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15 janvier 1943

Marian Wilke

Un Polonais de la Wehrmacht s’évade de Coëtquidan

Marian Wilke, Polonais enrôlé de force dans l’armée allemande, arrive à Coëtquidan en janvier 1943. Menacé par la Gestapo, il déserte et trouve de l’aide au Thélin où il reste caché quelques semaines. Il intègre un réseau de résistants puis les F.F.I. en 1944.

Un Polonais dans la Wehrmacht

En septembre 1939, Marian Wilke travaille en Pologne chez un quincailler d’origine germanique quand l’Allemagne envahit son pays. Son frère Oleg, officier de l’armée polonaise, est alors fait prisonnier. Suite à une dénonciation par un voisin allemand qui l’a entendu dire à sa mère qu’il se battrait contre les nazis, Marian est emprisonné huit jours. En juillet 1942, il est enrôlé de force dans la 14e compagnie du 680e régiment d’infanterie de l’armée allemande, cantonnée à Spandau, près de Berlin. Le 15 août 1942, son régiment arrive à Besné (Loire-Atlantique) où il stationne six mois avant de partir pour le camp de Coëtquidan (Morbihan) en janvier 1943.

Et puis on est parti à Coëtquidan au début de 43 et on devait partir en Russie après. On nous faisait essayer des fourrures, des bottes... Et ceux qui avaient déja passé un hiver en Russie nous donnaient des conseils. A Coëtquidan, on était dans des bâtiments en dur. Si on entre par la vieille entrée, à Bellevue, c’était dans les derniers bâtiments avant la sortie vers Saint-Malo-de-Beignon. Quelques jours plus tard, on m’a mis dans une compagnie disciplinaire. On faisait des exercices du côté de Saint-Raoul, terrain assez accidenté, dans la partie est du camp, vers la vallée de l’Aff.[...] Je savais à peu près où j’étais. Et comme je voyais l’église... comme je voyais que ça n’allait pas très bien du côté des Allemands, je me suis dit : peut-être vais-je m’évader quand même, parce que je n’ai pas du tout envie de combattre pour eux et de tirer sur les alliés... pas question.

Marian Wilke in CHESNAIS, René, La guerre et la résistance dans le sud de l’Ille-et-Vilaine : témoignages, René Chesnais (éditeur), 1999, 391 p. [page 113]

Marian Wilke projette de retourner à Besné pour rejoindre la colonie polonaise de Basse-Indre (près de Nantes). Mais la Gestapo ne lui laisse pas le temps de mettre son plan d’évasion à exécution. Peu de temps après, il est convoqué devant les autorités du camp et interrogé en présence d’un membre de la Gestapo sur ses origines polonaises et sur sa famille. Il est notamment accusé d’avoir correspondu avec son frère. Au cours de l’interrogatoire, on lui montre la lettre compromettante dans laquelle il avait écrit qu’il ne voulait pas être incorporé dans l’armée allemande. Marian Wilke est relâché mais prévenu qu’une auto de la S.S. va venir le chercher. Il décide de s’évader le soir même.

L’évasion du camp de Coëtquidan

Feignant d’obéir à un ordre de convocation à la chancellerie, Marian Wilke quitte les baraquements du camp disciplinaire où il était cantonné et s’apprête à sortir du camp de Coëtquidan par l’entrée principale.

Je suis sorti de Saint-Malo-de-Beignon. A la sortie j’ai fait un salut impeccable en Allemand avec un "Heil Hitler" bien accentué. Il y avait des officiers qui parlaient. Il y avait un brouillard épouvantable. Je tapais du talon Heil Hitler ! Heil Hitler ! Ils ne m’ont pas arrêté, rien du tout. Arrivé à cette porte là, je suis sorti vers Saint-Malo de Beignon. Et alors mon itinéraire était bien précis. Je savais qu’il y avait le T.I.V. 1 qui passait là. Le T.I.V. arrivait à Bellevue. Un peu avant, j’avais prévu de tourner à gauche pour prendre la route de Saint-Raoul. Et alors je suis passé sur la voie du T.I.V. Quand je me suis trouvé sur la route, j’entends des pas. C’étaient des Allemands avec des clous sous les bottes... Instinctivement, j’ai dévié à gauche, j’ai traversé les haies comme une bête sauvage et je me suis mis à courir de toutes mes forces. Et je me rappelle tout simplement d’avoir couru. J’ai couru, couru, j’ai vadrouillé toute la nuit en pleine campagne. C’était accidenté. Ça commençait à patauger dans l’eau. Il y avait des inondations. [...] Mon objectif de rejoindre l’église de Saint-Raoul était abandonné. Et je suis arrivé au Thélin. J’ai pataugé, pataugé dans les prairies... et tout d’un coup je me suis retrouvé, plouf ! en plein dans le lit de l’Aff.

