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Les ruines du Pas de la Chèvre

La maison de Jobard

Cette maison ruinée, située au Pas de la Chèvre dans les landes de Lambrun, proche du village d’Haligan en Concoret, porte le nom de son bâtisseur, Jean-Pierre Jobard. Il fit le choix d’y vivre en solitaire les dix dernières années de sa vie. On sait très peu de chose sur ce personnage secret et taciturne qui vécut dans la marginalité aux abords de la forêt. Une prétendue « pierre du sacrifice » est située à quelques dizaines de mètres des ruines.

La vie de Jean-Pierre Jobard (1827-1895)

Jean-Pierre Jobard est né en juillet 1827, trois mois après le décès de son père menuisier. On lui donne le même prénom : Jean-Pierre. Sa mère, Mathurine Redot, l’élève seule ou aidée de sa famille voisine résidant à « La Barre » en Haligan (Concoret). En 1842, elle aménage avec son fils dans une maisonnette située près du « Pont Roquet », appelée « La Jauge ». Jean-Pierre travaille comme journalier chez les fermiers des environs et il habite le plus souvent chez son oncle Julien Redot, célibataire résidant à « La Barre ».

Est-ce le remariage de sa mère en 1851 qui fait fuir Jean-Pierre ? En tous cas, il disparaît quinze années durant, puisqu’on ne retrouve plus son nom sur les listes de recensement des années 1856 et 1861 ! On perd la trace de cet homme, qui sera même absent aux obsèques de sa mère en 1865. —  FICHET, Jean-Claude, L’ermite de Brocéliande - Concoret au 19e siècle, Yellow Concept, 2010. —

Félix Bellamy indique, au détour d’une phrase, qu’il a vu de grandes cités. —  BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. p. 753 — A-t-il voulu dire qu’il a beaucoup voyagé et connu de grandes villes ?

Son nom réapparaît sur les registres de recensement en 1866, où il est indiqué comme journalier à Paimpont, et sachant lire et écrire.

La maison de Jobard

Vivant dans sa maison de « La Jauge », Jobard semble posséder un certain pécule puisqu’il achète plusieurs lots des « Landes de Lambrun » en adjudication au cours de l’hiver 1868 et du printemps 1869. Il parvient ainsi à rassembler une cinquantaine d’hectares.

Il vend alors des terrains situés à Saint-Guinel en Mauron, hérités de son grand père. Dans le même temps il contracte un emprunt à un riche créancier mauronnais devant notaire. Il parvient à s’installer définitivement sur sa propriété des « Landes de Lambrun » en 1885. Il y construit une maison toute simple et un four à pain. Ses activités consistent alors à cultiver un maigre jardin et à élever une demi-douzaine de moutons. Son chien-loup devant la porte empêche, surtout en son absence, toute personne de pénétrer dans l’humble logis. —  Fichet, Jean-Claude (2010) op. cit. —

Deux de ses contemporains, Félix Bellamy et l’abbé Mauny de Concoret, ont dressé un portrait assez contrasté de Jean-Pierre Jobard. Il apparaît à Félix Bellamy comme incarnant l’idéal romantique du solitaire épanoui dans la contemplation de la nature.

Il y a dix ans environ (1885), un homme - pardonnez-lui fées clémentes, car il ne crut pas méfaire - un homme épris de cette belle solitude, un véritable anachorète des temps antiques, a quitté son village limitrophe de la lande, et muni de grimoires tabellionés avec apparat légal en quelques officines, il est venu sans scrupule, par le droit du plus fort, s’installer en maître à Kon Korred, le Val des Fées. Il y a bâti une case qui est son château : là, séparé du reste du monde, il vit seul, sans famille, content de peu, sans s’inquiéter des choses du siècle, lesquelles ne retentissent point jusqu’à lui ; sans se préoccuper des belles manières des bourgeois ni des modes nouvelles, ni de la coupe des habits que portent les citadins, quoique il ait vu de grandes cités. Il garde une demi douzaine de moutons, bêche un maigre jardin, dosse de la litière, converse avec son chien ; parfois le dimanche, revenu de l’office, sans impatience il attend une visite qui se fait de plus en plus rare ; et au reste, contemple l’œuvre de la nature, la forêt, les ruisseaux, la vaste lande, l’immense horizon, et évoque en son souvenir les vieilles traditions de la contrée. Sans remords, il est heureux ainsi, il apprécie son bonheur, et pour lui, semaines et mois s’écoulent courts et rapides.

