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3 - Mode de vie des charbonniers et pratique du charbonnage en forêt de Paimpont

Aperçu sur l’ancien métier de charbonnier en forêt de Paimpont

Un habitat très spécifique

Leur habitat et leurs coutumes persisteront inchangées pendant des siècles. Ils vivent, par groupe de trois ou quatre familles, voir beaucoup plus, au sein de la forêt, dans des « loges » ou « huttes » construites près d’un point d’eau, eau d’autant plus nécessaire qu’elle sert, en dehors de l’usage ordinaire, à contrôler et à éteindre les fouées. Il s’agit d’un habitat semblable à celui du Néolithique. Elles sont le plus souvent rectangulaires, parfois rondes. Pour réaliser ces dernières, une excavation d’environ 5 à 6 mètres de long et de 3 mètres de large et d’une cinquantaine de centimètres de profondeur est faite dans le sol, cernée par un petit muret de pierres et de terre. Sur cette base, sont dressées des parois faites de claies de branchages et de genêts entremêlés d’argile. Une charpente simple en V renversé, constituée de cimes branchues, faites souvent de bouleaux, couvre le tout. Le toit est recouvert de plisses, sorte de galettes de terre et d’herbe coupées au carré. A l’intérieur, courant le long des parois, des banquettes remplies de fougères, recouvertes d’herbe séchée, rarement de draps et couvertures, servent de lit. De larges planches montées sur des poteaux font une table accompagnée de bancs. Près de la porte, simple claie serrée, pivotante, sont disposés des coffres ou malles et un foyer monté sur une pierre plate servant en hiver et par mauvais temps. Sa fumée s’échappe par un trou dans le toit, trou qu’une sorte de clapet mobile peut fermer.

Dans la loge trouve aussi des rouets. Les femmes et filles des charbonniers sont en effet des filandières qui conservent pour elles seules le bénéfice de leur vente du fil. Elles ne travaillent pas à la construction des meules. Ce n’est qu’à partir du milieu du 19ème siècle, la pauvreté devenant le lot des charbonniers, que des femmes et des filles participeront aux taches des hommes. Une cuisine extérieure est installée sous un abri indépendant de la loge. À côté de celle-ci, une petite hutte abrite une barrique de cidre et les réserves d’aliments. A proximité, un enclos retient et protège des volailles.

Le métier et sa technicité

Les essences utilisées sont dans l’ordre de qualité décroissante le chêne, le frêne, le charme, le hêtre, le bouleau. Le châtaigner est peu apprécié et les bois résineux exclus. Les bois sont des bûches et rondins, nommés billette ou charbonnette, faits de petits troncs et de grosses branches coupés traditionnellement à une longueur de 83 cm et d’une section de 15 à 25 cm.

Après avoir soigneusement débarrassé le sol de toute végétation et racines pour éviter des incendies, après avoir mis de côté les « plisses de gazon », avoir creusé le sol d’environ 25 cm, et mis en réserve quantités de terre fine et humide, la construction de la meule commence. On plante un mât contre lequel est appuyée la cheminée centrale fait d’un empilement de billette disposée en triangle. Autour et à l’intérieur de celle-ci, les charbonniers disposent un lit de copeaux pour activer le feu, puis entassent soigneusement la billette faite des rondins placés debout en cercles serrés sur 2 voire 3 étages. Sur le dessus, pour arrondir le sommet de la meule, on dispose la billette en la couchant. Dans cet ensemble, on a ajouté, au fur et à mesure de sa construction, d’autres bois moins réguliers, de grosses branches et même des souches pour occuper tout l’espace et utiliser tous les matériaux utiles. Le moment est venu d’utiliser la terre préalablement mise de côté, complétée des plisses. Cette carapace permet la « cuisson » du bois à l’étouffé. La masse est constituée habituellement de 15 à 25 cordes de bois, voir plus lorsque la surveillance est faite par un charbonnier de grande expérience. La meule peut atteindre une hauteur de 2 m 70. D’habiles charbonniers auraient conduit la carbonisation de meules de 50 cordes. Ce devait être un exploit.

