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1863

Les pierres maudites de Tréhorenteuk

La légende du « Jardin aux Moines »

La légende des Pierres maudites de Tréhorenteuk relate l’origine du site mégalithique du « Jardin aux Moines » situé en Néant-sur-Yvel (Morbihan). Il existe deux versions de ce récit : la première publiée par Ernest du Laurens de la Barre en 1863, la seconde contée par Patrick Lebrun au début des années 1980.

1863 — Un conte d’Ernest du Laurens de la Barre

Ernest du Laurens de la Barre est l’auteur de la légende intitulée Les pierres maudites de Tréhorenteuk qui relate l’origine du site mégalithique du « Jardin aux Moines » en Néant-sur-Yvel. Cette légende est parue en 1863 dans son second recueil de contes populaires bretons, Sous le chaume —  DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Sous le chaume, Vannes, Caudéran, 1863. —, ainsi que dans la dernière de ses publications, datée de 1881. —  DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Nouveaux fantômes bretons, Paris, 1881. —

Le Jardin aux Moines

Du Laurens de la Barre ne s’est pas expliqué sur les conditions dans lesquelles il a collecté Les pierres maudites de Tréhorenteuk. Cette légende ne semble pas avoir été très présente à Tréhorenteuc car ni Sigismond Ropartz en 1861, ni Félix Bellamy en 1896, n’en ont fait mention dans leurs publications respectives sur le « Jardin aux Moines ».

Je ne sais si dans le pays on a gardé quelque tradition concernant l’origine et la destination de ce monument dit : le Jardin aux Moines ou Jardin aux Tombes. Les quelques personnes que j’ai interrogées à ce sujet n’en savaient rien. Les livres ne fournissent aucun renseignement.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 1, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. pp. 185-186

Le texte intégral des Pierres maudites de Tréhorenteuk

On remarquait jadis au milieu des landes sauvages qui s’étendent entre Kon-Koret (le val des fées) et le bourg de Tréhorenteuk, sur la lisière des bois de Néant, une petite vallée toujours fraiche, et une colline toujours verte, dont le riant aspect contrastait singulièrement avec la sombre parure des plaines d’alentour ; et pourtant, ces lieux si riants au regard, à l’heure où le soleil réjouit la nature, ces lieux arrosés par de limpides ruisseaux, étaient même alors, avant la métamorphose que nous allons raconter, soigneusement évités par les gens du pays, surtout dès que le jour commençait à décliner... C’est que les Korets (ou korredd), les fées aux cheveux d’or, alternaient, dit-on, chaque nuit, avec les Korrigans de Tréhorenteuk, pour s’y ébattre follement au clair de la lune, et malheur au chrétien imprudent qui eût surpris leur ronde nocturne.

Depuis, cet endroit est plus redouté encore : la vengeance divine paraît s’être étendue sur ce vallon, et l’avoir marqué des signes d’une malédiction éternelle. Les rochers semblent noircis et brisés par la foudre ; les herbes fanées ne reverdissent jamais ; la bruyère desséchée ne porte plus de fleurs, et l’on dirait que la lande conserve les traces d’un incendie récent.

Autrefois, non loin de ce vallon funeste, s’élevait le château du sire Gastern de Tréhorenteuk. Sans femme, sans enfant, sans chapelain, sans amis, cet homme sans foi ni loi, vivait presque seul en ce noir donjon. Il n’était entouré que de quelques soudards et valets sans peur ni principes (autant qu’il en était besoin pour guider à la chasse les grandes meutes du seigneur Gastern). Il chassait par tous temps et saisons ne craignant pas plus le soleil que la glace, le tonnerre, la pluie ou l’ouragan. Ses courses n’avaient pas de limites pour ainsi dire, ses pas ne connaissaient point d’entraves, son ardeur méprisait tous les obstacles. Aussi, quoiqu’il se fût attiré plus d’une querelle avec les seigneurs plus ou moins éloignés de ses domaines, il avait fini par être tellement redouté à dix lieues à la ronde que nul désormais n’osait s’exposer aux effets de sa colère et de sa vengeance.