Marian Wilke in Chesnais, René (1999) op. cit., pp. 116-117

Le Thélin

Marian Wilke arrive au pied de l’église du Thélin le vendredi 15 janvier vers trois heures du matin. Épuisé et trempé, il veut trouver refuge dans l’église mais trouve portes closes. Il se dirige alors vers la maison située en contrebas de l’église et frappe à la porte.

Celui qui m’a ouvert la porte, il vit toujours. On peut aller le voir. Il s’appelle Cotto, Armand Cotto. C’était le sacristain de l’église. Et le sacristain ne savait pas ce qu’il disait, il avait plus de 40° de fièvre. Il y avait plein de mangeaille sur la table et il y avait huit enfants chez ce monsieur-là. Il m’a expliqué comment aller chez monsieur Bouvier à la Chenaie.

Marian Wilke in Chesnais, René (1999) op. cit., page 117

Malgré les indications d’Armand Cotto, Marian Wilke se perd et demande son chemin ainsi qu’un peu de nourriture chez un paysan du Thélin, puis à madame Crambert du village du Breil-du-Coq. Après avoir retrouvé sa route, il arrive enfin chez Monsieur Bouvier à la Chênaie dont la fille unique avait été sauvée par un médecin polonais en 1940. Marian Wilke se sèche auprès d’un feu de fagots puis revêt des habits de paysan. Dès le lendemain, il participe aux travaux de la ferme pour se fondre dans la population et remercier ses hôtes. Il reste une semaine à la Chênaie, dans la maison des grands-parents Bouvier, passant son temps à dormir d’un sommeil agité par la peur.

Le samedi, il y avait des Allemands, une quarantaine parait-il, et des chiens policiers au bourg du Thélin. Et le pauvre monsieur Cotto qui était déjà très malade la veille... Il a quand même tenu le coup. Mais il voulait s’assurer que je n’étais pas un faux-jeton (agent provocateur). Alors ça avait encore davantage donné la frousse à monsieur et madame Bouvier. Les Allemands sont à quatre où cinq kilomètres avec des chiens policiers qui cherchent. [...] Alors monsieur Bouvier m’a redemandé quand je voulais partir, car je voulais partir à Couëron [Loire-Atlantique]. Alors je lui ai dit : « Je suis si bien chez vous, je ne vais quand même pas prendre le risque. Je vais risquer de me faire prendre là ».

Marian Wilke in Chesnais, René (1999) op. cit., pp. 120-121

Baulon

Inquiet, monsieur Bouvier se rend chez son frère, Julien Bouvier, à la Janais en Baulon (Ille-et-Vilaine). Ce dernier contacte le docteur Chesnais, membre d’un réseau de Résistance afin de trouver une solution. Le lendemain, Marian Wilke, accompagné de monsieur Bouvier se rend à Baulon. Hébergé quelque temps chez Julien Bouvier, il se cache quelques jours chez le docteur Chesnais. Marian Wilke est ensuite emmené à la Musse en Baulon, chez monsieur de Pioger qui lui donne une nouvelle identité. Désormais, il s’appelle Roger Piedon, né dans le département de l’Hérault, profession, ouvrier de cirque. Muni de faux-papiers, il reste quelques jours à Baulon puis le docteur Chesnais l’accompagne le 28 janvier 1943 au château de mademoiselle Récipon, résistante à Laillé (Ille-et-Vilaine).

Laillé

Mademoiselle Récipon lui propose de prendre une nouvelle identité. Marian Wilke devient Roger Le Bihan, sourd et muet. On a fait beaucoup d’exercices pour que je m’habitue. À force, je m’exprime devant ma glace pour ne pas oublier de parler.

Il est hébergé avec une dizaine de réfractaires au S.T.O. 2 dans les dépendances du château. Au cours des mois qui suivent, il aide mademoiselle Récipon à cacher des soldats américains en leur construisant des abris. Des abris souterrains de trois places, totalement camouflés avec des arbres et de la mousse.

