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1843

Le Rocher de Rumigny

L’état-major du camp du Thélin

Le rocher de Rumigny est un escarpement rocheux situé dans les landes du Thélin entre la Vieille-Ville et la Buslais en Plélan-le-Grand. Il a pris ce nom après avoir abrité l’état-major du général de Rumigny lors de l’installation du camp du Thélin en août 1843.

L’État-major du Thélin

Le comte de Rumigny, aide de camp de Louis-Philippe et lieutenant général de la 13e division militaire prend le commandement du camp du Thélin en août 1843. Il fait installer son état-major sur le rocher surplombant le ruisseau des « Raferies », affluent de l’Aff. Un article daté de l’été 1843 donne un aperçu de la popularité du général auprès des habitants des localités voisines.

Avant de descendre dans les quartiers de l’infanterie, montons à la tente du général de Rumigny. On ne tarit pas, à Plélan comme à Thélin, sur l’affabilité, la grâce, et la généreuse satisfaction avec lesquelles l’honorable général fait les honneurs du camp. Son éloge est dans toutes les bouches. Le riche et le pauvre, tous sont cordialement accueillis ; on ne saurait avoir d’aussi unanimes et plus vives sympathies. M. le général de Rumigny sait faire aimer la dynastie par tous ceux qui approchent de lui.

L*****, « Le camp du Thélin », Feuilleton du Globe, 1843.

Son état-major est confortablement installé au sommet de l’escarpement rocheux afin d’y pouvoir suivre le déroulement des manœuvres.

Le Rocher de Rumigny
05/10/2015
René Barrat

Le quartier du général domine tout le camp. Une grande tente, sous laquelle sont disposés des pliants et qu’entourent des fleurs envoyées de toutes les maisons de campagne voisines au bien aimé commandant, offre une vue admirable. On y distingue tous les mouvements de la population du camp, le bruit des conversations, de la musique. On plonge sur des vallées couvertes de bois, et on aperçoit le champ de manœuvres, mais on ne distingue qu’imparfaitement les manœuvres sans lunettes d’approche. Les tentes où sont le lit du général commandant et sa salle à manger sont à deux pas au-dessus de la grande tente d’observation, puis viennent les tentes des généraux de brigade et des officiers d’état-major. Des guérites en bruyères et les sentinelles qui entourent ce quartier, tout ceci au sommet de rochers escarpés, présentent un coup d’œil ravissant.

L*****, « Le camp du Thélin », Feuilleton du Globe, 1843.

Depuis l’implantation sur ce surplomb de l’état-major du camp du Thélin, le site a été nommé « Rocher de Rumigny ». Un court texte y a été gravé dans la pierre pour marquer le passage du général :

ROCHER
RUMIGNY
CAMP
1843

Inscription sur le Rocher de Rumigny
05/10/2015
René Barrat

Le général de Rumigny : éléments biographiques

Marie-Théodore Gueilly de Rumigny est né à Paris le 12 mars 1789. Sa famille, originaire de Picardie, s’exile à Rotterdam (Pays-Bas) pendant la Terreur, puis en Angleterre où sa mère subvient difficilement aux besoins de ses cinq enfants.

La famille de Rumigny, rayée de la liste des émigrés après le coup d’État du 18 Brumaire et le début du Consulat, peut rentrer en France. Le Premier Consul, Bonaparte, accorde des protections à madame de Rumigny, lui permettant d’éviter la misère et le déclassement social. Il fait d’abord admettre l’ainé, Marie-Hyppolite (1784-1871) dans les bureaux du Ministère des Affaires Étrangères. Théodore entre quant à lui à l’École Militaire de Fontainebleau en 1805. Il en sort un an plus tard sous-lieutenant et fait ses premières armes dans la campagne de Prusse. Le 6 juin 1809, il se distingue au combat de Presbourg et obtient le grade de lieutenant. Il se fait à nouveau remarquer à Wagram et devient adjudant-major dans le 12e régiment de ligne.

C’est au cours de la campagne de Russie qu’il devient aide de camp et connait un avancement rapide sous la protection du Général Gérard. Il est décoré de la main de Napoléon à Smolensk. Chef de bataillon en 1813, il est fait officier de la Légion d’Honneur après la bataille de Dresde, puis promu colonel à 25 ans, après les combats de Nangis et de Montereau en février 1814.

Avec le changement de régime (Restauration - 6 avril 1814), il perd son grade de colonel et passe à une demi-solde avec le traitement de chef de bataillon. Il récupère son grade au retour victorieux de Napoléon de l’Ile d’Elbe et participe activement aux Cent-Jours (du 20 mars au 8 juillet 1815) durant la campagne de Belgique avec le Général Gérard.

La seconde Restauration (1815-1830) ne lui est pas plus favorable puisqu’il est à nouveau dégradé. Mais le général Gérard continue de le protéger et lui permet d’intégrer en 1818 le Palais Royal où le duc d’Orléans (futur Louis-Philippe) se l’attache en qualité de lieutenant colonel aide-de-camp. Il se marie à Laval en 1818 avec Louise Segrétain. En 1826, il obtient la réintégration dans son grade et retrouve sa solde de colonel.