En disant que le sire Gastern n’était entouré que de mécréants en son château, nous oublions qu’il avait eu longtemps auprès de lui un jeune garçon orphelin, son neveu et filleul, nommé Jéhan, lequel, pieux, doux et patient, avait su conquérir sur l’esprit farouche du baron une influence salutaire. Aussi, pendant le séjour du jeune homme au château de Tréhorenteuk faut-il reconnaitre que, sans être ni exemplaire ni chrétienne, la conduite du seigneur avait été du moins à peu près exempte de scandales affligeants. Mais malgré ses efforts, ses larmes et ses prières, jamais l’infortuné Jéhan ne réussit à ramener son oncle impie à la foi des ses pères. Pour lui, méprisant les séductions contraires, souvent mises en œuvre pour l’ébranler dans sa vertu, et voyant que ses supplications étaient vaines et tournées en plaisanteries cruelles, il cru devoir dire un jour un éternel adieu au manoir de Tréhorenteuk et alla demander asile au monastère hospitalier de Saint-Méen. Grande fut la colère du seigneur à ce brusque départ ; on dit même qu’il versa en cette circonstance les premières et les seules larmes de ses yeux, car il aimait son neveu plus qu’il ne s’en doutait lui-même en son cœur violent et acerbe.

Mais hélas ! — et c’est pourquoi, en s’éloignant, Jéhan commit, sans le savoir, une faute irréparable — le vin aidant, la chasse et les batailles ensuite, Gastern effaça bientôt de sa mémoire obscurcie l’image touchante et pure de son doux neveu. Il se livra aux désordres les plus effrénés. Il augmenta le nombre de ses valets, soudoya de nouveaux soudards et routiers mal famés, et tourmenta plus que jamais son voisinage par ses brutalités et ses rapines. On eût dit, dès lors, que le diable régnait en maitre dans le donjon de Tréhorenteuk : plus de repos, plus de sommeil pour le cruel baron. Il faut, nouveau Juif-Errant, qu’il s’agite sans cesse, qu’il marche toujours... Il ne connaît d’autre délassement que la table et l’orgie, d’autre plaisir que la chasse à outrance et les combats sans merci. Ses valets eux-mêmes n’y peuvent tenir et demandent grâce devant ce possédé du démon, qui les fait trembler. Ces mécréants reçoivent déjà la punition de leurs crimes ; celle du maitre ne tardera pas à venir, car la coupe déborde, la patience du ciel enfin lassée, l’heure de la justice va sonner.

Depuis plusieurs années, on ne connaissait plus ni dimanche ni fêtes au château de Tréhorenteuk ; aucun moine, aucun prêtre, n’eût osé s’y aventurer tant était grande la réputation d’impiété du vieux sire. Jéhan priait et pleurait en silence, dans le monastère, sur l’aveuglement et les désordres du frère de la mère ; cependant, il ne pouvait se résoudre à pénétrer dans ce repaire de crime et de scandale ; non pas qu’il tremblât pour ses jours ou pour sa pieuse vertu, mais il craignait que son oncle ne voulût, s’il tombait en son pouvoir, le retenir par tous ses moyens, même par la force et la violence.

Un soir — c’était la veille de la Toussaint —, un moine du couvent, s’étant attardé au loin pour accomplir des œuvres de son charitable ministère, vint à passer dans le pays que Gastern fréquentait dans ses excursions ordinaires de chasse ou de maraudage. En ce moment, un orage paraissait sur le point d’éclater. Le pauvre homme, tout occupé de ses prières, tomba tout à coup au milieu d’une troupe de gens armés que commandait le terrible Gastern en personne.

