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1824-1827

Ordres pour les exploitations de la forêt

Document à l’intention des gardes, bûcherons et charbonniers de la forêt de Paimpont

Ordres pour les exploitations de la forêt, document d’archives daté de 1827, détaille en cinq folios les ordres et consignes relatifs au bucheronnage et au charbonnage pour les Forges de Paimpont. Ce document exceptionnel mentionne de nombreux détails inédits sur le métier de charbonnier.

La découverte du document

Le Syndicat Intercommunal à Vocation Unique (SIVU), Fer et Métallurgie en Brocéliande 1 acquiert en 2009 un fonds documentaire comprenant de nombreuses liasses sur les Forges de Paimpont. Celles-ci couvrent essentiellement le 19e siècle. Ces documents ont été numérisés et sont actuellement conservés en mairie de Plélan-le-Grand. Cet article utilise uniquement et intégralement les données du dossier numéroté 29, intitulé Ordres pour les exploitations de la forêt.—  FORGES DE PAIMPONT, « Ordres pour les exploitations de la forêt », 1827, Voir en ligne. —

Le dossier n°29 - Page 1

Le document composé de cinq folios est daté de 1827. À cette date les Forges de Paimpont sont une copropriété appartenant aux héritiers des fondateurs. Ce document traduit la pression exercée par la direction des Forges, par l’intermédiaire de son Inspecteur de la Forêt et des Forges, sur les gardes, les bûcherons et les charbonniers. À ce titre, il mérite déjà une lecture attentive… Mais il mentionne surtout de nombreux détails sur le métier de charbonnier, détails exceptionnels, à notre connaissance.

L’écriture est parfois difficilement lisible, avec quelques mots manquants à cause de la dégradation des feuillets, et intégrant des termes que les dictionnaires consultés ne connaissent pas ! Il se divise en six articles que nous allons présenter successivement.

Article 1 - Planton

Le garde planton est spécialement chargé de la garde de la coupe et des exécutions des ordres relatifs à l’exploitation. Il veillera en conséquence de jour et de nuit à ce que rien ne soit enlevé de l’atelier sans un bon de l’inspecteur.
Tout enlèvement fait sans une permission par écrit, soit par des étrangers soit par les gens employés sur l’établissement sera considéré comme vol et poursuivi comme tel. C’est pourquoi le planton en écrira sur le champ et par un exprès au garde général afin qu’il ait le temps d’en faire les suites dans le délai prescrit.
Il dénoncera également à l’inspecteur ceux des ouvriers qui se refuseraient de travailler suivant le mode ci-après indiqué. Si en faisant des tournées il s’apercevait que sa présence seul dans la coupe fut insuffisante pour empêcher les délits, il en écrira au brigadier de triage qui l’accompagnera ou le fera accompagner surtout dans les tournées nocturnes dont il sera rendu compte le plus tôt que faire se pourra à Mr le Garde Général.
Dans aucun cas, à moins d’une nécessité absolue le garde planton ne pourra quitter son poste sans être remplacé par un autre auquel il remettra le présent. S’il survenait des motifs de s’absenter il en écrirait conséquemment à Mr le Garde Général pour se faire remplacer.

