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1919

La Vierge de Saint-Étienne de Guer

Une légende chrétienne publiée par François Cadic

La Vierge de Saint-Étienne est une légende publiée par François Cadic en 1919. Elle raconte l’origine miraculeuse du pèlerinage de la Vierge de Saint-Étienne de Guer.

La légende de la Vierge de Saint-Étienne de Guer

Une statue de la Sainte Vierge - aujourd’hui disparue -ornait l’autel de la chapelle Saint-Étienne de Guer. Selon l’abbé Le Claire (1853-1930), elle a de nombreuses similitudes avec celle vénérée dans l’église Notre-Dame-de-Paimpont. L’abbé Le Claire a brièvement mentionné une légende se rapportant à cette statue.

Un gentilhomme des environs ayant acheté la statue de la Vierge se mit en devoir de l’emporter comme c’était son droit, mais en passant sur le pont de Tehel, il perdit l’équilibre et la statue lui échappa des mains et retourna dans sa chapelle.

LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne. p. 102
La statue de Notre-Dame de Paimpont dans l’église abbatiale
Roger Blot

La version de François Cadic

François Cadic (1864-1929), curé de la paroisse bretonne de Paris, publie la légende de La Vierge de Saint-Étienne de Guer dans un recueil de contes bretons paru en 1919. —  CADIC, François, Contes et légendes de Bretagne, Paris, Maison du Peuple Breton, 1919, 240 p., Voir en ligne. [pages 21-32] —

François Cadic ne révèle pas le nom de la personne auprès de laquelle il a collecté la légende. Il l’a très certainement entendue de la bouche d’un dénommé Lecomte de Guer, cité dans la préface comme étant l’un de ses actifs collaborateurs et qui est sa seule source connue concernant les contes et légendes de la région de Guer.

Le récit intégral de La Vierge de Saint-Étienne

Saint-Étienne est un petit village campé sur le dos d’un monticule, à l’issue de Guer, quand on regarde le coucher du soleil. Quatre chaumières, quatre étables, quatre poulaillers. C’est pauvre, et rien n’y fixerait l’attention, si ce n’était le site admirable : au Nord, les vastes steppes de la lande ce Coëtquidan ; à l’Est, les coteaux accidentés de l’Aff et le beau manoir de Coëtbo ; devant, une humble rivière, l’Oyon, qui va boire aux fontaines de la forêt de Paimpont et coule paresseusement à travers les prairies grasses, nullement pressée d’arriver au bout du chemin. Les champs de blé se succèdent le long des pentes, et les talus plantés de chênes grimpent en escalade jusqu’au sommet. Rarement la voix de l’homme trouble le silence de la solitude ; on n’entend guère que les trilles de l’alouette matinale et le cri-cri du grillon. Combien loin le temps où des chemins s’élevait le bruit des pas des pèlerins en marche et où montaient vers le ciel les accents de la prière, car le modeste village eut son heure de célébrité, et le sanctuaire dont il s’enorgueillissait était jadis en grande vénération aux confins des diocèses de Vannes et de Rennes.

Il y avait là, dans l’église dédiée à Monsieur Saint-Étienne, seigneur et maître du lieu, une antique statue de la Vierge à laquelle la croyance populaire attachait les plus bienfaisantes vertus et aux pieds de laquelle les fidèles, pendant des générations, déposèrent leurs hommages et leurs offrandes.

L’église est demeurée, la statue aussi, mais, hélas ! l’église n’est plus qu’une misérable grange, et la statue n’attire plus que de rares prières. Ce que les pères ont vénéré, les fils s’en sont détournés. Ils n’ont gardé de la tradition du passé qu’un seul souvenir, la légende, une de ces légendes aussi gracieuse que les fils de la Vierge qui couvrent la campagne bretonne et qui expliquent les origines du pèlerinage.

À une époque qui doit remonter aussi loin que l’histoire de Guer, vivait dans la contrée un gentilhomme de haut lignage, riche des dons de la fortune et du coeur, aussi généreux pour les pauvres qu’il était dévot envers madame Marie. Un jour, en entrant dans l’église de Saint-Étienne, ce gentilhomme remarqua la statue et dès lors lui voua un culte assidu.

