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1768-1848

Chateaubriand, François-René de

Brocéliande à Bécherel

L’écrivain romantique François-René de Chateaubriand évoque dès 1812 une grande forêt couvrant le nord-est de la Bretagne en des temps reculés. Il est aussi l’auteur d’une localisation de Brocéliande à Bécherel qui n’a pas fait école.

Éléments biographiques

François-René de Chateaubriand est né à Saint-Malo en 1768 et mort à Paris le 4 juillet 1848. Homme politique, écrivain, précurseur du romantisme, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Atala (1801), René (1802), Le Génie du Christianisme (1802), Les Martyrs (1809), Les Natchez (1827), Essai sur la littérature anglaise (1836) ou Vie de Rancé (1844). Son œuvre la plus célèbre, Mémoires de ma vie, commencée en 1809, paraît à titre posthume, sous le titre Mémoires d’Outre-tombe, à partir de 1849.

1812 — La forêt de Bréchéliant dans les Mémoires d’Outre-tombe

Dans un chapitre de ses Mémoires daté de septembre 1812, Chateaubriand évoque une grande forêt recouvrant une partie de la Bretagne.

Au douzième siècle, les cantons de Fougères, Rennes, Bécherel, Dinan, Saint-Malo et Dol, étaient occupés par la forêt de Brécheliant ; elle avait servi de champ de bataille aux Francs et aux peuples de la Dommonée. Wace raconte qu’on y voyait l’homme sauvage, la fontaine de Berenton et un bassin d’or. Un document historique du quinzième siècle, les Usemens et coutumes de la forêt de Brécilien, confirme le roman de Rou : elle est, disent les Usemens, de grande et spacieuse étendue. « Il y a quatre châteaux, fort grand nombre de beaux étangs, belles chasses où n’habitent aucunes bêtes vénéneuses, ni nulles mouches, deux cents futaies, autant de fontaines, nommément la fontaine de Belenton, auprès de laquelle le chevalier Pontus fit ses armes. »
Aujourd’hui, le pays conserve des traits de son origine : entrecoupé de fossés boisés, il a de loin l’air d’une forêt et rappelle l’Angleterre : c’était le séjour des fées, et vous allez voir qu’en effet j’y ai rencontré ma sylphide. Des vallons étroits sont arrosés par de petites rivières non navigables. Ces vallons sont séparés par des landes et par des futaies à cépées de houx. Sur les côtes, se succèdent phares, vigies, dolmens, constructions romaines, ruines de châteaux du Moyen Âge, clochers de la renaissance : la mer borde le tout. Pline dit de la Bretagne : Péninsule spectatrice de l’Océan.

CHATEAUBRIAND, François-René de, Mémoires d’Outre-tombe, Vol. 1, Bruxelles, Deros et Comp. éditeurs, 1852, Voir en ligne. p. 9

Chateaubriand invente une forêt recouvrant la partie nord-est de la Bretagne, allant de Fougères à Dinan et de Saint-Malo à Rennes. Cette évocation fait de Chateaubriand un des précurseurs du mythe de la grande forêt bretonne, dont la théorisation sera effective à partir de la seconde moitié du 19e siècle, par les historiens Aurélien de Courson et Arthur de La Borderie. Il interprète abusivement le Roman de Rou 1 de Wace, écrit en 1160, pour la nommer Bréchéliant. Il est aussi l’un des premiers à rapprocher le Roman de Rou d’un chapitre des Usemens et coustumes de la forest de Brécilien, texte juridique rédigé en 1467. Cette localisation fantaisiste de la forêt de Bréchéliant découle davantage de ses rêveries romantiques que de la rigueur historique.

1836 — Retour sur la forêt de Bréchéliant

Dans Essai sur la littérature Anglaise, paru en 1836, Chateaubriand persiste sur sa localisation fantaisiste de la forêt de Bréchéliant.

Le roman de Rou est encore de Robert Wace. Là se lit l’histoire authentique des fées de ma patrie, de la forêt de Bréchéliant remplie de tigres et de lions : l’homme sauvage y règne, et le roi Arthur le veut percer avec l’Escalibar, sa grande épée. Dans cette forêt de Bréchéliant murmure la fontaine Barenton. Un bassin d’or est attaché au vieux chêne dont les rameaux ombragent la fontaine : il suffit de puiser l’eau avec la coupe et d’en répandre quelques gouttes pour susciter des tempêtes. Robert Wace eut la curiosité de visiter la forêt et n’aperçut rien.
« Fol m’en revin, Fol y allai »
Un charme mal employé fit périr l’enchanteur Merlin dans la forêt de Bréchéliant. Pieux et sincère Breton, je ne place pas Bréchéliant prés Quintin, comme le veut le roman de Rou ; je tiens Bréchéliant pour Becherel, près de Combourg. Plus heureux que Wace, j’ai vu la fée Morgen et rencontré Tristan et Yseult ; j’ai puisé de l’eau avec ma main dans la fontaine (le bassin d’or m’a toujours manqué), et en jetant cette eau en l’air, j’ai rassemblé les orages : on verra dans mes Mémoires à quoi ces orages m’ont servi.