— Par ma barbe, dit le sire, qu’une chasse heureuse mettait en belle humeur, c’est un moine, je crois, que nous tenons. Par saint Hubert qui m’a fait tuer trois chevreuils aujourd’hui et détrousser un brave que son bagage paraissait gêner, ce qui est, je pense, une œuvre méritoire en pareille occasion. Des éclats de rires prolongés interrompirent cette harangue du sire. — Silence, manants, fit-il, et laissez-moi continuer. Je disais donc, par saint Hubert, que ce moine paiera pour tous les autres ; et que si le prieur de Saint-Méen veut le ravoir, il viendra le réclamer en personne, avec cent écus d’or par dessus le marché. Qu’en dites-vous mes amis ? — Bravo seigneur Gastern.

— Venez, venez, vénérable moine, reprit le sire avec une feinte déférence. Vous trouverez au château de Tréhorenteuk tous les égards qui vous sont dus.
— Ah ! ah ! ah ! firent tous les misérables en éclatant de rire.
Et la troupe se mit en marche, suivie par le pauvre moine, dont quelques soudards pressaient les pas trop lents à leur gré. Bientôt, le sire Gastern s’arrêta au carrefour d’un chemin. — Par ma barbe ! dit-il, j’allais oublier chose importante. Holà ! maitre Vautour, mon gentil courrier, déploie incontinent tes ailes et vole vers Saint-Méen sans retard. Si le prieur est couché, tu le réveilleras poliment, et lui offrant les respects du sire Gastern, tu lui diras que n’ayant pas de chapelain à Tréhorenteuk, je veux y garder un moine pour chanter vêpres et matines.

Et comme le Vautour s’éloignait déjà en maugréant de cette corvée inattendue, le baron ajouta ces mots : — Tu diras de plus au prieur que si avant trois jours je n’ai pas reçu cent écus d’or pour la rançon de son moine, j’irai brûler son couvent, et que le moine sera pendu. Le Vautour partit comme une flèche et se rendit à Saint-Méen, malgré le vent et la pluie, qui tombaient à torrents. Il n’arriva au monastère qu’à une heure fort avancée de la soirée. Jéhan priait dans sa cellule ; le prieur veillait en attendant le retour du moine qu’il avait sans doute chargé de quelque message ; du reste, tous, en ce saint lieu, veillaient et priaient afin de se préparer dignement à célébrer la grande fête du lendemain, lorsque le vacarme que fit le Vautour à la porte du couvent vint troubler la paix de leurs méditations. Enfin, le mécréant exposa au prieur l’objet de sa mission, en ayant soin de renchérir encore sur les ordres de son maître. Le digne moine l’entendit sans pâlir :

— Que votre volonté soit faite, ô seigneur, murmura-t-il en voyant s’éloigner le misérable envoyé de Gastern. Puis il se rendit auprès de Jehan et lui fit part de tout ce qui venait de se passer.
— J’irai trouver le baron, répondit le jeune religieux, j’irai seul à Tréhorenteuk, afin de lui arracher sa proie et de lui épargner un crime.
— Mais où trouveras-tu mon fils, la somme que réclame cet ennemi de Dieu ?
— Prions, prions, ô mon père... n’est-ce pas demain la fête de tous les saints ? Les bienheureux du ciel ne nous abandonnerons pas. J’irai à Tréhorenteuk, avec votre permission, pendant que vous célébrerez l’office des morts, et le redoutable baron ne sera plus à craindre.
— C’est Jésus, sans nul doute, qui t’inspire, ô mon fils ; qu’il soit fait ainsi que tu le demandes

Pendant cela, que se passait-il au manoir de Tréhorenteuk ? Le souper, servi dans la salle des gardes, attendait le baron, qui se mit bientôt à table, au milieu de quelques soudards favoris. On avait enfermé le prisonnier dans un réduit obscur attenant à la salle, et là, le supplice le plus cruel du serviteur de Dieu était d’ouïr les propos infâmes, les jurements horribles de ces possédés, qui se livraient à des libations sans mesure. Tantôt des querelles menaçantes semblaient devoir éclater entre ces misérables échauffés par le vin ; tantôt, d’affreuses chansons retentissaient sous les voûtes du sombre manoir. Et au-dehors, l’ouragan déchaîné paraissait lutter par sa violence avec le vacarme croissant de l’intérieur. Les éclairs, qui, pareils aux reflets de l’enfer, illuminaient par intervalles les noires murailles de la grande salle, augmentaient la joie et l’ivresse du sire.

