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1761-1814

Orieulx Thérèse Mélanie

Une femme dans la chouannerie

Thérèse Mélanie Orieulx prend part aux chouanneries de 1794 à 1801. Belle-sœur du chef chouan Pierre Robinault de Saint-Régent, elle fait de sa maison du « Bois-de-la-Roche » un repaire contre-révolutionnaire. Elle se rend à Paris en mars 1801 pour tenter de sauver son beau-frère de la guillotine.

Éléments biographiques

Thérèse Mélanie Ropert est la fille de Mathurin Yves Ropert (1724-1779), entrepreneur en sculpture, peinture et dorures et de Mélanie-Perrine Théaud (1730-1794), de Kermagaro, hameau de Néant-sur-Yvel (Morbihan) près de Loyat. Née le 2 décembre 1761 au bourg de Loyat, Thérèse Ropert se marie le 8 juillet 1782, à Saint-Nicolas de Josselin, avec Ange César Orieulx de la Porte (1754-1830). Celui-ci est issu du premier mariage de Jeanne Bonaventure de La Chesnaye 1.

Ange César Orieulx est seigneur de La Porte-Bergault (Ploërmel) et de La Mulotière (Mohon), receveur des devoirs à Ploërmel, notaire et régisseur à la suite de son père. Il est élu procureur-syndic de Mohon en 1791 et entre en conflit avec le recteur assermenté de cette localité, Van der Gracht. Il se lie d’abord aux républicains qui le nomment administrateur du district de Josselin puis commissaire en janvier 1794 durant les troubles de Bignan (Morbihan) 2. Pierre Robinault de Saint-Régent 3, officier de Joseph de Boulainvilliers, est son demi-frère. Cette parenté vaut à Ange César d’être incarcéré quelques mois.

À la mort de Boulainvilliers en janvier 1795, Saint-Régent dit « Pierrot » devient le chef chouan de la division de Saint-Méen. Sous l’influence de son épouse Thérèse, Ange-César Orieulx devient partisan de la cause des chouans. Il est nommé néanmoins notaire public à Néant en l’an VIII (1799-1800) 4.

Le couple vit au « Bois-de-la-Roche » en Néant, où Ange César est régisseur du château.

Ils ont cinq enfants. Leur fils Désiré César Mathurin Bonaventure 5, nait à Josselin le 23 mai 1783. En l’an VIII (1800), âgé de dix-sept ans, il est envoyé par ses parents dans les troupes chouannes. Blessé, il restera estropié.

Leur fille Thérèse Julie Perrine de La Porte Orieulx (1784-1873) se marie le 2 décembre 1813 avec Pierre Marie GUÉRIN (1787-1823). Ils ont deux fils, Frédéric (1815-1899) qui devient conseiller à la Cour de Cassation, et Alphonse, médecin et inventeur du pansement ouaté.

Une femme dans la chouannerie

Le rôle des femmes dans la chouannerie est souvent sous-estimé. Absente des combats et des livres d’Histoire, elles occupent cependant une place déterminante dans la guérilla menée par les chouans.

La femme héberge, nourrit, soigne et renseigne. Par ses occupations, elle reste en permanence, beaucoup plus que l’homme, à proximité de celui que l’on cache et qu’il faut avertir. On devine que certaines femmes ont été l’âme de la résistance à la Nation, omniprésentes et veillant à tout, véritables responsables d’une sorte de soutien logistique tous azimuts des chouans locaux [...].

DUPUY, Roger, Les chouans, Paris, Hachette, 1997. [pages 199-200]

Les femmes assurent trois fonctions majeures, essentielles à la survie des chouans. Elles garantissent les conditions de clandestinité des prêtres, des chouans ainsi que des blessés et des convalescents, elles font circuler information et correspondance et procurent une partie des approvisionnements.—  DUPUY, Roger, Les chouans, Paris, Hachette, 1997. [page 202] —

Thérèse Mélanie Orieulx a été l’une de ces femmes. La tradition locale du Bois-de-La-Roche retient l’enthousiasme et la passion de Thérèse à défendre trop bruyamment la cause de son beau-frère Robinault de Saint-Régent. D’un héroïsme voyant et tapageur, elle rallie des gens à sa cause, mais nuit à la discrétion souhaitée par « Pierrot ».