La Révolution de Juillet 1830 lui est favorable. Il devient député de la Somme et siège dans la majorité conservatrice où il vote systématiquement en faveur des décisions de Louis-Philippe.

Mes opinions politiques sont celles qu’on appelle du juste-milieu. Je hais l’anarchie et le despotisme et combattrai l’un et l’autre tant que je vivrai. Je suis dévoué de corps et d’âme au roi et à sa famille ; et si mon sang coule quelque jour pour sa cause, je m’estimerai heureux, parce que je crois que le bonheur de mon pays y est attaché.

MAIRIE DU MANS, « Biographie. Le général de Rumigny, aide de camp du Roi. », Affiches, annonces judiciaires, avis divers du Mans, et du Département de la Sarthe, Vol. 65 / 1, 1835, p. 93-95, Voir en ligne.

Dans le même temps, il est nommé maréchal de camp au Château royal puis Commissaire du Roi dans l’Ouest. Il fait alors libérer Louis Cadoudal 1 en engageant sa parole d’honneur et obtient l’Étoile du Commandeur des mains du roi.

En 1831, il est nommé député de la Mayenne. Lors de l’insurrection du 5 mai 1832 2, il prend le commandement des forces armées et de toutes les gardes nationales auxquelles il donne l’ordre de désarmer les campagnes. Après avoir apaisé les troubles en Mayenne, il est nommé commandant des arrondissements de Vitré et de Fougères où il rétablit l’ordre. Le général Gérard qui a pris le commandement de l’armée du Nord l’appelle auprès de lui et lui donne le commandement de la 2e brigade. Sa femme meurt du choléra cette même année.

De retour à Paris, il reçoit la grand-croix de la Légion d’honneur. Il « s’illustre » alors en compagnie de Bugeaud 3 au cours de la journée du 14 avril 1834 et des « massacres de la rue Transnonain » 4. Une lithographie de Honoré Daumier 5 porte témoignage du massacre. Rumigny ne sera jamais jugé pour cette répression sanglante contre les forces républicaines. —  SARRUT, Germain et BOURG, Edme-Théodore (dit Saint Edme), Biographie des Hommes du Jour, Vol. 2, Paris, Henri Krabbe, libraire éditeur, 1836, Voir en ligne. pp. 300-301 —

Promu lieutenant général le 21 juin 1840, il est un temps pressenti pour être Gouverneur Général de l’Algérie à la place de Bugeaud. Familier de Louis-Philippe, il dirige notamment le camp du Thélin en 1843. La fin de la Monarchie de Juillet en février 1848 l’oblige à s’exiler en Angleterre en compagnie du roi. Il est mis à la retraite d’office le 8 juin 1848.

De retour en France, il réside jusqu’à sa mort au château de Maison-Rouge à Gagny (Seine-Saint-Denis), que Louis-Philippe avait mis à sa disposition et qu’il rachète le 12 janvier 1853, à la suite du décret confisquant les biens de la maison d’Orléans.

Rumigny se remarie en 1849 avec une jeune femme, Aglaé Dubois, fille d’un riche député d’Amiens. Il occupe sa retraite à rédiger des souvenirs, qui ne sont publiés qu’en 1921. —  RUMIGNY, Marie Théodore de Gueilly, comte de et GOURAUD D’ABLANCOURT, Renée, Souvenirs du général comte de Rumigny, aide de camp du roi Louis-Philippe (1789-1860), Paris, Émile-Paul frères, 1921, Voir en ligne. — Il meurt à Gagny le 24 juin 1860.

La chute de cheval du colonel Phelippeaux

Selon un texte paru en 1961 et depuis reproduit dans de nombreux documents, le Rocher de Rumigny devrait son nom au capitaine de Ruminy, alors en manœuvres au camp du Thélin, qui y aurait fait une chute mortelle en 1843.

Au cours des manœuvres qui eurent lieu au camp du Thélin au mois de septembre 1843, dirigées par le Duc de Nemours, fils du roi Louis-Philippe, l’un des officiers de l’état-major trouva la mort au cours d’une chevauchée qui amena la monture de cet officier, lancée au galop au haut d’un rocher abrupt, d’où cheval et cavalier se précipitèrent pour s’écraser au fond du ravin. Une inscription gravée dans la pierre, mais difficilement lisible, rappelle cet événement. Ce lieu porte depuis le nom de Rocher de Ruminy en souvenir du capitaine de Ruminy, la victime de cette chute.

PARLIER, Lucien et GOUNEAU, Anatole, Plélan et les Forges de Paimpont, Rennes, Imprimerie Bretonne, 1961. [page 10]

Il n’existe pourtant aucune trace écrite de cette chute soi-disant advenue au capitaine de Ruminy. Les journaux de l’époque évoquent bien la chute d’un officier, non mortelle cependant, sans rapport avec le nom du rocher.

M. Phelippeaux, colonel du 21e léger, en garnison à Nantes, a fait une chute de cheval au camp de Plélan, et s’est cassé un bras.

