vers 800 av.- J.-C.
Le « Gobelet de Paimpont »
Une tasse en or de l’Âge du Bronze Final
La tasse en or dite « Gobelet de Paimpont », datée de l’Âge du Bronze Final (800-700 a.v. J.-C.) a été découverte en forêt de Paimpont à la fin du 19e siècle.
Le contexte de la découverte de la tasse en or, dite « Gobelet de Paimpont », manque de précision. Si toutes les sources s’accordent pour évoquer une découverte isolée en 1880, certains auteurs la situent à la lisière de la forêt — ELUÈRE, Christiane, Les ors préhistoriques, Picard, 1982. [page 264] —, d’autres au bord de l’Aff. — GIOT, Pierre-Roland, BRIARD, Jacques et PAPE, Louis, Protohistoire de la Bretagne, Rennes, Editions Ouest-France, 1995. [pages 172-173] —
Elle a fait partie de la collection Chappée du Mans 1 puis de celle du collectionneur manceau Claude Vaudecrane (1915-2002). Elle est actuellement visible au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye qui l’a acquise au début des années 70 2.
Description et éléments de comparaison
Le gobelet de Paimpont est en or jaune à 50% d’argent avec des traces de cuivre. Il mesure 11,5 centimètres de diamètre sur 5 centimètres de haut, et pèse 132,75 grammes. Le décor extérieur de la tasse comprend une frise figurant douze oiseaux aquatiques stylisés, sous laquelle courent deux rangées de cercles pointés entourés de bourrelets torsadés. Comparée à d’autres représentations artistiques de l’Âge du Bronze armoricain, la tasse de Paimpont révèle un caractère exceptionnel.
L’art de l’Age du Bronze reste purement géométrique, du Bronze Ancien au Bronze Final, avec un style décoratif sobre, austère même, à base de combinaisons de traits gravés ou incisés, dessinant de simples motifs géométriques, rectilignes, triangles, chevrons, zigzags, plus variés dès la fin du Bronze moyen. Le Bronze Final voit l’apparition d’arceaux, de lentilles, etc... On peut même interpréter comme symboles solaires quelques cercles concentriques ou rouelles du Bronze final. Des raisons religieuses pouvaient interdire la représentation animalière ou humaine. Il faut attendre l’extrême fin du Bronze Final pour voir, sans doute sous l’influence des civilisations hallstattiennes de l’Age du Fer, apparaître quelques figurations animales.
Les cercles pointés entourés de bourrelets torsadés, relativement communs, peuvent être assimilés à des symboles solaires que l’on retrouve sur d’autres objets de même époque. Mais la frise d’oiseaux aquatiques est quant à elle exceptionnelle. On connait bien quelques très rares représentations en Bretagne d’animaux datés de l’Âge du Bronze Final, mais celles d’oiseaux est unique comme le notent Roland Giot et Jacques Briard, qui comparent ces représentations animales à de très rares modèles nordiques, s’interrogeant sur la présence de cet objet en forêt de Paimpont.
Cette figuration animale exceptionnelle n’a d’autres répliques que dans l’Age du Bronze nordique ce qui nous entraine vers l’extrême fin du Bronze Final. [...] Comment interpréter ces vaisselles d’art qui souvent suggèrent de lointaines corrélations ? Comme des cadeaux exceptionnels de voyageurs ou chefs étrangers ou le fruit d’expéditions lointaines de quelque aventureux héros armoricain ? Roman peut-être, mais on ne peut nier le caractère nordique de la tasse en or de Paimpont qui témoigne de contacts avec l’Allemagne du Nord ou le Danemark.
Dans un ouvrage de 2002, Jacques Briard rapproche les oiseaux stylisés du gobelet de Paimpont de ceux figurant sur des objets découverts au Danemark et en Hongrie.
Le fond du vase possède une large dépression circulaire. Au bord de la tasse une anse plate est soudée dans laquelle sont insérés deux anneaux permettant de suspendre la précieuse vaisselle. La décoration comprend un registre médian avec deux séries superposées de petits anneaux concentriques, symboles solaires que l’on retrouve sur d’autres tasses de l’Age du Bronze en France : Rongères, Allier ou Villeneuve-Saint-Vistre, Marne. Mais son originalité est la frise d’oiseaux aquatiques stylisés qui court sous le rebord. Ces cygnes se retrouvent sur les beaux chaudrons cultuels en bronze de Mariensmunde Mose au Danemark ou de Mozökövesd en Hongrie, à l’aube de l’Age du Fer (Fig. 81).