Chaque matin, dès son lever, il partait, quel que fut le temps, à pied ou à cheval, traversait le pont de Tehel qui barrait l’Oyon et grimpait le sentier qui menait à la chapelle, afin d’entendre la sainte Messe. A la longue pourtant, à force de parcourir le même trajet, l’âge aussi arrivant, le pieux gentilhomme commença à ressentir les effets de la fatigue. Alors, une tentation se glissa dans son esprit.

Saint-Étienne, pensa-t-il, était loin, la route affreuse, la température souvent insupportable. Puisqu’il était si difficile d’aller voir la Madone chez elle, pourquoi ne viendrait-elle pas s’installer chez lui ? L’idée lui parut lumineuse, et aussitôt le voilà à l’œuvre. En son castel des bords de l’Aff, il construisit un oratoire merveilleux, ouvragé comme une dentelle, avec des colonnes en marbre rare et un autel au revêtement d’or et d’argent.

Nul doute, se disait-il que la Sainte Vierge ne quitte avec plaisir son humble chapelle pour mon château et qu’elle ne me sache gré de lui avoir préparé une si belle résidence. Nous y trouverons notre compte l’un et l’autre, et à l’avenir je ne me fatiguerai plus les jambes à péleriner par un chemin de casse-cou.

Saint-Étienne était un prieuré que desservait les religieux de l’abbaye de Paimpont. Il s’entendit avec ceux-ci, acheta la statue à gros deniers, et l’ayant enlevé de sa niche, il partit, son précieux trésor entre les bras. Malheureusement, il avait compté sans le bon vouloir de la principale intéressée, car il n’est pas rare que les habitants du céleste séjour envisagent les choses d’un autre point de vue que nous et que leurs desseins ne s’accordent pas avec nos calculs.

Il s’en retournait chez lui joyeusement en songeant aux honneurs dont il saurait entourer sa sainte hôtesse, une fois qu’elle serait dans son oratoire, lorsqu’il lui sembla qu’une puissance mystérieuse s’était attachée à ses pas et arrêtait sa course. La statue, qu’un enfant aurait porté sans peine, devenait lourde, aussi lourde qu’une masse de plomb et elle lui brisait les bras.

Il pensa que c’était le malin qui se mettait en travers de son pieux projet et continua de marcher, mais à mesure qu’il allait, la fatigue augmentait. Suant, soufflant, le corps courbé en deux, il n’en pouvait plus d’efforts. Saint Christophe, l’Enfant-Dieu et le monde sur ses épaules, n’était pas plus accablé. Il réussit cependant à atteindre le pont de grosse pierre jeté sur l’Oyon.

Que je touche l’autre rive, murmurait-il, et je suis tiré de peine. Il n’eut pas cette satisfaction. Comme il posait le pied sur la première traverse, voila que la statue s’agita dans ses bras. Une vertu surnaturelle animait ce bloc de bois et il n’en était plus le maître. En vain cherchait-il à avancer, la statue le repoussait en arrière. Il était évident que la Madone ne goutait nullement ce voyage et qu’elle prétendait retourner à sa chapelle. En dépit d’elle, néanmoins, il s’obstina ; il fit encore quelques pas. Il parvint jusqu’au milieu du pont mais là, il s’arrêta net. Il lui semblait qu’un bras invisible lui barrait la route. En même temps, une lumière éclatante, semblable à celle du soleil en plein midi, l’enveloppait, éblouissant ses yeux, et la statue s’arrachant de ses bras lui échappait. Il s’élança pour la rattraper. Ses mains ne rencontrèrent que le vide. N’y voyant rien, il se trompa de direction, heurta le pied contre une pierre et finalement, sollicité sans doute par l’eau perfide que les pluies avaient grossie récemment, il donna de la tête au fond de la rivière. Il s’en fallut de peu qu’il y resta.

