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1833-1837

L’Institut agricole de Coëtbo

Le premier institut agricole du Morbihan

De 1833 à 1837, L’Institut agricole de Coëtbo à Guer (Morbihan) accueille une centaine d’élèves apprentis. Hippolyte de Béchènec puis M. Doncker, directeurs successifs de l’établissement, y œuvrent à l’enseignement des futurs agronomes ainsi qu’à la modernisation de l’agriculture française.

Le contexte de création de l’Institut agricole de Coëtbo

Durant les années 1820-1830, des écoles d’agriculture naissent en France à l’initiative de pionniers de l’agronomie. Soutenues par l’État, elles ambitionnent de moderniser l’agriculture française et de la placer à hauteur de ses concurrentes européennes.

La France ne compte alors que deux écoles agronomiques, L’Institut de Roville, fondé en 1822 1 et L’Institut de Grignon, fondé en 1826 2. La première ferme-école de France, L’École agricole de Grand-Jouan 3 est fondée en 1830 par Jules Rieffel (1806-1886) 4 à proximité de Nozay (Loire-Atlantique). L’Institut agricole de Coëtbo (Morbihan), inspiré de ces trois premières expériences, est créé en 1833 sur les domaines du château de Coëtbo à Guer (Morbihan).

En 1833, le mouvement agricole, excité par les créations précédentes, détermina la fondation de l’Institut de Coëtbo (Morbihan), destiné à donner, d’une part, l’enseignement agricole supérieur, de l’autre, l’enseignement inférieur, tel qu’il existait déjà en Allemagne dans plusieurs écoles.

HERVÉ, Louis, Le Mémorial agricole de 1867 ; ou l’Agriculture à Billancourt et au Champ-de-Mars, Paris, Au bureau de la gazette des campagnes, 1867, Voir en ligne. p. 364

1833 — la fondation de L’Institut agricole de Coëtbo

Hippolyte de Béchènec devient propriétaire du château de Coëtbo sur la commune de Guer (Morbihan) au début du 19e siècle.

Pionnier dans le domaine des techniques agricoles, il développe à partir de 1829 une société de production de sucre de betterave sur 150 hectares de son domaine.

Le château de Coëtbo en Guer

En juillet 1833, l’Institut agricole de Coëtbo est fondé sur un domaine de trois cents hectares attenant au château. Émile de Girardin (1802-1881) 5, homme de presse aux ambitions politiques et son associé Élie de Montgolfier (1784-1864) en sont les initiateurs et les principaux soutiens. Hippolyte de Béchènec, propriétaire de Coëtbo prend la direction de l’Institut.

En septembre 1833, un mois après sa fondation le nouveau directeur se félicite des progrès réalisés.

De Coëtbo, le 5 septembre [1833].

Le mois qui vient de s’écouler a produit d’importantes améliorations, tant dans l’organisation intérieure que dans les travaux du dehors. Les difficultés inséparables de première organisation d’un établissement aussi considérable ont entièrement disparu. Tout marche aujourd’hui d’un pas ferme et régulier [...]

BÉCHÈNEC, Hippolyte de, « Economie rurale - Institut agricole de Coëtbo - Morbihan - Rapport mensuel du Directeur de l’Institut », Journal des connaissances utiles, Vol. 2, 1833, p. 269, Voir en ligne.

Les objectifs de l’Institut

À sa fondation en 1833, Émile de Girardin fixe les objectifs de l’Institut agricole de Coëtbo qu’il fait paraitre dans ses journaux. L’Institut se donne cinq buts principaux :

  • De tracer à l’agriculture nationale la voie la plus courte pour atteindre, sans gaspillage d’argent et de temps, le degré de perfectionnement auquel est parvenu l’agriculture en Flandre, en Angleterre, en Suisse ;
  • D’appeler de tous les départements de la France, des élèves apportant la connaissance des méthodes et des instruments en usage dans leur arrondissement ;
  • De restituer à chaque département son contingent annuel d’élèves devenus experts, et de fournir ainsi successivement à chaque canton un moniteur, dont l’exemple sera le meilleur enseignement mutuel ;
  • De former un corps d’ingénieurs agricoles en état de diriger les travaux des plus importantes exploitations, car ils auront appris par la pratique, aidée de la théorie, quels sont les modes de culture les plus productifs, les instruments les plus utiles, etc., etc.
  • De mettre à la disposition des propriétaires membres de l’association, une vaste manufacture agricole où ils feront expérimenter les améliorations qu’ils ne pourraient entreprendre isolément sans risques et sans frais.