ANONYME, « Nouvelles des provinces », L’Ami de la religion et du roi : journal ecclésiastique, politique et littéraire, Vol. 118, 1843, p. 443, Voir en ligne.

Cette chute de cheval semble même lui avoir valu une décoration qu’il reçoit le samedi neuf septembre 1843, au cours de la revue d’honneur du camp de Plélan par le Duc de Nemours.

M. le colonel du 21e léger a reçu la croix de commandeur de la Légion d’Honneur. Cet officier supérieur qui porte encore le bras en écharpe, était à cheval à la tête de son régiment.

ANONYME, « On lit dans le Progrès de Rennes : », Journal des débats politiques et littéraires, 14/09, 1843, p. 1, Voir en ligne.

C’est donc au général commandant le camp, le Comte Théodore de Rumigny, et non au colonel Phelippeaux 6, que le rocher doit son nom.


Bibliographie

ANONYME, « Nouvelles des provinces », L’Ami de la religion et du roi : journal ecclésiastique, politique et littéraire, Vol. 118, 1843, p. 443, Voir en ligne.

ANONYME, « On lit dans le Progrès de Rennes : », Journal des débats politiques et littéraires, 14/09, 1843, p. 1, Voir en ligne.

DU GUÉ, Jean, « Navigation aérienne », L’Intermédiaire des chercheurs et curieux : Notes and queries français : questions et réponses, communications diverses à l’usage de tous, littérateurs et gens du monde, artistes, bibliophiles, archéologues, généalogistes, etc., Vol. 59, 1909, p. 656-657, Voir en ligne.

L*****, « Le camp du Thélin », Feuilleton du Globe, 1843.

MAIRIE DU MANS, « Biographie. Le général de Rumigny, aide de camp du Roi. », Affiches, annonces judiciaires, avis divers du Mans, et du Département de la Sarthe, Vol. 65 / 1, 1835, p. 93-95, Voir en ligne.

PARLIER, Lucien et GOUNEAU, Anatole, Plélan et les Forges de Paimpont, Rennes, Imprimerie Bretonne, 1961.

PASCALLET, Etienne, Revue générale, biographique, historique, etc. Le Biographe universel et l’historien, Vol. 12, Paris, Au bureau de la revue générale, 1846, Voir en ligne.

RUMIGNY, Marie Théodore de Gueilly, comte de et GOURAUD D’ABLANCOURT, Renée, Souvenirs du général comte de Rumigny, aide de camp du roi Louis-Philippe (1789-1860), Paris, Émile-Paul frères, 1921, Voir en ligne.

SARRUT, Germain et BOURG, Edme-Théodore (dit Saint Edme), Biographie des Hommes du Jour, Vol. 2, Paris, Henri Krabbe, libraire éditeur, 1836, Voir en ligne.


↑ 1 • Louis Cadoudal (1790-1853) est le plus jeune frère de Georges Cadoudal, guillotiné en 1804.

↑ 2 • L’insurrection royaliste dans l’Ouest de la France en 1832 ou « Dernière Chouannerie » est une tentative suscitée par la duchesse de Berry de relancer les guerres de Vendée afin de renverser la Monarchie de Juillet. L’opération échoue rapidement en raison de la mobilisation locale assez faible, l’insurrection se limitant à l’Est de la Loire-Inférieure, au Sud-Est de l’Ille-et-Vilaine, à la Normandie et au Nord de la Vendée.

↑ 3 • Thomas Robert Bugeaud (1784-1849), marquis de La Piconnerie, duc d’Isly, est un maréchal de France. Gouverneur général de l’Algérie, il joua un rôle décisif dans la colonisation de celle-ci.

↑ 4 • À Lyon, le 9 avril 1834, se déroula une manifestation organisée par la Société des Droits de l’Homme et le conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel, notamment à la suite de l’appel de Armand Carrel dans le journal National à « répondre à la suspension de la légalité par la suspension de l’ordre public ». Cette manifestation déboucha sur des émeutes, qui s’étendirent à Paris le 13 avril. En réaction, le gouvernement réprima très durement le mouvement. Le 14 avril, près d’une barricade dans la rue Transnonain, un capitaine d’infanterie fut blessé par un coup de feu tiré depuis une fenêtre. En réponse, tous les habitants d’un immeuble, d’où il était supposé que le coup était parti, furent massacrés par les militaires.

↑ 5 • Honoré Victorin Daumier, né le 26 février 1808 à Marseille et mort le 10 février 1879 à Valmondois, est un graveur, caricaturiste, peintre et sculpteur français, dont les œuvres commentaient la vie sociale et politique en France au 19e siècle.

↑ 6 • Pour des renseignements complémentaires sur le colonel Phelippeaux, voir la notice biographique parue en 1846 dans laquelle on peut lire :

Au camp de Plelan, au mois d’août 1843, dans une manœuvre commandée par son altesse royale monseigneur le duc de Nemours, le colonel Phelippeaux fit une chute de cheval qui lui cassa le radius du bras droit.

PASCALLET, Etienne, Revue générale, biographique, historique, etc. Le Biographe universel et l’historien, Vol. 12, Paris, Au bureau de la revue générale, 1846, Voir en ligne. p. 282