Article 2 - Bûchage

Nul ne pourra sans la permission de l’inspecteur travailler dans la coupe à moins d’être considéré comme délinquant coupant du bois pour voler.
Ceux qui seront admis ne pourront bucher que dans les quartiers qui leur seront désignés par l’inspecteur ou par le planton, sous peine d’être privés de la totalité du prix de la façon des [2 ou 3 mots non lisibles car le document est déchiré] hors ces quartiers.
Les souches ainsi que les vieux étocs seront ravalés le plus ras de terre que faire se pourra sans cependant éclatter ni déraciner ; à l’exception des vieilles haquenées ayant plus de deux pieds de circonférence lesquelles seront rondies de manière que les nœuds de la coupe précédente ne paraissent plus. Les bois seront coupés non en pivot mais en talus afin que les eaux ne séjournent pas sur la coupe.
En outre des arbres anciens et modernes auxquels on ne touchera pas sans une permission de l’inspecteur il sera aussi réservé 36 baliveaux de l’âge par hectare (de 15 pas en 15 pas) essence chêne, hêtre ou châtaignier en brins d’essence ou de pieds les plus droits et les plus vigoureux. Le hannochage se fera en élaguant bien ras et tirant au maître brin qui sera coupé ainsi que ses branches en hannoches de 2 pieds 6 pouces jusqu’à ce que les haguilles ne présentent aucun bois ayant plus de 10 lignes de diamètre à moins qu’il n’y ait pas longueur de hannoches. Ces haguilles seront autant que faire se pourra mises en layées, ainsi que les bois de dessous afin qu’elles ne gênent pas le roulage si elles n’étaient pas encore enlevées.
Les cordes porteront le numéro de l’ouvrier sur le poteau auront dix pieds de longueur, sur 3 pieds 6 pouces de hauteur seront bien pleines et dressées en terrein droit. Il n’en sera point levé dans les places de fourneaux. Toutes les hannoches coupées à la hache seront placées sur les bouts de la rangée afin qu’on puisse les fendre sans défaire la rangée entière ; les cordes qui n’auront pas ces conditions ne seront pas livrées et la façon n’en sera pas payée. Il ne sera pas non plus mis aucune barge dans les places de fourneaux. Le garde chargé de la livraison des haguilles devra en prévenir les acheteurs.

Destiné aux bûcherons, cet article contient des termes dont nous n’avons pas trouvé la signification exacte :

  • haquenées

Les hacquenées ou hacquenées sont probablement des rejets mal venus repoussant sur la souche d’un arbre abattu et qu’il fallait couper pour qu’ils ne nuisent pas à la croissance des autres.—  COLLECTIF, Les Forges du Pays de Châteaubriant, Ministère de la Culture, 1984, 295 p., (« Cahiers de l’Inventaire »). [page 256] —

  • hannoches

Le terme, présent dans le glossaire des Forges du Pays de Châteaubriant, est explicité comme tel : Hanoche. Bois à brûler. —  COLLECTIF, Les Forges du Pays de Châteaubriant, Ministère de la Culture, 1984, 295 p., (« Cahiers de l’Inventaire »). [page 256] —

Il apparaît cependant que les hannoches doivent être des bûches de fort diamètre, puisqu’il est nécessaire de les fendre. Leur longueur de 2 pieds 6 pouces équivaut à environ 81 centimètres (1 pied mesure 0,3248 mètre et vaut 12 pouces).

  • haguilles

Au contraire, les haguilles paraissent être des bois de faible diamètre, comme l’a défini l’abbé F. Vallée dans son Explication de certains termes empruntés au parler de Paimpont.

Haguille, menu bois, (à rapprocher sans doute de hague, lieu épineux, haie. Seulement, le mot hague est inconnu à Paimpont, où une haie se dit une « haie » (souvent prononcée « hâ », et un lieu épineux, « des bougâs ».)

VALLÉE, Abbé F., Chômage (octobre 1912-octobre 1913) - Avec un glossaire de quelques termes empruntés au parler de Paimpont (Ille-et-Vilaine), Paris, Albert Messein, éditeur, 1914, 192 p., Voir en ligne. [page 117]

Selon les frères Guégan, le bois était anciennement coupé en morceaux de 83 centimètres, et la corde mesurait 3,20 mètres de long pour 1,16 mètre de hauteur. Les mesures données dans le dossier n°29 sont très proches de ce témoignage : 10 pieds de long font 3,248 mètres et 3 pieds 6 pouces de hauteur font environ 1,14 mètre. Enfin, 1 pouce (environ 2,7 centimètres) vaut 12 lignes.