Une dernière surprise lui était réservée. Comme il atteignait le bord après s’être dégagé avec mille difficultés du lit de boue où il était tombé, la statue de la Vierge fut le premier objet qu’il aperçut. Elle était venue d’elle-même au devant lui. Elle se tenait là debout, le regard tourné vers la chapelle de Saint-Étienne, et son geste disait clairement : je veux y retourner.

À chercher à résister, il s’exposait aux pires aventures. Mieux valait obéir. À défaut d’autres raisons d’ailleurs, l’eau glacée de l’Oyon aurait suffit pour vaincre les vaines suggestions d’une dévotion mal comprise.

Hélas ! gémit-il, en se battant la coulpe, je suis un grand coupable. J’ai péché par égoïsme en pensant que la Sainte Vierge serait à moi seul dans mon castel plutôt que de la laisser à tout le monde dans son église. Puisse-t-elle me le pardonner. Il ne me reste maintenant qu’à réparer ma faute.

Il la répara généreusement. Reprenant la statue dans ses bras, il remonta le chemin qui conduisait à la chapelle de Saint-Étienne, la replaça avec respect sur l’autel et s’employa à propager partout la nouvelle du prodige, afin d’attirer le concours du peuple. Grâce à lui, le pèlerinage fut établi. Il dura des siècles. Il durerait encore si la foi des gens était demeurée aussi vivace ; mais peu à peu avec le temps, le nombre des pèlerins diminua ; finalement, la Vierge fut oubliée dans son sanctuaire.

Elle est là aujourd’hui, ainsi qu’une reine déchue, abandonnée de ses sujets, à l’exception de quelques rares dévots qui reviennent lui rendre visite. La poussière couvre son manteau et les araignées tissent leurs toiles dans sa couronne. Malgré l’ingratitude des hommes, elle n’a pas voulu quitter la place. N’ayant plus à s’occuper des vivants, elle veille sur les morts et garde les ossements des religieux, ses serviteurs d’autrefois, qu’on a jeté dans les coins.

Un saint Étienne souverain guérisseur des maux de tête, drapé dans sa dalmatique, et une sainte Apolline, médecin infaillible des maux de dents, dont le corps d’ascète, fluet et ténu, semble prêt à s’envoler au ciel, lui tiennent compagnie. Leurs regards désolés errent à travers la grange, et, tout en se demandant ce qui leur a valu l’injure des hommes, ils ont leurs oreilles aux écoutes, espérant qu’ils entendront de nouveau bientôt le bruit des pas des multitudes le long des chemins qui conduisent vers leur demeure. Ils ne sont d’ailleurs pas pressés, car les saints ont l’éternité devant eux et d’ici longtemps ils auront le dernier mot dans les choses de ce monde.

Un jour viendra, sans doute, où une âme pieuse réparera les ruines et, à l’exemple du noble gentilhomme, remettra le pèlerinage en honneur, où dans la chapelle retentiront les cantiques de reconnaissance et où de la colline aux flancs boisés qui domine la plaine de l’Oyon, les gracieux méandres de l’Aff et les villages de Guer, monteront vers le ciel les concerts d’allégresse du peuple chrétien réconcilié avec ses célestes protecteurs.

Saint Étienne, guérissez-nous des maux de têtes !
Sainte Apolline, guérissez-nous du mal de dents !
Et vous, Vierge sainte, bénissez Guer.

Le prieuré et la chapelle de Saint-Etienne de Guer
09/07/2012
Alain Bellido

Réédition contemporaine

Cette légende a fait l’objet d’une réédition en 2001 sous le titre La Vierge miraculeuse de Saint-Étienne. —  CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 2, Terre de Brume Editions, 2001, 419 p. [page 91] —


Bibliographie

CADIC, François, Contes et légendes de Bretagne, Paris, Maison du Peuple Breton, 1919, 240 p., Voir en ligne.

CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 2, Terre de Brume Editions, 2001, 419 p.

LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, Histoire de Guer, Rééd. 1990, Paris, Res Universis, 1915.