—  MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ET DU COMMERCE (1839-1852)., Compte-rendu de l’exécution du décret du 3 octobre 1848 relatif à l’enseignement professionnel de l’agriculture, Imprimerie nationale, 1850, 139 p., Voir en ligne. p.21-22 —

Vue de l’Institut agricole de Coëtbo
Dessin de Delton, gravure de Ferjeux. ; 1ère moitié du 19e siècle ; hauteur 16 cm, largeur 25,9 cm ; n° d’inventaire : 2017.0000.3920
Musée de Bretagne

Le financement de L’Institut

Plusieurs formes de financement sont élaborées par Émile de Girardin et Hippolyte de Béchènec pour parvenir à faire du château de Coëtbo une école d’agronomie capable de remplir les objectifs définis à sa fondation.

Les revenus de l’Institut

Le financement de l’Institut repose sur le payement des pensions des élèves, dont le prix est fixé à 400 francs pour les élèves français et à 1000 francs pour les élèves étrangers.

Selon les conventions passées entre M. de Béchènec et Émile de Girardin, le propriétaire du château prend à sa charge les frais d’exploitation mais jouit de la vente des produits, puisque aucun prix de fermage ne lui est payé. À titre de directeur, il reçoit, pour logement, nourriture, blanchissage, éclairage et chauffage, 55 centimes par élève et par jour, soit 200 francs par an. Les recettes et les dépenses sont soumises à une commission des comptes, composée de gérants de journaux 6.

Une souscription au profit de l’Institut

Dès 1833, Émile de Girardin met en place un mode de financement original consistant à organiser une souscription dans son plus important organe de presse, le Journal des connaissances utiles. Cette cotisation annuelle des souscripteurs devient la principale source de revenu de l’Institut agricole de Coëtbo.

Chaque sociétaire du journal [Le journal compte alors 130.000 abonnés] verse 1 franc pour soutenir l’Institut agricole de Coëtbo qui ouvre en juillet 1833. Il est prévu de pouvoir y accueillir jusqu’à 200 élèves gratuitement à condition qu’il soient abonnés ou fils d’abonnés.

DÉPARTEMENT DU MORBIHAN, Portraits de châteaux, Conseil départemental du Morbihan, 2019, 107 p., (« Histoire & Patrimoine en Morbihan »). [page 94]
Emile de Girardin
Assemblée nationale

Les subventions publiques

Hippolyte de Béchènec sollicite l’aide du ministère des Travaux publics, de l’Agriculture et du Commerce ainsi que du Conseil général du Morbihan dès juillet 1833. Dans un premier temps, ces institutions refusent d’accorder des aides. Pourtant dès l’été 1833, l’intérêt de l’expérience agricole et éducative menée à Coëtbo attire l’attention de l’État.

De passage à l’Institut quinze jours après son ouverture, un membre du Conseil général d’Ille-et-Vilaine s’enthousiasme à propos de l’ampleur des travaux déjà réalisés.

Ayant visité plusieurs fois l’établissement de Coëtbo dans le plus grand détail et particulièrement le 31 juillet, j’ai vu avec la plus grande surprise, treize jours après l’ouverture des cours, des choses à peine croyables : une école de près de 300 sujets de racines, plantes fourragères, légumineuses, céréales, tinctoriales et autres, cultivées en carrés d’étude pour l’instruction des élèves ; plus de mille mûriers multicaulis, plantés en boutures ou en chevelu, nombre desquels ont fait à la dernière sève des pousses de plus d’un mètre ; une collection de plusieurs milliers d’arbres indigènes ou exotiques, verts ou à feuilles caduques, également cultivés pour l’instruction forestière des élèves. Les belles collections du jardin de Fromont sont toutes venues par échantillons de plusieurs centaines de sujets peupler les vastes pépinières de Coëtbo. La culture des carottes blanches à collet vert, de celles jaunes de Flandre, celle des lentilles, lentillons, vesces, pois, etc., est faite sur une grande échelle pour la nourriture des bêtes à l’étable et celle des nombreux élèves de races choisies. La betterave blanche et jaune se cultive sur une étendue de plus de 30 hectares pour la fabrication du sucre indigène. Le navet de Norfolk est également cultivé sur une très grande échelle. J’ai vu des semis de rutabaga, de colza, soit pour laisser en place, soit pour en être repiqués.

