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Le Val sans Retour

Une implantation du 19e siècle

Le Val aux Faux Amants ou « Val sans Retour » trouve son origine dans la littérature de la première moitié du 13e siècle. Son implantation en forêt de Paimpont en 1824 est due à Blanchard de la Musse. Elle fait suite à la « découverte » du « Tombeau de Merlin » par Jean-Côme-Damien Poignand en 1820. Les deux amis localisent le « Val sans Retour » à proximité du tombeau, dans le vallon où coule le ruisseau du Pont Dom Jean. Ce premier « Val sans Retour » coexiste à partir de 1843 avec une seconde localisation dans la vallée de Gurvant ou de Rauco, près de Tréhorenteuc. En 1896, les recherches de Félix Bellamy établissent définitivement le « Val sans Retour » près de Tréhorenteuc.

Le « Val sans Retour » trouve son origine dans une œuvre littéraire du 13e siècle, le Lancelot propre. Cet épisode ne se déroule pas en forêt de Brocéliande, ni même en petite Bretagne. Tous les lieux cités sont imaginaires. Il faut attendre le début du 19e siècle pour que le Val sans Retour soit réinterprété par Creuzé de Lesser en forêt de Brocéliande.

Creuzé de Lesser, initiateur d’un renouveau du légendaire au 19e siècle

En 1812, Creuzé de Lesser (1771-1839) s’inspire du légendaire arthurien du 13e siècle pour écrire La Table Ronde, premier volet d’une trilogie.

Auguste Creuzé de Lesser est l’auteur d’une ambitieuse Chevalerie, ensemble composé de trois vastes poèmes épiques censés épuiser la matière héroïque médiévale et qui eurent leur heure de gloire à la fin de l’Empire et au début de la Restauration.

WEBER, Tatiana, « La chevalerie selon Auguste Creuzé de Lesser. La réécriture de l’épopée médiévale à l’aube du romantisme », in Palimpsestes épiques : réécritures et interférences génériques, Paris, Presses Paris Sorbonne, 2006, Voir en ligne. p. 147

Dans la préface de La Table Ronde, Creuzé de Lesser s’appuie sur l’opinion de savants qui situent Brocéliande près de Quintin et non en forêt de Paimpont.

Ces savants conviennent que ces romans nous sont en effet arrivés d’Angleterre ; mais ils croient qu’ils y étaient venus de Bretagne, province qui, dans ces siècles barbares, avait souvent plus de rapports avec l’Angleterre qu’avec le reste de la France, et qui d’ailleurs, dans ces récits, adoptait les idées anglaises sur la Table ronde, le saint Gréal, et Merlin. Ils pensent même que quelques unes de ces idées peuvent y être nées. Ils répètent à cette occasion que le roman du Brut, le père de tous les romans de la Table ronde, est donné, par Geoffroy de Montmouth, comme traduit du bas-breton. Ils remarquent que c’est en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande, près Quintin, que Merlin était censé être enseveli.

CREUZÉ DE LESSER, Augustin François, La Table ronde, Rééd. 1829, Paris, Amable Gobin et Cie éditeurs, 1811, Voir en ligne. p. 18

Son attrait pour la chevalerie romanesque l’amène, dans le chant neuvième de son ouvrage, à réécrire les aventures du chevalier Méliadus 1, d’Artus et de Merlin, qu’il situe en petite Bretagne, dans la forêt de Brocéliande, au Val sans Retour :

Méliadus cependant en eut une
Que je veux dire, et qui n’est pas commune.
De tous côtés ce prince ayant en vain,
Selon le vœu d’Artus, cherché Merlin,
Vit en Bretagne, et non pas dans la grande,
Dans la forêt dite Brocéliande,
Certain poteau qui, retenant les pas,
Au voyageur, disait : Ne passez pas.
Ne passez pas ! Son écuyer fidèle,
Interrogé sans retard sur ce point,
Dit : Voyez-vous ce vallon ? on l’appelle
Val sans retour : car on n’en revient point.
Détournons-nous ; cette route est mortelle.
Me détourner ! répond Méliadus ;
Plutôt mourir ! Toi, je l’ordonne, reste ;
Reste en ce lieu. Si je n’en reviens plus,
Cours à mon fils dire mon sort funeste.
Du Léonais qu’il devienne le roi !

