie l’avoit mis, mais elle en issoit et entroit quant elle vouloit.

The Vulgate Versions of the Arthurian Romances, éd. Heinrich Oskar Sommer, t. II, p. 452

↑ 23 • 

HERSART DE LA VILLEMARQUÉ, Théodore, « Visite au Tombeau de Merlin », Revue de Paris, Vol. 40, 1837, p. 45-62, Voir en ligne.

↑ 24 • en réalité des mégalithes du Néolithique

↑ 25 •  POIGNAND, Jean Côme Damien, Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul par Dinan et au retour par Jugon, Rennes, Duchesne, 1820, Voir en ligne. pages 140-141

↑ 26 • Catherine Bertho explique.

Après 1820, le contexte politique et culturel est en effet plus ouvert. Les polémiques autour de l’image de la Bretagne s’insèrent à l’intérieur de plusieurs types de conflits qui se brouillent et se superposent. En premier lieu, à l’intérieur de conflits politiques. Une fois la monarchie restaurée, les ultras se maintiennent au pouvoir jusqu’en 1830 ; mais dans le pays l’opinion libérale, voltairienne, attachée aux conquêtes de la Révolution et à l’esprit des Idéologues est encore puissante. Par ailleurs, dans le domaine esthétique, les différentes générations d’auteurs romantiques rencontrent la résistance d’un public et d’écrivains attachés au bel esprit piquant et superficiel des salons du XVIIIe siècle. Enfin, l’antagonisme entre province et capitale est fortement ressenti, particulièrement en province. C’est dans ce triple environnement qu’il faut analyser les écrits des différents auteurs qui traitent de la province entre 1815 et 1835. Leur production s’inscrit dans deux champs distincts, le champ politique et le champ littéraire dans lesquels la séparation est nette entre un pôle dominé et un pôle dominant. Dans le champ littéraire, les auteurs provinciaux rassemblés autour du Lycée Armoricain, revue à diffusion purement régionale, représentent le pôle dominé, le pôle dominant étant formé par les auteurs parisiens qui constituent d’ailleurs un groupe composite.

BERTHO, Catherine, « L’invention de la Bretagne. Genèse sociale d’un stéréotype », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 35, 1980, p. 45-62, Voir en ligne. p. 51

↑ 27 • Cette appellation est fantaisiste, le nom breton de la forêt est Breselien que l’on trouve écrit Bresrelien dans le [Chronicon Britannicum à la date de 1145, Brécheliant en 1160 (Wace), Brecelien en 1405 ou Brécilien par la suite.