L’école de l’établissement, faite dans une terre ordinaire, préparée seulement pour la culture de la betterave, prouve par la force de la végétation de certaines plantes combien de conquêtes notre Bretagne a encore à espérer pour augmenter sa richesse productive. La préparation des fumiers à la chaux ou au charbon, pour absorber les matières animales en putréfaction, que l’on a confectionnés à Coëtbo, et dont l’effet stimulant dépasse tout calcul, est une des industries se rattachant à l’agriculture dont la Bretagne doit s’emparer. L’hectolitre de noir animalisé, qui ne reviendrait pas à plus de 1 fr. 30 c. sur les côtes de Bretagne, en y employant les moules et autres coquillages si abondants sur les rochers, peut se payer par les cultivateurs avec avantage 13 fr., aux prix actuels des denrées. Vous entretenir, messieurs, de tous les essais que j’ai vu tenter à Coëtbo, serait outrepasser les bornes du temps que vous pouvez consacrer à m’entendre.

ROPERT, M. de, « Conseil général d’Ille-et Vilaine. 1833. Rapport sur l’Institut agricole établi à Coëtbo », Questions de Mon Temps 1836 à 1856, Vol. 12, 1856, p. 52-60, Voir en ligne.p. 60

À la suite de ce rapport, le Conseil général d’Ille-et-Vilaine vote une subvention de 400 fr., tandis que le Conseil général du Morbihan en accorde une de 860 francs qui passe à 1000 francs en 1834.

Durant les cinq années de fonctionnement de l’Institut, les allocations accordées par le département et par l’État, s’élèvent à environ 20,000 francs.

L’enseignement à l’Institut agricole de Coëtbo

Les élèves

Dès 1833, une centaine de jeunes élèves de toute la France deviennent pensionnaires de l’Institut. L’enseignement y est - en partie - prodigué gratuitement en échange du travail manuel fourni sur le domaine.

L’établissement n’admettait que des élèves internes ; outre les élèves gratuits, il recevait des élèves payants [...]. Les bourses étaient accordées aux sociétaires ou fils de sociétaires, sur la présentation de vingt-cinq sociétaires souscripteurs de l’arrondissement du candidat, et sous les seules conditions de savoir lire et écrire, d’être d’une bonne constitution et de présenter un certificat de bonne conduite.

Les cours de l’Institut

Les cours sont dispensés sur deux années au bout desquelles un diplôme est remis aux élèves.

L’instruction était théorique et pratique, et sa durée embrassait deux années. Les élèves étaient divisés, d’après leur destination ou leur aptitude, en deux sections, la section industrielle et la section agronomique. La journée des élèves était de seize heures, dont huit consacrées aux travaux pratiques, cinq aux études, et trois aux repas et délassements. Des moments convenables étaient réservés pour l’accomplissement des devoirs religieux.

L’enseignement dispensé cinq heures par jour comprend des cours d’agronomie ainsi que de nombreuses matières appliquées à l’agriculture.

  • Agriculture appliquée
  • Économie du bétail et de sylviculture
  • Comptabilité et tenue des livres
  • Chimie et physique appliquées
  • Mécanique et géométrie appliquées à la fabrication des instruments et machines
  • Dessin linéaire et perspective applicables aux constructions rurales, à l’établissement d’usines, au lever des plans et à l’arpentage
  • Notions physiologiques nécessaires à l’intelligence et à la pratique de l’hygiène
  • Notions sur l’art vétérinaire
  • Commentaires et applications de la législation, dans les dispositions qui s’appliquent aux transactions de famille, au droit municipal et rural, et dans celles qui régissent l’industrie
  • Notions sur le progrès des sciences géologiques, minéralogiques, etc.— Ministère de l’agriculture et du commerce ( 1850) op. cit. p.21-22 —

Cet enseignement a pour objectif pédagogique l’apprentissage :