Depuis le début de la chouannerie, elle suivait de ses vœux, de ses regards, de son affectueuse sollicitude ce remuant et glorieux beau-frère et, dans le pays, pour ce motif, on l’avait surnommée « l’aide de camp de Pierrot ». Souvent, en ce temps-là, elle l’abritait chez elle au « Bois-de-la-Roche » et elle allait le voir en ses fourrés mystérieux, en son Château-Vert de la forêt de Lanouée. Elle avait 40 ans. C’était une petite femme un peu replète, aux cheveux bruns, à grande bouche, au teint coloré, une femme active et résolue.

LORÉDAN, Jean, La machine infernale de la rue Nicaise (3 nivôse, an IX), Paris, Perrin, 1924, Voir en ligne. p. 212

Thérèse Orieulx est l’amie de nombreux chefs royalistes, notamment un certain de Vossey dit « Le Juste », chef de chouans dans la région de Loudéac, dont elle abrite le cheval. —  GELIS, Matthieu de, Boulainvilliers ; figure singulière de la première chouannerie morbihannaise, Editions des Six Coupeaux, 2012. —

L’attentat de la rue Saint-Nicaise

Après la victoire des troupes de Bonaparte à Marengo le 14 juin 1800, les anglais abandonnent les chouans à leur sort. Le 3 nivôse an IX (24 décembre 1800), Robinault de Saint-Régent et Joseph Picot de Limoëlan organisent un attentat visant à tuer Napoléon Bonaparte rue Saint-Nicaise. L’opération échoue mais tue entre 12 et 22 personnes. Limoëlan réussit à fuir mais Saint-Régent est finalement capturé.

En 1800, Thérèse habite un pavillon du château du « Bois-de-la-Roche » en partie démantelé par les républicains à partir de 1793. Après son arrestation, Saint-Régent, depuis son cachot de la Conciergerie 6, lui adresse plusieurs lettres par l’entremise d’un homme rencontré en prison. Dans ces lettres, il la prie de se mettre en campagne tout de suite, de voir des gens à Ploërmel, à Josselin, dans les bourgades et villages d’alentour et de lui procurer au plus tôt des lettres attestant son honnêteté, sa loyauté, sa justice, sa douceur. Le 25 pluviôse an IX (14 février 1801), il lui écrit au Bois-de-la-Roche près Ploërmel.

Je te prie de vouloir bien me faire le plaisir, ma chère amie, si tu viens à Paris, de t’adresser chez le citoyen Gillard, rue du Four-Honoré, hôtel de la Mayenne ; il pourra te dire de la manière qu’il faut te prendre pour avoir une permission pour me parler. Je t’ai écrit ce qu’il fallait faire pour moi ; je t’en prie ne m’oublie pas et fais les démarches que je t’ai marqué de faire. Prend des conseils de ton frère et prie-le de t’indiquer un bon défenseur ; surtout point de retard. À Dieu ma bonne amie. Il faut que tu ne manques pas de venir de suite ; le temps presse ; je te prie d’avoir un certificat qui atteste que je suis inscrit sur le registre du département de Vannes, comme tous ceux qui se sont rendus. Tu voudras bien t’adresser au citoyen Joffrin, soldat du premier bataillon de la 90e demi-brigade au quartier de Babilonne, troisième compagnie. Ne manque pas de voir ce militaire. Ne montre cette lettre à personne au monde.

Contrairement à la recommandation de Saint-Régent, la lettre est décachetée à Ploërmel, lue, copiée, puis recachetée et remise à sa destinataire, tandis que sa copie littérale et conforme , par les soins du sous-préfet, aboutit au Ministère de la police générale entre les mains de Fouché (1759-1820) 7.

Le 30 pluviôse an IX (19 février 1801), elle lui envoie une première lettre pour le rassurer sur les démarches qu’elle doit mener.

