aller au contenu

5 - Roche Plate

Quel charme !

Quel charme !

À quelques encablures au-dessous de Roche Plate, un long chemin creux et étroit serpente entre de vieux arbres pleins de charme. Il nous emmène déambuler entre les hêtres fayards, les grands chênes sessiles et une magnifique haie de charmes têtards.

Après plusieurs coupes de ses branches élancées, le charme fou devient une belle charmille décoiffée par les vents, celui de Galerne en particulier. Large de la tête au pied, coiffée de son diadème de feuilles et de branches entremêlées, elle maintient haut son port de reine. Son corps un peu tortueux percé de quelques trous de pic vert ou de pic épeiche son cousin, abrite d’une façon bienveillante plusieurs familles disparates.

La charmille

Il est tôt ce jour d’avril, les silhouettes de la forêt se dessinent à peine dans les brumes du petit matin et l’on sent déjà dans l’atmosphère, les frémissements d’un jour nouveau. Mais dans le monde des bois, certains se lèvent avec la nuit et se couchent avec le jour, alors que d’autres font l’inverse.

Une certaine cacophonie se dégage de cet imbroglio inextinguible, malgré les efforts déployés par notre belle charmille pour accueillir tout ce petit monde.

Ecureuil roux

A la cime, une dizaine de mètres au-dessus du sol, un petit écureuil roux s’est installé dans un vieux nid de pie abandonné, bien arrimé entre les branches. Après un aménagement intérieur douillet de feuilles mortes, de mousses et de lichens, le petit écureuil passe la plupart de son temps d’hiver au chaud, à l’abri de la pluie et du vent.

Le matin, c’est un lève-tôt. Il s’active tout le long du jour. Il descend comme un dératé le long du tronc, la tête en bas, sans jamais déraper grâce à ses pattes griffues.

Il fait ses provisions de noisettes, faînes, graines de pin, éventuellement un morceau ou deux d’amanite phalloïde, quelques glands ; parfois un petit œuf de rouge-gorge ou de pouillot siffleur est le bienvenu pour améliorer l’ordinaire.

Il en dissimule à droite à gauche. Mais il a une petite tête de linotte et la plupart du temps il oublie l’emplacement de ses cachettes. Finalement il en sème un peu partout et les retrouve parfois en hiver, au hasard de ses pérégrinations.

Bien avant la tombée de la nuit, il rentre tôt, épuisé par une journée harassante, mais aussi et surtout parce que la nuit il ne voit rien.

Chouette hulotte

Un étage en-dessous, dans une cavité du tronc, loge un couple de chouettes hulottes ou chats-huants. Avec sa grosse tête ronde bien sympathique, ne vous y fiez pas, c’est un grand chasseur, tout y passe un campagnol des champs par ci, une rainette verte par là, une vieille taupe égarée ou quelques papillons de nuit, c’est selon.
Tous les soirs madame sort. Madame fait la belle à longueur de nuit et effraie les petits animaux de la forêt en poussant des cris plaintifs ou-ou-ouououou. Elle se perche sur les branches, observe de ses grands yeux noirs les traînards noctambules en divagation dans les chemins creux et s’abat sur eux comme la foudre sur un quignon de pain ou un chien sur une galette.

Un peu plus bas, la sittelle torchepot a élu domicile dans un trou de pic vert construit l’année précédente. C’est une solitaire. Elle ne reçoit pas grand monde et pour ne pas être importunée, elle réduit avec de la boue, l’entrée de son nid à sa taille. Assez discrète, elle pousse tout de même la chansonnette avec ses cris sonores « tuit tuit », un peu dérangeants pour le voisinage.

Sittelle torchepot

Deux étages plus bas, le pic vert posé contre le tronc commence son ouvrage de printemps, la construction d’un nouveau nid.

Dans un buisson à proximité de la charmille, une femelle coucou pas gênée du tout, a pondu un œuf dans un nid de troglodyte mignon et un autre dans celui d’un accenteur mouchet. Ben voyons, pourquoi élever ses minots soi-même, alors que les autres peuvent le faire à votre place.

Un raffut du diable

Tout ce beau monde essaie de cohabiter. Mais certains ne se préoccupent pas de leurs voisins et font un raffut du diable.

À l’aube, après une nuit en dévarinade, madame Hulotte fatiguée et bien repue rentre au nid. Elle tombe rapidement dans les bras de Morphée. Mais dans les limbes de son sommeil, elle perçoit vaguement des sons bizarres, toc...toc...toc...éloignés tout d’abord et de plus en plus proches, toc...toc...toc... Au bout d’un moment, elle tend l’oreille et entend à sa porte, toc...toc...toc... Elle se lève en huchant, sort sa grosse tête ébouriffée de son abri et aperçoit le coupable du tapage diurne.

Elle s’égosille en interpellant le pic vert.