Le dossier n°29 - Page 2

Article 3 - Recassage et dressage

Avant de dresser, les ouvriers chargés de ce travail commenceront par fendre les bois d’une manière convenable à la cuisson et dresseront et pareront les places des fourneaux afin que le charbonnier ne soit pas gêné dans la direction de son feu par la pente et les inégalités qui nuisent. Les bois ainsi recassés et reçus par l’inspecteur, les places nivelées et aussi reçues par le planton qui les marquera au baliveau voisin pour preuve de sa visite, les dresseurs pourront travailler ayant soin de placer les plus forts bois à la seconde assise les plus faibles le petit bout en bas dans la première et les plus droits sur le tour afin que la couverture soit plus facile à placer. Le baliveau le plus proche de la place portera le nombre de cordes dont le fourneau est composé et au- dessous le numéro du rouleur qui l’a dressé. Le fourneau qui ne portera pas ces deux marques sera réputé non reconnu et ne sera point payé. Il ne sera fait de places neuves qu’autant qu’il aura été reconnu que l’on ne puisse s’en dispenser.

La construction de la fouée en 1982 à Telhouët
Guy Larcher

Outre les consignes révélatrices d’une gestion rigoureuse et autoritaire, cet article contient une précision technique inédite. Les plus petits bois se mettent dans la rangée du dessous. Bien qu’ils ne l’aient jamais mentionné dans les collectages, les charbonniers procédaient ainsi en forêt de Paimpont.

La carbonisation en meules en forêt de Paimpont - Fig. 5
G - Carte postale ancienne, vers 1910.
D - Victor Renouard en 1973, devant sa dernière meule. Photo Bernard Le Garff
Morvan - Montage de la meule à charbon

Article 4 - Cuisson

Le fourneau revêtu d’une couverture avec laquelle l’on puisse se rendre maître du feu et le diriger là où il en est besoin ou même l’arrêter lorsque la cuisson sera parfaite le charbonnier ne pourra encore mettre en feu qu’après avoir paré la place à 8 pieds tout autour du fourneau ; il est accordé au charbonnier pour ce travail 10 sols par place bien parée et bien vuidée. C’est pourquoi avant la mise en feu et après l’envoi des charbons, le planton vérifiera si la place est vraiment parée à 8 pieds loin du fourneau et s’il ne reste point de charbons propres aux affineries et en prendra note après l’avoir martelée de peur qu’elle ne soit comptée et payée plusieurs fois. Il vérifiera également si après le grelotage il ne reste rien qui ne soit propre à la fabrication des clous et des fers de martinet 2. Il est défendu de laisser les étrangers greloter dans la forêt [?] surtout pendant la cuisson cette permission [ 2 ou 3 mots manquent, document déchiré] moyen facile de voler des charbons.
Les charbons devront être tirés en les tirant de la place puis mis en roules assez éloignées les unes des autres pour que l’on puisse passer entre les deux sans rien recasser [?], les grands charbons seront placés sur le haut afin qu’il soit plus facile de les entasser à la remise. Du reste il sera fait un second triage et les gros morceaux seront ajoutés aux grands en sorte que les deux tiers, s’il est possible soient en grands pour les fourneaux.

Deux termes de l’article 4 méritent d’être explicités

  • Grelotage
    Le grelotage est le tamisage des charbons de faible diamètre
  • Mise en roules
    La mise en roules est la disposition du charbon en couronnes lors de son extraction.
Le charbon de bois est "mis en roules" lors de l’extraction de la fouée
Guy Larcher (2019)

Article 5 - Voiture

A moins d’un ordre contraire, l’on enverra pendant le jour que [?] les charbons tirés de la veille. Chaque envoi sera marqué sur une double coche portant le numéro du voiturier et indiquant la place par l’espèce de bois qui sera différente pour chacune. Le talon sera remis au garde planton qui l’inscrira sur le livret à ce destiné. Il portera également sur le livret les sacs de [mot manquant] et les places vuidées.
Les chevaux employés à l’enlèvement des charbons ne pourront entrer dans la coupe sans être enmuselés [?]. Même défense est faite aux voituriers de haguilles et d’écorces contre lesquels les gardes rapporteront toutes les fois qu’ils s’écarteront des chemins sans avoir pris cette précaution.
Quant au feu il n’en sera allumé que dans les loges si ce n’est avec une permission particulière qui ne pourra être accordée que dans les temps pluvieux. Le garde planton est chargé de veiller soigneusement à ce que tout ci-dessus soit ponctuellement exécuté. La moindre négligence de sa part le fera considérer comme l’ennemi des intérêts de la société. Il sera dénoncé comme tel à Monsieur le Directeur.

