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8e-13e siècle

L’évêché d’Alet

Alet à l’origine du diocèse de Saint-Malo

Alet est un promontoire enserré par la mer et par le fleuve la Rance. C’est l’antique berceau de Saint-Malo. L’archéologie nous éclaire sur son histoire. Durant le haut Moyen Âge, Alet est une cité de Domnonée. Au 9e siècle, Helocar évêque d’Alet reçoit l’immunité du roi Louis le Pieux. Au 11e siècle, les évêques de Saint-Malo créent un manoir épiscopal sur la paroisse de Beignon. Au 12e siècle, l’évêque Jean de Châtillon déplace le siège épiscopal sur l’île d’Aaron (l’actuel Saint-Malo « intra-muros »).

L’origine d’Alet avérée par l’archéologie

Alet est une presqu’île, un promontoire rocheux, situé à un kilomètre et demi au sud de Saint-Malo « intra-muros ».

À la fin du second Âge du fer 1 Alet est un établissement des Coriosolites, peuple gaulois dont le chef-lieu est Corseul (actuellement dans les Côtes d’Armor). Ainsi, le pagus Aletis 2 couvre un territoire allant actuellement de Saint-Servan à Cancale.

[…] Alet n’était alors que le chef-lieu du pagus Aletis (l’actuel Clos-Poulet) [Pou-Alet], partie intégrante de cette civitas [des Coriosolites] […]

LANGOUËT, Loïc, ALET, l’Antique cité. Berceau de Saint-Malo, Centre Régional Archéologique d’Alet, 1976. [page 8]

Dans les années soixante, les archéologues mettent au jour à Alet des constructions indiquant la présence de troupes vers l’an 270 ap. J.C.

La peur s’empara de tous, spécialement des ruraux ; les villes, et principalement Alet dans la civitas des Coriosolites, furent des lieux de refuge.

Langouet, Loïc (1976) op. cit., p. 8

À cette période troublée par des incursions pirates est dressée une muraille de 1,8 kilomètre de long ceinturant la ville. La population s’accroit et de nouveaux édifices sont construits.

Il ne fait aucun doute que les qualités stratégiques naturelles de la Cité d’Alet furent à l’origine de l’arrivée de ces réfugiés. [...] on construisit, en 340-350 après J.-C., à Alet, un castellum (aujourd’hui le jardin du Château de Solidor) […] un nouvel afflux d’habitants se produisit au détriment de Corseul.

Langouet, Loïc (1976) op. cit., p. 8

À la fin du 4e siècle, la cité d’Alet devient la principale ville de la région. La capitale de la civitas est déplacée de Corseul à Alet.

En 378-380, le christianisme s’implante à Alet. Saint Martin vient en mission créer un évêché couvrant toute l’étendue de la civitas. La première cathédrale est construite. Alet devient un siège épiscopal 3.

[…] la construction de la première cathédrale fut entreprise ; Alet devint alors une capitale religieuse. […]

Langouet, Loïc (1976) op. cit., p. 10

Au début du 5e siècle, l’effondrement de l’empire Romain et la disparition des troupes entrainent un déclin économique de l’Armorique.

Au début du 6e siècle, les Bretons fuyant l’île de Bretagne permettent à la cité de se développer à nouveau. Parmi eux, un important personnage, Maclus ou Malo.

La cathédrale d’Alet est détruite à la fin du 8e siècle lors des luttes entre Bretons et Francs. Reconstruite au début du 9e siècle, elle subit les incursions normandes. La fin du 10e siècle voit la construction d’une troisième cathédrale. — Langouet, Loïc (1976) op. cit. —

Cathédrales médiévales d’Alet
18/10/2009
Alain Bellido

Saint Malo dans les textes hagiographiques

La Vita sancti Machutis (Vie de saint Malo) nous est rapportée au 9e siècle. C’est de la période carolingienne que datent les deux premières Vies attribuées à saint Malo 4 : celle d’un diacre nommé Bili (vers 870) et celle d’un auteur anonyme. Les deux biographes s’accordent pour dire que Malo est un migrant breton fuyant la pression des Saxons sur l’île de Bretagne. Il est natif du Pays de Galles. Il débarque et s’installe sur un îlot 5 en face d’Alet. Les habitants de la cité lui demandent de devenir leur évêque. Malo accepte mais continue de résider sur son îlot.

