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1792-1800

Le Registre de l’abbé Guillotin

Une chronique de la Révolution à Concoret

Le Registre de l’abbé Guillotin ou Registre de Concoret est un manuscrit rédigé entre 1792 et 1800 par l’abbé Guillotin, prêtre réfractaire caché dans sa paroisse natale de Concoret durant la Révolution.

Registre dressé par moi Pierre Paul Guillotin curé de Saint-Servan, résidant présentement à Concoret mon lieu natal pour inscrire les baptêmes, mariages et décès pendant mon séjour dans le païs.

GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul, « Registre de l’abbé Guillotin », Concoret, 1791, Voir en ligne. [page 1]

Le Registre de l’abbé Guillotin est un manuscrit composé de deux cent quatre-vingt-huit feuillets d’épais vélin de taille 30 X 18 cm. Il est introduit par un préambule de trois pages. Le corps du texte comprend trois parties distinctes.

  • Les actes du culte sont organisés en trois chapitres : Les baptêmes, Les mariages et Les décès.
  • La chronique des évènements et faits divers de Concoret de 1791 à 1800
  • L’histoire religieuse et civile de Concoret

1792-1800 — Les actes du culte

L’abbé Guillotin est expulsé par le clergé constitutionnel de sa paroisse de Saint-Servan (Ille-et-Vilaine) en juin 1791. Âgé de quarante et un ans, il se réfugie sur sa paroisse natale de Concoret (Morbihan). Le recteur Guillaume Bétaux 1, en charge de cette paroisse, signe les actes du culte durant les trois premières années de la Révolution. L’abbé Guillotin exerce quant à lui la charge de chapelain de Sainte-Anne de Beuve, petite frairie de la paroisse de Mauron. En septembre 1792, tous les clercs non assermentés sont sommés d’émigrer sous peine d’être arrêtés et condamnés. Ces lois républicaines marquent le début de l’exil pour de nombreux prêtres, dont le recteur et la plupart des vicaires de Concoret.

Le mardi 25 septembre 1792, M. Guillaume Bétaux, recteur de Concoret, âgé de 75 ans, est sorti de son presbytère. Il était accompagné de MM. Joseph Houssu, Julien Desbois, Mathurin Regnard, Philippe Barbier, prêtres de Concoret et de M. Jean-Baptiste Salmon, diacre. Avant de partir, M. Betaux m’a béni une pierre sacrée, en qualité de président de conférences, m’a recommandé sa paroisse, tandis que je pourrais y rester, et m’a donné permission d’y faire les mariages.

GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul et ROPARTZ, Sigismond, Le registre de Concoret. Mémoires d’un prêtre réfractaire pendant la Terreur, Publié pour la première fois sur le manuscrit de l’abbé Guillotin, Saint-Brieuc, L. Prud’homme, éditeur, 1853, Voir en ligne. p. 6

L’abbé Guillotin succède à l’abbé Bétaux. De la fin septembre au mois de novembre 1792, les actes de la paroisse de Concoret, conservés aux Archives Départementales du Morbihan, portent tous sa signature.

Les baptêmes et mariages que j’ai faits depuis le 25 septembre jusqu’à l’onze novembre sont inscrits sur le registre ordinaire actuellement en la disposition de la municipalité qui vient de se saisir de tous les registres en vertu des décrets de l’assemblée nationale.

GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul, « Registre de l’abbé Guillotin », Concoret, 1791, Voir en ligne. [page 3]

En novembre 1792, l’évêque constitutionnel du Morbihan, Charles Le Masle demande à ce que l’Église ait désormais ses propres registres. L’abbé Guillotin commence la rédaction des actes du culte en réaction à la procédure républicaine nouvellement instituée.

Le 11 novembre 1792, Mathurin François Marie Viallet est nommé par la municipalité officier public pour enregistrer les naissances, mariages et sépultures et assurer par là l’état-civil des citoyens ; mais comme dans la nouvelle forme d’enregistrement il n’est fait mention ni de baptêmes, ni de bénédiction nuptiale, il paraît nécessaire de tenir un registre particulier par lequel les catholiques puissent reconnaître dans la suite que leurs naissances et mariages ont été sanctifiés par les sacrements et cérémonies de la religion. C’est la raison pour laquelle je tiens le présent à Concoret le 11 novembre 1792.

GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul, « Registre de l’abbé Guillotin », Concoret, 1791, Voir en ligne. [page 3]

L’abbé Guillotin signe le premier acte de son Registre le 13 novembre 1792. Durant huit ans, il y consigne les baptêmes, mariages et sépultures des habitants fidèles au culte catholique. Quelques prêtres réfractaires, cachés dans la région de Concoret, l’aident à l’occasion à célébrer les actes clandestins. —  MOISAN, André, « Un document exceptionnel, le Registre de Concoret de l’abbé Guillotin », Bulletin et mémoires de la Société polymathique du Morbihan, Vol. 138, 2012, p. 187-211. [page 197] —

Tous les actes du Registre, à de très rares exceptions [21-5], sont signés de sa main, même ceux où il indique l’intervention d’un autre prêtre [209-211]. On remarque aussi que le dernier baptême fait par M. Peruchot, recteur du Bran, comme neuf autres à partir du 15 mars, toujours signés Guillotin, date du 24 mai 1800 [211], soit trois mois après son départ définitif pour Saint-Servan. Il a dû en être informé et n’a pas voulu les oublier.

Moisan, André (2012) op. cit., p. 197

La moitié de ces actes ont lieu sur la paroisse de Concoret, les autres dans les paroisses limitrophes de Gaël, Muel, Saint-Malon, Saint-Méen, Néant, Bléruais, Mauron et Paimpont. Son action est facilitée par la majorité des habitants restés fidèles à la religion catholique, par les autorités municipales elles-même, voire le District.

En décembre 1792, l’abbé Guillotin reçoit de M. Durand de la Furonière, grand-vicaire de l’évêque de Saint-Malo, en exil à Jersey, des pouvoirs très étendus pour tout le diocèse de Saint-Malo.

1° Le pouvoir de confesser toutes sortes de personnes, dans toute l’étendue du diocèse de Saint-Malo et d’absoudre de tous les péchés, cas et censures réservées, même spécialité ; de commuer les vœux simples et même d’en dispenser ainsi que toutes les irrégularités, et tous autres pouvoirs que l’évêque peut donner par rapport à la confession, exprimés ou non exprimés dans l’instruction de l’évêque de Langres.
2° Le pouvoir de réhabiliter les mariages faits, mais nuls par empêchement dirimant soit public, soit occulte, servatis de jure servandis, et même de célébrer les mariages à faire si l’on ne peut, pour cet effet, recourir aux propres et légitimes recteurs non jureurs. Pouvoir, aussi, de dispenser des trois bannies catholiques et de tout autre empêchement prohibitif ou même dirimant dans tous les degrés et dans tous les cas où il est d’usage de dispenser dans le diocèse de Saint-Malo.
3° Permission de bénir les ornements et de faire toute autre bénédiction qui n’exige point d’onction, même de réconcilier les chapelles, églises et cimetières. Tous ces pouvoirs sont pour toute l’étendue du diocèse de Saint-Malo et dureront jusqu’à révocation.[...]

HÉLIGON, abbé Joseph Judicaël, « Le Registre de Concoret : Journal de l’abbé Guillotin, 1791-1800 », Revue Morbihannaise, 1904, p. 187-194 ; 250-260 ; 304-318 ; 352-360. [pages 259-260]

L’abbé Guillotin a célébré près de 700 actes de baptême durant la Révolution. Les baptêmes de 1792 et du début 1793 ont encore lieu dans l’église de Concoret. Très rapidement l’abbé, obligé d’agir dans la plus stricte clandestinité, célèbre les actes du rituel catholique dans une maison particulière à cause de la persécution 2.

Les cent quatre-vingts mariages du Registre sont pour l’immense majorité célébrés par l’abbé Guillotin. Quelques prêtres interviennent cependant lors de ses absences 3.

L’abbé Guillotin signe près de trois cent cinquante actes de sépulture et mentionne la cause du décès, le plus souvent naturelle, parfois liée à la guerre civile et à ses excès.

La chronique de Concoret

La chronique de Concoret durant la Révolution relate des évènements survenus entre 1792 et 1800. Elle comprend deux cent seize pages dans lesquelles l’abbé mentionne, de façon chronologique, les faits marquants et évènements qu’il juge dignes d’êtres notés.

Pour chacune des années 1792-1800 : après la liste des actes cultuels, l’auteur rédige des Notes sur l’année... où il rapporte dans l’ordre chronologique les faits nationaux et régionaux, tant dans l’ordre religieux que civil, dont il a eu connaissance, soit par la presse qui circule, soit par les renseignements qu’il a recueillis au cours de ses nombreux déplacements.

Moisan, André (2012) op. cit., p. 199

La forme adoptée par l’abbé est celle de la chronique, écrite dans un style qui se veut neutre, laissant les faits parler d’eux-mêmes.

