1794-1815
La division de Saint-Méen
Le canton chouan du nord de la forêt de Paimpont
La division de Saint-Méen est l’une des treize divisions de l’Armée catholique et royale de Bretagne durant les trois premières chouanneries. Bien que répartie sur trois départements bretons, elle est rattachée à la chouannerie morbihannaise. Fondée puis commandée par Joseph de Boulainvilliers en 1794, elle passe sous le commandement de Joseph de Troussier en 1795, puis sous celui de Pierre Robinault de Saint-Régent jusqu’en 1800. Elle prend le nom de Légion de Saint-Méen lors de la quatrième chouannerie en 1815.
Le territoire de Joseph de Boulainvilliers
Avant même que la première chouannerie (1794-1795) ne s’organise militairement sous l’égide de Joseph de Puisaye, le chef chouan Joseph de Boulainvilliers a contribué à former un des premiers foyers insurrectionnels bretons au nord de la forêt de Paimpont.
Le territoire sur lequel son action s’est développée à partir d’avril-mai 1794 a pour épicentre les propriétés de ses cousins du Plessis Grenédan à Illifaut et Ménéac. Dès juillet 1793, des déserteurs sont signalés en grand nombre dans les bois de Grenédan. Un an plus tard, les habitants d’Illifaut sont désignés comme, presque tous fermiers de nobles et les serviles complices de tous les crimes qu’ils méditent et qui se commettent dans la région — AD 22 1 L 492 —
Les terres de Grenédan ont un prolongement en leur château de la Riaye en Ménéac. Boulainvilliers s’appuie sur ce terreau familial pour donner naissance à une chouannerie organisée.
Un centre bien placé, étant à cheval sur deux départements, chacun traversé par des limites de districts, ceci à proximité d’un troisième, l’Ille-et-Vilaine : de quoi compliquer singulièrement la tâche de l’administration.
La création des divisions
Le 3 mai 1794, les chouans de Joseph de Puisaye remportent une victoire sur les républicains lors du combat de Beignon. Cet évènement est un déclencheur de la première chouannerie dans la région de Mauron.
C’est à partir de ce territoire insurrectionnel commandé par Boulainvilliers que Joseph de Puisaye, reconnu comme le commandant de l’Armée catholique et royale de Bretagne, crée la division de Saint-Méen et nomme Joseph de Boulainvilliers à sa tête comme colonel.
En outre, Puisaye poursuit l’organisation de la chouannerie dans le Morbihan et nomme en juillet 1794 Joseph de Boulainvilliers et Sébastien de La Haye de Silz 1 généraux des chouans de ce département.
L’Armée catholique et royale de Bretagne est structurée comme une armée régulière. Chaque ville, village ou bourg forme une compagnie commandée par un capitaine le plus souvent élu par ses hommes. Plusieurs compagnies forment une colonne, aussi nommée bataillon ou canton, commandée par un lieutenant-colonel et plusieurs colonnes forment une division ou légion dirigée par un colonel.
Après l’été 1794, [...] Boulainvilliers poursuivit l’œuvre amorcée au printemps au nord-est du Morbihan ; son activité conduisit à la naissance d’une division royaliste, qui, si elle ne fut pas éminente par le nombre de ses combattants, était à l’interface des trois départements bretons les plus insurgés, le Morbihan, les Côtes du Nord et L’Ille-et-Vilaine.
Dès sa nomination à la tête de la division de Saint-Méen, Boulainvilliers s’active à étendre son territoire. Au cours du mois de novembre 1794, il est occupé à former de nouveaux cantons à l’est, en direction de la division du comte de Bellevue en Ille-et-Vilaine ainsi qu’en direction de celle du chevalier de Boishardy vers les Côtes-du-Nord. — Gelis Matthieu (2012) op. cit., p. 99 —
Le commandement du chevalier de Troussier
Joseph de Boulainvilliers est exécuté sur l’ordre du chef chouan Guillemot en janvier 1795. La division de Saint-Méen est alors sans commandement. Le chevalier Joseph de Troussier, fidèle lieutenant de Boulainvilliers depuis les débuts de la chouannerie, en devient le colonel comme l’atteste un billet écrit de sa main en date du 22 novembre 1795 avec « Division Troussier » pour en-tête — AD 56 L 1233 pce 251 —.