— Holà ! s’écria-t-il, qu’on amène mon chapelain, je veux qu’il boive céans à ma santé. On alla chercher le moine, qui s’avança d’un pas ferme au milieu de la salle. Sa contenance digne et calme, sa figure vénérable, commandèrent un moment de silence. Gastern lui-même se sentit mal à l’aise ; enfin, après avoir vidé d’un seul trait une copieuse rasade, il reprit son insolence accoutumée, remplit jusqu’au bord une coupe énorme, et dit au moine immobile en face de lui : — Or çà, mon brave ermite, il faut que tu goûtes le vin de Tréhorenteuk et que tu me dises ensuite si nous ferons bonne chasse demain et après demain... surtout pour fêter les morts. Allons, sang du diable ! Boiras-tu oui ou non ?

Et comme le châtelain, exaspéré du calme que montrait sa victime, allait s’élancer, le poing fermé, sur le serviteur de Dieu, un violent coup de tonnerre ébranla le castel et cloua le possédé à sa place. Le moine, tombant à genoux, lança contre la muraille tout le vin que contenait la coupe, et l’on vit pendant quelques instants la muraille s’illuminer de reflets sanglants. — À moi Vautour ! s’écria Gastern au comble de l’effroi.

L’aube du jour pénétrait par les hautes fenêtres. Deux soudards entrèrent tout à coup dans la salle, et répondirent ainsi aux paroles du baron : — Le voilà, dirent-ils en déposant à ses pieds le corps inanimé du Vautour, qu’ils venaient de rencontrer au fond d’un ravin.

Gastern ne put se lever le jour de la Toussaint. Un feu intérieur brûlait ses entrailles. Ses valets disaient que le moine l’avait envouté et songeaient déjà à piller le château avant de l’abandonner. Cependant, ils avaient relégué le captif dans un cachot éloigné du lieu de leurs orgies, tant ils craignaient que sa présence ne vienne encore les troubler. Ils passèrent donc, ô horreur ! ils passèrent la soirée et la nuit de la Toussaint à boire, à se quereller, à se battre, sous les yeux même du baron, qui avait voulu qu’on le mît sur un lit dans la grande salle.

Mais voilà que sur les six heures du matin, le sire, en entendant sonner dans le clocher du bourg le glas des trépassés, demanda son cor de chasse et en tira soudain, de son souffle haletant, une fanfare infernale.
— Sang du diable ! s’écria-t-il en se levant d’un bond désespéré, le jour des morts ne passera pas sans que mort s’ensuive... En chasse mes maîtres, et que l’on prenne mes meilleurs limiers.
Et sur les landes de Tréhorenteuk les aboiements de la meute, les cris des soudards, les sons d’un cor sinistre répondaient au son lugubre des cloches qui, dans toutes les chapelles du voisinage, tintaient sans cesse pour les morts.

Et sur la plaine aussi s’avançait tristement un jeune moine, dont le regard, voilé par les larmes, venait de perdre de vue la troupe des méchants qui, oubliant le salut de leur âme et les prières qu’en ce jour de deuil universel chacun doit aux trépassés, poursuivaient avec fureur une pauvre biche aux abois. C’était Jéhan, le neveu du baron maudit.

