1961
La chasse du roi Arthur
Une adaptation par Jean Markale d’un thème arthurien
La chasse du roi Arthur est l’adaptation par Jean Markale d’un thème mythologique arthurien en forêt de Paimpont.
Le conte de Jean Markale
Contes et légendes de Brocéliande
En 1961, Jean Markale (1928-2008) publie aux Éditions du Ploërmelais un recueil de contes et légendes localisés en forêt de Paimpont. Le tirage de ce recueil reste limité et sa diffusion confidentielle 1.— MARKALE, Jean, Contes et légendes de Brocéliande, Ploërmel, Les Éditions du Ploërmelais, 1961, 48 p. —

L’ouvrage comprend cinq légendes arthuriennes et six contes populaires parmi lesquels La chasse du roi Arthur. Ces textes font partie des premières productions littéraires publiées par Jean Markale.
La chasse du roi Arthur est réédité en 1984, avec quelques modifications, dans un ouvrage autobiographique consacré aux liens unissant Jean Markale à la forêt de Paimpont. — MARKALE, Jean et GUÉPIN, Yves, Brocéliande : La forêt des Chevaliers de La Table Ronde, Paris, Berger-Levrault, 1984, 95 p. [pages 72-75] —
L’écriture de La chasse du roi Arthur
Pour l’écriture de ce conte, Jean Markale s’inspire des Mabinogion, contes gallois médiévaux dans lesquels Arthur chasse le sanglier Hela’r Twrch Trwyth
. — Les Mabinogion et autres romans gallois tirés du Livre rouge de Hergest et du Livre blanc de Rhydderch, Les Mabinogion et autres romans gallois tirés du Livre rouge de Hergest et du Livre blanc de Rhydderch, Vol. 1, Éd. Joseph Loth, Paris, Fontemoing, 1913, Voir en ligne. —
L’intégration de La chasse du roi Arthur à son ouvrage sur Brocéliande paru en 1984 est l’occasion pour Jean Markale de revenir sur les conditions dans lesquelles il a écrit ce conte.
Bien entendu, cette histoire, personne, en Brocéliande, ne me l’a racontée. Je l’ai inventée, si l’on peut dire, en partant de la fameuse « Chasse Sauvage » qui est un thème folklorique commun à de nombreuses régions, que ce soit la Mesnie Hellequin du nord de la France ou la Chasse Guillery du Poitou. Pourquoi ne pas croire qu’une telle chasse infernale puisse se dérouler dans la forêt de Brocéliande ? D’ailleurs, dans la légende insulaire, et probablement dans la partie de la légende qui est la plus ancienne, Arthur poursuit un sanglier démoniaque, le Twrch Twryth précisément, qui est à l’image d’une ancienne divinité zoomorphe à la fois bénéfique et maléfique. Le thème du sanglier est essentiellement celtique et se réfère à d’obscures traditions remontant semble-t-il à la Préhistoire, bien avant les druides. Alors, je n’ai aucun scrupule à imaginer Arthur et ses guerriers dans une course éperdue à travers la forêt, à la recherche de la bête mystérieuse dont nul ne peut se saisir. Les fantasmes de la nuit sont les mêmes partout, mais ils s’incarnent selon les lieux et les croyances, selon le temps et les coutumes. Le sanglier réveille les démons qui sommeillent en nous, et seul le Cerf blanc, pourtant lui aussi animal ambigu et souvent démoniaque, est capable d’apporter un peu de calme au milieu des tempêtes. C’est cela la magie de Brocéliande.