Creuzé de Lesser Augustin François (1812) op. cit., p. 175

Le Val sans Retour est implanté en forêt de Paimpont

Le Val sans Retour chez les fondateurs du « Lycée Armoricain »

Camille Mellinet, Blanchard de la Musse, Edouard Richer et Ludovic Chapplain sont les principaux fondateurs du Lycée Armoricain (revue mensuelle, 1823-1831). Ils considèrent que les récits de Creuzé de Lesser, situant le Val sans Retour en forêt de Brocéliande, correspondent à une réalité.

Un texte d’Édouard Richer, paru dans le premier numéro du Lycée Armoricain, reprend les poèmes de Creuzé de Lesser.

Ne savez-vous pas que c’est dans notre patrie que se trouvent la fontaine de Baranton, la forêt de Brocéliande et le Val-sans-Retour ? [...] Le bon roi Méliadus s’y était aventuré et avait disparu. Son écuyer alla crier vengeance. Tous les chevaliers entrent l’un après l’autre dans ce Val dont aucun ne revient.

RICHER, Edouard, « A Monsieur l’éditeur du Lycée Armoricain », Le Lycée Armoricain, Vol. 1, 1823, p. (28), Voir en ligne. p. 178

Blanchard de la Musse introduit le Val sans Retour en forêt de Paimpont

Blanchard de la Musse, dans un article du Lycée Armoricain de 1824, se sert lui aussi des écrits de Creuzé de Lesser pour introduire un « Val sans Retour » en forêt de « Brécilien ». Cette idée lui vient après sa rencontre avec Jean Côme Damien Poignand, un « antiquaire » de Montfort avec lequel il travaille.

[...] j’ai invité un antiquaire, qui depuis sa jeunesse explore Montfort et ses environs, à surveiller, à diriger mon travail. Je ne puis que me louer de son empressement à me procurer, sur les lieux, tous les renseignements nécessaires pour remplir mon but. Nous nous sommes peu quittés depuis dix mois [...]

BLANCHARD DE LA MUSSE, François-Gabriel-Ursin, « Aperçu de la ville de Montfort-sur-le-Meu, vulgairement appelée Montfort-la-Canne », Le Lycée Armoricain, Vol. 4, 1824, p. 300-313, Voir en ligne. p. 300

Jean-Côme-Damien Poignand est connu pour ses écrits parus en 1820, dans lesquels il fait part de la découverte, au nord de la forêt de Paimpont, près de Saint-Malon-sur-Mel, de deux mégalithes qu’il identifie comme les tombeaux de Merlin et de Viviane (il s’agit en réalité des vestiges d’allées couvertes datant du Néolithique).

[...] j’ai cru reconnaître le tombeau de Merlin, et celui de son épouse, proche l’abbaye de Tel’hoët, au bord de la forêt de Brécilien. Ils ont été abattus depuis environ vingt ans par le peuple, pour y chercher des trésors ; mais les débris se voient encore sur le lieu, dans un endroit appelé les Landaïls, commune de Saint-Mâlon.

POIGNAND, Jean Côme Damien, Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul par Dinan et au retour par Jugon, Rennes, Duchesne, 1820, Voir en ligne. pp. 140-141

S’inspirant habilement de la poésie de Creuzé et de la découverte de Poignand, Blanchard de la Musse localise un « Val sans Retour » dans le prolongement des sépultures de Merlin et de Viviane (bien qu’il n’existe qu’un seul mégalithe). Blanchard précise :

La petite rivière affluente dans cet endroit se nommait Mell-aon, rivière du Mell, c’est-à-dire du Gymnaste. Elle est rendue célèbre dans le chant 9e du poème de la Table Ronde, sous le nom allégorique du vieux Meliadus, qu’il faut suivre le long du Val-sans-Retour, jusque vers sa source dans la forêt de Brécilien, pour trouver les deux tombeaux de Merlin et de son épouse Viviane, […] laquelle va se perdre dans le lac du Pont des Géans, aujourd’hui étang du Pont Domjan, d’où l’on arrive, comme Lancelot, par une forêt très épaisse, au très beau pavillon qu’habitait la fée Morgain, sœur du roi Artur, c’est-à-dire au château de Compere, qui est encore maintenant ombragé par beaucoup de sapins.