— Pouvez-vous me pardonner, seigneur ? murmura le religieux en détournant ses regards. Hélas ! hélas ! tant de crimes ont mérité votre juste vengeance.
L’élévation sonnait alors dans la tour et dans l’église du bourg de Tréhorenteuk. Jéhan se jeta la face contre terre à ce moment d’immolation divine et versa des larmes abondantes. Puis il se fit au loin sur la plaine déserte un silence de mort : plus d’aboiements, plus de fanfares, rien que le bruit du vent qui gémissait en courbant les bruyères. Le moine pressa le pas dans la direction que la chasse avait prise. Hélas ! quel spectacle vint frapper ses yeux : une plaine aride et nue, une troupe d’hommes immobiles, une meute arrêtée dans sa course ; au loin seulement, une biche qui s’enfuit.

Et le baron, le terrible seigneur ? Le voilà, gisant sur la terre... Jéhan s’approche de lui, l’interpelle avec anxiété, essaie de le relever. Ô justice de Dieu ! cet homme est de pierre ; ces chasseurs, ces chiens, ces gardes, tout ici est pétrifié ; les cœurs ne battent plus dans ces poitrines de roche... et leurs âmes, leurs âmes, grand Dieu, où sont-elles ? La légende entoure de son ombre mystérieuse les pierres maudites de Tréhorenteuk. Mais, hélas ! n’est-il pas en ce temps d’autres cœurs pétrifiés, d’autres âmes glacées par l’aveuglement du siècle, et pour lesquelles le chrétien ose à peine s’adresser cette question poignante : — Ces âmes, Seigneur, où vont-elles ?

—  DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, « Les pierres maudites de Tréhorenteuk », in Sous le chaume, Vannes, Caudéran, 1863, Voir en ligne. —

La structure du conte

La légende publiée par du Laurens de la Barre est construite à partir de deux thèmes courants dans les traditions populaires bretonnes. Le premier de ces thèmes se rapproche de celui de la Chasse Arthur telle qu’elle est contée en Haute-Bretagne.

Aux environ de Rennes, Arthur était un roi du vieux temps puni pour avoir fait courir ses chiens le jour même de Pâques. Celui qui entend la meute aérienne peut la faire descendre en effectuant le signe de la croix.

WALTER, Philippe, Arthur, l’ours et le roi, Imago, 2002.

Quant à la pétrification du sieur Gastern qui vient conclure le récit, elle s’apparente aux légendes de pétrification d’êtres humains transformés en mégalithes, relativement courantes en Bretagne. Un exemple connu est celui des guerriers pétrifiés de l’alignement du Menec en Carnac. Le folkloriste Paul Sébillot remarquait en 1904 que la pétrification de chiens de chasse accompagnés de chasseurs n’était pas non plus un cas unique.

Des animaux changés en rochers sur les bords des lacs qui recouvrent des villes englouties, ou que l’on fait voir sous leurs eaux, attestent des vengeances divines. D’autres animaux, soit en compagnie d’hommes, comme les chiens de chasse de pierre de Plessé, de Guéméné-Penfao dans la Loire-Inférieure, de Tréhorenteuc, soit seuls, ont éprouvé la même métamorphose.

SÉBILLOT, Paul, Le folklore de la France. Le ciel et la terre, Vol. 1, Paris, E. Guilmoto, 1904, Voir en ligne. pp. 306-307

Rééditions Contemporaines

La légende des Pierres maudites de Tréhorenteuk a fait l’objet de deux rééditions contemporaines.

