1180-1230
Breselianda dans le Jaufré
Un roman arthurien de langue occitane
Breselianda, forme occitane de Brocéliande est mentionnée dans l’introduction du roman de Jaufré à la fin du 12e siècle
Jaufré : un roman anonyme en langue d’oc
Le Roman de Jaufré — ANONYME, Jaufre, Ed. 2000, rev. 2002, Ed. Charmaine Lee, Rialc, 1220, Voir en ligne. — 1, dont l’auteur est anonyme, est le seul roman arthurien connu écrit en langue d’oc. Dans ce roman de 10 974 vers octosyllabiques à rimes plates, l’adoubement de Jaufré (forme occitane de Geoffroy) par Arthur marque le début de ses aventures. Le ton apparemment léger du Jaufré et sa datation sont source de polémiques chez les spécialistes de littérature arthurienne 2.
Une datation tardive (1225-1228) fait du Jaufré une des nombreuses continuations arthuriennes de Chrétien de Troyes, ainsi qu’une référence au Bresilianda de Bertran de Born. Une datation antérieure (1180), en fait un des tout premiers romans arthuriens contemporains de l’œuvre de Chrétien.
Breselianda dans le Jaufré
Le thème de la forêt de Brocéliande, inventé par Chrétien de Troyes vers 1176 dans Le chevalier au Lion, est mentionné dans le Roman occitan de Jaufré. S’agit-il d’une reprise de Chrétien, ou l’auteur du Jaufré puise-t-il à un fond commun emprunté à la matière de Bretagne ?
« Brocéliande » n’apparaît qu’une seule fois, dans les premières pages du texte, au vers 189, sous la forme de « Brecilianda » d’après Breuer, — BREUER, Hermann (éd.), Ein alt provenzalischer Abenteuerroman des XIII. Jahrhunderts, Göttingen, Niemeyer (Gesellschaft für romanische Literatur, 46), 1925. — sous celle de « Breselianda » d’après Brunel. — ANONYME, et BRUNEL, Clovis (éd.), Jaufré. Roman arthurien du XIIIe siècle en vers provençaux, Vol. 1, Paris, Société des anciens textes français, 1943. —
E pueis lo rei ab sos baros
Pueion e lor espazas ceinon,
E li scudiers las armas prendon,
E tegron ves Brecilianda,
Una forest que molt es granda.
E can la son preon entrat,
El rei a un pauc escoutat
E castia c’om noi son motz. 3
À la Pentecôte, la cour du roi Arthur est réunie à Carduel. Après la messe, le banquet s’ouvre, mais le roi rappelle que personne ne mangera avant que ne survienne une « aventura ». La journée passe, aucune aventure ne se présente. Arthur décide d’aller la chercher avec ses chevaliers en forêt de Brocéliande. Soudain une voix désespérée se fait entendre. Arthur découvre, près d’un bien joli moulin, une dame à la voix forte et étrange. Celle-ci se plaint qu’une bête cornue plus grosse qu’un taureau dévore toutes ses réserves de grain. Arthur tente de maîtriser l’animal en le prenant par les cornes, auxquelles il reste attaché comme par un sortilège. Après avoir traîné le roi sur une longue distance, la bête le tient suspendu au dessus d’un précipice, scène que dépeint une illustration de Gustave Doré — LAFON, Mary, Jaufry the Knight and the fair Brunissende : a tale of the times of King Arthur, Wiley & Halsted, 1857, Voir en ligne. —
Ses compagnons, impuissants à l’aider, se déshabillent afin d’amortir de leurs vêtements la chute d’Arthur. Le monstre alors le dépose indemne et reprend sa forme d’enchanteur, car l’animal n’était autre qu’un chevalier magicien connaissant l’art des métamorphoses. — LAFON, Mary, « Le roman de Jaufré », Revue de Paris, Vol. 25, 1855, p. 401-441, Voir en ligne. —
Nulle trace dans ce passage de la fontaine des merveilles, indissociable chez Chrétien de la forêt de « Brochéliande ». « Breselianda » est décrite comme Une forest que molt es granda
. Comme Chrétien et les écrivains du 12e siècle, l’auteur du Jaufré ne s’embarrasse pas de précisions géographiques concernant cette forêt. Le roi Arthur et sa cour passent instantanément de Carduel (Carlisle) au Pays de Galles à « Breselianda ». Elle n’apparaît pas comme la forêt usuellement située en Armorique mais comme un motif littéraire, connu du lecteur, marquant le début d’aventures merveilleuses.
La scène, difficile à interpréter, a inspiré de nombreux commentaires. — NOTZ, Marie-Françoise, « Plus de peur que de mal : un enchanteur dans le roman de Jaufré », in Enchantements : Mélanges offerts à Yves Vadé, Presses Univ de Bordeaux, 2002, p. 27-34, Voir en ligne. — 4
D’aucuns ont vu Brocéliande dans les scènes finales du roman quand, attiré par les cris d’une femme qui se noie, Jaufré plonge dans une fontaine enchantée où il doit se battre contre un chevalier félon. Pourtant Breselianda n’est pas citée dans ce passage. Il paraît abusif de voir systématiquement la forêt de Brocéliande dans l’association d’une fontaine féérique et d’une forêt merveilleuse, dans un contexte arthurien.