Le 30 novembre 1943, mademoiselle Récipon, dénoncée, doit s’enfuir. Marian Wilke part pour Teillay (Ille-et-Vilaine). Il y reste une journée puis est hébergé par le docteur Chesnais de Baulon. Le surlendemain, il part en camionnette en compagnie de Charles Grasland, pour La Roche Giffard (Ille-et-Vilaine), chez la sœur de mademoiselle Récipon. Quelques jours plus tard, elle est à son tour dénoncée. À l’approche de la Libération, Marian Wilke s’engage dans les F.F.I. 3

Marian Wilke dans les F.F.I.

Marian Wilke intègre la 12ème Compagnie F.F.I. d’Ille-et-Vilaine, créée le 3 août 1944 et commandée par le capitaine Jubin. Elle est rattachée au 3ème bataillon de marche d’Ille-et-Vilaine, sous les ordres du commandant Meunier. Grâce à sa connaissance du russe Marian Wilke sauve la vie de deux ukrainiens enrôlés dans l’armée allemande, à Monterfil.

Le groupe de Monterfil a continué à créer sa petite légion étrangère avec deux Ukrainiens incorporés dans l’armée allemande et capturés sur le camp de radars de Monterfil. Ils furent amenés au château et enfermés dans les étables. Un tribunal d’ exception mis en place par un lieutenant F.T.P. avait décidé de les fusiller. Heureusement notre camarade polonais Marian Wilke comprenait bien le russe, sert d’interprète et découvre qu’on allait fusiller des soldats expérimentés qui ne demandent qu’à se battre à nos côtés. C’est ainsi que grâce à notre camarade polonais, leur peau fut sauvée in extremis et qu’ils devinrent nos premiers instructeurs ô combien compétents et efficaces, qui nous avaient fait si cruellement défaut jusque là, notamment pour utiliser les armes prises à l’ennemi. On savait que les prisonniers de guerre de l’Axe (alliés de l’Axe confondus) dont les Russes blancs portant l’uniforme allemand, devaient être remis aux américains, mais ce ne fut pas le cas, puisque nous avions besoin d’eux, alors ils devinrent F.F.I. avec nous.

LES ANCIENS COMBATTANTS D’ILLE-VILAINE, « La légion étrangère de la 12° Compagnie », 2010, Voir en ligne.

Ex voto du Thélin

Marian Wilke a laissé un ex-voto dans l’église Saint-Étienne du Thélin, pour remercier la Vierge de l’avoir sauvé lors de son évasion de janvier 1943.


Bibliographie

LES ANCIENS COMBATTANTS D’ILLE-VILAINE, « La légion étrangère de la 12° Compagnie », 2010, Voir en ligne.

CHESNAIS, René, La guerre et la résistance dans le sud de l’Ille-et-Vilaine : témoignages, René Chesnais (éditeur), 1999, 391 p.

MARIE, Olivier, « Il s’évade de la Wehrmacht et rejoint les FFI- L’histoire de Marian le Polonais », Ouest-France, 26 septembre, Rennes, 1994, Voir en ligne.


↑ 1 • Les T.I.V., acronyme pour Tramways d’Ille-et-Vilaine, consistaient en un réseau à voie métrique qui comporta dans le département jusqu’à 11 lignes dont 6 partant et arrivant de Rennes, la reliant à Saint-Malo, Antrain et Pleine-Fougères, Fougères, la Guerche, Le Grand-Fougeray, Redon. Il s’agissait de petits trains à vapeur avec locomotive à haute cheminée. La ligne Rennes-Redon passait par Plélan, Beignon, Coëtquidan, Guer.

↑ 2 • Le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) fut, durant l’Occupation, la réquisition et le transfert vers l’Allemagne nazie, à partir de juin 1942, de centaines de milliers de travailleurs français. Ils participent contre leur gré à l’effort de guerre allemand que les revers militaires contraignaient à être sans cesse grandissant (usines, agriculture, chemins de fer, etc.).

↑ 3 • Les Forces françaises de l’intérieur (F.F.I.) sont le résultat de la fusion, au 1er février 1944, des principaux groupements militaires de la Résistance intérieure française qui s’étaient constitués dans la France occupée : l’Armée secrète (A.S., gaulliste, regroupant Combat, Libération-Sud, Franc-Tireur), l’Organisation de résistance de l’armée (O.R.A., giraudiste), les Francs-tireurs et partisans (F.T.P., communistes), etc.