  • Des modes de culture les plus productifs
  • Des instruments les plus utiles
  • Des perfectionnements qui restent encore à subir à la fabrication des boissons
  • De mode de préparation des aliments le plus économique et le plus sain
  • Des moyens de convertir sur place avec avantage les productions brutes du sol, en produits manufacturés de commerce, pour diminuer les frais de transport, éviter les déchets, et utiliser les résidus
  • Des meilleures méthodes de reproduction et d’amélioration des races chevalines, bovines, bêtes à laine, porcs, animaux de basse-cour, etc.
  • Des pratiques les plus expéditives pour ajouter, soit à la force, soit à la valeur des bestiaux, et prévenir les accidents et les maladies
  • Des procédés de travail les plus rationnels, c’est-à-dire les moins pénibles et les plus lucratifs.—  GIRARDIN, Emile de, De l’instruction publique : I. élémentaire, générale, nationale. II. complémentaire, spéciale, professionelle., Paris, A. Desrez, 1848, Voir en ligne. —

Les professeurs de l’Institut

L’instruction est donnée par quatre professeurs, au traitement de l,800 francs, et par deux contremaîtres, à 500 francs. — Ropert, M. (1856) op. cit. p. 54  —

Nous connaissons le nom de ces quatre professeurs. —  ANONYME, Bibliographie de la France, Vol. 22, Paris, Chez Pillet Ainé, Imprimeur-Libraire, 1834.p.166 —

  • M. Antoine ; ancien professeur à l’Institut de Roville
  • M. Evon ; cours d’économie du bétail et de sylviculture
  • M. Moll ; cours de culture appliquée
  • M. Doncker ; futur directeur de l’Institut de Coëtbo

La pratique de l’agriculture

Huit heures journalières sont consacrées à la pratique de l’agriculture. Le directeur de l’Institut se félicite de l’investissement de ses élèves dans ces tâches agricoles.

Employés, soit à la machine à battre, soit au raffinage du sucre de la dernière campagne qu’ils viennent de compléter, ils [Les élèves] ont manifesté beaucoup d’ardeur à se surpasser mutuellement ; et l’adresse surprenante de quelques-uns d’entre eux, dans l’application des leçons de théories, a été matériellement démontrée, par l’obtention des plus beaux produits. Tous les élèves indistinctement ont concouru à la coupe des blés, à la rentrée des foins, au gerbage et à l’emmeulage des récoltes, ainsi qu’à la conduite des charrues, herses et rouleaux employés à l’ensemencement du colza, des navets et du trèfle incarnat. Quelques-uns des travaux minutieux, comme le binage et le sarclage des betteraves, paraissent fastidieux pour de jeunes têtes avides de nouveauté et de changement d’occupation, parce que l’expérience n’a pu encore leur en démontrer toute l’importance ; mais ils aiment pardessus tout, et se livrent avec une ardeur bien remarquable aux travaux de la charrue, et chaque décurie attend avec impatience le tour où les attelages lui seront confiés.

Béchènec Hippolyte de (1833) op. cit. p. 269

Le fonctionnement de l’Institut

Dans son rapport de 1833, M. Ropert détaille le fonctionnement de cette école à la discipline et à l’organisation toute militaire.

Je vais maintenant passer à des détails qui vous intéressent davantage : ce sont ceux de l’organisation de l’école et de la partie instructive comme du travail confié à ces jeunes gens. Cinquante élèves étaient rendus le 13 juillet à l’Institut agricole. Divisés en cinq décuries commandées chacune par deux décurions choisis par la décurie, à la majorité absolue des suffrages. L’un des décurions ayant l’habitude du travail des champs les dirige dans les travaux extérieurs, le second leur sert de répétiteur des cours. A quatre heures, la cloche annonce le lever. Une décurie passe immédiatement au service des cours et écuries de la ferme ; bœufs et chevaux sont étrillés chaque jour, nettoyés, pansés, les cours balayées avec la même exactitude que dans un quartier de cavalerie, d’où résulte une augmentation de fumier et un état parfait de santé pour les bestiaux. La décurie de service s’occupe de ces travaux de quatre à neuf heures ; elle a vingt minutes pour déjeuner avec les autres. Les autres décuries, ayant terminé leur déjeuner avant cinq heures, partent pour les champs, chaque décurie ayant son travail réglé de la veille par l’ordre du jour remis aux décurions. L’une conduit quatre charrues, les herses ou rouleaux destinés à l’ensemencement ou culture des champs. Chaque élève passe successivement d’un travail à l’autre. L’un sème pendant que l’autre herse ; vient un troisième qui roule la terre que les charrues qui précèdent ont ouverte quelques instants auparavant. Rien ne peut vous donner l’idée, messieurs, du zèle que déploient ces jeunes gens pour cette succession de travaux. J’ai vu butter des pommes de terre, avec la charrue à double versoir, par des élèves formés depuis vingt-quatre heures, et qui s’en acquittaient avec une adresse qui vous aurait étonnés vous-mêmes. Il est vrai que chaque décurie est sous la conduite d’un homme de travail rétribué, tiré de chez M. de Dombasle ou de la ferme royale de Grignon. C’est ce qui explique la régularité des labours qui, jointe à l’émulation, concourt à former si promptement des sujets. D’autres décuries sarclent et buttent les betteraves, carottes et autres cultures sarclées ; d’autres sont employées à faucher les foins, les faner, enfin à tous les travaux de la saison.