[...] l’auteur y dissimule son rôle autant qu’il le peut et ne parle que très rarement à la première personne ; c’est le résumé de l’histoire locale, tenu au jour le jour avec toute la brièveté et la sécheresse inhérentes à ces sortes de récits.

Héligon, abbé Joseph Judicaël, (1904) op. cit., p. 191]

Le début de cette chronique est daté du 5 juin 1791, au moment où l’abbé Guillotin se réfugie dans sa paroisse natale de Concoret.

[...] Le 5 juin 1791, je fus contraint par défaut de serment d’abandonner la cure de Saint-Servan et de me retirer dans mon lieu natal. J’ai été l’espace d’un an chapelain de Beuve.

Guillotin, Abbé Pierre-Paul ; Ropartz, Sigismond (1853) op. cit., p. 6

La relation des évènements ne commence pourtant véritablement qu’à la fin septembre 1792, lorsque les lois républicaines contre les prêtres réfractaires l’obligent à entrer en clandestinité.

[...] Concoret était l’un des théâtres les plus animés de cette atroce guerre de chouannerie qui fit couler tant de sang en Bretagne : aussi ne sont-ce point les faits qui manquent à l’historien. C’est une chronique nue, froide, impartiale des faits, rien que des faits, pas le plus petit commentaire : on ne sait presque point si l’auteur est blanc ou bleu, patriote ou chouan ; il disparaît tout entier dans son œuvre. [...] On n’a donc aucun lieu de soupçonner l’impartialité de l’auteur et l’on peut s’abandonner sans réserve à l’impression que fait naître dans l’âme une pareille lecture.

LE MAOUT, Charles, Bibliothèque bretonne, collection de pièces concernant l’ancienne province de Bretagne, Saint-Brieuc, Imprimerie de Ch. Le Maout, 1851, Voir en ligne. pp. 198-199

La rédaction quasi quotidienne des faits reportés avec soin dans son registre dure près de huit ans. La chronique s’achève en mars 1800 par son départ à Saint-Servan.

Le 15 mars, je me suis mis en route pour retourner à St-Servan, et Concoret est resté sans prêtre. M. Péruchot, prêtre du Bran, a promis de s’y rendre utile autant qu’il le pourrait. En mai, M. Bigaré, prêtre de Mauron, vient à Concoret, faire les fonctions curiales avec l’approbation de M. Rosy, vicaire-général du Diocèse de Saint-Malo.

Guillotin, Abbé Pierre-Paul ; Ropartz, Sigismond (1853) op. cit. p. 53

L’Histoire de Concoret

L’Histoire religieuse et civile de Concoret constitue la dernière partie du manuscrit, de la page 217 à la page 382. Cette première histoire de Concoret n’a jamais été publiée. L’abbé Guillotin y fait pourtant figure de précurseur, devançant les travaux historiques de nombreux recteurs des 19e et 20e siècles.

L’abbé Guillotin organise le résultat de ses recherches historiques en douze chapitres traitant de l’histoire religieuse ou civile de Concoret. De nombreux éléments de ces notices historiques sont à ce jour les seules informations que nous possédions sur les sujets traités.

  • Origines de la paroisse de Concoret (p. 217-224)
  • Confréries de l’église de Concoret (p. 225-231)
  • Fondations et chapellenies de Concoret (p.232-243)
  • Le presbytère, les revenus, la cure (p. 243)
  • Chronique des recteurs de Concoret (p. 244)
  • Liste des trésoriers de l’église de Concoret (p. 249-253)
  • Les chapelles de Concoret (p. 249-253)
  • Monuments de piété situés en Concoret (p. 259-268)
  • Droits des usagers en la forêt de Brécilien (p. 271-281)
  • Siège et prise de Comper (p. 281)
  • Liste des prêtres de Concoret sans ordre (p.292-335)
  • Notes sur ma famille (p. 335-342)

Selon Sigismond Ropartz, c’est pour sauvegarder les traditions de sa paroisse des tourments de la Révolution que l’abbé Guillotin a transposé par écrit ces pages d’histoire.

[...] comme il voyait grossir la tempête qui allait engloutir dans un naufrage sans exemple tous les monuments de notre histoire, l’abbé Guillotin s’est hâté de recueillir les traditions qui concernaient Concoret, son église, ses chapelles, ses châteaux, ses manoirs, ses familles. Ces notes archéologiques dévoilent un esprit curieux et exercé, et il y a, selon moi, quelque chose d’admirable dans la foi de ce pauvre prêtre, qui, au milieu de toutes les horreurs de la sinistre époque qu’il traverse, sent assez de calme confiance dans l’avenir pour s’occuper du passé et pour essayer de réparer, autant qu’il est en lui, la large déchirure que la révolution a faite dans nos annales et dans nos mœurs.