– Mais qu’est ce que vous faites ?
– Bonjour ma p’tite dame, je construis une habitation, un nid si vous préférez.
– Comment ça un nid ? Pourquoi un nid et pour qui ?
– Eh bien, je suis dans le bâtiment. Je construis des habitations pour les autres et pour moi.
– Mais je n’ai rien demandé moi et je n’ai pas besoin d’autres voisins... des gens qu’on connaît pas en plus.
– Ecoutez, c’est le printemps, y a de la demande dans le bâtiment et comme on dit, quand le bâtiment va, tout va.
– D’la d’mande, d’la d’mande, on s’en balance de la d’mande, par dessus le marché vous avez vu l’heure qu’il est ? Sept heures du matin !!!
– Qu’y puis-je moi ? Je vis normalement, je travaille le jour. Je suis ainsi conçu, un gros bec solide pour faire des trous dans le bois des arbres. Et puis la construction pour les autres, c’est ma passion. C’est aussi mon côté, disons, social.
– Ah ! mais je vais lui en coller moi du social !
– Comment ? Si cela vous occasionne quelque gêne, eût-il fallu que je le susse ? Dites-le, faut-il que je me départisse de mon pic ? Dans ce cas où vais-je et dans quel état j’erre ? Faudrait-il que je devinsse S.D.F. (samedi, dimanche et fête), un sans bec, un sans dents ? Faudrait-il à vos yeux que je fuisse ? Que je mourusse ? Eh bien, dites-le moi clairement, si je suis un malotru, un malappris ou un malandrin et je disparais dans l’instant.
– Oh ! Oh ! Oh ! Arrêtez un peu de pérorer, ça m’fatigue d’entendre causé XVIe. Môôsieur s’prend pour Ronsard ou Du Bellay, y s’croit tout permis parce qui cause correc... moi j’m’en fous d’tout ça. Alors dégage.

La sittelle torchepot s’en mêle, sort la tête de son trou.

– Mais que se passe-t-il ici ? Il me paraît y avoir un embrouillamini.
– Toi la torchepot va laver tes gamelles, lui dit la chouette en furie.
– Quoi ? Quelle mégère celle là ! Elle sème la zizanie et c’est la plus gênée.
– Moi, madame, le jour je dors et la nuit je bosse, répond la chouette.
– C’est cela oui, madame se donne des airs de bourgeoise, fanfaronne avec les grands Ducs, joue les trublions avec la bande des engoulevents, celle des gros blaireaux et toute la clique des ratons laveurs, toujours masqués ceux là, avec leur loup noir sur les yeux, intrigants, toujours à l’affût d’un mauvais coup. Vous n’êtes qu’une hypocrite et une sournoise... de plus... de plus, vous n’êtes même pas capable de couver vos œufs correctement !
– Quoi ? Pas capable de couver mes oeufs correctement ?
– Parfaitement, on vous entend vous chamailler en permanence avec votre mari « j’ai déjà couvé ce matin après ma nuit de boulot. J’en ai marre et patati et patata ». C’est jamais votre tour de couver. Vous feriez mieux de militer au M.L.C. ( Mouvement de Libération de la Chouette ) ça vous calmerait les nerfs et ça vous éviterait de lever la jambe à tout bout de champ.

Au bord de la crise de nerfs, la chouette se met à hurler.

– Mais j’vais m’la faire celle-là, j’vais lui voler dans les plumes !
– Ah ! Vous faites la paire aussi avec l’autre là, votre commère la coucou. Elle est belle celle-là, toujours prête à s’acoquiner avec le premier venu, à faire du gringue aux mâles mariés et en plus à déposer ses gosses chez les autres. Elle est belle la France, moi j’vous l’dis, heureusement qu’il n’y a pas que des roulures comme vous, sinon il n’y a plus qu’à se pendre au chêne à Guillotin, continue la sittelle.
– S’il vous plaît mesdames, je vous en prie, calmons-nous, dit le pic vert. Nous n’allons pas nous battre pour quelques vétilles. Si madame Hulotte a commis quelque peccadille, ce n’est pas si grave.
– Peccadille, peccadille... c’est qui encore celle là ? S’écrie la chouette, vomissant une pelote de poils mal lavée.
– Non, non ce n’est rien. C’est un simple mot, dit le pic vert. Écoutez-moi, je vous propose une solution, si vous êtes d’accord, je vais faire un effort pour creuser mes nids à des heures raisonnables. Mais à une condition, dite-le moi les yeux dans les yeux que vous ne m’aimez plus et je quitte les lieux dans l’instant.

Après quelques hésitations, la bouche en cœur, les deux voisines s’exclament :
– Bon, d’accord, restez !!!