Le texte intégral de La chasse du roi Arthur
Souvent, pendant les longues nuits d’hiver, ceux qui dorment dans leurs maisons, à la lisière de la forêt, aux Forges, à Beauvais, à Folle-Pensée, au Pertuis-Nanti, sont éveillés par le bruit d’une cavalcade effrénée. Les enfants se mettent à pleurer dans leur lit et les vieillards disent pour les calmer : ce n’est rien, c’est la Chasse du Roi Arthur qui passe.
Rares sont ceux qui ont pu voir la Chasse du roi Arthur. Elle passe si vite qu’on dirait un tourbillon d’enfer. C’est le roi Arthur lui-même qui mène cette chasse, la couronne d’or brillante sur sa tête chenue, entouré de ses meilleurs chevaliers. On l’entend parfois qui crie dans le vent : Allez, mes braves ! il nous faut ce sanglier, mort ou vif !
Et tous se lancent dans les halliers de Brocéliande, au galop tonitruant de leurs coursiers. Le chien d’Arthur, Cavall, lance des aboiements stridents sur la piste du sanglier qu’on ne peut jamais atteindre, Twrch Twryth, tel est son nom. On dit même que ses soies sont semblables à des fils d’argent, à tel point qu’on peut le suivre à leur scintillement à travers bois et lande.
Lorsque la troupe rejoint le sanglier, du côté de l’étang du Pas-du-Houx, le sanglier se retourne contre ses poursuivants et en culbute quelques-uns avant de s’enfuir vers le sud, en direction du Canée. Le roi bat le rappel de ses chasseurs et les emmène vers le Canée. Mais là, toutes les nuits, Twrch Twryth bouleverse les prés et les cultures, détruit les palissades des fermes, force les portes des granges, avant de se précipiter dans la rivière de l’Aff. Alors la cavalcade s’arrête sur les rives de l’Aff. Arthur envoie quelques uns de ses compagnons jusqu’au Pont du Secret, afin de couper toute retraite à la bête, et les autres poussent de longs hurlements pour l’empêcher de revenir en arrière. Puis Arthur se jette dans la rivière et atteint toujours le sanglier qu’il essaie de percer de son épée Kaledvoulch. Mais l’animal esquive les coups et disparait sous les eaux. Les serviteurs d’Arthur se précipitent à leur tour et saisissent Twrch Twryth par les oreilles, par les pattes, par la queue, mais avec une force terrible, la bête les abat tous dans la rivière et se sauve dans les taillis, en direction du nord, par la Haute-Forêt.
La cavalcade reprend, plus acharnée que jamais. On poursuit le sanglier jusqu’à Hucheloup, mais à Hucheloup Twrch Twryth se cache dans les buissons pour reprendre haleine. C’est Cavall, le chien d’Arthur qui le déloge et lui fait reprendre sa course. On le rejoint à la fontaine de Mouillecroutte où les biches qui venaient boire s’enfuient apeurées. Là, le sanglier se désaltère et charge ses poursuivants, en fait tomber les plus audacieux avant de s’enfuir dans les landes de Lambrun, où il se terre en son repère secret.
Les chevaliers ne savent pas où a disparu Twrch Twryth. Près de la fontaine de Barenton, le vent agite sinistrement les branches dénudées des arbres. Les chevaliers épuisés par leur longue course, s’arrêtent le long du ruisseau qui sourd entre les racines d’un chêne. Et chaque fois, ils aperçoivent un spectacle étrange et surnaturel.
Dans la nuit, une lumière merveilleuse surgit on ne sait d’où tandis que le vent cesse de souffler et de gémir. Alors, venu du fond de la forêt, parait un cerf majestueux, à la robe blanche immaculée, le cou cerné d’un magnifique collier d’or fin aux reflets rouges, d’où pend une croix de vermeil. Et chose plus étonnante encore, quatre lions dont la crinière est presque rouge entourent le cerf blanc et semblent lui faire escorte pendant son errance dans la forêt.
Après avoir frôlé les chevaliers et le roi Arthur, le Cerf blanc au collier d’or va boire quelques gorgées à la fontaine de Barenton. Et, lorsqu’il a bu, il disparait dans les halliers, toujours suivi des quatre lions à la crinière rouge...
L’obscurité retombe. Le vent reprend son funèbre concert, et les chevaliers savent que, la nuit prochaine, ils reprendront cette chasse harassante à travers la forêt de Brocéliande, à la poursuite de Twrch Twryt, le sanglier aux soies d’argent, le sanglier qu’on ne peut jamais atteindre...
— MARKALE, Jean, Contes et légendes de Brocéliande, Ploërmel, Les Éditions du Ploërmelais, 1961, 48 p. [pages 29-31] —

Éléments de comparaison
L’adaptation de Jean Markale n’est pas le seul conte ou la seule légende du massif forestier de Paimpont sur le thème de la chasse fantastique. Trois contes ou légendes locales en proposent un développement.
Dans Les Pierres maudites de Tréhorenteuk, conte d’Ernest Du Laurens de la Barre publié en 1863, Gastern, seigneur mécréant de Tréhorenteuc est puni de sa passion immodérée de la chasse et transformé par volonté divine en pierre du site mégalithique du Jardin aux Moines. — DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Sous le chaume, Vannes, Caudéran, 1863. —
Le chasseur fantôme de Porcaro est une légende publiée par François Cadic (1864-1929) en 1913 dans la revue de la Paroisse bretonne de Paris. — CADIC, François, « Le chasseur fantôme de Porcaro », La Paroisse bretonne, 1913. —
Xavier de Bellevüe évoque la poursuite des curés de Beignon et d’Augan par une meute fantastique dans les landes de Coëtquidan en 1835.
Arrivés dans les landes de Coëtquidan, une meute invisible, qu’au bruit ils estimèrent composée de plus d’une centaine de chiens, se mit à les poursuivre, mêlant ses aboiements de rage aux bruits du tonnerre et du vent. Cet épouvantable concert les accompagna jusqu’à la limite de la paroisse d’Augan ; mais aussitôt qu’ils eurent pénétré sur celle de Beignon, la tempête s’apaisa, les chiens se turent.