Blanchard de la Musse François-Gabriel-Ursin (1824) op. cit., p. 303

La rivière de Mell dans le texte de Blanchard de la Musse

Blanchard donne le nom de Mell-Aon à un affluent du Meu. Sa description du lieu permet de l’identifier au ruisseau du Pont Dom Jean qui coule en contrebas du Tombeau de Merlin. Ce ruisseau relie les deux étangs du Pont Dom Jean et de la Marette, se jetant ensuite dans la rivière du Meu. Entre les deux s’étend le « Val sans Retour » voulu par Blanchard.

Le ruisseau du Pont Dom Jean
Fond OpenStreetMap

L’appellation « Mell » qu’il attribue à l’ensemble du ruisseau n’existe pas à notre connaissance 2. S’appuyant sur les notes de Poignand, Félix Bellamy propose une localisation du Mel 3.

Quant au ruisseau, il se nomme la rivière de Mell (Poignand). Après s’être réuni, près d’un lieu nommé Trémel, en aval, au ruisseau de Comper, il se jette dans le Meu un peu au dessus du château de la Chasse en Iffendic – D’autre part, il prend son origine à l’étang du Pont DomJean. A cause de son origine, notre ruisseau est plus connu sous le nom de rivière du Pont DomJean que sous celui de rivière de Mell

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. p. 648

Le nom que Blanchard donne au ruisseau s’appuie à la fois sur les poèmes de Creuzé de Lesser et sur des éléments toponymiques et étymologiques. Il semble reprendre la tradition qui faisait de Maelmon le saint patron de la paroisse de Saint-Malon 4.

Blanchard emprunte au saint la graphie Maël prononcé « mel » à laquelle il ajoute « aon » signifiant « rivière » en celtique 5. Ainsi Mell-Aon devient la rivière de Mell qu’il traduit comme étant celle du Gymnaste. Veut-il lui donner le sens de « rivière du lutteur ou du combattant » ? Il ajoute enfin que le Mell : est rendu célèbre dans le chant neuvième de la Table Ronde sous le nom allégorique du Vieux Méliadus. La proximité entre les deux noms lui semble suffisante pour affirmer une origine commune. Ses interprétations laissent pour le moins perplexe !

Blanchard transpose les textes de Creuzé dans la géographie de Paimpont

Outre la correspondance entre les noms de Méliadus et de rivière de Mell, Blanchard va trouver dans le chant neuvième de La Table Ronde d’autres indices lui inspirant cette nouvelle localisation du Val.

C’était un lac profond, sinistre, affreux,
Qui, pour passage, aux pieds aventureux
Ne présentait rien qu’une planche étroite ;
Elle était longue, et, de l’autre côté,
Deux fiers géants gardaient l’extrémité.

Creuzé de Lesser Augustin François (1812) op. cit., p. 176

Ce passage permet à Blanchard de voir dans l’étang du Pont Dom Jean le lac où Méliadus affronte des géants sur un pont : en remontant cette rivière du Mell, laquelle va se perdre dans le lac du Pont des Géans, aujourd’hui étang du Pont DomJean.

Lancelot enfin affronte de redoutables chevaliers dans le beau pavillon de Morgain.

De ce péril délivré, non sans joie,
Lancelot voit un très beau pavillon
Dont, tout en feu, le superbe perron
Ne laisse aux pas rien qu’une étroite voie.
[...]
Mais Lancelot, plein d’une ardeur extrême,
L’a poursuivi dans le pavillon même.
Là que voit-il ? Ciel ! De ses yeux émus
Il reconnaît Morgain, la sœur d’Artus.

Creuzé de Lesser Augustin François (1812) op. cit., pp. 179-180

Blanchard, tout à sa logique de transposition du texte de Creuzé dans la géographie de la forêt de Paimpont, assimile le beau pavillon de la fée Morgain au château de Comper. Ainsi peut-il conclure :

Il est vraiment curieux, en explorant ce terrain aujourd’hui, d’y retrouver aussi parfaitement l’explication de tout ce joli épisode allégorique.