Le chevalier de Troussier qui possède sa résidence à Guilliers a lui aussi un ancrage familial dans la région. Ses deux sœurs sont apparentées à des membres importants des réseaux chouans locaux. Marie Louise Anne de Troussier (1758), veuve de Jacques Jean de Forsanz à partir de 1790, est la compagne de Joseph de Boulainvilliers. Elle réside au manoir de Kernicol en Saint-Jean-Brévelay et possède aussi un manoir à Tréguier en Loyat. Mais c’est surtout Louise Angélique de Troussier (1760) et son mari Narcisse René de Béchennec qui prennent une part active dans les réseaux de communication royalistes. Leur maison située en face de l’église de Brignac sert de boite aux lettres pour les insurgés et de repaire pour les chouans. Les communes de Brignac, Illifaut et Ménéac sont alors au cœur des réseaux de communication entre la noblesse émigrée et la Bretagne. Le « château de la Riaye » en Ménéac apparait comme un véritable carrefour
de la correspondance royaliste.
À Ménéac une seconde voie bifurque vers le cap Fréhel et la baie de la Fresnaye et passe par Plumaugat. Une troisième ligne se dirige vers Rennes et Paris, Une quatrième permet de gagner la Suisse par les environs de Savenay, la Vendée, le Berry, le Bourbonnais.
Le commandement de Saint-Régent
La chouannerie morbihannaise est réorganisée après l’échec du débarquement de Quiberon en juin 1795. Joseph de Puisaye est alors désavoué par les chefs chouans Georges Cadoudal et Pierre Guillemot qui s’émancipent de son autorité. C’est le début de la deuxième chouannerie (1795-1796), au cours de laquelle Robinault de Saint-Régent, chef de canton, est nommé à la tête de la division de Saint-Méen à la place du chevalier de Troussier. Ce dernier, proche de Boulainvilliers, passe sous les ordres de Saint-Régent après avoir assuré le commandement durant quelques mois.
Saint-Régent établit son quartier général au village du « Bois de la Roche » chez son demi-frère, Ange César Bonaventure Orieulx de la Porte, et sa femme Thérèse Orieulx originaire de Loyat.
La division de Saint-Méen comprend alors la partie nord de la forêt de Paimpont et le Bois de Montfort, le bocage des paroisses de Ménéac, Mohon, Loyat, Lanouée, La Trinité, Mauron, Néant et Concoret ainsi que quelques communes voisines d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-d’Armor.
Saint-Régent choisit comme lieutenant de sa division André Charles le Bouteiller, dit « Petit André » 2.
Les officiers de la division
[Saint-Régent] fut secondé par des officiers non moins intrépides : Louis Garnier de la Villesbret, qui n’avait que dix-sept ans, page du duc de Penthièvre, et affilié, presqu’enfant, à la coalition de La Rouerie ; Juguet, de Saint-Méen ; Le Chevalier, qui a été sous la Restauration maire de cette petite ville. La division de Saint-Régent agissait tantôt avec celles d’Ille-et-Vilaine, tantôt avec les Côtes-du-Nord, tantôt avec le Morbihan.
La division de Saint Méen est composée de quatre cantons. Les lieutenants en charge de ces cantons sont Duval, Le Gris, Jean Baptiste Roz et Mathurin Louis Guyomard de Comper, chef du canton de Concoret.
Avec ces chefs de cantons apparaissent quelques capitaines : François Le Paul à Lanouée, Guillaume Gaudin à Mohon, le chevalier Joseph de Troussier mais aussi Louis et Philippe Duplessix de Grenédan, seigneurs de Bodégat en Mohon 3. — MONTGOBERT, Gilles, Eclats en Brocéliande : le Pays de Mauron 1789-1800, les mutations du monde rural, Saint-Léry (56), Office Culturel du District de Mauron, 1993. —
La scission de la division de Médréac
La région de Montauban-de-Bretagne a fait partie du territoire de la « Division de Saint-Méen » durant la première chouannerie. Deux bons de réquisitions donnés à des fermiers de biens nationaux à Landujean et à Saint-Pern en janvier 1796, libellés Division de Saint-Méen, Gabillard, chef de canton
, l’attestent. Joseph de Puisaye, lieutenant général de l’Armée Catholique et Royale de Bretagne, détache la région de Montauban-de-Bretagne de la « Division de Saint-Méen » à l’automne 1796. Après l’échec du débarquement de Quiberon, Puisaye échappe de peu à une exécution commanditée par les généraux de la chouannerie morbihannaise, Cadoudal et Guillemot. Robinault de Saint-Régent, à qui avait été confiée cette exécution, est nommé colonel de la « Division de Saint-Méen » à l’été 1796. La création de la « Division de Médréac » permet donc à Puisaye de reprendre le contrôle d’une région qui lui avait échappé.