Guillotin, Abbé Pierre-Paul ; Ropartz, Sigismond (1853) op. cit., p. II

Le journal de l’abbé Guillotin s’arrête en mars 1800. On peut cependant penser qu’il prend sa forme définitive durant les quatorze dernières années de sa vie. Établi dans le calme de la vie paroissiale de Saint-Servan, il peut revenir sur ses textes manuscrits de la période révolutionnaire et notamment sur la partie historique.

On peut se demander, ici, sous quelle forme l’auteur écrivit primitivement son journal. Il est probable que nous n’en possédons point le texte original et la raison en est que le registre actuel parait trop soigné comme écriture, trop volumineux et par suite trop difficile à cacher ou à transporter en temps de troubles ou d’alertes fréquentes ; il semble donc préférable d’admettre que M. Guillotin consigna tout d’abord ses impressions, ses remarques et les différents actes de mariages ou de baptêmes sur des feuilles volantes, se réservant de revoir celles-ci et de les mettre en ordre à une époque plus favorable. Une autre preuve nous est fournie par les notices historiques sur Concoret et le château de Comper : la période révolutionnaire ne se prêtait guère aux recherches faites dans les archives ou les chartriers pour la plupart dispersés et détruits ni aux rédactions à tête reposée ; sur ces chapitres encore, l’abbé dut prendre comme point de repère des annotations recueillies à une date antérieure. Rentré à Saint-Servan dans la vie calme et reposante de son presbytère, il eut tout le loisir de compulser ses extraits et de leur donner la forme définitive sous laquelle nous le lisons aujourd’hui.

Héligon, abbé Joseph Judicaël, (1904) op. cit., pp. 192-193

Bibliographie

GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul, « Registre de l’abbé Guillotin », Concoret, 1791, Voir en ligne.

GUILLOTIN, abbé Pierre-Paul et ROPARTZ, Sigismond, Le registre de Concoret. Mémoires d’un prêtre réfractaire pendant la Terreur, Publié pour la première fois sur le manuscrit de l’abbé Guillotin, Saint-Brieuc, L. Prud’homme, éditeur, 1853, Voir en ligne.

HÉLIGON, abbé Joseph Judicaël, « Le Registre de Concoret : Journal de l’abbé Guillotin, 1791-1800 », Revue Morbihannaise, 1904, p. 187-194 ; 250-260 ; 304-318 ; 352-360.

LE MAOUT, Charles, Bibliothèque bretonne, collection de pièces concernant l’ancienne province de Bretagne, Saint-Brieuc, Imprimerie de Ch. Le Maout, 1851, Voir en ligne.

MOISAN, André, « Un document exceptionnel, le Registre de Concoret de l’abbé Guillotin », Bulletin et mémoires de la Société polymathique du Morbihan, Vol. 138, 2012, p. 187-211.


↑ 1 • L’abbé Guillaume Julien Bétaux est né à Lancieux (Côtes-d’Armor) en 1717. Il est d’abord professeur de philosophie à Dinan (Côtes-d’Armor) puis vicaire à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) avant d’être nommé recteur de Concoret à partir de 1756. Il prête un serment restrictif le 19 février 1791 qui l’oblige à l’exil en novembre 1792. Il meurt à Jersey fin 1797 ou début 1798 assisté par Joseph Houssu, futur recteur de Concoret en 1802.

↑ 2 • Quelques baptêmes sont célébrés par d’autres prêtres que l’abbé Guilltotin. M. Regnard, prêtre du Bran célèbre dix baptêmes en 1796 ; M. Besnard, curé de Mauron, quatre en 1797 ; M. Perruchot, prêtre du Bran, dix en 1797, cinq en 1799, et dix en 1800

↑ 3 • Le 29 septembre 1795, un mariage est béni par M. Regnard (p. 101) ; deux mariages de 1795 par M. Peltier, prêtre à Paimpont ; M. Peruchot, Regnard et Clouet, recteurs de Gaël, M. de Roblaire, vicaire à Néant célèbrent chacun un mariage en 1797. M. Peruchot célèbre un mariage le 16 février 1798 et M. Delblond, vicaire à Saint-Méen, le 16 janvier 1799.