3 nivôse an IX (24 décembre 1800)
L’attentat de la rue Saint-Nicaise
Saint-Régent impliqué dans un complot contre Bonaparte
Robinault de « Saint-Régent », chef chouan de la division de Saint-Méen, se trouve au centre du complot visant à l’assassinat du Premier consul Napoléon Bonaparte. L’attentat de la rue Saint-Nicaise n’atteint pas son objectif mais provoque la mort de nombreuses personnes. Le 16 germinal an IX (6 avril 1801), Saint-Régent est condamné à mort. Il est guillotiné en place de Grève le premier floréal an IX (21 avril 1801).
Dans les derniers mois de l’année 1800, la troisième chouannerie (14 septembre 1799 - 18 février 1800), de moins en moins soutenue par les populations locales, surtout après le rétablissement de la liberté des cultes, évolue vers le brigandage et multiplie les attaques de diligences, les enlèvements, voire les assassinats.
Néanmoins, Cadoudal poursuit, avec ses contacts outre-Manche, ses projets de renversement de la République et de restauration de la royauté. Le plan prévoit, conjointement avec un soulèvement général, un débarquement de troupes anglaises amenant avec elles le comte d’Artois 1.
Le 19 juin 1800, Cadoudal écrit à Lord Grenville 2.
[…] Le premier Consul arrivera [à Paris] au premier jour. Il est de la dernière conséquence de s’emparer le plus promptement possible de ce personnage. J’envoie à Paris pour savoir dans quelle position sont ceux qui se sont chargés de cette opération. J’ai une soixantaine d’hommes à coup de main que je leur propose. S’ils ont de l’énergie, ils réussiront et alors le succès de la grande entreprise est assuré.
Cadoudal projette donc de s’emparer de Bonaparte et de le conduire à Jersey.
Du reste, c’est l’agence de Paris 3 qui doit organiser et exécuter l’attaque du Premier Consul ; il ne s’agit pas de le tuer, mais de l’enlever : on veut « l’avoir vivant ». Une fois pris, on le transportera en un temps de galop jusqu’à la côte ; on l’embarquera pour Jersey où il attendra que le cabinet britannique décide de son sort. On se propose de l’envoyer finir ses jours à l’île de Sainte-Hélène.
Cadoudal pense à Pierre Robinault de Saint-Régent pour diriger l’opération. Saint-Régent, dit Pierrot, commande la division de Saint-Méen. Il est actif durant les trois premières chouanneries dans la région de Mauron. Il est connu pour ses coups de main audacieux.
Le 14 juin 1800, la victoire de Marengo renforce la position de Bonaparte comme Premier consul. Les anglais sont alors contraints d’abandonner leur projet de débarquement.
Le 22 au plus tard, on apprenait à la fois la victoire de Marengo et la convention mémorable d’Alexandrie. Bonaparte vainqueur ! C’était le plan des ennemis de la République à demi détruit.
Pour les chefs chouans, il est clair que toute insurrection sera vouée à l’échec tant que Bonaparte sera à la tête de l’État.
Presque personne, à Paris, ne soupçonnait la terrible résolution que Georges et les autres chefs du Morbihan, traqués comme des bêtes fauves, avaient prise de frapper le Premier consul, seule chance de salut pour eux, du moment qu’ils s’obstinaient à continuer la guerre civile.
De son côté, le Premier consul est bien décidé à mettre Cadoudal hors d’état de nuire. Le 4 juin, il écrit à son ministre de la police, Fouché (1759-1820) 4.
« Georges, à ce qu’on m’assure, est de retour d’Angleterre ; il est indispensable que vous le fassiez arrêter, ainsi que le frère de Frotté qui est dans l’Orne. N’épargnez aucun moyen pour avoir, morts ou vifs, ces deux hommes ».
Et il insiste. Le même jour il ordonne à Bernadotte :
« Prenez, mort ou vif, ce coquin de Georges ».
Jean Rohu 5 rapporte ainsi le contenu de la réunion tenue à Rennes, au milieu de l’année 1800 (an IX), entre Cadoudal et ses officiers.
Ne voyant pas de moyens plus expéditifs pour se débarrasser de Bonaparte que de le combattre corps à corps, le général nous convoqua au nombre de quatre, à savoir, Debar, Robinault de Saint-Régent, le chevalier de Trécesson et moi et nous exposa qu’il avait besoin de nous pour faire une commission à Paris. Saint-Régent, comme le plus ancien en grade des officiers présents prétendit avoir le droit de l’obtenir ; le général acceptant sa proposition lui dit : je vous donnerai les moyens d’arriver à la capitale, et là vous vous mettrez en relation avec les personnes que je vous désignerai et avec lesquelles vous vous entendrez pour l’achat du nombre de chevaux, d’habits, d’uniformes et d’armes que je vous indiquerai et dont je viendrai me servir plus tard.