Cette division sous le commandement de Félicité de Botherel (1770) comprend les paroisses de Boisgervilly, Saint-Onen, Le Crouais, Quédillac, Montauban, Saint-Mervon, Le Lou, La chapelle-du-Lou, Landujan, Saint-Pern, Médréac, La Chapelle-Blanche, Guitté, Plouasne, Guenroc, Saint Maden, Tréfumel, Saint-Juvat et le Quiou. — GUILLOT, Jean, Révolution et chouannerie en Morbihan, Gourin, Edition des Montagnes Noires, 2014, 372 p. [page 68] —
L’implication locale de prêtres dans la chouannerie
L’élément religieux est indissociable de cette chouannerie, certaines compagnies s’attachent les services de prêtres réfractaires : l’abbé du Noday pour Saint-Régent et Augustin Le Moine pour la compagnie du chevalier Joseph de Troussier. Ils courent les chemins creux en chantant les vêpres, des cantiques et des chants guerriers inspirés du répertoire religieux, tel celui trouvé à Brignac chez le chouan Joseph Tempier lors de son arrestation le 20 thermidor an III (6 août 1795). — MONTGOBERT, Gilles, Eclats en Brocéliande : le Pays de Mauron 1789-1800, les mutations du monde rural, Saint-Léry (56), Office Culturel du District de Mauron, 1993. [page 384] —
Chrétien joins ton cœur à la joie
En chantant l’hymne à Dieu des Anges
Jour méprisé année et mois
Tous les nationaux de France
Toujours mon cœur les haïra
Et ma bouche les maudira
1799-1800 — La troisième chouannerie
La division de Saint Méen est active jusqu’à la fin de la deuxième chouannerie en juin 1796. Vaincus militairement, les royalistes remportent les élections d’avril 1797. Mais le coup d’État du 4 septembre 1797 a pour effet d’annuler le résultat des élections, notamment dans l’Ouest. Les défaites militaires de la République, qui conduisent à de nouvelles levées d’hommes et au vote de la loi des otages, incitent les chefs chouans à relancer l’insurrection.
Les royalistes reprennent la lutte armée à l’été 1799. Le 20 août, Cadoudal réunit ses officiers dans son repaire de la « maison du Roc », en Bignan. Il y réorganise la chouannerie morbihannaise en huit légions. La 5e légion est placée sous le commandement de Saint-Régent qui prend sous ses ordres, Sévère Le Maintier de Lehellec comme lieutenant colonel, le chevalier de Troussier comme major ainsi que trois chefs de bataillon : Félix Dujardin, Pierre Gaudin du village de Gouesmellan en Ménéac et Bauché. — MONTGOBERT, Gilles, Eclats en Brocéliande : le Pays de Mauron 1789-1800, les mutations du monde rural, Saint-Léry (56), Office Culturel du District de Mauron, 1993. [page 405] —
Le 14 pluviôse an VIII (3 Février 1800), un précis d’organisation des chouans adressé au général Brune permet de connaitre l’organisation de la 5e légion.
La 5e division, commandée par Robineau Saint-Régeant, dit Pierrot, ex-noble et employé dans les ci-devant devoirs de Bretagne, est composée des cantons de Ménéac, Mohon, Loyat, Lanouée, La Trinité, Mauron, même de quelques communes d’Ille-et-Vilaine et des Côtes du Nord, voisines de celles ci-dessus désignée. Les sous-chefs connus sont : Pièche, de Josselin ; Caro de Sérent ; Le Maintier, ex-noble, dit Sévère, émigré. On la dit forte d’environ 1200 hommes.
Le 10 mai 1800, Cadoudal est reçu par le comte d’Artois à Londres, qui le nomme général en chef de l’Armée catholique et royale de Bretagne avec le grade de lieutenant-général. Il rejoint la Bretagne le 3 juin et réorganise la chouannerie en neuf légions ou adjudances, chacune sous les ordres d’un adjudant-général. Saint Régent est l’un d’eux.