La fouée est allumée par le haut de la cheminée à partir de petits bois et de copeaux. Pour que le feu se diffuse bien, le charbonnier recharge la cheminée toutes les 3 heures puis tous les six heures pendant la première journée. Il ouvre des évents ou tubées à travers la couche de terre. Il juge du bon fonctionnement de la fouée à la couleur de la fumée. Pendant les premières heures s’échappe, à travers la terre, la suée, fumée grise indiquant l’évaporation de l’eau contenue dans le bois. Suit une fumée blanche qui enveloppe la meule entière. Après une journée le charbonnier vérifie le bon état du travail de la meule en montant dessus avec l’aide d’une échelle. Il exerce une pression avec une ‘’dame’’ (pièce de bois pyramidale faisant massue) ou le pied pour juger si tout se cuit bien ou si des zones sont trop actives au point de créer des chapelles, c’est à dire des cavités où le bois est entièrement brûlé. L’échelle, exceptionnellement large, diminue le risque de tomber dans une cavité brûlante. Cette foulée, le bruit des crépitements, les déformations de la courbure et les fumées sont autant de signes utiles. Ces repères permettent au charbonnier d’ajuster le tirage par la fermeture des tubées fonctionnant trop bien et par la création de prises d’air à travers la couche de terre là où le bois ne cuit pas comme il faut. Ces opérations sont à renouveler pendant les cinq à sept jours nécessaires à la carbonisation. Elle dépend des essences d’arbres et de la disposition de la billette mais tout autant de facteurs externes tels que l’hygrométrie, le vent, la température ambiante, la pluie. Si besoin, des claies de protection contre les vents violents sont établies à quelques distances de la meule. La fouée demande une surveillance permanente, jour et nuit. La période finale de la carbonisation s’annonce par une fumée bleue assez transparente. Tout au long de cette surveillance, le souci du charbonnier est d’éviter l’emballement du foyer qui brûlerait le bois au lieu de le carboniser ou une insuffisance de feu laissant le bois intact.

Malgré ces précautions, il peut arriver qu’un emballement se constitue partiellement sans être bien décelé. La meule est alors minée par une combustion excessive d’une partie du bois. La voûte s’en trouve partout fragilisée et se déforme. Il faut vite fermer les évents, rechargé en terre ici et là mais surtout agir sur la cheminée qu’il faut occulter. Pour aller la refermer, il est nécessaire de grimper sur la meule au risque de voir la voûte s’effondrer sous les pieds, échelle ou pas. On peut se retrouver les jambes dans le feu. Pour cette vérification, les charbonniers portent des sabots spéciaux très épais de façon à se prémunir des brulures. Le faible poids des plus jeunes est sensé leur faire courir moins de risques, ce qui fait qu’ils sont employés à cette tâche plus souvent qu’à leur tour.

L’ouverture de la cheminée fait courir un autre risque : une gerbe de flammes peut en sortir brutalement et brûler l’entrejambes. La nuit, la surveillance est plus facile mais plus impressionnante : de la terre qui recouvre la meule filtrent des lueurs inquiétantes ; A chaque ouverture de la cheminée, celle-ci laisse monter une colonne d’escarbilles. Imaginons la terreur de ces jeunes apprentis qui pensent marcher sur un volcan prêt à les engloutir.

Quand tout va bien, au bout de cinq à sept jours dont 48 heures continues de fumée bleue, la fouée est terminée. Sa combustion partielle a entraîné un tassement progressif très important. Pour l’arrêter, il faut étouffer complètement le feu par la fermeture des entrées de tirage.

L’extraction peut commencer après avoir retiré la carapace de terre. Le charbon parfait a une couleur bleu acier et a un son métallique clair quand on le heurte. Les méthodes alors utilisées donnent probablement un rendement légèrement supérieur à de 2 tonnes de charbon (4500 litres) pour 25 cordes de bois. La mise en sac de jute de 100 livres fait courir de nouveaux risques. La meule éventrée peut s’enflammer d’un coup au contact de l’air si la moindre flammèche a persisté discrètement. Cette extraction soulève des nuages de poussière de charbon rendant l’opération pénible et dangereuse en cas de reprise du feu. Une explosion peut se produire causée par les particules chaudes de charbon en suspension dans l’air.

En principe les charbonniers suivent simultanément trois meules : une en préparation, une en cuisson, la dernière en extraction.

En plus du charbon, ils obtiennent un sous-produit non négligeable : les cendres recueillies sous les meules sont vendues aux fabricants et blanchisseurs de draps. Elles contiennent une forte teneur en potasse qui sert au blanchiment des toiles fabriquées, entre autres, à Telhouët. Ces cendres seront utilisées jusqu’au cours du 19ème siècle.

Pour diminuer les risques entraînés par un embrasement involontaire, on a pris soin de placer des cuves d’eau à proximité des fouées. Les très jeunes garçons se voient confier une tâche bien pénible pour leurs frêles épaules : celle d’amener de l’eau de la source ou du ruisseau pour maintenir pleines les cuves dont le contenu sert à refroidir les fouées emballées ou qui s’enflamment pendant l’extraction. Des fosses, cimetières sauvages, ont été découvertes dans certaines forêts. On y a trouvé des ossements de garçons dont la colonne vertébrale était sérieusement déformée. Certains estiment que c’est ce travail de porteur d’eau, de porteur de bûches suivi de la tâche de charger les sacs de charbon dans les charrettes qui a nui à leur colonne.

Pour produire les 40 000 stères annuels souhaités par les forges de Paimpont, nous estimons qu’il a fallu exploiter environ 220 ha par an et avoir une réserve de 5 500 hectares exploitable par rotation sur 25 ans. La forêt est vaste. Les deux tiers seront consacrés à la production du charbon. Un plan d’exploitation est établi.