À ce stade du projet, un doute subsiste sur la nature de l’expédition : s’agit-il de capturer Bonaparte ou de l’assassiner, et dans ce cas, de quelle façon ? Pour sa défense, Cadoudal a toujours soutenu que l’attentat à l’explosif est une initiative personnelle de Saint-Régent : elle ne faisait pas partie de la mission qu’il lui avait confiée. En effet les propos rapportés par Rohu évoquent une « opération commando » plutôt qu’un attentat à l’explosif.
La mission de Saint-Régent
Cadoudal charge Robinault de Saint-Régent dit Pierrot de se rendre à Paris pour y remplir sa mission. Il est chargé particulièrement de l’exécution militaire de tous les ordres envoyés à Paris
. Il y arrive le 5 frimaire (26 novembre 1800) où il retrouve trois autres chefs chouans membres du complot, arrivés dans la capitale en brumaire : Joseph Picot de Limoëlan dit Pour-le-Roy ou Beaumont 6, Édouard La Haye Saint-Hilaire dit Raoul 7 et André Joyaux dit d’Assas 8.
Fouché mentionne leur arrivée dans son rapport au Premier consul, écrit après l’arrestation de Saint-Régent.
Les auteurs de l’attentat du 3 nivose, tous agens de Georges, paraissent successivement à Paris. Joyau, dit d’Assas, arrive le 13 brumaire ; Lahaye Saint-Hilaire, dit Raoul, le 17, et Limoëlan, dit Beaumont, le 20 brumaire au soir.
[...]
[Le 5 frimaire] arrive effectivement un agent de Georges ; mais, au lieu de Mercier, c’est Saint-Régent, chef de chouans du département d’Ille-et-Vilaine, connu sous le nom de Pierrot, et cet homme est un monstre dont les crimes font frémir l’humanité. Il est chargé de frapper le premier Consul.
L’intervalle du 7 au 11 frimaire est consacré à divers soins que conseillait la prudence ; on s’assure de nouveaux logemens ; on fait faire des démarches pour pénétrer la police ; on lui prépare des pièges pour donner le change à sa surveillance.
La décision d’assassiner Bonaparte est prise mais le mode opératoire pour l’attentat n’est pas arrêté. Les conjurés pensent le tuer au théâtre au moyen de « fusils à vent » 9. Tous ensemble, au même moment, on tirerait sur Bonaparte, du parterre, des loges...
On balance longtemps sur le choix des armes. Limoelan et Saint-Régent achètent le 8, chez Bourin, armurier, palais Égalité, chacun un nécessaire d’armes de 50 louis. Ils les essaient au bois de Boulogne. Quelques jours après ils achètent des carabines à vent pour s’en servir à l’un des théâtres. Le 11 frimaire arrive l’agent de l’Angleterre ; mais, au lieu de Rivière, c’est le nommé Hyde 10, le même personnage qu’on a vu figurer dans la correspondance du comité Anglais. Il rassemble ce jour-là même, à l’hôtel des Deux-Ponts, les agens de Georges, et discute avec eux les moyens de faire réussir l’attentat que le cabinet de Londres, pressé par les victoires des armées françaises, leur ordonnait de consommer promptement. Ce fut dans ce conciliabule que le complot prit pour la première fois un caractère fixe et déterminé. Il fut décidé que le premier Consul serait assassiné.
C’est seulement quelques jours avant l’attentat que Saint-Régent et Limoëlan, pressés par Cadoudal (dans un billet signé « Gédéon ») d’exécuter leur mission, se décident à avoir recours à un baril de poudre pour faire sauter le Premier consul. Saint-Régent s’inspire probablement d’une machine du même type découverte récemment chez un jacobin, Alexandre Chevalier, qui visait le même objectif. — Martel, Arnaud Louis Raoul de (1870) op. cit., pp. 62-63 —
L’attentat
Limoëlan s’assure les services d’un chouan habitant Paris, François-Jean Carbon dit « Petit-François ». C’est lui qui se charge notamment d’acheter la charrette, le cheval et diverses fournitures. Quatre autres chouans envoyés par Cadoudal : Jean-Baptiste Coster dit de Saint-Victor, Roger dit « Loiseau », Bourgeois et le chevalier du Boisguy, font partie du complot mais ne prennent pas part à l’attentat.