Mythes solaires et aquatiques de l’Âge du Bronze
Les spécialistes de l’Âge du Bronze s’accordent à reconnaitre l’origine nordique ainsi que le caractère solaire des représentations de la tasse :
L’origine des représentations de palmipèdes est à rechercher dans les mythes solaires de l’Age du Bronze (Tasse d’or de la Forêt de Paimpont (Ile-et-Vilaine - M.A.N.) particulièrement fréquentes en Scandinavie...
L’or, matériau très prisé de l’Âge du Bronze en raison de son inaltérabilité, conférait sans nul doute des propriétés particulières à la tasse de Paimpont. — Giot Roland (1995) op. cit., p. 172. — Son utilisation est certainement à rattacher au mythe solaire représenté sur l’objet. La présence d’oiseaux aquatiques sur le récipient évoque aussi le monde de l’eau et des fontaines, univers familier de la forêt de Paimpont.
En ces pays [Scandinaves], les oiseaux symboliques étaient ceux qui transportaient vers les paradis célestes les âmes des pauvres humains défunts. Mais en cette forêt de Brocéliande, où rien ne se fait comme ailleurs, cette tasse sacrée pouvait encore jouer d’autres rôles. N’est ce pas avec une tasse en or que l’on répandait l’eau sur le perron de la Fontaine de Barenton pour déclencher les orages ? Peut-être serait-elle le témoin d’un culte des eaux remontant au plus loin de notre Protohistoire.
C’est l’hypothèse développée par Philippe Walter qui établit un lien entre cet objet protohistorique et les mythes arthuriens de la fontaine de Barenton.
Certains motifs iconographiques comme ceux qui figurent sur la tasse d’or trouvée à Paimpont permettent d’entrevoir l’importance d’une antique mythologie des oiseaux d’eau déjà bien établie par les travaux de J. Déchelette. [...] C’est aussi la raison pour laquelle cette tasse en or de l’âge du bronze trouvée près de la fontaine de Barenton s’explique si bien avec son décor de cygne à travers la mythologie des femmes-cygnes attachées au mythe brittonique arthurien : la fée de la fontaine ne peut être dans ce contexte mythologique qu’un oiseau d’eau.
Un objet du Bronze Final ?
Le Gobelet de Paimpont est classé dans les collections du musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye dans les objets de l’Âge du Bronze Moyen (vers 1500-1250 av. J.-C.). Jacques Briard estime quant à lui que le décor de la tasse en or est comparable à celui de chaudrons en or de la fin du Bronze Final (vers 800 av. J.-C.), découverts au Danemark ou en Hongrie (Fig. 81). L’archéologue évoque un lien possible avec la fabrication intense des haches à douille prémonétaires de type « Maure-de-Bretagne » produites à cette époque. Des centaines de ces haches ont été découvertes au sud du massif forestier de Paimpont dont celles du dépôt du Bois du Loup en Augan. Ce commerce a pu engendrer une certaine opulence ainsi que des contacts avec des cultures de l’Europe centrale ou du Nord. — BRIARD, Jacques, Mégalithes de Haute-Bretagne. Les monuments de la forêt de Brocéliande et du Ploërmelais, structure, mobilier, environnement, Vol. 23, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 1989. [page 119] —
Selon Jean Danzé, la datation du Gobelet de Paimpont doit être avancée vers 650 av. J.-C. Cette nouvelle datation est déterminée par la comparaison des motifs décoratifs du Gobelet avec ceux d’objets découverts dans le nord de l’Italie. Ces objets sont apparentés à la culture italique des Vénètes du sud des Alpes :
Cette représentation figurative d’un thème animal est très rare dans nos régions, et jusqu’à une époque récente elle était considérée par les spécialistes comme caractéristique de la civilisation du bronze de l’Europe du nord. Ce qui incitait à envisager une importation en provenance de l’Allemagne du nord, voire de Scandinavie, vers 700 av. J.-C. En fait, le symbolisme de l’oiseau aquatique est bien présent dans le cadre hallstattien occidental final, où on le retrouve comme thème de décoration de fibules, aux côtés d’autres représentations figuratives comme celle du cerf. Mais des travaux plus récents, et notamment ceux d’Otto Hermann Frey, ont permis, en s’appuyant sur l’étude des décorations au repoussé des objets hallstattiens, de disposer d’une véritable grammaire stylistique, et de situer l’origine de ces motifs animaliers dans les céramiques et les bronzes d’Este, Padoue et Bologne du VIe siècle. En conséquence, il apparait désormais clairement que ces oiseaux aquatiques sont des répliques de prototypes d’Italie du nord. Fritz Moosleitner, qui a travaillé sur le site de Dünberg, proche de Hallstatt, est encore plus précis, et attribue la décoration des fibules en têtes de canards aux Vénètes du sud des Alpes.