Pic vert

Le pic vert recommence sa lourde tâche de bâtisseur dans la joie et l’allégresse (alléluia). La charmille en frétille de bonheur à cause des petits coups de bec du pic sous ses grandes branches, ça l’émoustille, ça la grattouille et ça la picote un petit peu.

Comme la lune

Un peu plus tard dans la soirée, avec beaucoup d’appréhension, la sittelle torchepot frappe discrètement à la porte de la hulotte.
– Bonsoiiiir... c’est moi la sittelle, je vous apporte quelques friandises. J’ai préparé une spécialité de chez moi.

La porte s’ouvre doucement en grinçant sur ses gonds en bois.

– Bonsoir, répond la chouette.
– Ce sont de petits vermisseaux, juste poêlés avec un filet de Shoyu, vous voulez goûter ?
– Mouais, voyons voir.
– Vous savez, vous n’êtes pas obligée.
– Non, non, je sais bien, mais comme j’y pense, j’ai cuisiné une épaule de taupe marinée à l’ail et quelques cuisses de grenouilles persillées. Si ça vous dit, on peut partager ?
– Oui, c’est une très bonne idée... euh... j’ai été un peu virulante tout à l’heure... excusez moi, dit la sittelle.
– Oh, ce n’est pas si grave, répond la chouette, moi aussi je me suis emportée. Je suis désolée. C’est à cause de l’autre là, le p’tit Duc. Parfois, il accroche des espèces de talonnettes en bois sous ses pattes pour se donner des airs de grand Duc. Il me fait peur. Il me suit partout la nuit. Alors forcément, parfois je suis à bout.
– Si vous voulez, on peut se tutoyer... je m’appelle Nine, dit la sittelle.
– Oui je veux bien, je m’appelle Moune en langage « hibou ». Mais en langage « hulotte » on dit Moon, comme la lune, c’est plus... comment dire... chouette, dit la hulotte en se trémoussant.
– Si vous, euh, si tu veux bien, je peux te débarrasser de ton importun petit Duc ? lui dit Nine.
– C’est vrai ? Tu ferais ça pour moi ? Mais comment vas-tu faire ? répond Moon.
– Ne t’inquiètes pas, laisse moi faire, j’ai ma petite technique et ça marche à tous les coups.

Le soir même, avant la tombée de la nuit, Nine la sittelle s’approche du nid du petit Duc.

– Alors monsieur le malotru, comme cela on poursuit les jeunes dames la nuit, en particulier la petite Moon ?
– Mais en quoi cela vous regarde ? lui répond le p’tit Duc, d’un air arrogant.
– Eh bien, ça me regarde, tout simplement parce que c’est ma copine. Je vais vous dire une chose, vous allez arrêter immédiatement de la persécuter.
– Sinon ?
– Sinon, je donne à tous les habitants de la forêt, votre deuxième petit nom.
– Ne faites pas ça, s’il vous plaît. Je vous le promets. Je ne l’embêterai plus jamais, dit le p’tit Duc.

De retour à la charmille, Nine appelle Moon.
– Mooon, c’est moi, Nine.
– Oui, entre, tu as de la chance, j’étais prête à sortir.
– Écoute-moi, j’ai une bonne nouvelle, le p’tit Duc ne t’importunera plus jamais.
– Mais comment as tu fait ?
– C’est très simple je l’ai menacé de dévoiler son deuxième petit nom à tous les habitants de la forêt.
– Et c’est comment son petit nom ?
– Tu ne le répètes à personne, promis ?
– Promis, juré.
– Je lui ai glissé à l’oreille d’une voix charmeuse et menaçante : Tu n’appartiendras jamais à la race des seigneurs de la nuit, comme les grands Ducs ou les moyens Duc, et tu sais pourquoi ?
– Non, mais ça m’intéresse, me répondit-il.
– Tout simplement, parce que tu fais parti de celle des "trous ducs ».

– Oh ! Merci Nine, merci, viens que je te serre dans mes plumes.

Tout d’un coup, le petit écureuil roux déboule avec dans les pattes un joli paquet recouvert d’un mouchoir à carreaux rouge et blanc.
– Je peux partager le pique-nique avec vous ? J’ai préparé un gâteau à la châtaigne, avec une crème de noisette. Mais, je suis désolé, il n’y a pas de crème. Je ne me souviens plus de la cachette où j’ai remisé les noisettes l’année dernière.
– Moi aussi, je peux venir ? Dit le pic vert, j’ai quelques brochettes de vers de hanneton grillés et marinés dans du citron vert.
– Bien sûr les amis, venez, entrez et faisons la fête, répondent en cœur Nine et Moon.

Voilà, avec un peu de compréhension, d’écoute, de compassion, de réflexion, d’ouverture de sa porte à l’autre ; les quiproquos et les malentendus s’effacent, permettant à chacun de pouvoir exister dignement en être libre et de partager les bons moments de la vie avec les autres.

Maison forestière de Roche Plate