[…] saint Malo ne se soucie nullement de l’autorité épiscopale. […] [il] fonde des monastères et des cellules dans la cité d’Alet, sur les îles ou les lieux voisins, c’est-à-dire sans doute dans le Poulet […]

TANGUY, Bernard, « De l’origine des évêchés bretons », in Les débuts de l’organisation religieuse de la Bretagne Armoricaine. De l’origine des évêchés bretons., Landévennec, Centre International de Recherche et de Documentation sur le Monachisme Celtique (C.I.R.Do.Mo.C.), 1994, (« Britannia Monastica »), p. 5-33. [p. 16]

Il faut en déduire que Malo est un évêque-abbé qui pratique un monachisme de type celtique. Il est itinérant, sans siège fixe ni circonscription formellement délimitée. Ce n’est pas le cas des évêques de l’église romaine qui interviennent uniquement sur le territoire de leur évêché.

Le récit de l’auteur anonyme et celui de Bili diffèrent sur le monachisme pratiqué par Malo.

[…] Bili ne comprenait sans doute plus le vieux système celtique (l’évêché dirigé par un évêque-abbé) et il décrit les règles canoniques adoptées dans le royaume franc.

BERNIER, Gildas, Les chrétientés bretonnes continentales des origines jusqu’au IXème siècle, Université de Rennes - Ce.R.A.A. - Centre Régional Archéologique d’Alet, 1982. [page 66]

Bili est porteur du monachisme romain et l’attribue à Malo.

La fondation de monastères et prieurés dans les campagnes permet une évangélisation en profondeur. Nous ne savons pas si Malo avait par ailleurs autorité sur un véritable diocèse. Ses biographes ne présentent pas Malo comme étant le premier évêque d’Alet.

Malo finit ses jours en Saintonge. Bili impute son départ d’Alet aux tracasseries et aux méchancetés que lui font subir les habitants Mais, victime d’inimitiés et de jalousies, il reprend sa pérégrination pro christo. — Chédeville, André ; Guillotel, Hubert (1984) op. cit., p. 142 —

La Vita de la version anonyme en dit plus sur la cause de ce départ. Elle explique les raisons des conflits entre Malo et la génération impie de sa province .

Après la mort de Hailoc, duc de Bretagne, qui, sa vie durant, protégea le bienheureux Malo avec tout l’honneur qui lui était dû, se dressa contre le saint homme la génération impie de sa province brûlant d’envie et d’une totale fourberie pour la raison que l’homme de Dieu possédait une terre aussi grande donnée à Dieu et à lui par les fidèles. Le fait est qu’ils se disaient entre eux que l’évêque Malo possédait tout le pays et que pour demain, il ne leur restait rien, pas plus qu’à leurs fils, pour pouvoir vivre. À cause de cette âpre envie de nuire, ils faisaient subir au saint homme de très nombreux maux : il le supportait, l’acceptant avec sérénité. En effet, ils frappaient gravement ses hommes et dévastaient tous ses biens, désirant que le saint prenne la fuite et qu’il abandonne totalement ce royaume.

Tanguy, Bernard (1994) op. cit., p. 18

Au 9e siècle, les Bretons se révoltent contre les églises d’Alet et de Gaël

Curieusement, ces évènements repris dans la biographie de Malo correspondent à ceux qui ont lieu à la période carolingienne du 9e siècle. L’auteur anonyme s’inspire de faits contemporains pour les transposer au temps où Malo vivait, au 7e siècle (Malo meurt vers 640). Les historiens n’ont pas manqué de faire le rapprochement des faits ainsi attribués à Malo avec une insurrection des Bretons dirigée contre la cathédrale d’Alet (saint Malo) et l’abbaye de Gaël dans le Porhoët 6 (saint Méen et saint Judicaël) 7. La rébellion, dont la cause est vraisemblablement due à un accaparement de biens de la part de l’Église, est aussitôt réprimée par les troupes de Charlemagne en 811.

On trouve plusieurs mentions annalistiques à l’année 811 faisant état de l’envoi par Charlemagne d’une armée pour punir la perfidie des Bretons.

Tanguy, Bernard (1994) op. cit., p. 18

Suite à cette révolte, la cathédrale d’Alet et l’abbaye de Gaël sont pillées puis incendiées.

Helocar, évêque carolingien d’Alet et de Porhoët

Le premier évêque d’Alet connu avec certitude est Helocar. Le Chronicon Britannicum rapporte qu’en 799 :

Charlemagne octroya à Dieu et à saint Judicaël l’église de Gaël avec toute la paroisse, par la main de Helocar, évêque d’Alet 8

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. col. 3

Suite à cette nomination, Helocar bénéficie d’un « diplôme d’immunité », privilège que lui accorde Charlemagne pour les deux églises d’Alet et de Gaël.