Blanchard de la Musse François-Gabriel-Ursin (1824) op. cit., p. 303

Une nouvelle localisation du Val sans Retour près de Tréhorenteuc

Dans les décennies qui suivent la localisation d’un Val sans Retour dans le vallon du Pont Dom Jean, un désaccord intervient sur son emplacement. En 1843, un autre Val sans Retour apparaît pour la première fois : ce lieu, cité dans le dictionnaire d’Ogée-Marteville, est la vallée de Gurvant ou de Rauco, près de Tréhorenteuc.

Le territoire de Tréhorenteuc est coupé de vallons et de coteaux qui en font un véritable labyrinthe. Situé à l’extrémité sud-ouest de la forêt de Paimpont, peut-être inspirera-t-il aux poètes l’idée du « Val sans Retour ».

OGÉE, Jean-Baptiste, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, dédié à la nation bretonne : M-Z, Vol. 2, Réédition par A. Marteville et P. Varin, 1853, Rennes, Deniel, succ. Molliex Libraire-Editeur, 1780, Voir en ligne. p. 930
Le Val sans Retour
Alain Bellido

En 1847, Cayot-Delandre ne cite plus que la vallée encaissée de Gurvant près de Tréhorenteuc comme étant celle du « Val sans Retour » —  CAYOT-DELANDRE, François-Marie, Le Morbihan, son histoire et ses monuments, Vannes, A. Caudéran, libraire éditeur, 1847, Voir en ligne. —.

Cette nouvelle localisation nous éloigne de l’approche de Blanchard de la Musse, construisant sa représentation du « Val sans Retour » à partir d’une référence légendaire réécrite par Creuzé de Lesser au tout début du 19e siècle. La vallée de Gurvant est apparemment choisie pour son aspect paysager avec ses multiples vallons qui forment un labyrinthe, ce qui justifie pleinement la notion « sans Retour » : un Val dont on ne revient pas 6.

Carte du Val sans retour
Fond Geoportail

Marcel Calvez résume ainsi cette évolution.

Une première localisation le place en effet dans le Val de la Marette au nord-est de la forêt dans les années 1820 (Blanchard de la Musse, 1824). Mais ce site est oublié dans les décennies suivantes alors que l’identification de Paimpont à Brocéliande s’affirme. Ainsi on ne le retrouve pas dans l’ouvrage de Baron du Taya (1839) qui mentionne des lieux comme la fontaine de Barenton exhumés à partir de l’identification légendaire de la forêt. Entre temps, la construction d’une forge dans la vallée, en plein essor de la métallurgie locale, rompt les correspondances entre les lieux et les significations légendaires.

CALVEZ, Marcel, « Les lieux comme mémoire des représentations collectives. », in La Mémoire sociale. Identités et représentations sociales, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 213-221, Voir en ligne. pp. 213-221

Marcel Calvez cite Fouquet qui tient ces propos sur le vallon du Pont Dom Jean en 1854.

en place de tours enchantées, [… le visiteur] trouvera une usine métallurgique dans laquelle le minerai se transforme non plus sous la baguette d’une fée, mais sous le souffle de puissantes machines […] que l’industrie, fée de nos jours, fait marcher à son gré 7.

FOUQUET, Alfred, Guide des touristes et des archéologues dans le Morbihan, Vannes, Libraire-Editeur A. Cauderan, 1854, Voir en ligne.

En 1868 paraît un premier guide touristique consacré à la forêt de Paimpont, sous le titre « Brocéliande en deux journées ». Dans les sites à visiter, Du Bois de Pacé évoque le Tombeau de Merlin près de Saint-Malon-sur-Mel : il traverse le vallon du moulin de la Marette. —  DU BOIS DE PACÉ, Brocéliande en deux journées, Guide du touriste à la forêt de Paimpont, Rennes, Typographie Alphonse Leroy fils, 1868. [page 26] — sans évoquer un « Val sans Retour » à cet emplacement. Il place le « Val sans Retour » près de Tréhorenteuc, reprenant la raison qu’il juge

sans contredit la plus naturelle… [...] Parce qu’à raison de ses détours, une fois qu’on y est rentré il est difficile d’en sortir.