Le 3 nivôse an IX (24 décembre 1800), la rue Saint-Nicaise 11 est animée en cette veille de Noël 12. Les passants remarquent une petite charrette tirée par un vieux cheval, comme en ont les porteurs d’eau. Ils remarquent aussi une fillette qui tient la bride du cheval. Vers huit heures du soir, Bonaparte quitte les Tuileries pour se rendre à l’Opéra de la rue de Richelieu 13. La voiture du Premier consul s’engage dans la rue Saint-Nicaise, mais la charrette bloque en partie le passage. Le cocher réussit néanmoins à l’éviter et la voiture tourne au coin de la rue quand une terrible explosion retentit. La charrette contenait une machine infernale 14 constituée d’un baril de poudre rempli de mitraille et muni d’une mèche d’amadou. Entre treize et ving-deux personnes périssent dans l’explosion 15 mais le Premier consul et son escorte s’en sortent indemnes. Une mauvaise coordination entre les exécutants, ainsi qu’une erreur d’appréciation concernant la combustion de la mèche entraine un retard de quelques secondes qui permet à la voiture de Bonaparte d’échapper de peu à l’explosion.
Parmi les victimes figure la fillette qui tenait la bride du cheval au moment de l’explosion. On retrouve son corps atrocement déchiqueté.
Lorsque Cadoudal apprend l’échec de l’attentat, il entre dans une violente colère contre les membres du complot. Il accuse en particulier Saint-Régent.
Rohu, dans ses Mémoires, prête au chef breton ces paroles, prononcées, dit-il, en cette circonstance : « Je parierais que c’est un coup de tête de ce bougre de Saint-Réjant. Il aura voulu venir près de nous se vanter de nous avoir, à lui seul, débarrassé de Bonaparte. Il a dérangé tous mes plans. D’ailleurs, nous ne sommes pas en mesure d’agir. »
La traque des conjurés
Le 13 nivôse (3 janvier 1801), une circulaire de Fouché, adressée aux préfets et généraux commandants de division, contient les noms et signalements de Carbon, Limoëlan, Joyaux, Saint-Hilaire et Saint-Régent. Elle dit :
« Je vous adresse ci-joint le signalement des scélérats qui ont dirigé et exécuté l’attentat du 3 nivôse contre la personne du Premier consul. « Tous les traits du premier de ces signalements paraissent appartenir au nommé le petit François, attaché ci-devant à Châteauneuf, dit Achille Le Blond, et qui depuis deux mois s’est dévoué à Limoëlan. [...] Faites-le rechercher avec toute l’activité possible [...] Dirigez aussi particulièrement votre attention sur les nommés Limoëlan, dit Beaumont ; Joyau, dit d’Assas ; Lahaye Saint-Hilaire, dit Raoul, et Saint-Réjant, dit Pierrot.
« Ces quatre scélérats ont été dépêchés par Georges pour tenter à Paris une diversion criminelle [... ] Je paierai douze mille francs à quiconque aura fait saisir un des cinq ci-dessus dénommés
« Recueillez aussi toutes les lumières qui certainement transpireront dans la Bretagne sur cet affreux attentat. »
En réalité, Fouché, à ce stade de l’enquête, ne possède que des soupçons et ne dispose d’aucune preuve de la culpabilité des royalistes dans l’attentat, la description des suspects étant en partie erronée.
Les soupçons se portent d’ailleurs en priorité sur les jacobins (appelés « exclusifs » ou « enragés » par le pouvoir). Bonaparte est le premier à les accuser.
Il [Bonaparte] s’écria d’une voix forte : « Voilà l’œuvre des jacobins ; ce sont les jacobins qui ont voulu m’assassiner. Il n’y a là-dedans ni nobles, ni prêtres, ni chouans !... Je sais à quoi m’en tenir, et l’on ne me fera pas prendre le change. Ce sont des septembriseurs, des scélérats couverts de boue qui sont en révolte ouverte, en conspiration permanente, en bataillon carré contre tous les gouvernements qui se sont succédés. Il n’y a pas trois mois que vous avez vu Ceracchi, Arena, Topino-Lebrun, Demerville tenter de m’assassiner. Eh bien ! c’est la même clique ; ce sont les buveurs de sang de septembre, les assassins de Versailles, les brigands du 31 mai, les conspirateurs de Prairial, les auteurs de tous les crimes commis contre les gouvernements. Si on ne peut les enchaîner, il faut qu’on les écrase ; il faut purger la France de cette lie dégoûtante : point de pitié pour de tels scélérats !... »
Malgré l’absence de toute preuve de l’implication des jacobins dans cet attentat 16, des arrestations massives frappent les milieux républicains, suivies souvent de déportations.
