1929
Le chêne du Lémo en Augan
Un arbre exceptionnel disparu
Le chêne du Lémo était un arbre exceptionnel situé dans le parc du château éponyme à Augan. Il est mort en 1929.
Un chêne de nombreuses fois décrit
Arthur de la Borderie est, en 1881, le premier auteur à mentionner le chêne du Lémo.
Dans son frais canal [l’Oyon] se mirent les bois des coteaux voisins, du milieu desquels s’élève, majestueux comme un patriarche antique entouré de ses petits-enfants, le gigantesque chêne de Lémo, connu de toute la contrée
Le chêne du Lémo et le marquis de Bellevüe
Quelques années plus tard, le marquis de Bellevüe, érudit originaire d’Augan, lui consacre un poème 1.
Au milieu des rochers et des roses bruyères,
Prés d’un dolmen détruit, au sommet d’un coteau,
Se dresse, arbre géant dominant les clairières,
Le Chêne de Lemo.Planté par des Bretons sur la lande bretonne
Depuis combien de fois cent ans, qui le saurait ?
De feuilles, chaque été, son vieux front se couronne,
Et cet arbre à lui seul est toute une forêt.Trois mille hommes pourraient s’abriter sous sa voûte,
Pour enlacer son tronc il faut six bras tendus ;
Et toujours une branche à ses branches s’ajoute,
Inextricable amas de rameaux confondus...Là, les vieux souvenirs reviennent en grand nombre
Dans nos coeurs de Bretons où rien n’est effacé,
Et le barde rêveur est bien sous sa grande ombre
Pour écouter parler les voix du temps passé.Combien de nos aïeux, voyageurs de la route
Que nous, à notre tour, suivons,Ont reposé, rêvé sous cette immense voûte
Où nous reposons et rêvons ! [...]
Le marquis de Bellevüe a par ailleurs donné une succincte description du chêne dans un ouvrage paru en 1911.
Non loin du château de Lemo, à environ 400 mètres à l’Ouest, au-dessus de l’étang de ce nom, on admire un chêne énorme, connu sous le nom de Chêne de Lemo. Son tronc, à un mètre au-dessus du sol, mesure 8 mètres de tour.
La Société Polymathique du Morbihan
En 1927, Louis Marsille, président de la Société Polymathique du Morbihan, préconise un début d’inventaire des arbres remarquables du département en commençant par le chêne de Lémo en Augan.
Le chêne du Lémo en Augan mesure 8m, 25 à un mètre au dessus du sol.
Carte postales
Les nombreuses cartes postales du chêne du Lémo éditées au début du 20e siècle témoignent de l’intérêt peu commun pour ce chêne hors norme.
L’abbé Rouxel
Peu de temps après la mort de l’arbre en 1929, l’abbé Rouxel, recteur d’Augan, écrit une longue description du chêne, de son histoire, de l’intérêt qu’il suscitait à Augan et des raisons de sa disparition
Tous nos lecteurs connaissent le chêne d’Augan. Rappelons pour mémoire qu’il avait plus de 300 ans. Son tronc par l’endroit le plus petit avait 5,50 m de circonférence et 8 mètres par l’endroit le plus gros. Ses branches mesuraient 18 m de long et son ombre couvrait une surface de 10 ares. À raison de quatre hommes par mètre carré, il aurait pu abriter 4000 hommes debout. On a pu voir des chênes plus gros mais jamais, de mémoire d’homme, on ne vit chêne ayant presque 40 m de diamètre sous branches.
Pèlerins et touristes
Selon l’abbé Rouxel, le chêne du Lémo faisait l’objet d’un pèlerinage à saint Joseph, en raison de la présence d’une statue du saint dans les branches.