Bellamy Félix (1896) op. cit., p. 753

Malgré cette idéalisation, Félix Bellamy rend Jean-Pierre Jobard responsable - malgré lui - d’avoir désenchanté le Val aux Fées.

Mais au jour où le premier coup de pioche à déchiré ce sol vierge, les fées ont maudit l’envahisseur, et en gémissant ont pour jamais disparu de leur vallon enchanté, et du pays tout entier pour son malheur.

Pour l’abbé Mauny (1875-1958), l’ermite du « Pas de la Chèvre » apparaît plus comme un solitaire légèrement fou, vivant en marge d’une société qui ne le comprend pas.

Dans la direction du Rox, à 1500 mètres environ de la route, sur les landes de Lambrun, près du village de Sous-la-Haie, un certain JOBARD, issu d’une famille du pays, se construisit une maison. Il acheta 50 hectares de terres en friche, une centaine de brebis et de gros chiens-loups. Il faisait de l’élevage et, entre-temps, s’interdisait de voir personne, de ne faire visite à qui que ce soit et de causer sans raison.

Le dimanche, il allait à la messe à Concoret et restait pendant tout l’office à genoux au bas de l’église. Ensuite il prenait son pain, sa viande et autres fournitures et rentrait à son ermitage n’ayant d’autres compagnons que ses bêtes et ses livres.

La principale nourriture qu’il se préparait était de la soupe de geai. Avec le même geai, il cuisait sept marmites de soupe et il trouvait encore la septième trop grasse.

Peut-être était-il hanté par la pensée de l’éternité mais personne ne le saura. Il est enterré à Paimpont.

Lequel de ces deux portraits est-il le plus proche de la réalité ? Auquel de ces deux individus ressemblait-il le plus ? Jean-Pierre Jobard est mort en septembre 1895 et pour sortir le corps de l’intérieur de la maison, on dut abattre le chien… Pendant la cérémonie des obsèques en l’église de Paimpont, sa modeste demeure fut vandalisée, selon certains. —  Fichet, Jean-Claude (2010) op. cit. —

Aujourd’hui les ruines de sa maison disparaissent sous les ajoncs et les genêts, sur le coteau surplombant le « Val Aux Fées ».

Ruines de la maison de Jobard
Jean-Claude Fichet
Les ruines du Pas de la Chèvre
André Régnault@2020

La « pierre du sacrifice » du « Pas de la Chèvre »

Une pierre du « Pas de la Chèvre », située à quelques dizaines de mètres de l’habitation de Jean-Pierre Jobard, est appelée « pierre du sacrifice ». Félix Bellamy est le premier à la mentionner en 1896.

Or, d’après les traditions qui m’ont été racontées au lieu même, le chef des Druides, debout sur le rocher, annonçait au peuple rassemblé dans le Val, les terribles volontés d’Hésus et du dieu Belen, auquel était consacrée la colline de Belenton, située à petite distance. Une longue pierre plate de schiste rouge, appuyée d’une extrémité contre une saillie au flanc du rocher, et supportée de l’autre par une pierre debout comme un pilier, formait une table appelée la Pierre du Sacrifice.

Bellamy, Félix (1896) op. cit., vol. 1, p. 254
Les « pierres du sacrifice » du Pas de la Chèvre en 1980
J.C. Fichet

Cette prétendue tradition, emprunte de néodruidisme, n’est évidemment pas ancienne. Félix Bellamy mentionne d’une part que J-P. Jobard connait les vieilles traditions de la contrée et d’autre part que cette tradition lui a été rapportée au lieu même. L’ermite de Concoret pourrait donc bien en être à l’origine, ou du moins l’avoir nourrie, donnant à Bellamy ce qu’il était venu chercher au « Pas de la Chèvre »...

"Les pierres du sacrifice" du Pas de la Chèvre
A. Bellido@2020

Bibliographie

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

MAUNY, chanoine Henry, Notes d’un ancien de Concoret en 1880, inédit, 1956, Voir en ligne.

FICHET, Jean-Claude, L’ermite de Brocéliande - Concoret au 19e siècle, Yellow Concept, 2010.