Pour appuyer l’idée que le « Val sans Retour » est bien le labyrinthe d’où l’on ne revient pas, Du Bois de Pacé se sert de légendes populaires pour les adapter à cette nouvelle localisation près de Tréhorenteuc. Ainsi, il évoque l’enserrement de Merlin que certains imaginent dans le Val.

[...] parce que Merlin, toujours soumis aux enchantements de Viviane, n’a encore pu parvenir à s’évader de cette prison, gracieuse du reste.

Une autre évocation répandue concernant le nom de Val-sans-Retour à cet endroit

[...] viendrait de ce que jadis tout amant volage qui s’y aventurait était sûr de ne plus pouvoir retrouver son chemin.

L’auteur du guide conclut par ces lignes :

[...] Cela n’empêchera pas le Val sans retour, dépouillé de son merveilleux, d’être un charmant vallon [...] rempli d’une végétation luxuriante, et surplombé par des rochers aux formes tourmentées et fantastiques.

Du Bois de Pacé (1868) op. cit., p. 36

Le choix décisif de Félix Bellamy

Durant plusieurs décennies, les deux « Val sans Retour » vont coexister, puis le vallon du Pont Dom Jean va progressivement tomber dans l’oubli. Cependant, il faut attendre les écrits de Félix Bellamy pour voir s’affirmer la réputation du nouveau Val. Lors de la rédaction de son premier tome, il parle du vallon du Pont Dom Jean au passé et prend clairement position.

[...] on a prétendu que le val sans retour ne pouvait être qu’un petit vallon à peu près droit en effet, qu’on trouve à la marge de la forêt de Brécilien du côté de Saint Malon [...] Cette opinion n’a pas eu de succès, et le val arrosé par le Mell ou ruisseau du Pont Dom Jean n’a point supplanté la vallée de Rauco dans son titre de Val sans Retour.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 1, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. p. 194
La vallée de Rauco (Val sans retour)
Photo prise par Félix Bellamy (1896)

On peut penser que, lorsque Bellamy écrit ces lignes, il ne s’est pas encore rendu sur les lieux. Sinon, il n’aurait pas manqué de faire part de l’usine métallurgique observée par Fouquet en 1854.

En 1889, Bellamy se rend au Tombeau de Merlin ; à cette occasion il parcourt le Vallon du Pont Dom Jean.

[...] et bientôt nous entrons dans une vallée assez sauvage, resserrée entre deux collines d’âpres rochers aux reflets rougeâtres. Ce vallon désert arrosé par une eau vive et claire, ce site rustique et pittoresque est digne par son charme d’être un lieu–faée ; bien sûr il fut autrefois hanté par les fées de Bréchéliant.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 648

Il fait part cette fois-ci de l’usine métallurgique, mais celle-ci est ruinée.

[...] nous rencontrons à notre gauche une cheminée d’usine et des bâtiments délabrés, vestiges d’une industrie chimique délaissée, et qui choquent en ce lieu désert agreste et primitif.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 648
Ruines de l’usine chimique dans le Val de la Marette
Carte postale ancien Mary Rousselière n°3060 Paimpont

Comme tous les érudits du 19e siècle, Bellamy est persuadé que Merlin et Arthur sont des personnages historiques. Même s’il considère que l’actuelle forêt de Paimpont est la Brocéliande antique, il s’efforce néanmoins de faire la part des choses entre une vérité historique et les légendes issues de l’imagination des romanciers médiévaux. Il pense que ces légendes ont pour cadre des lieux réels : la forêt de Paimpont et le Val de Gurvant, dont ces romanciers se seraient inspirés.

Si la forêt de l’Hermitage est appelée parfois Brocéliande de Quintin, c’est pour la distinguer d’une autre qui s’appelle Brocéliande tout court, et qui n’a pas besoin d’autre désignation pour se faire connaître, parce qu’elle est la vraie et la seule Brocéliande : c’est la forêt de Paimpont. Celle-ci, d’ailleurs, à l’exclusion de toute autre, a hérité du nom de Brécilien, l’une des transformations que, dans la suite des temps, a subi le nom de Bréchéliant.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p.16

Pour lui, si la forêt de Paimpont est bien Brocéliande, alors le Val sans Retour doit s’y trouver, et cette dénomination s’applique parfaitement à la vallée de Gurvant ou de Rauco.

