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1961

Menou le herquellier

Un conte collecté par Jean Markale

Menou le herquellier est un conte dans lequel un gars de Beauvais en Paimpont est poursuivi jusque dans sa tombe pour ses blasphèmes.

Un conte collecté par Jean Markale

Menou le herquellier est un conte publié par Jean Markale (1928-2008) en 1961 —  MARKALE, Jean, Contes et légendes de Brocéliande, Ploërmel, Les Éditions du Ploërmelais, 1961, 48 p. [pages 14-19] —

En 1977, il fait l’objet d’une réédition dans un recueil de contes bretons dans lequel Jean Markale mentionne le contexte de son collectage et sa localisation- Tréhorenteuc (Morbihan) —  MARKALE, Jean, Contes populaires de toutes les Bretagne, Rennes, Ouest-France, 1977. [pages 133-140] —

Cette histoire m’a été racontée en 1960 et on m’a garanti qu’elle était vraie. On me demanda d’ailleurs de changer le nom du personnage parce qu’il avait encore de la famille. Il est fort possible en effet, qu’un tel événement se soit produit il y a peu d’années, mais le récit, en passant de bouche à oreille, s’est chargé, comme bien d’autres, d’éléments édifiants.

MARKALE, Jean, Contes populaires de toutes les Bretagne, Rennes, Ouest-France, 1977. [pages 139-140]

Le récit de Menou le herquellier

Menou de Beauvais, ce village au milieu de Brocéliande, était herquellier 1 : il allait de bourg en bourg, de ville en hameau, avec sa charrette tirée par un cheval maigre et noir, pour vendre des balais de bruyère ou de genêt et des paniers de bourdaine qu’il fabriquait lui-même avec des branches cueillies dans la forêt. Menou était un vieux garçon car aucune femme n’aurait voulu de cet homme qui jurait et blasphémait à longueur de journée, qui ne mettait jamais les pieds à l’église, mais qui, par contre, hantait les auberges de Paimpont, de Campénéac et de Tréhorenteuc.

Un jour qu’il revenait de la foire de Ploërmel, l’esprit encore embrumé par la boisson, l’orage se mit à tonner violemment et la pluie à tomber comme au déluge. Menou quitta la route de Beauvais, tourna à la croix de Trécesson et s’arrêta à la ferme du château pour y trouver abri.

Il conduisit le cheval dans le hangar et pénétra lui-même dans la salle où se trouvaient réunis les fermiers et un trimardeur venu s’abriter de la pluie.
— Tiens Menou ! dit le fermier. Tu boiras bien une bolée avec nous ?
— Ce n’est pas de refus ! grommela le herquellier.

L’orage continuait de plus belle et à chaque fois qu’un éclair zébrait le ciel la fermière priait le Seigneur et sainte Barbe de les protéger de la foudre. Les hommes se signaient à chacune des prières sauf Menou que cette dévotion faisait rire. Lorsque la pluie cessa, Menou s’en alla sans même attendre la fin de l’orage.

—Tu n’es pas fou ? dit le fermier en se dirigeant vers la fenêtre. Ce n’est pas fini. Tu vas te faire brûler !
Menou ricana :
— Sacré nom de Dieu ! Je me fous pas mal du tonnerre ! Je serai moins mouillé !
La fermière s’était signée. Le trimardeur dit :
— Atention Menou ! Il ne faut pas blasphémer !
Menou éclata d’un rire strident :
— Je m’en fous pas mal de votre bon Dieu ou de votre diable ! Ils n’ont qu’à venir un peu, ils recevront ma main sur la gueule !

Et Menou reprit le chemin de Beauvais sous les grondements du tonnerre. Une heure plus tard, alors que l’orage avait cessé, le trimardeur prit la route à son tour. Ayant dépassé la chapelle Saint-Jean, il commençait à descendre la côte qui mène à Beauvais lorsqu’il vit sur le bas-côté la charrette de Menou.

Le cheval gisait inerte et sur la carriole, recroquevillé sur lui-même et noir comme du charbon, Menou le herquellier gisait, foudroyé.

Le corps de Menou fut conduit dans sa maison et fut veillé par quelques voisines qui dirent leur chapelet et burent un coup de lambic. L’enterrement était prévu pour le lendemain à l’église de Paimpont. Le porteur de croix, précédé du porteur d’échelettes ouvrirent la marche du cortège funéraire qui comptait une douzaine d’hommes de Beauvais. Les hommes récitaient des chapelets alors que le ciel commençait à s’assombrir au dessus de la forêt.