Plan de l’Institut agricole de Coëtbo
Dessin de Delton, gravure de Ferjeux. ; 1ère moitié du 19e siècle ; hauteur 16,1 cm, largeur 25,9 cm ; n° d’inventaire : 2017.0000.3921
Musée de Bretagne

L’atelier d’instruments aratoires

En parallèle de l’enseignement de l’agriculture et de sa pratique, l’Institut agricole de Coëtbo vise à la modernisation des techniques agricoles. Des ateliers de labourage, de jardinage ou de fabrication d’instruments aratoires sont proposés aux apprentis afin de les inclure dans ce processus de modernisation.

Une chose manquait encore à l’Institut de Coëtbo pour le rendre aussi complet que possible, c’était de donner une plus grande extension à l’atelier d’instruments aratoires, afin que les élèves apprissent non seulement à se servir de tous les outils, mais qu’ils pussent parfaitement en connaitre et en comprendre le mécanisme et le détail, en assistant et participant eux même à leur confection. Coëtbo ne laissera rien à désirer sous ce rapport et d’après les arrangements que j’ai pris, notre atelier actuel va s’étendre sur une vaste échelle sous la direction d’un chef habile, qui, en lui donnant des développements en rapport avec la formation de l’Institut, y fera confectionner tous les instruments aratoires reconnus les meilleurs. Le bien produit par l’Institut agricole va donc être ainsi augmenté, puisqu’il pourra fournir des instruments nouveaux, spécialement aux provinces de l’ouest qui en manquent, à des prix inférieurs à ceux d’aucune fabrique maintenant existante. On peut donc dire aujourd’hui que l’Institut de Coëtbo est en mesure de réaliser tout le bien qu’on pouvait en attendre, et qu’il avait promis.

Béchènec Hippolyte de (1833) op. cit. p. 269

1834 — Les attaques contre Émile de Girardin et l’Institut agricole de Coëtbo

Entre 1833 et 1834, Émile de Girardin - déjà propriétaire de plusieurs journaux à fort tirage - fonde coup sur coup le Musée des familles (1833), et l’Almanach de France (1834), journaux tirés à un million d’exemplaires. Dans le même temps il investit dans de nombreuses affaires commerciales comme les mines de Saint-Bérain (Saône-et-Loire) ou l’Institut de Coëtbo. En 1834, ils se lance en politique et devient député de la Creuse.

Puis il brigua les suffrages des électeurs du 3e collège de la Creuse (Bourganeuf), qui l’élurent député, le 21 juin 1834, par 110 voix sur 130 votants et 150 inscrits. Mais cette élection donna lieu aux débats les plus vifs : M. de Girardin fut accusé de corruption électorale ; de plus, on alla jusqu’à lui contester la qualité de Français 7 ; des enquêtes furent ordonnées, et la validation ne fut votée qu’à grand peine. Il siégea dans la majorité gouvernementale et essaya, mais sans succès, de former à la Chambre un parti de « conservateurs progressistes ».

ASSEMBLÉE NATIONALE - BASE DE DONNÉES DES DÉPUTÉS FRANÇAIS DEPUIS 1789, « Emile de Girardin (1802-1881) -Biographie », 2019, Voir en ligne.