Tout ce territoire est extrêmement tourmenté. Les vallons succèdent aux vallons, les rochers, les collines s’entrecroisent et forment une sorte de labyrinthe qui complique singulièrement la marche. Les pentes sont ardues, la forêt, les buissons, les broussailles forment des obstacles que l’on ne franchit pas sans peine. C’est tout cela sans doute qui a donné lieu à cette fable de Val sans Retour dont il est souvent parlé dans les Romans de la Table-Ronde.

Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 1, p. 193

Bellamy a la conviction que c’est bien ce lieu qui a inspiré l’auteur anonyme du 13e siècle pour écrire l’épisode du Val sans Retour dans le Lancelot en prose.

Les développements que Bellamy consacre au Val sans Retour contribuent à ancrer la légende arthurienne dans la vallée de Gurvant qui devient définitivement le fief de Morgain (Morgue, Morgane). — Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 1, pp. 207-232 —

L’abbé Gillard réinvente le « Val sans Retour »

Dès son arrivée à Tréhorenteuc en 1942, le nouveau recteur, l’abbé Gillard s’intéresse vivement aux légendes de la Table Ronde. L’année suivante, il les fait entrer dans son église en mettant en correspondance deux vitraux dont l’un représente le Christ et la Cène et l’autre le Graal et la Table Ronde. Dès lors l’intérêt se déplace des lieux légendaires à l’église qu’il a restaurée. — Calvez Marcel (1984) op. cit., p. 106 —

À partir de 1945, l’abbé fait réaliser un chemin de croix où il est aisé de reconnaître les paysages du Val. À la IXe station, Jésus tombe avec sa croix pour la troisième fois, au pied de la voluptueuse fée Morgane.

Dans sa première brochure consacrée au Val sans Retour parue en 1945, il déclare :

C’est cette légende qui, jointe au caractère pittoresque du pays, attire chaque année au Val sans Retour des milliers d’étrangers. Il en vient de toutes les situations sociales, même des académiciens et il en arrive de tous les coins du globe.

GILLARD, abbé Henri, Le Val sans Retour, Editions du Val, 1945, 4 p., Voir en ligne.

En 1947, l’abbé Gillard fait réaliser quatre tableaux interprétant divers épisodes légendaires. Un de ceux-ci représente une scène où Lancelot délivre les chevaliers prisonniers du Val.

Lancelot et Morgane se défient, entourés des chevaliers prisonniers qui vivent leur songe doré, hors du temps... et le ciel est plein des terrifiants prodiges de l’enchanteresse.

GLOT, Claudine, « L’église de l’abbé Gillard », in Topoguide FFRandonnée ; Brocéliande à pied, Paris, FFRP, 2003. [page 121]

En juillet 1951, la « Confrérie des Druides, Bardes et Ovates de Bretagne » organise sa Gorsedd (assemblée) à Tréhorenteuc et au Val sans Retour avec la participation de l’abbé Gillard.

Sur les hauteurs du Rauco, en amont du premier étang, sur une parcelle récemment déboisée, un cromlec’h en schiste est dressé. Après une messe à l’église de Tréhorenteuc, les postulants à l’état de druide sont conduits à la vallée dans des charrettes tirées par des bœufs. Le public est admis à assister à la cérémonie sur les landes de Gautro, de l’autre côté de la vallée. [...] Cette cérémonie constitue un aboutissement de l’organisation des lieux légendaires : elle consacre la mise en valeur ancienne (Le Val Sans Retour) et la nouvelle (L‘église), et elle les inscrit dans une commémoration de la Bretagne Celtique (la Nature de la Bretagne.) […] Organisée autour des références celtiques fondatrices, la cérémonie druidique reproduit en acte le mode d’existence du Val Sans Retour.

