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2 - Le four Farinet

La Forge

Le four Farinet est une cavité assez profonde creusée dans les dalles pourprées. Perché au-dessus d’un à-pic vertigineux d’au moins une dizaine de mètres de hauteur, il surplombe la canopée des grands arbres de la forêt, formant ainsi un cirque de verdure, face à l’ouest.

Un surplomb fait office d’auvent, pouvant abriter les hommes et les bêtes surpris par l’orage. Il est strié de petites gorges formées par le ruissellement de l’eau d’une source intarissable. De son fronton orné d’un bandeau vert clair parsemé de végétaux, s’écoule une eau cristalline étirant l’une après l’autre comme un ressort, les mèches frisées d’une longue chevelure de mousse détrempée par un goutte à goutte indéfini.

Le four

Le four Farinet

Parfois au coucher du soleil, une frise se découpe sur l’horizon. Un liseré de couleur rouge et or, comme le fer au feu de la forge, dessine le contour de gros nuages noirs projetés en ombres chinoises sur le bas du ciel.

À cet instant éphémère, se dévoile devant nos yeux toute la beauté du monde.

Durant la journée, on entend le gazouillis des hirondelles dans le ciel de la vallée. Avec leur profil aérodynamique, elles effectuent dans l’air chaud de l’été de magnifiques ballets aériens. En piqué ou en zigzag, elles virevoltent sans cesse jusqu’à la fin du jour, à la poursuite des mouches, moustiques, moucherons ou autres insectes volants.

À la brune, entre chien et loup, le « Petit fer à cheval » sort de sa caverne. Grâce à son système d’écholocation intégré, il repère et pourchasse à longueur de nuit, les araignées, les chrysopes ou les pucerons volants, de la cime des arbres au ras des pâquerettes.

La forge

Le four Farinet

Je profite de l’absence du « Petit rhinolophe » pour entrer dans sa caverne.
Je m’approche avec précaution et j’appelle :
– Il y a quelqu’un ? Quelqu’un... quelqu’unn...quelqu’unnn (c’est l’écho).
– Oui...ouii...ouiii...(retour d’un autre écho)
Tout au fond, j’aperçois une forge rougeoyante et un homme, un marteau à la main en train de battre le fer quand il est chaud.
– Bonsoir, je peux vous demander ce que vous faites ?
– Bonsoir, oui, bien entendu, je forge. Je fabrique des machines et des outils.
– Et quelles sortes de machines ?
– Eh bien cela dépend des commandes, celle-ci par exemple est une pièce souvent utilisée en mécanique. Mais également dans un autre domaine plutôt stupéfiant, on l’appelle l’arbre à cames.
– Et celle-là, on dirait une pelle ?
– Effectivement c’est une pelle, mais un peu particulière.
– Et à quoi sert-elle ?
– C’est tout simple, c’est une pelle à piston, pour créer des emplois.
J’ai également d’autres modèles. Là, c’est un fer à défriser les choux-fleurs. Ici, c’est un outil très connu, le marteau à ferrer les lapins. Vous avez aussi celui-ci, mais plus délicat à utiliser et surtout à ne pas mettre entre toutes les mains, l’épée de Damoclès. Tout cela se vend très bien sur les marchés de Noël.
– Et cette drôle de machine !
– Oui, cet appareil est très spécial. Tout d’abord, l’idée première était de fabriquer une machine pour la coupe des vis et ensuite une deuxième idée a été d’ajouter la coupe des boulons.
Et depuis, certains sportifs de haut niveau m’ont demandé de rajouter une troisième fonction, afin de pouvoir l’utiliser avec une balle et une raquette.
Je ne vois pas très bien comment, mais bon, je cherche.
– Bien, merci pour vos explications, au revoir.

La villa gallo-romaine

Le four Farinet

Ce matin, du côté du four Farinet, accompagné d’un voisin surnommé Louis XVI (en réalité il s’appelle Louis, mais il est le dernier d’une famille nombreuse de seize enfants) je décide de faire une sortie géologique.

Louis XVI donc, est une force de la nature, six pieds de long, un mètre vingt de large, pour un poids d’environ zéro tonne cent quinze, le front bas, les yeux un peu enfoncés dans les orbites, le sourcil broussailleux, le regard buté, assez proche de l’Homo sapiens avec tout de même un petit air de pithécanthrope à poil ras.

Mais ne vous y fiez pas, maçon de son état, c’est un bâtisseur. En deux temps trois mouvements, il vous fait un angle droit n’importe où, à même le sol, plat ou pentu, sans équerre, tout simplement avec une corde à treize nœuds, appelée aussi corde des druides, utilisée depuis l’antiquité et en particulier au Moyen-Âge pour bâtir les cathédrales. Il a aussi une autre habitude. Il se promène toujours avec une masse-merlin sur l’épaule, c’est plutôt rassurant.

Aujourd’hui, j’ai besoin de ses services. Nous allons faire un prélèvement de roche au pied de cette cavité naturelle où coule en contrebas, la rivière de l’Aff.

Ce site archéologique non répertorié à ce jour, laisse entrevoir à travers le fouillis d’une végétation dense, les restes de fondations de quatre édifices d’environ six mètres de long sur trois de large.

Après un examen attentif et d’après mes connaissances d’archéologue et de géologue amateur, j’ai immédiatement pensé aux vestiges d’une villa gallo-romaine, datant d’environ deux siècles après J.C.

Ces vestiges sont posés sur de la dalle pourprée issue de sédiments oxydés du Briovérien, en discordance angulaire entre différentes strates plissées, lors d’une phase tectonique.

Toutefois j’ai du mal à identifier la pierre utilisée pour ces constructions, j’hésite entre le poudingue de Gourin et le poudingue de Montfort, pourtant très différents. C’est un genre de conglomérat poreux plutôt de couleur grise, avec une tendance à l’effritement au toucher et laissant des traces de poussière sur les doigts.

Louis XVI met trois ou quatre coups de masse bien placés en différents endroits du site, la poussière vole. Je prélève un échantillon de roche et le transmets à un laboratoire d’expertise dans le bâtiment, à Paris, afin d’effectuer une analyse au carbone 14 pour la datation.

Quelques semaines plus tard, je reçois le résultat de l’analyse du prélèvement effectué sur la villa gallo-romaine.

En fait il s’agit d’un simple béton du 20e siècle ayant servi à la construction de plusieurs enclos, pour un laboratoire de la faculté de médecine de Rennes. Ils furent construits par mon beau-père à la fin des années 60 (1960).

Cela démontre bien que je n’ai jamais vraiment été géo-logique.

En stalle ou stalle in

Le four Farinet

Autre particularité du lieu, au-dessus du four Farinet, en bordure de forêt, une étude du comportement du cheval a été mise en place par un groupe de personnes appartenant à un centre de recherche.

Dans un champ déboisé récemment, sont installés plusieurs enclos en galva de six mètres de long sur trois de large et un mètre cinquante de hauteur, placés dans divers endroits du terrain.

Le cheval est mis dans un des enclos et tous les jours, pour qu’il ne meure pas de faim sur une surface aussi limitée, l’enclos est déplacé sur une autre parcelle plus herbue, avec le cheval à l’intérieur (sic).

J’ai donc l’impression de ne pas avoir tout compris. Mon ami Louis XVI non plus, il est vrai qu’il a toujours confondu, immaculée conception et immatriculée contraception. Bon qu’est-ce que vous voulez, c’est comme ça. Faut faire avec, comme on dit.

Après ces choses étranges, je continue ma descente de l’Aff.