Le mauvais succès de ses dernières entreprises, l’attitude hostile de ses collègues de la Chambre et de ses confrères de la presse lui valent de subir des attaques dont il se défend dans ses journaux. Le 14 juillet 1834, il réagit par voie de presse pour mettre fin aux rumeurs sur le mauvais état financier de l’Institut agricole de Coëtbo et son éventuel intéressement à ce projet éducatif.

La publication des deux pièces suivantes répondra aux attaques dont l’Institut gratuit agricole de Coëtbo a été l’objet de la part de quelques élèves renvoyés en raison de leur inconduite ou de leur incapacité, et de certains détracteurs devant lesquels les institutions les plus irréprochables ne trouvent pas grâce. L’Institut de Coëtbo est l’œuvre commune de nos sociétaires ; que ceux qui l’ont commencée ne l’abandonnent pas, et ce que Rosier 8 et François de Neufchâteau 9 n’auront pu faire, la Société nationale l’aura exécutée.

CONSEIL GÉNÉRAL DU MORBIHAN, « Economie rurale : Institut gratuit de Coëtbo », Journal des connaissances utiles : Courrier des familles, 1843, p. 202, Voir en ligne.

L’homme de presse et principal soutien financier de l’Institut publie deux pièces justifiant de la bonne santé de Coëtbo.

  • Une Délibération du Conseil général du Morbihan

Le rapport du sous-préfet de Ploërmel au préfet du Morbihan décrit l’Institut comme un établissement sérieux et promis à un grand avenir.

Délibération du conseil général du Morbihan. Le conseil reconnait, comme dans la session précédente, toute l’utilité de l’établissement agricole de Coëtbo. Rien n’est plus à désirer, dans le département du Morbihan, qu’une amélioration dans le mode de culture suivi jusqu’à présent par nos laboureurs. Aussi le conseil général remercie les directeurs et fondateurs de ce bel établissement, de tous les efforts qu’ils font pour propager les bonnes méthodes, et les invite à continuer.

Le conseil regrette que l’emploi d’une partie de ses faibles ressources à d’autres objets d’utilité publique non moins importans, ne lui permette pas de plus grands sacrifices en faveur de l’Institut Coëtbo. Néanmoins, le conseil alloue une somme de 1,000 francs, et M. le préfet est invité à s’entendre avec M. le directeur pour le maintien ou l’admission dans cet établissement, de cinq élèves. Le conseil général réclame vivement toute la sollicitude du gouvernement en faveur de ce bel établissement.

Rapport du sous préfet in Conseil général du Morbihan (1843) op. cit. p. 202
  • Une lettre de soutien des élèves de Coëtbo

Les élèves de Coëtbo produisent une lettre de soutien à Émile de Girardin dans laquelle l’homme politique est présenté comme un philanthrope soucieux de l’avenir de l’agriculture française.

Les élèves de Coëtbo voudraient pouvoir vous exprimer dignement la joie que leur a fait éprouver votre nomination à la députation de la Creuse ; mais leur plume, habituée à la rédaction de modestes observations agronomiques, ne saurait se plier à rendre avec vérité les sentimens profonds de reconnaissance qu’ils éprouvent pour le noble chef de la Société nationale, fondateur du premier institut agricole gratuit de France, du Lycée national, de nombreuses Caisses d’épargnes, et de tant d’autres établissemens utiles.

Votre avènement à la députation, en même temps qu’il est la plus honorable sanction donnée à vos saines doctrines, et une récompense due à votre amour sincère du bien public, est aussi un gage de bonheur et d’avenir pour la patrie, et pour l’agriculture en particulier. Votre noble voix s’élèvera plus d’une fois, nous n’en doutons pas, dans la chambre élective, en faveur de l’agriculture ; et, profitant des heureuses dispositions déjà manifestées par le pouvoir, elle finira par amener ce premier des arts au rang qu’il mérite ; et qu’il aurait toujours dû occuper pour le bonheur de la France.

Croyez bien, monsieur, que toutes les paroles que vous prononcerez auront un écho dans nos cœurs français, car nous sommes persuadés, comme vous, qu’il n’y a pour la France ni ordre, ni liberté, ni bien-être à attendre, si une révolution agricole n’a lieu. Heureux si par notre application, notre zèle et nos connaissances acquises, nous pouvons un jour contribuer à cette bienfaisante révolution.