Le dossier n°29 - Page 4

Article 6 - Haguilles

Les haguilles seront vendues par [l’inspecteur et livrées] par 1 ou 2 gardes du triage. Pour cette opération, au fur et mesure qu’ils feront des livraisons ils se saisiront des bons de l’inspecteur pour les faire tenir à Mr le Garde Général qui les remettra directement à Monsieur le Directeur afin que l’on puisse constater le produit de la vente des haguilles.

Donné aux forges de Paimpont le 1er décembre 1824
par l’inspecteur de la forêt et des minerais
Guillotin

L’article 6, consacré au produit de la vente des haguilles est à rapprocher de l’extrait d’un document publié par Hervé Tigier sur les revenus des Forges de Paimpont en 1841.

Les haguilles se vendent aussi à raison du stère de bois propre à charbon ; le prix depuis 30 ans est de 10 centimes. Mais dans plusieurs coupes, notamment dans celles où le pin domine, tout ne se vend pas. Il est d’ailleurs d’usage, depuis un temps immémorial de livrer gratuitement les haguilles de soixante stères à chacuns des ouvriers recasseurs, rouleurs, dresseurs, charbonniers et voituriers attachés à l’usine ; de sorte que le produit de la vente des haguilles ne s’élève année commune qu’à environ 2 000 francs. [...]

Le revenu de la forêt se compose donc comme suit :

1° bois à charbons : 28358 stères à 2 francs 56 716
2° écorces : 9452 stères à 2 francs 18 904
3° haguilles : 2 000
4° droit d’assens : 150

Tribunal de Montfort, 3U 2 - Février 1841 TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : les Paimpontais du Bourg, des Forges et du Gué, auto-édition, 2022, 789 p., (« Les terroirs de Paimpont »). [page 531]

Ajout du 11 décembre 1827

Dans la partie de la coupe de Fontaine Leron située entre la lande du Pré aux boeufs et la Butte du fort destinée à l’écorçage, il ne sera abattu avant la sève aucun brin de chêne que ceux que les ouvriers pourraient embrasser avec le pouce et l’index, les plus gros devant être tous écorcés.
Messieurs Thion brigadier au poste de Haute Forêt et Gillouard garde à Métairie Neuve feront, jusqu’à nouvel ordre, le service de planton dans l’exploitation de la coupe de la Drinais [mots illisibles] et se conformant aux instructions ci-dessus.

Aux Forges de Paimpont
le 11 décembre 1827
Guillotin


Bibliographie

COLLECTIF, Les Forges du Pays de Châteaubriant, Ministère de la Culture, 1984, 295 p., (« Cahiers de l’Inventaire »).

CONSEIL GÉNÉRAL D’ILLE-ET-VILAINE, Usages et règlements locaux ayant force de loi dans le département d’Ille-et-Vilaine, 1901.

CORBION, Jacques, Le Savoir .. Fer : Glossaire du haut fourneau, Association Le Savoir.. Fer, 1989, 25 p.

FORGES DE PAIMPONT, « Ordres pour les exploitations de la forêt », 1827, Voir en ligne.

TIGIER, Hervé, Paimpont en 1820 : les Paimpontais du Bourg, des Forges et du Gué, auto-édition, 2022, 789 p., (« Les terroirs de Paimpont »).

VALLÉE, Abbé F., Chômage (octobre 1912-octobre 1913) - Avec un glossaire de quelques termes empruntés au parler de Paimpont (Ille-et-Vilaine), Paris, Albert Messein, éditeur, 1914, 192 p., Voir en ligne.


↑ 1 • Le Syndicat Intercommunal à Vocation Unique (SIVU), Fer et Métallurgie en Brocéliande est créé en 2001 et dissous en 2020.

↑ 2 • Un martinet est un gros marteau à bascule mû par l’énergie hydraulique.