CHATEAUBRIAND, François-René de, « Essai sur la littérature Anglaise et considération sur le génie des hommes », in Oeuvres complètes, Vol. 5, Paris, Firmin Didot Frères, 1836, Voir en ligne. pp. 25-26

Là encore, l’écrivain manie les citations avec beaucoup de liberté. Il dénature l’épisode du Roman de Rou traitant de la Fontaine de Barenton. La référence à Quintin n’existe pas chez Wace. Chateaubriand l’emprunte probablement à un ouvrage de l’abbé de La Rue paru en 1815. —  LA RUE, abbé Gervais de, Recherches sur les ouvrages des bardes de la Bretagne armoricaine dans le Moyen Âge, Caen, Imprimerie de Poisson, 1815, Voir en ligne. p. 44 —

Quant à son affirmation associant Bécherel à Bréchéliant, elle est purement gratuite. Voici ce que Félix Bellamy écrit à ce propos en 1896 :

Convient-il, après tout-ceci, de citer encore à l’appui de nos revendications contre la forêt de Quintin l’opinion de notre illustre compatriote Châteaubriand ? Je le ferais volontiers, s’il n’avait émis à son tour, touchant le site de Brocéliande, une idée qu’on peut dire étrange et qui n’a point, que je sache, rencontré d’adhérents. Il ne veut pas que la forêt de Quintin soit Brocéliande, et en cela il a fort raison ; mais, par un amour exagéré du lieu de sa naissance, il veut que Brocéliande soit Bécherel [...] L’opinion de M. de Châteaubriand aurait-elle pour origine l’analogie lointaine qu’on peut trouver entre les deux mots Bréchéliant et Bécherel ? – Est-il d’ailleurs bien exact que le Roman de Rou place Bréchéliant près de Quintin ? – Comme nous le verrons plus loin, Wace, dans son roman de Rou, parle de Raoul de Gaël et des seigneurs « devers Bréchéliant ». Mais il ne mentionne point que la forêt soit au voisinage de Quintin.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 1, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. pp. 17-18

Chateaubriand est il venu en forêt de Brécilien ?

L’intérêt de Chateaubriand pour la forêt de Bréchéliant est peut-être nourri par ses liens familiaux avec les Farcy, héritiers des forges industrielles et copropriétaires de la forêt de Brécilien. Sa sœur Julie Marie Agathe de Chateaubriand (1763-1799) s’est en effet mariée avec Annibal de Farcy (1749-1825), à la chapelle du château familial de Combourg, en 1782 2.

Julie de Chateaubriand comtesse de Farcy
—  SANNIER, Jean, « Lucille de Chateaubriand », Bretagne, 1930, p. 99-103.
[page 102] —

Ces liens familiaux peuvent expliquer la connaissance que Chateaubriand a des Usemens de Brécilien. Dès 1812, il cite le chapître concernant la Fontaine de Barenton, alors que ce texte ne sera publié qu’à partir de 1840. Son beau-frère a pu lui en faire part. Peut-être même l’a-t-il consulté en mairie de Paimpont. Chateaubriand écrit avoir puisé l’eau de sa main à la Fontaine de Barenton... évocation plus poétique que réaliste.

En l’absence de preuve, nous ne pouvons aller plus loin et laissons à l’abbé Gillard la paternité de ses propres écrits.

Beauvais : Quelques pas avant la chapelle il y a une vieille maison qui a vu passer tous les grands personnages de la forêt. Elle a vu passer spécialement le duc d’Aumale, Chateaubriand et en résidence, la famille de Farcy.

GILLARD, abbé Henri, Tréhorenteuc-Comper-Paimpont, Vol. 8, 1959, Josselin, Abbé Rouxel, 1980, 50 p., (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »). [page 49]

Bibliographie

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 1, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

CHATEAUBRIAND, François-René de, Mémoires d’Outre-tombe, Vol. 1, Bruxelles, Deros et Comp. éditeurs, 1852, Voir en ligne.

CHATEAUBRIAND, François-René de, « Essai sur la littérature Anglaise et considération sur le génie des hommes », in Oeuvres complètes, Vol. 5, Paris, Firmin Didot Frères, 1836, Voir en ligne.

GILLARD, abbé Henri, Tréhorenteuc-Comper-Paimpont, Vol. 8, 1959, Josselin, Abbé Rouxel, 1980, 50 p., (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »).

LA RUE, abbé Gervais de, Recherches sur les ouvrages des bardes de la Bretagne armoricaine dans le Moyen Âge, Caen, Imprimerie de Poisson, 1815, Voir en ligne.

WACE,, PLUQUET, Fréderic, LE PRÉVOST, Auguste, [et al.], Le Roman de Rou et des ducs de Normandie, Vol. 1, Rééd. 1827, Rouen, Edouard frères éditeurs, 1160, Voir en ligne.


↑ 1 •  WACE,, PLUQUET, Fréderic, LE PRÉVOST, Auguste, [et al.], Le Roman de Rou et des ducs de Normandie, Vol. 1, Rééd. 1827, Rouen, Edouard frères éditeurs, 1160, Voir en ligne.

↑ 2 • Julie Marie Agathe de Chateaubriand s’est mariée le 23 avril 1782 avec Annibal Pierre François de Farcy de Pontfarcy, seigneur de Montavallon 1749-1825 (Parents : Annibal Marie Auguste de Farcy de Montvallon (de Pontfarcy), seigneur de Montavallon 1718-1761 & Perrine Claire Frain de La Villegontier 1714-1768)