Le Morbihan à lui seul comprenait en tout ou en partie quatre adjudances : [...] Une troisième était départie à Saint-Régent. Georges le chargeait de la contrée de Ploërmel, et des bandes antérieurement commandées par les frères Dubouays. De plus, il conservait tous ses pays d’Ille-et-Vilaine et de Côtes-du-Nord où il avait jadis dirigé l’insurrection. Paimpont et Saint-Méen dans le premier de ces deux départements, Broons et Merdrignac dans le second, faisaient partie de son lot ; il devait y organiser aussi de nouvelles légions.
Le 24 décembre 1800, Robinault de Saint-Régent et Joseph Picot de Limoëlan commettent un attentat à la machine infernale visant à tuer Napoléon Bonaparte : c’est l’attentat de la rue Saint-Nicaise. L’opération échoue mais tue une douzaine de personnes. Saint-Régent est arrêté et exécuté le 20 avril 1801.
1815 — La quatrième chouannerie
En mars 1815, Napoléon Ier, de retour de l’Ile d’Elbe tente de reprendre le pouvoir durant les Cent-Jours. Le 10 avril, il ordonne la mobilisation des gardes nationaux et des anciens soldats mis en congés. Cette mesure, très mal accueillie par les populations de l’Ouest, marque le début de la quatrième chouannerie.
Dans ce soulèvement royaliste contre les forces impériales, Henry Marie du Boishamon 4 prend le commandement de la division dite de Médréac ou de Saint-Méen dans un contexte politique et géographique différent de celui des deux précédentes chouanneries.
[..] les deux frères du Boishamon occupaient le pays de Saint-Méen, Montfort et Médréac, où ils avaient formé une colonne. Le chevalier Constant de Botherel, de Meslon, Gabillart, les frères Garnier de La Villebret, de Kersauson, Bedée du Moulin-Tison, Le Levrout, La Verrie, Landeneuf, Renault du Crouais, Bigot, de Trégomain, Le Forestier, de Saint-Genis, Benazé, Juliot-Duplessis, Montgermont, Bauville, Marchand, Lanjamet, Pluvier, Royer de Linclais, les frères Le Tulle, Le Do (de Saint-Malo), Serizay, Saint-Vlirel, de La Forêt, Durand, les trois frères Rubin de Rays, Grignard, de La Roche-au-Lion, les trois frères Troissard et les Lamour de Caslon étaient leurs principaux officiers. Quand Boishamon se mit en campagne il n’avait que soixante-seize fusils ; mais sa division faisait partie de l’armée du Morbihan, elle en reçut donc bien vite. Alors il surprit et désarma les petites villes de Montauban, de Saint-Méen et de Bécherel. Il occupa tout le pays jusqu’à Loudéac d’un côté et jusqu’à Montfort de l’autre. Il inquiétait même la garnison de Rennes.
Le principal fait d’arme de cette division est le combat mené contre les forces impériales à Saint-Jouan-de-l’Isle le 3 juillet 1815.
Le 3 juillet, du Boishamon, dans son camp de Saint-Méen, apprend que de forts détachements des 15e et 86e régiments de ligne , réunis à des canonniers de marine, arrivent de Rennes au bourg de Montauban, et qu’ils y commettent toutes sortes d’excès. Boishamon se porte vers Saint-Jouan pour réprimer, au nom du Roi, de pareils désordres. Il n’avait avec lui qu’à peu près deux cents hommes formés de sa compagnie d’élite, des gars de Médréac, et des écoliers de Saint-Méen, dignes émules des collégiens de Vannes. [...] Boishamon les pousse [les bonapartistes] avec tant de vigueur, qu’ils sont en quelques minutes tellement resserrés sur le pont qu’ils ne peuvent se mettre en ligne. Le major du 86e, qui les commande, sent l’impossibilité de résister : il offre de capituler. Boishamon s’avance seul pour conférer avec lui. Deux coups de fusil sont au même instant dirigés contre le chef royaliste. Il va donner ordre de continuer l’attaque, lorsque les Impériaux mettent bas les armes et se rendent à discrétion. Les Bretons étaient exaspérés : ils menaçaient les officiers, ils voulaient les tuer. Boishamon apaise cette juste fureur , et renvoie sans armes à Broons les soldats qui n’avaient pas su les défendre.
Peu après ce combat, Boishamon apprend l’abdication de Napoléon et le retour à Paris de Louis XVIII. La division est alors dissoute avec le reste de l’armée royale le 22 juillet 1815.