Cent trente malheureux qui n’avaient commis, non seulement aucun crime, mais aucun délit, et qu’on accusait de terrorisme pour des actes de 1792 à 1795, étaient saisis, proscrits, « mis en surveillance spéciale hors du territoire européen de la République ». [...] On n’avait cherché ni coupables ni preuves ; on s’était contenté « d’exhumer tous les vieux griefs d’opinion et de parti », on déportait des suspects.
L’arrestation de Saint-Régent
Voyant qu’on accuse les jacobins, qu’on les arrête en masse, qu’on les déporte, les responsables de l’attentat sont rassurés et restent à Paris. Néanmoins Fouché, restant sur ses premiers soupçons, oriente son enquête sur les milieux royalistes. Le dimanche 28 nivôse (18 janvier 1801), après une traque de trois semaines, Carbon est arrêté par la police dans un couvent des Dames Saint-Michel.
Quant à Saint-Régent, averti de l’arrestation de Carbon, il change plusieurs fois de logement, mais il s’attarde néanmoins à Paris malgré le danger, vraisemblablement en vue d’une nouvelle tentative contre le Premier consul. Le 8 pluviôse an IX (28 janvier 1801), notamment grâce aux révélations de Carbon, il est finalement capturé à son tour chez un autre complice, Sougé.
Saint-Régent, qui a mis lui-même le feu à la poudre, jeté par l’explosion sur une borne, a failli périr avec les victimes de son attentat. [...] Dans les premiers jours, il se croyait assez caché par l’opinion publique elle-même, qui portait tous les soupçons sur une autre classe d’hommes.
Un agent de Georges, que j’avais laissé libre parce qu’il était désormais le seul qui pût me conduire à Saint-Régent, trahit, sans s’en douter, son asile en y entrant lui-même le 7 pluviôse. Je donnai sur-le-champ ordre au préfet de police de le faire arrêter, ce qui fut exécuté à la sortie même de la maison que je lui avais indiquée 17.
Circonstance aggravante pour Saint-Régent et Limoëlan, il est établi qu’ils ont demandé à une fillette, contre quelques sous, de tenir la bride du cheval pour que la charrette reste en position en travers de la rue pendant que Saint-Régent préparait la mise à feu de la machine infernale, la condamnant délibérément à une mort certaine.
Dès le 4 nivôse, Fouché écrivait à Dubois, préfet de police, à ce sujet.
« Il paraît, d’après quelques renseignements, qu’une jeune fille se trouvait placée près de la voiture. Vous me manderez si cette enfant a été réclamée. Si elle ne l’était pas, cette circonstance confirmerait le soupçon qu’elle a été choisie pour l’instrument de cette horrible machine et qu’elle aurait été sacrifiée par les scélérats.
L’enquête avance rapidement de ce côté.
Le 5 nivôse, une femme pauvre, de 46 ans, une certaine veuve Peusol, demeurant rue du Bac, marchande de petits pains, venait réclamer sa fille, Marianne, — disparue. Cette petite avait 16 ans, « les cheveux rouges, le nez gros, les yeux louches » ; elle était « très marquée de petite vérole » et portait « une jupe de toile à raies bleues et blanches, un casaquin de laine grise, un mouchoir bleu à la tête et un pareil au col ». Elle vendait ses petits pains dans les rues et ainsi aidait sa mère. Justement, on l’avait « envoyée en commission de ce côté-là ». Et elle ne revenait plus ! Où était-elle ? Quelque malheur lui était-il arrivé ?... Différentes personnes qu’elle ne connaissait pas lui avaient dit - à cette femme Peusol - qu’on avait donné douze sous à la petite pour garder la voiture !...
L’émotion suscitée dans la population par ce terrible attentat contribue à ternir l’image des royalistes. C’est pourquoi la plupart d’entre eux se désolidariseront de leurs auteurs.
Le procès
Après deux mois passés à tenter en vain de retrouver les autres complices, le procès s’ouvre le 11 germinal an IX (premier avril 1801). Vingt-trois prévenus sont présentés devant la cour. Seuls sept d’entre eux sont directement impliqués dans l’attentat. Les autres prévenus, à qui l’on reproche notamment d’avoir hébergé les conjurés, sont condamnés à des peines de prison de quelques mois, ou simplement acquittés.
Le 16 germinal an IX (6 avril 1801), Saint-Régent est condamné à mort, ainsi que François-Jean Carbon.