Calvez Marcel (1984) op. cit., pp. 108-109

L’abbé publie plusieurs opuscules dans lesquels il fait part de ses investigations sur le symbolisme de Tréhorenteuc et du Val sans Retour. Dans un de ces textes - daté de 1943 - il introduit Merlin dans le Val.

Il est parcouru par un ruisseau et il renfermait autrefois quatre étangs successifs. L’eau du ruisseau rendit la raison à Merlin devenu fou par la suite de la mort du roi Arthur et de la défaite des bretons. Ce recouvrement des facultés lui permit de composer, dans la forêt en face, des prophéties aussi célèbres que celles de Nostradamus ou celles dites de sainte Odile.

GILLARD, abbé Henri et ROUXEL, abbé, Documents inédits "in memoriam", Vol. 20, Josselin, Abbé Rouxel, 1987, 63 p., (« Œuvres complètes : le recteur de Tréhorenteuc »). [page 52]

L’abbé Gillard ne respecte guère les récits littéraires et arrange les textes à sa convenance. On vient le visiter et l’écouter de partout y compris dans les milieux les plus intellectuels.

La valeur du site est également reconnue par la Société internationale arthurienne qui tient son quatrième congrès international à Rennes en 1954. Les congressistes vont écouter l’abbé Gillard dans son église et visiter le Val sans retour, contribuant ainsi à lui donner un label légendaire.

CALVEZ, Marcel, « Druides, fées et chevaliers dans la forêt de Brocéliande. De l’invention de la topographie légendaire de la forêt de Paimpont à ses recompositions contemporaines », Saint-Dié-des-Vosges, 2010, Voir en ligne. p. 12

Dépourvu de rigueur, l’abbé Gillard rassemble des fragments légendaires ou prétendument historiques pour les adapter au service de sa passion. Fréquemment, après une explication de son église, il part guider les visiteurs dans le Val sans Retour, martelant des révélations sur le mode de l’affirmation impérieuse, proche de l’imprécation. Son charisme contribue à faire du Val le site le plus fréquenté de la forêt.

Impact sur le développement touristique

Entre 1955 et 1957, d’importants incendies contribuent paradoxalement à la réputation du Val, entrainant une augmentation de la fréquentation touristique. Des parkings donnant accès au Val sont alors aménagés pour répondre à l’afflux des visiteurs.

La dynamique initiée par l’abbé Gillard conduit les élus du Morbihan à envisager un développement touristique du lieu. Une Association touristique des pays de la Table Ronde voit le jour en 1963, suivie cinq ans plus tard par la création du Syndicat d’initiative de Mauron, avec la participation de l’abbé Gillard.

En 1972, le conseiller général d’Ille-et-Vilaine, maire de Paimpont, crée l’Office touristique de Brocéliande. Divers aménagements permettent d’obtenir le label de « Station verte de Vacances » en 1980. — Calvez Marcel (1984) op. cit., p. 116-117 —

En septembre 1979, l’Association de Sauvegarde du Val Sans Retour et de son environnement (ASVB) est créée. Elle s’inscrit dans un plan départemental de développement économique de l’intérieur du Morbihan par le tourisme. Le Val sans Retour en Paimpont et la chapelle Saint-Jean en Campénéac, sites privés, sont choisis pour être valorisés. Le propriétaire de la chapelle s’opposant au projet, le travail de l’association va se limiter au Val sans Retour.

Suite aux incendies de 1976, elle entreprend le reboisement du Val et des landes alentour. L’entrée du Val par le Moulin de la Vallée et l’étang du « Miroir au Fées » est réaménagée à partir de 1981.

L’association initie et encourage des évènements culturels. S’inspirant de l’imaginaire arthurien, Jean Markale réalise une pièce de théâtre sur l’étang du « Miroir aux Fées » en 1983. Critiquée par certains, elle ne connaît pas le succès escompté.

Dans un but de prévention contre les incendies, l’association réalise en 1988 la remise en eaux de l’étang supérieur dans le Val. Un nouveau parc de stationnement voit le jour à partir de 1987.

Val sans retour : l’étang supérieur

En septembre 1990, un nouvel incendie ravage le Val sans Retour et son environnement. L’ASVB entreprend la restauration des zones sinistrées. Les opérations de reboisement sont réalisées sous le contrôle scientifique de la Station Biologique de Paimpont (Université de Rennes 1). Des milliers de bénévoles participent à la plantation de plus de 30 000 arbres.