J’ai reçu, mon cher frère, votre lettre du 19 courant ; jugez de mon état par votre affreuse situation. Il me sera facile d’avoir les certificats que vous désirez ; la voie publique est pour vous ; tout le monde avoue que toujours il vous a répugné de faire verser une goutte de sang. Proscrit il vous a fallu vous mettre dans un parti qui pût vous conserver les jours. La sagesse du gouvernement, sa modération et sa force, tout contribue à me rassurer sur votre sort. Prenez un défenseur, soit le citoyen Chauveau de la Garde, le citoyen le Bon, ou tel autre que votre confiance désirera ; assurez-le bien de ma part qu’au premier avis de vous je lui ferai tenir les fonds que vous désirez. Dès aujourd’hui et de tous mes moyens je vais m’en occuper. Courage, mon cher frère, tâchez de supporter vos peines. Forte de votre conscience, j’espère vous revoir sous peu. La paix, cette paix si désirée et si désirable me donne encore plus d’espoir que jamais. C’est un moment d’indulgence, le gouvernement vous l’accordera. Je vous embrasse de tout mon cœur et suis votre tendre sœur.

MARTEL, Arnaud Louis Raoul de, Étude sur l’affaire de la machine infernale du 3 nivôse an IX., Paris, E. Lachaud Libraire-Editeur, 1870, Voir en ligne. pp. 201-202

Thérèse Orieulx suit les recommandations de Saint-Régent et parcourt la campagne afin d’obtenir les certificats demandés. Elle recueille aussi de l’argent pour payer les avocats et autres hommes de loi travaillant à la défense du chef chouan. Le 3 ventôse (22 février 1801), elle lui écrit.

Mon cher frère, voilà les attestations que vous me demandez ; cela n’a souffert aucune difficulté, chacun c’est fait un plaisir de vous les donner, ajoutant que c’était une justice qui vous était due. Si on avait eu plus de temps, il eût été facile de vous en procurer un plus grand nombre. Prenez patience mon cher frère, le gouvernement est doux et juste, mettez-y votre confiance, j’espère que tout ira bien pour vous. Je suis avec le plus sincère attachement. Votre sœur Orieulx.

MARTEL, Arnaud Louis Raoul de (1870) op. cit.

Saint-Régent ne reçoit aucune des lettres de sa belle-sœur. On lui apprend au contraire qu’elle s’est blessée au bras dans un accident de diligence et qu’elle ne pourra venir à Paris. Mais ces stratagèmes de la police n’arrêtent pas Thérèse qui arrive à Paris le 28 ventôse (19 mars) et se rend à l’hôtel de la Mayenne. Le lendemain, elle écrit naïvement à Fouché pour lui demander de l’aide.

Citoyen ministre, Saint-Réjant dit Pierrot, mon beau-frère, détenu à la Conciergerie, m’a écrit le 19 pluviôse pour me prier de lui faire parvenir différentes pièces qui peuvent lui devenir utiles dans ses moyens de défense ; ne sachant comment les lui faire parvenir, j’ose espérer que vous ne trouverez pas mauvais que je me sois servie de votre couvert pour les lui adresser. Je vous supplie, citoyen Ministre, d’ordonner qu’elles soient remises, soit à lui, soit au défenseur officieux qu’il se sera choisi. Vous m’obligerez infiniment, citoyen Ministre, si vous aviez la bonté de m’en accuser réception. Je vous prie de recevoir l’assurance de mon profond respect. La citoyenne Orieulx, au Bois-de-la-Roche, Préfecture du Morbihan, sous-Préfecture de Ploërmel.

MARTEL, Arnaud Louis Raoul de (1870) op. cit.

Le 30 ventôse (21 mars), Thérèse est arrêtée à son hôtel et incarcérée aux Madelonettes 8. On saisit sur elle 258 francs, un passeport non visé et une lettre signée Corbière, datée de Rennes et adressée à un nommé Ponsart, homme de loi, rue de la Vieille-Draperie, numéro 4, l’invitant à aider de ses avis une femme qui vient à Paris pour un homme qui se trouve dans une position effrayante.

Interrogée le 1er germinal (22 mars), elle déclare ne connaître aucun des complices de Saint-Régent. Elle dit n’avoir vu Cadoudal qu’une seule fois, il y a huit ans, un jour qu’il était venu chez eux pour faire fusiller son mari parce qu’il avait acheté des biens nationaux.

Saint-Régent, sans nouvelles de Thérèse, lui écrit peu après.