Le monde des touristes ne verra pas sans regret disparaître le chêne d’Augan, car il était connu de tous. Pas un étranger ne se serait arrêté à Augan sans aller le visiter. On le faisait connaître aux amis en le leur envoyant en carte postale. A l’été, ce n’était qu’allées et venues de soldats venant du camp voisin. Le chêne de la G’niche comme on l’appelait et l’étang spacieux où se reflétaient ses grands bras, étaient le rendez-vous préféré des gens du pays.
Quelqu’un eut, un jour, l’heureuse idée de mettre dans ses branches une niche avec la statue de Saint Joseph. À partir de ce jour, le grand chêne ne tarda pas à devenir un lieu de pèlerinage. On y venait prier Saint Joseph, on aimait spécialement y amener les petits-enfants qui tardaient trop à marcher ; et bien souvent grâce à l’intercession de celui dont la main paternelle soutint jadis les pas chancelants du fils du Tout-Puissant, les mères eurent la consolation de voir leurs petits enfants faire leurs premiers pas à l’ombre du chêne de la G’niche. Des légions d’élèves, de jeunes gens ont passé sous son ombrage. Du temps où une course de 16 et 18 kilomètres ne pouvait effrayer un marcheur ordinaire, tous les ans, élèves et professeurs de La Mennais et des Carmes avaient à cœur de faire leur pèlerinage au chêne d’Augan. Autres temps, autre mœurs.
La fin du chêne
Le chêne du Lémo est tombé le dimanche 23 juin 1929, victime d’une maladie qui l’avait affaibli. L’abbé Rouxel d’Augan, a décrit ses derniers jours.
C’était le dimanche 23 juin 1929.
Le soleil était radieux, tout était calme dans la nature, quand vers huit heures du matin, on entendit soudain un grand bruit strident semblable à un coup de tonnerre que répétèrent longuement tous les échos de la vallée de l’Oyon.
Que se passait-il donc ? Était-ce un tremblement de terre ou la voix du canon venant troubler le repos du dimanche ? Non, c’était le chêne d’Augan, le fameux chêne de Lémo qui fit l’admiration de tant de visiteurs, qui venait de s’effondrer lamentablement avec fracas. Durant son existence plus que trois fois séculaire, il avait fait beaucoup de bruit, il voulut encore en faire en mourant.
Depuis quelques années, certaines branches se desséchaient et annonçaient qu’il était sur son déclin. Néanmoins en contemplant son tronc noueux, sa puissante ramure, son feuillage encore bien vert, on était loin de penser qu’il touchait à sa fin.
Mais, hélas ! Il en est des arbres comme des gens, il ne faut toujours pas les juger à la mine. Tels ces hercules qui semblent ne devoir jamais mourir, notre grand chêne, après avoir résisté pendant trois siècles à toutes les tempêtes et à tous les ouragans, est tombé tout d’un coup, sans maladie apparente. Je dis apparente car, pour quiconque a vu ses débris épars sur le sol, il était atteint d’une maladie qui ne pardonne pas : il avait le cœur malade. La sève ne circulait plus qu’à travers une mince couche d’écorce, si mince qu’on se demande comment il tenait debout. Son tronc sans se creuser, avait littéralement séché sur pied et était devenu spongieux comme du liège. On comprend dans ces conditions que le seul poids de ses feuilles ait suffi pour le renverser. Sans la moindre secousse, il s’est écartelé du haut en bas, ses racines se sont rompues et toutes ses branches se sont brisées. Il y a quelque 35 ans, un soir d’élection, des énergumènes d’Augan, pour se venger de leur défaite, lui avaient fait une large entaille qui ne se cicatrisa jamais bien. Cette entaille lui aurait-elle hâté la mort ? Je ne suis pas loin de le croire.
Aussi quand dimanche on apprit sa chute ce fut presque de la consternation. Toute l’après-midi, ce fut une procession de visiteurs avides de contempler une dernière fois ses restes regrettés. Il était là gisant, mutilé, informe, en miettes. La statue de Saint Joseph avait subi le même sort, seule la statue de l’enfant Jésus qu’il portait dans ses bras a été retrouvée intacte.