Agréez, monsieur, nos compliments et nos vœux sincères, et comptez surtout sur notre coopération.

— Signé —
Les élèves de l’Institut agricole de Coëtbo.

Lettre des élèves de l’Institut agricole de Coëtbo in Conseil général du Morbihan (1843) op. cit. p.202

1835-1837 — Un nouveau directeur

En 1835, malgré des résultats probants, l’Institut périclite, faute de soutiens financiers suffisants.

Les ressources que devait produire la souscription ne s’élevèrent pas au chiffre qu’on s’en était promis, et finirent par manquer tout à fait. Des mécomptes, des embarras inévitables au début d’un établissement dont l’expérience n’avait pas encore révélé les difficultés d’administration et les conditions de succès, compliquèrent la situation critique amenée par l’insuffisance des capitaux. Cependant le directeur, ayant foi dans son œuvre, persévéra encore quelque temps avec ses propres ressources. Elles ne purent suffire, et l’établissement, dont la pensée avait été grande et généreuse et qui aurait pu rendre tant de services, se ferma non sans avoir imprimé une impulsion utile au pays, bien que dans sa courte durée il n’eût pas eu le temps de donner à son enseignement et à ses cultures le développement que se proposaient ses fondateurs.

En 1835, Hippolyte de Béchènec et Émile de Girardin abandonnent la maitrise de l’Institut agricole de Coëtbo à M. Doncker, ancien professeur. L’Institut change de nom et devient l’École d’agriculture pratique, puis ferme définitivement en 1837.

En 1835, deux ans après son ouverture et malgré des difficultés certaines, l’Institut agricole devient École d’agriculture pratique et change de direction au profit de l’ancien professeur, et désormais locataire du domaine, M. Doncker. Le patronage de M. de Girardin disparait également et la réorganisation s’accompagne de l’arrivée de nouveaux investisseurs tel M. Arthur de La Bourdonnaye qui prête 55.000 francs à M. Doncker. Malgré de bon résultats, l’école périclite et faute de soutiens financiers suffisant , finit par fermer ses portes à l’été 1837.

Département du Morbihan (2019) op. cit. page 95
Lettre au préfet à propos de la réorganisation de l’Institut agricole de Coëtbo (1835)
A.D.M.

L’Institut agricole de Coëtbo, institution pionnière dans la révolution agricole de la France des années 1820-1830 n’a été active que durant cinq années. Cette courte expérience a cependant été une source d’inspiration pour la création des fermes écoles en 1848 et notamment de la première ferme école du Morbihan, à quelques kilomètres de Guer, sur les domaines du château de Trécesson en 1849.


Bibliographie

ASSEMBLÉE NATIONALE - BASE DE DONNÉES DES DÉPUTÉS FRANÇAIS DEPUIS 1789, « Emile de Girardin (1802-1881) -Biographie », 2019, Voir en ligne.

BÉCHÈNEC, Hippolyte de, « Economie rurale - Institut agricole de Coëtbo - Morbihan - Rapport mensuel du Directeur de l’Institut », Journal des connaissances utiles, Vol. 2, 1833, p. 269, Voir en ligne.

CONSEIL GÉNÉRAL DU MORBIHAN, « Economie rurale : Institut gratuit de Coëtbo », Journal des connaissances utiles : Courrier des familles, 1843, p. 202, Voir en ligne.

DÉPARTEMENT DU MORBIHAN, Portraits de châteaux, Conseil départemental du Morbihan, 2019, 107 p., (« Histoire & Patrimoine en Morbihan »).

GIRARDIN, Emile de, De l’instruction publique : I. élémentaire, générale, nationale. II. complémentaire, spéciale, professionelle., Paris, A. Desrez, 1848, Voir en ligne.

GOROSTARZU, Mme de, « Biographie de Jules Rieffel (Grand Jouan) », 2018, Voir en ligne.

HERVÉ, Louis, Le Mémorial agricole de 1867 ; ou l’Agriculture à Billancourt et au Champ-de-Mars, Paris, Au bureau de la gazette des campagnes, 1867, Voir en ligne.

ROPERT, M. de, « Conseil général d’Ille-et Vilaine. 1833. Rapport sur l’Institut agricole établi à Coëtbo », Questions de Mon Temps 1836 à 1856, Vol. 12, 1856, p. 52-60, Voir en ligne.