  • —  DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Nouveaux fantômes bretons, 1881, Cressé, éditions des Régionalismes, 2008, 214 p. [ pages 124-130] —

1866 — Le roman de Pauline Caro

En 1865, deux ans après la parution de la légende par Ernest du Laurens de la Barre, Pauline Caro (1828-1901) publie dans la Revue des deux Mondes, un roman intitulé Flamen. La première partie de l’action se déroule au Jardin aux Moines et met librement en scène la légende des pierres maudites de Tréhorenteuc. —  CARO, Pauline : première partie, « Flamen », Revue des deux mondes, Vol. 56, 1865, p. 273-311, Voir en ligne. —

Ce roman remarqué par Émile Zola 1 parait en 1866 chez un éditeur parisien.

ll se dirige vers le Jardin au-Moine, et c’est un lieu hanté ; chacun sait qu’il y revient. Plusieurs personnes y ont vu des animaux de figure étrange, qui disparaissaient tout à coup et reparaissaient sous une autre forme. Des chasseurs qui poursuivaient un loup se sont trouvés en face d’un moine prosterné, et en approchant ils ont vu briller au fond du capuchon les orbites vides d’un squelette. — Et mille autres histoires aussi épouvantables qui n’ébranlèrent pas ma résolution. Mes compagnons me laissèrent donc partir en me souhaitant bonne chasse, mais sans songer à me suivre, excepté Pierre pourtant, qui se déclara prêt à m’accompagner : ce garçon était un foudre de guerre. A la clarté de la lune, nous distinguions nettement les traces de Rack sur la neige, fort heureusement, car il avait disparu, et ce ne fut qu’après un bon quart d’heure de marche que nous l’aperçûmes enfin, au détour d’une roche, à quelque distance, le poil hérissé et grondant sourdement. Il était arrêté à l’entrée d’une sorte d’enceinte elliptique de vingt-cinq pas de long environ sur deux ou trois de large, qui sans doute a servi autrefois de sépulture et qu’on appelle dans le pays le Jardin-au-Moine. J’avais eu le temps à peine de distinguer, étendue contre le mur intérieur de l’enceinte, une masse noire et confuse, lorsque Pierre poussa un cri terrible : « Le moine ! c’est le moine ! » Et il s’enfuit à toutes jambes.

CARO, Pauline, Flamen, Paris, Michel Lévy Frères libraires-éditeurs, 1866, 278 p., Voir en ligne. [page 35]

1983-1988 — Deux versions Contemporaines

1983 — La version de Patrick Lebrun

Aujourd’hui, la légende publiée par du Laurens de la Barre sur la pétrification du sieur Gastern de Tréhorenteuc est le plus souvent remplacée par une version plus contemporaine, datant du début des années 1980, dont le conteur Patrick Lebrun semble être à l’origine.

La première trace écrite de cette seconde version des Pierres maudites de Tréhorenteuk est consécutive aux fouilles archéologiques de 1983 menées par Jacques Briard au « Jardin aux Moines ».

Dans le pays, on le connaissait fort bien et une légende, que Patrick Lebrun sait si bien évoquer avec son talent de conteur, s’y attachait. En deux mots, on peut simplement rappeler qu’autrefois, des moines et des seigneurs, peu en odeur de sainteté, passaient leur temps à festoyer. Saint Méen les surprit ainsi au milieu de la lande et les incita à une vie plus monacale, ce dont ils se gaussèrent. La punition divine ne fut pas longue, ils furent aussitôt changés en pierres sur le lieu même de leurs ripailles.

La version de Patrick Lebrun est la seule mentionnée dans le Topo-guide de 1996 2.

La légende ne dit pas si les pierres en quartz étaient les seigneurs et les pierres en schiste les moines ou vice-versa.

F.F.R.P., Topoguide FFRandonnée ; Brocéliande à pied, Paris, 1996. [ page 66]

Elle est désormais la version la plus utilisée par les guides touristiques et les sites internet évoquant le « Jardin aux Moines ».

1988 — La version de Jacky Ealet

L’archéologue Jacques Briard cite une autre version de la légende, elle aussi datée du début des années 1980. Cette version reprend l’essentiel des éléments du texte d’Ernest du Laurens de la Barre.