[...] l’immunité, c’est-à-dire que les biens de l’abbaye échappaient au contrôle fiscal du comte et de ses agents pour ne relever que de l’empereur en personne.

MERDRIGNAC, Bernard, « La Bretagne et les Carolingiens », in Les premiers Bretons d’Armorique, PUR Presse Universitaire de Rennes, 2003, (« Archéologie et Culture »), p. 121-154. [page 128]

Ainsi, les malheurs attribués à saint Malo au 7e siècle sont vraisemblablement ceux subis par Helocar au 9e siècle, lors de l’accaparement des terres par l’église d’Alet et de Gaël.

Avec Helocar, le pouvoir carolingien met ainsi en place un nouveau diocèse en rattachant le Porhoët à Alet sous l’autorité d’un seul évêque.

Le diocèse d’Alet, une construction carolingienne

Depuis le milieu du 8e siècle, apparait une pression constante du royaume franc sur la Bretagne. Les carolingiens créent une zone tampon : la marche de Bretagne. C’est un territoire militaire placé sous l’autorité d’un préfet qui englobe les comtés de Rennes, Nantes et Vannes. Cette situation amène partiellement la Bretagne sous le joug du pouvoir carolingien sans qu’elle ne soit jamais intégrée complètement au sein de l’empire.

Vers 819-820, seule la partie orientale de la Bretagne est sous contrôle du pouvoir carolingien. Les comtés de Vannes et de Porhoët sont dirigés respectivement par deux comtes carolingiens : Gui, également comte de Nantes et préfet de la marche de Bretagne et Rorgon qui devient probablement à cette période, comte de l’évêché d’Alet (†841).

L’autorité de Helocar, évêque d’Alet et de Porhoët, est raffermie par la désignation de Rorgon, une personnalité d’envergure appartenant à l’une des plus illustres familles de l’aristocratie carolingienne. Il administre l’évêché d’Alet, conjointement avec l’évêque. Il tire bénéfice des grands domaines appartenant au fisc. Rorgon est cité dans un poème d’Ermold le Noir en l’honneur de Louis le Pieux. On apprend que le plus vaste de ces domaines porte le nom Brennowen. Ce lieu est identifié par les historiens comme étant

[...] Bernéan 9 dans l’actuelle commune de Campénéac - Morbihan, canton de Ploërmel -, en bordure du massif forestier de Paimpont. Il nous paraît que Brennowen ou Bernéan appartenait à cette catégorie de biens publics mis à la disposition des titulaires des charges officielles pour leur permettre de subvenir à une partie des dépenses afférentes à leurs obligations.

CHÉDEVILLE, André et GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1984. [page 220]

Cette titularisation et ce lieu de résidence montrent que Rorgon a autorité sur le vaste territoire du Porhoët.

[...] celui-ci [Rorgon] devait plutôt être titulaire d’un comté correspondant au territoire de l’évêché d’Alet et englobant le Pou-tro-coet ou Pagus trans silvam (Porhoët).

Merdrignac Bernard (2003) op. cit., p. 126

La présence d’un comte de cette envergure dans un lieu qui ne relève pas de la marche de Bretagne amène les historiens à se demander si Rorgon n’a pas été nommé à la tête de la circonscription d’Alet suite à l’intervention des troupes de Charlemagne aux églises d’Alet et de Gaël en 811.

[...] On peut se demander si à cette occasion le pouvoir carolingien n’a pas normalisé la situation ecclésiastique en transformant un monastère-évêché en diocèse territorial.

Merdrignac Bernard (2003) op. cit., p. 128

L’historien Bernard Tanguy ne croit pas à une origine gallo-romaine de l’évêché d’Alet. Pour lui, ce serait une création des Carolingiens pour intégrer dans des structures diocésaines bien délimitées les abbayes-évêchés de type celtique

Charlemagne meurt en 814. Son fils Louis le Pieux (778-840) lui succède. Helocar se rend à Aix-la Chapelle devant le nouveau roi franc pour obtenir un renouvellement de ses diplômes perdus et les moyens de réparer les dommages récemment subis à Alet et à Gaël. Le 26 mars 816, Helocar reçoit de la part de Louis le Pieux la même immunité que celle dont il avait bénéficié du temps de Charlemagne.