↑ 1 • L’Institut de Roville est créé en 1822 à Roville-devant-Bayon (Meurthe-et-Moselle) par Mathieu de Dombasle.

↑ 2 • L’Institution royale agronomique de Grignon (Yvelines) est une école d’agriculture et d’agronomie fondée en 1826 par le roi Charles X. Elle est située à Grignon, dans le parc de 500 hectares et le château éponyme construit en 1636.

↑ 3 • L’École agricole de Grand-Jouan est en 1833 le seul établissement agricole public des cinq départements bretons. Elle devient Institut Agricole en 1842, puis est transformée en École Régionale d’Agriculture et enfin en Établissement d’État en 1848. Transférée à Rennes en 1894, l’école de Grand-Jouan est devenue l’École Nationale supérieure agronomique de Rennes (ENSAR).

↑ 4 • Jules Rieffel (1806-1886) est un agronome d’origine alsacienne. GOROSTARZU, Mme de, « Biographie de Jules Rieffel (Grand Jouan) », 2018, Voir en ligne.

↑ 5 • Émile de Girardin, (22 juin 1806 – 27 avril 1881) est un journaliste et homme politique français. Considéré comme l’inventeur de la presse moderne, il crée le premier journal à prix modique en introduisant la publicité et d’autres innovations comme le roman-feuilleton et la petite annonce. Il a été surnommé le « Napoléon de la Presse ». Élu député à plusieurs reprises à partir de 1834, il siège dans la majorité gouvernementale. Dans le même temps, il se mêle activement à des affaires commerciales dont quelques-unes ont devant les tribunaux le plus fâcheux dénouement : les mines de Saint-Bérain, l’Institut de Coëtbo, le Panthéon littéraire, subventionné par Guizot, acquirent une renommée peu enviable.—  ASSEMBLÉE NATIONALE - BASE DE DONNÉES DES DÉPUTÉS FRANÇAIS DEPUIS 1789, « Emile de Girardin (1802-1881) -Biographie », 2019, Voir en ligne. —

↑ 6 • 

Ainsi, les comptes pour le premier exercice, l’exercice 1833, sont vérifiés par MM. Dreux, notaire, Guillemot, gérant du « Journal du Commerce » ; Goumy, gérant de « l’Écho français » ; L. de Lostange, gérant du « Rénovateur » ; Paulin, gérant du « National » ; Pommier, gérant de « l’Écho des Halles. »

ROPERT, M. de, « Conseil général d’Ille-et Vilaine. 1833. Rapport sur l’Institut agricole établi à Coëtbo », Questions de Mon Temps 1836 à 1856, Vol. 12, 1856, p. 52-60, Voir en ligne.p. 54

↑ 7 • 

Émile de Girardin serait, d’après son état civil, né en Suisse le 21 juin 1806 ; mais cette déclaration qui lui attribuait des parents imaginaires, a été depuis reconnue fausse, et un acte de notoriété, produit ultérieurement, a reporté l’époque de sa naissance à l’année 1802 à Paris. En réalité, ses père et mère n’étaient autres que le général Alexandre de Girardin, qui fut grand veneur sous Charles X, et Mme Dupuy, femme d’un conseiller à la cour de Paris. Le général de Girardin avoua, d’ailleurs, cette paternité en 1837, dans une commission de la Chambre des députés.

ASSEMBLÉE NATIONALE - BASE DE DONNÉES DES DÉPUTÉS FRANÇAIS DEPUIS 1789, « Emile de Girardin (1802-1881) -Biographie », 2019, Voir en ligne.

↑ 8 • François Rozier (1734-1793) est un botaniste et un agronome français.

↑ 9 • François de Neufchâteau (1750-1828) est un écrivain, homme politique et agronome français. Ministre de l’Intérieur durant le Directoire, Il s’attache à favoriser la renaissance des sociétés d’agriculture, et figure parmi les membres fondateurs de la Société d’Agriculture en 1798. Il se retire de la vie publique après l’abdication de Napoléon (avril 1814), et s’occupe presque exclusivement d’agriculture et d’agronomie : il donne tous ses soins aux réunions de cultivateurs et promeut les premiers comices agricoles.