Jugement du tribunal criminel sur l’accusation relative à l’attentat du 3 nivose. Saint-Régent, dit Pierrot ; Carbon, dit le Petit-François, condamnés à la peine de mort.
Les autres membres de la conjuration, Limoëlan, Saint-Hilaire, Joyau, Bourgeois et Coster Saint-Victor, parviennent à se soustraire à l’action de la justice et sont condamnés à mort par contumace. Pendant tout l’an IX, les recherches menées en Bretagne et ailleurs restent vaines.
Ce n’est que trois ans plus tard que Joyaux sera guillotiné en place de Grève le 25 juin 1804, avec Cadoudal, Coster-Saint-Victor, Roger dit « Loiseau », Burban, Lemercier et six autres membres d’une nouvelle conjuration. Quant à La Haye Saint-Hilaire, il sera condamné à mort et exécuté à Vannes le 7 octobre 1807. Seul Limoëlan réussit à s’enfuir. Il abandonne la lutte et s’exile aux États-Unis où il se fait prêtre. Il exprimera des remords pour son acte.
Depuis son cachot de la Conciergerie, Saint-Régent continue de clamer son innocence et adresse à sa belle-sœur, Thérèse Orieulx plusieurs lettres dans lesquelles il la prie de lui procurer au plus tôt des lettres attestant son honnêteté, sa loyauté, sa justice, sa douceur.
Thérèse remue ciel et terre pour le sauver : elle parcourt la région où Saint-Régent est connu, de Josselin à Ploërmel, afin d’obtenir les certificats demandés. Elle recueille aussi de l’argent pour payer les avocats. Mais leur correspondance est interceptée par la police de Fouché. Thérèse vient à Paris mais elle est arrêtée et incarcérée aux Madelonettes le 30 ventôse (31 mars 1801). Elle ne sera libérée qu’après l’exécution de Saint-Régent.
Le premier floréal an IX (21 avril 1801), Saint-Régent et Carbon sont guillotinés en place de Grève.
Les chefs royalistes se désolidarisent de Saint-Régent
Arguant du fait qu’ils n’ont pas pris part au choix du mode opératoire pour l’attentat, Cadoudal et les autres chefs chouans en rejettent la responsabilité sur Saint-Régent.
[...] Ils reconnaissaient, en causant avec les hommes de leur parti, avoir envoyé Saint-Réjànt et Limoëlan à Paris, mais ils prétendaient que c’était Saint-Réjant qui avait pris sur lui de recourir à la machine infernale. Il y a quelque chose de vrai dans cette explication de l’affaire du 3 nivôse. Saint-Réjant et Limoëlan, quand ils partirent, n’avaient pas reçu l’ordre de se défaire du Premier consul par le moyen qu’ils employèrent, ni par aucun autre moyen déterminé d’avance. Toute la défense des royalistes repose sur cette équivoque. Évidemment, ce ne fut qu’à Paris que Saint-Réjant et Limoëlan, pour exécuter l’engagement que leur rappela d’une manière si pressante le billet signé Gédéon, se décidèrent à avoir recours à un baril de poudre pour faire sauter le Premier consul.
En réalité la chaine des responsabilités remonte bien jusqu’à Cadoudal et au-delà jusqu’au Comité de Londres 18 et au comte d’Artois, futur Charles X et partisan d’une intervention étrangère pour rétablir la royauté. Il existe notamment une lettre de Cadoudal adressée le 16 janvier 1801, 23 jours après l’attentat, à M. le comte de La Chaussée à Londres, dans laquelle il lui rend compte en termes non équivoques du mauvais succès de l’entreprise ; il lui demande également des fonds pour perpétrer un nouvel attentat. — Lorédan, Jean (1924) op. cit., p. 186 —
Ici le crime se rattache au Comité de Londres, puisque La Chaussée est premier commis du bureau de la guerre, dont l’évêque d’Arras est le ministre ; on sait qu’il est chargé spécialement sous les ordres directs de celui-ci de tout ce qui concerne la guerre des chouans et les mouvements de l’ouest.
Depuis la mise en place du Consulat, des négociations étaient menées entre le futur Louis XVIII et Bonaparte en vue du rétablissement de la monarchie. La culpabilité avérée des royalistes dans l’attentat de la rue Saint-Nicaise entraine la rupture définitive de ces pourparlers. Bonaparte s’adresse ainsi au prétendant.
« Vous ne devez pas souhaiter votre retour en France ; il vous faudrait marcher sur cent mille cadavres... »