À l’occasion de l’inauguration de l’Arbre d’or, symbole du renouveau de la forêt le 10 août 1991, près de la digue de l’étang du « Miroir aux Fées », l’ASVB rappelle que la forêt est fragile et qu’il faut la respecter.


Bibliographie

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 1, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

BLANCHARD DE LA MUSSE, François-Gabriel-Ursin, « Aperçu de la ville de Montfort-sur-le-Meu, vulgairement appelée Montfort-la-Canne », Le Lycée Armoricain, Vol. 4, 1824, p. 300-313, Voir en ligne.

CABARET, Michel, Le Val sans Retour : Étude et propositions de gestion des ressources naturelles, Mémoire de Maîtrise MST AMVR, Université de Rennes 1, 1982, 97 p.

CALVEZ, Marcel, Usages productifs, usages touristiques et aménagement d’un territoire, le Val sans retour (1820-1984), Thèse pour le Doctorat de Troisième Cycle en Sociologie, Université de Paris X-Nanterre, 1984.

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↑ 1 • Meliadus est un personnage issu du Tristan en prose (1215-1235). Meliadus, roi de Leonois, épouse Elyabel, la sœur du roi Marc de Cornouailles. Un jour, Meliadus ne revient pas de la chasse, ayant été ensorcelé par une fée qui l’aimait. Elyabel, qui était enceinte, va le chercher dans la forêt avec une demoiselle. Elle rencontre Merlin qui lui dit qu’elle ne reverra jamais son mari. Frappée de douleur, elle accouche d’un fils dans la forêt et meurt après l’avoir nommé Tristan à cause de sa tristesse.

↑ 2 • Aucune trace d’un ruisseau appelé « Mel » n’apparaît sur le cadastre napoléonien de 1823. C’est probablement l’influence du texte de Blanchard qui a conduit le conseil municipal de Saint-Malon, par décret du président de la République du 19 janvier 1927, à ajouter l’appellation « sur-Mel » au nom de la commune.

↑ 3 • Une autre localisation du Mel apparaît sur un manuscrit daté de 1941. Francis Rigourd, instituteur à Saint-Malon, le désigne comme étant la rivière issue de la confluence des ruisseaux de Comper et du Pont Dom Jean, indiquant que peu d’habitants connaissent son nom. D’autres, enfin, le voient dans le tronçon du ruisseau du Pont Dom Jean allant de l’étang de la Marette au ruisseau de Comper.

↑ 4 • Selon Bernard Tanguy, chargé de recherche au CNRS, La graphie -eau peut s’expliquer, soit par une métathèse de mael en meal, soit, plutôt, par une réduction de mael en mel. Bernard Tanguy tend à démontrer que Saint-Mealmon désignerait plutôt Saint-M’Hervon qui relevait de la seigneurie de Montauban. —  TANGUY, Bernard, « Lanmaelmon : Saint-Malon ou Saint-M’Hervon ? », Société archéologique du Finistère, Vol. 127, 1998, p. 255-258. —

↑ 5 • Le Mémoire sur la langue Celtique de Jean-Baptiste Bullet publié en 1754 indique « aon » comme une des écritures possibles de « rivière » en celtique.

↑ 6 • 

L’aspect paysager est déterminant ; c’est lui qui rend la nouvelle représentation vraisemblable et qui peut accréditer l’idée d’une vallée de laquelle on ne revient pas. Parmi tous les lieux possibles autour de la forêt, la vallée de Gurvant, près de Tréhorenteuc, se prête le mieux à la localisation.

CALVEZ, Marcel, « L’invention du Val sans Retour. Genèse de perspectives paysagères », in Du folklore à l’ethnologie en Bretagne, Edition Beltan, 1989, p. 43-51. [page 44]

↑ 7 • Cette usine consommait 2500 cordes de bois par an et occupait 15 ouvriers. —  LEVESQUE, Jérôme, Les Levesque de la fin du XVIIe siècle à nos jours, Les Forges de Lanouée, 2004. [page 116] —