Une autre légende, plus édifiante encore, est rapportée par Jacky Ealet : celle des pierres maudites de Tréhorenteuc. Près du vallon de Néant-sur-Yvel, vivait dans un donjon sinistre le sieur Gastern de Tréhorenteuc, seigneur sans foi ni loi, entouré de soudards et de mécréants avinés. Il passait son temps à chasser, quels que fussent le temps, l’état des cultures et les bois régissant le droit de chacun. Seul son neveu Jéhan, l’incitait à plus de modération, ce dont le sieur Gastern ne se souciait point. Jéhan, désespéré, s’en alla au monastère de saint Méen pour fuir ce lieu de débauche. Un jour de Toussaint, Gastern s’en revenait de chasse avec, outres quelques biches, un pauvre moine qu’il comptait échanger au monastère contre rançon. Passant la nuit en ripaille et beuverie, il sentit soudain un feu intérieur l’envahir. Qu’importe ! Le lendemain, jour des morts, il engagea la plus sauvage des chasses à courre avec ses chiens et ses soudards. Sa trompe de chasse répondait aux cloches qui célébraient le culte des Trépassés. A la même heure, Jéhan, de retour au monastère de Méen, espérait une fois de plus ramener son oncle à la raison. Il entendait les fanfares éclatantes et les aboiements des meutes à une lieu de Tréhorenteuc ; puis brusquement se fit un grand silence. Gagnant la lande, il découvrit avec stupeur que tous les participants à la chasse avaient été transformés en roches blanches pour avoir eu un cœur de pierre. Telle serait l’origine fabuleuse du Jardin aux moines.

BRIARD, Jacques, « Mégalithes et maisons des fées », in Brocéliande ou l’obscur des forêts, La Gacilly, Artus, 1988, p. 65-72. [pages 69-70]

Bibliographie

BECKER, Colette, Les Apprentissages de Zola : Du poète romantique au romancier naturaliste, Presses Universitaires de France, 2018, 407 p. p., Voir en ligne.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 1, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

BRIARD, Jacques, « Fouilles archéologiques 1983 : L’Hôtié de Viviane à Paimpont, le Jardin aux Moines à Néant-sur-Yvel », Le Châtenay - Journal de l’Association des Amis du Moulin du Châtenay, Vol. 9, 1984, p. 13-18, Voir en ligne.

BRIARD, Jacques, « Mégalithes et maisons des fées », in Brocéliande ou l’obscur des forêts, La Gacilly, Artus, 1988, p. 65-72.

CARREFOUR DE TRÉCÉLIEN, Contes et légendes de Brocéliande, Terre de Brume, 1999.

CARO, Pauline : première partie, « Flamen », Revue des deux mondes, Vol. 56, 1865, p. 273-311, Voir en ligne.

CARO, Pauline, Flamen, Paris, Michel Lévy Frères libraires-éditeurs, 1866, 278 p., Voir en ligne.

DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Sous le chaume, Vannes, Caudéran, 1863.

DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Nouveaux fantômes bretons, Paris, 1881.

DU LAURENS DE LA BARRE, Ernest, Nouveaux fantômes bretons, 1881, Cressé, éditions des Régionalismes, 2008, 214 p.

F.F.R.P., Topoguide FFRandonnée ; Brocéliande à pied, Paris, 1996.

SÉBILLOT, Paul, Le folklore de la France. Le ciel et la terre, Vol. 1, Paris, E. Guilmoto, 1904, Voir en ligne.


↑ 1 • Dans L’Evénement du 5 juin 1866, Émile Zola écrivait à propos de Flamen.

J’aime cette forme qui permet les épanchements de la confidence.

BECKER, Colette, Les Apprentissages de Zola : Du poète romantique au romancier naturaliste, Presses Universitaires de France, 2018, 407 p. p., Voir en ligne.

↑ 2 • Les versions ultérieures du Topo-guide mentionnent les deux versions de la légende du Jardin aux Moines.—  F.F.R.P., Topoguide FFRandonnée ; Brocéliande à pied, Paris, F.F.R.P., 2003. [page 114] —