Les évêques de Saint-Malo créent une résidence épiscopale à Beignon

Suite à la seconde destruction par les Vikings de l’abbaye de saint Méen à Gaël au 9e-10e siècle et à sa reconstruction à Saint-Méen-le-Grand entre 1008 et 1024, les évêques de Saint-Malo restaurent leur pouvoir en Porhoët, sur les terres de Beignon, situées à l’opposé de Saint-Malo. Ils fondent une puissante circonscription seigneuriale au plus proche de la forêt de Brécilien avec droit de haute et basse justice et juridiction sur vingt-neuf paroisses, dont Ploërmel. Beignon est érigé en baronnie.

Dès le 11e siècle, ils construisent un manoir épiscopal, appelé « château de Beignon », dans un lieu situé à deux kilomètres de l’actuel bourg de Beignon. La baronnie étant liée à leur évêché, les évêques, qui vont porter le titre de « Barons de Beignon », baptisent leur manoir épiscopal Saint-Malo de Beignon.

En 1062, lors d’un procès survenu entre les abbayes de Marmoutier et de Redon, au sujet du prieuré de Béré, un des témoins, Renaud ou Réginald, porte le titre d’évêque de Saint-Malo-de-Beignon : Rainaldo ep. de Masloo de Bidainono : c’est la première fois qu’il est fait mention de Saint-Malo de Beignon.

Testibus istis. Quiriaco Nannet. Episcopo. Rainaldo Ep. de Masloo de Bidainono. Abbate S.Gildasii. Willelmo Archidiacono. Alveo Archidiacono [...]

Morice, Dom Pierre-Hyacinthe (1742) op. cit., col. 419

Entre 1144 et 1146, l’évêque Jean de Châtillon 10 entreprend de nombreuses démarches pour que le siège épiscopal d’Alet soit transféré sur l’île d’Aaron (l’actuel Saint-Malo « intra-muros »).

En 1255, Guillaume du Mottay entraine les habitants d’Alet dans une révolte contre ceux de Saint-Malo. La ville d’Alet est détruite à la suite de l’intervention des troupes royales de Louis IX (saint Louis) venant au secours des malouins. La dernière cathédrale construite au 10e siècle est détruite lors de ces combats.


Bibliographie

LANGOUËT, Loïc, ALET, l’Antique cité. Berceau de Saint-Malo, Centre Régional Archéologique d’Alet, 1976.

TANGUY, Bernard, « De l’origine des évêchés bretons », in Les débuts de l’organisation religieuse de la Bretagne Armoricaine. De l’origine des évêchés bretons., Landévennec, Centre International de Recherche et de Documentation sur le Monachisme Celtique (C.I.R.Do.Mo.C.), 1994, (« Britannia Monastica »), p. 5-33.

BERNIER, Gildas, Les chrétientés bretonnes continentales des origines jusqu’au IXème siècle, Université de Rennes - Ce.R.A.A. - Centre Régional Archéologique d’Alet, 1982.

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne.

MERDRIGNAC, Bernard, « La Bretagne et les Carolingiens », in Les premiers Bretons d’Armorique, PUR Presse Universitaire de Rennes, 2003, (« Archéologie et Culture »), p. 121-154.

CHÉDEVILLE, André et GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1984.


↑ 1 • (-450 à 25 ap. J.C.)

↑ 2 • L’Armorique est constituée de subdivisions géographiques : les « pays », pagi en latin, pou en breton.

↑ 3 • La cathédrale est l’église principale du diocèse, où se trouve la cathèdre, c’est-à-dire le siège de l’évêque en charge du diocèse.

↑ 4 • La Vita de saint Malo a fait l’objet de cinq rédactions. Les plus anciennes sont celles de Bili et d’un auteur anonyme.

↑ 5 • Il s’agit de Cézembre.

↑ 6 • Le Porhoët est l’ancien pagus de Pou tro coët, « le pays au-delà des bois »

↑ 7 • Il s’agit de Judicaël, roi de Domnonée mort en odeur de sainteté, fondateur avec saint Méen au 7e siècle du monastère de Gaël.

↑ 8 • DCCXCIX. Carolus Magnus concessit Deo & S. Judichaëlo Ecclefiam de Guadel cum tota plebe per manum Helocari Episcopi Aletensis.

↑ 9 • Bernéant est un lieudit situé entre Campénéac et Beignon. Aujourd’hui, les vestiges du village font partie du camp militaire de Coëtquidan.

↑ 10 • surnommé Jean de la Grille