On venait de dépasser l’étang du Châtenay, au bas duquel tournait, indifférente, la roue du moulin. On commençait à gravir la pente de Hucheloup, quand un terrible coup de tonnerre se fit entendre.

L’orage éclata ! Deux hommes quittèrent le cortège, effrayés par le cadavre foudroyé de Menou. Puis la pluie se mit à tomber, brutale et drue. À l’entrée de la forêt, devant la croix du calvaire, le cortège s’arrêta et les hommes récitèrent un pater et un ave.

Pendant le temps que dura le recueillement, il n’y eut aucun coup de tonnerre, mais dès que le cortège se remit en marche dans la forêt, le ciel recommença à crépiter de toutes parts.

Arrivé au calvaire de Haute-Forêt, la même scène recommença. Les hommes se mirent à prier, la pluie baissa jusqu’à devenir insignifiante et le ciel s’éclaircit légèrement. Le cortège reprit plus rapidement aidé par la pente qui aboutissait au bourg de Paimpont. Mais arrivé à l’étang, un éclair frappa l’eau à quelques mètres de la charrette. Le porteur de croix la cacha sous ses bras de peur d’attirer la foudre. Cependant, l’église était proche et le sacristain les accueillit pour célébrer la dernière messe de Menou.

Pendant la messe - oh ! une toute petite messe basse ! Menou ne valait pas une grande messe chantée ! - l’orage cessa tout-à-fait et on vit même du soleil filtrer à travers les vitraux colorés.

Le cercueil fut arrosé d’eau bénite et la charrette entama le trajet en direction du cimetière. Le ciel redevint sombre et menaçant et chacun craignait le retour de l’orage. On arriva cependant au cimetière et on descendit le cercueil dans la fosse. C’est alors qu’un formidable coup de tonnerre vint frapper la fosse de Menou, fendant son cercueil en deux.

Et jamais de mémoire d’homme, il n’y eut de plus belle fin de journée que celle-là : les nuages furent balayés par un grand vent qui venait de la mer, là-bas, à travers les landes et les bois chargés de parfums de l’été. Le soleil brilla comme un diamant magnifique et le ciel devint plus bleu que la mer en des pays d’éternelle jeunesse.

Une adaptation

Ce conte a été l’objet d’une adaptation par Jacky Ealet en 2015. —  EALET, Jacky et LARCHER, Guy, Paimpont en Brocéliande, Beignon, Les oiseaux de papier, 2015. [page 304] —

Jean Markale conte "Menou le herquelié"
—  EALET, Jacky et LARCHER, Guy, Paimpont en Brocéliande, Beignon, Les oiseaux de papier, 2015.
[page 303] —
Jacky Ealet

Menou le herquellier dans un conte de Patrick Lebrun

En 1982, Patrick Lebrun propose une version du thème breton des lavandières sous le titre Les lavandières de la nuit. Le conte est enregistré en conclusion d’un disque vinyle de contes et de musiques traditionnelles de Brocéliande. —  LEBRUN, Patrick, BARON, Jean, MOISSELIN, Philippe, [et al.], « Contes et musiques de Brocéliande », Mauron, 1982. —

Dans ce conte, Patrick Lebrun reprend à Jean Markale le personnage de Menou le herquelier de Beauvais et lui fait vivre une autre fin.


Bibliographie

EALET, Jacky et LARCHER, Guy, Paimpont en Brocéliande, Beignon, Les oiseaux de papier, 2015.

LEBRUN, Patrick, BARON, Jean, MOISSELIN, Philippe, [et al.], « Contes et musiques de Brocéliande », Mauron, 1982.

MARKALE, Jean, Contes et légendes de Brocéliande, Ploërmel, Les Éditions du Ploërmelais, 1961, 48 p.

MARKALE, Jean, Contes populaires de toutes les Bretagne, Rennes, Ouest-France, 1977.


↑ 1 • Le mot herquellier ou herquelier ou herquelié a plusieurs sens : journalier, mauvais ouvrier, vagabond, bon à rien. Il est voisin de « trimardeur » ou de « chemineau ».