L’encadrement des charbonniers

Lors de la création des forges au milieu du 17ème siècle, leurs propriétaires ont fait venir de la Mayenne et de l’Orne des charbonniers réputés. Ces nouveaux-venus se sont imposés aux charbonniers déjà en place en fondant le devoir de Brécilien, association compagnonnique qu’ils contrôlent. L’établissement des liens matrimoniaux avec les filles des charbonniers locaux rend rapidement acceptable leur présence et leur autorité.

Les maîtres-charbonniers et leurs officiers-contremaîtres, élus par les compagnons du devoir, sont des personnes généralement instruites qui savent lire, écrire, compter, cuber, évaluer les coupes de bois. Ils ont pour mission de garantir l’approvisionnement des hauts-fourneaux des Forges de Paimpont. Ils sont aussi chargés d’une tâche ingrate avec l’aide des gardes-forestiers : il leur faut décourager les paysans tentés d’introduire leurs animaux sur des territoires contestés ou interdits en les menaçant, les effrayant avec leurs ‘‘houps, houps’’, annonciateurs de passages à l’acte où ils vont molester et brutaliser les indésirables. Ces nouveaux-venus, sans lien avec la population paysanne locale, sont moins susceptibles d’avoir des états d’âme pour chasser les paysans de la forêt … Des procès, favorables à ces agents musclés des propriétaires, témoignent de cette violence. Ce comportement contribuera à creuser pendant longtemps un fossé relationnel entre paysans et charbonniers.

Les maîtres-charbonniers sont chargés du repérage des coupes, du recrutement des charbonniers, de la formation des apprentis, de l’organisation des chantiers, du versement des salaires et du maintien de la sécurité et de l’ordre social des familles vivant en forêt. Les maîtres-charbonniers, bien que gagnant mieux leur vie que leurs compagnons, ne sont pas séparés socialement des charbonniers de base : ils habitent une large part de leur temps dans des loges sur leurs chantiers ; ils participent aussi au travail de carbonisation pour former les apprentis ; leurs frères et cousins sont eux-aussi sur les chantiers ; ils ont des relations d’alliance et de cousinage multiples avec les autres charbonniers. Le compagnonnage et ces alliances créent effectivement une relation solidaire forte entre tous les charbonniers pendant deux siècles et demi sur un vaste territoire englobant huit départements de l’ouest. La frontière linguistique du breton maintient à l’écart les charbonniers de Basse-Bretagne.

Certains maîtres-charbonniers ont l’œil pour repérer le charbon le plus apte à apporter un carbone pur permettant d’obtenir une fonte dépourvue de « pailles », c’est –à-dire d’impuretés pouvant la rendre cassante. Leurs conseils au pied des hauts-fourneaux sont des plus précieux pour réaliser les mélanges de minerai et de charbon comme leur capacité à repérer ce type de charbon de grande qualité lors de la mise en sac.

La rétribution des charbonniers

Les charbonniers de base sont payés de deux façons : soit au poids de charbon produit, soit au forfait sur estimation du volume de bois à carboniser.
Le paiement au poids est le moyen le plus juste de rétribuer les charbonniers mais ils ont alors l’inconvénient de n’être payés qu’à la fin du chantier et d’être astreints à faire une pesée des sacs. Certains sont tentés d’ajouter de la terre et du sable noircis, des graviers et des bois mal cuits pour augmenter le poids des sacs, ce qui ouvre de belles querelles...
Le paiement selon le volume de bois est basé sur le fait que trois cordes de bois permettent d’obtenir l’équivalent de 250 kg de charbon. En cubant le bois, on sait d’emblée combien on obtiendra de charbon. La chose est facile lorsque la carbonisation suit l’abattage et la mise en corde des rondins fait par des bûcherons. Le volume est évident et ne peut prêter à contestation. Cette pratique permet d’établir d’emblée le prix du travail et d’envisager des avances en cours d’exécution du chantier. Cela évite la fastidieuse pesée des sacs et protège de la tentation ‘’d’alourdir’’ le charbon mais pas celui de raccourcir la cuisson et de dissimuler des sacs… On comprend tout l’intérêt que les maîtres-charbonniers, trouve à avoir, parmi les charbonniers, des membres de leur famille pour contrôler la bonne qualité de la production des équipes.

Les maîtres-charbonniers ont recours aussi à des bûcherons lorsque les besoins pressent. Cela permet de recentrer le temps de travail des charbonniers sur leur seule spécialité, l’art de la carbonisation.

Après la disparition du compagnonnage au tout début des années 1790, les méthodes de production resteront inchangées jusqu’à l’apparition, vers 1930, des premiers fours métalliques à braisettes. Ces fours permettent de valoriser des bois de faible diamètre, d’en contrôler aisément la cuisson dans une enceinte fermée où l’air n’entre que par de petits volets facile à magner. Auparavant ces petits bois, trop inflammables, ne pouvaient être utilisés dans les meules mais l’avantage des fours est limité par le faible volume de bois qu’ils peuvent contenir qui est de l’ordre de deux stères. Aussi les meules traditionnelles permettant de cuire 15 à 20 cordes, soit 45 à 60 stères de gros bois, conservent leur place qui reste essentielle.

Joseph Boulé 2016