Ma chère sœur, je vous prie de vouloir me faire le plaisir de faire tout ce que vous pourrez pour tâcher d’avoir une permission pour me parler ; ou si vous ne pouvez pas venir vous-même, envoyez quelqu’un de votre part. J’ai bien des choses à dire que je ne veux dire que de vive voix. J’ai appris avec bien de la peine que vous vous étiez fait mal en route et surtout en apprenant que mes camarades ne savaient pas comment je m’étais conduit et comme je le fais encore tous les jours. Je puis vous assurer que, depuis que je suis arrêté, j’ai souffert le martyre et que je n’ai rien dit contre mes camarades et contre le parti, quoiqu’on m’ait mis deux fois à la question secrète. Vous ne savez pas quel est ce genre de torture. Je vous dirai cela de vive voix. On m’a offert, après toutes ces souffrances, une place de général de brigade et 50 000 francs, si je voulais dire seulement que c’étaient les personnes que vous connaissez qui m’avaient chargé de cette affaire. Je leur répondis que je ne savais pas ce que c’était que de me sauver par un lâche mensonge. Voilà ma réponse. Je crois que vous me connaissez assez pour me croire toujours digne d’être votre ami, ainsi que celui de mes anciens camarades. Je suis, avec estime et amitié, votre ami pour la vie. Vous pouvez me faire passer quelque chose par le camarade qui m’a remis votre lettre, peu de chose à la fois.

Tout porte à croire qu’elle ne reçut pas ce billet. Emprisonnée depuis le 30 ventôse (21 mars), elle ignore certainement le supplice de « la poucette » qu’on avait fait endurer à son beau-frère - écrasement des pouces entre deux planchettes, serrées par le chien d’un fusil. Saint-Régent meurt guillotiné à Paris, le 30 germinal an IX (21 avril 1801). Thérèse Orieulx est libérée quelques jours plus tard, le 6 floréal an IX (26 avril 1801). —  LORÉDAN, Jean, La machine infernale de la rue Nicaise (3 nivôse, an IX), Paris, Perrin, 1924, Voir en ligne. p. 281 —


Bibliographie

DUPUY, Roger, Les chouans, Paris, Hachette, 1997.

LORÉDAN, Jean, La machine infernale de la rue Nicaise (3 nivôse, an IX), Paris, Perrin, 1924, Voir en ligne.

MARTEL, Arnaud Louis Raoul de, Étude sur l’affaire de la machine infernale du 3 nivôse an IX., Paris, E. Lachaud Libraire-Editeur, 1870, Voir en ligne.


↑ 1 • Jeanne-Bonaventure de La Chesnaye était appelée par les habitants du Bois-de-La-Roche Jeanne de La Chesnaye du Faou. La prononciation gallèse quasiment identique de Foz et Faou (« Fahôô ») a dû entraîner la transcription de Foz en Faou. Elle se marie une première fois le 23 juillet 1748 à Ploërmel avec Mathurin Joseph Orieulx de La Porte. Elle se remarie le 17 janvier 1757 à Mohon avec Jacques Pierre Robinault de Saint-Régent, union de laquelle nait Pierre Robinault de Saint-Régent.

↑ 2 • Le 20 février 1794, Joseph de Boulainvilliers lève des troupes et déclenche une insurrection dans le canton de Bignan.

↑ 3 • On trouve Saint-Régent également orthographié Saint-Régeant ou Saint-Réjant.

↑ 4 • Le 4 messidor an IX (23 juin 1801), il se porte caution de Joseph Leray « vivant de ses rentes », candidat à l’adjudication de la perception des contributions directes de Loyat. Il rachète l’étude de Noël Joachim Letoré après 1812.

↑ 5 • Désiré devient à son tour notaire au « Bois-de-la-Roche » et à Néant-sur-Yvel de 1836 à 1856.

↑ 6 • La Conciergerie est un château de l’Ile de la Cité à Paris, transformé en prison pendant la Révolution à partir de 1793

↑ 7 • Joseph Fouché, dit Fouché de Nantes, duc d’Otrante, comte Fouché, est un homme politique français, né le 21 mai 1759 au Pellerin près de Nantes et mort le 26 décembre 1820 à Trieste. Ministre de la police durant le Consulat et l’Empire, il prouve que l’attentat de la rue Saint-Nicaise (1800) est le fait des royalistes.

↑ 8 • Les Madelonettes est un ancien couvent transformé en prison.