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1910

La clochette mystérieuse

Une légende de Guer publiée par François Cadic

La clochette mystérieuse est une légende de Guer publiée par l’abbé François Cadic en 1910.

1910 — Une légende publiée par François Cadic

La légende de La clochette mystérieuse est publiée par François Cadic (1864-1929) en 1910 dans la revue de la Paroisse bretonne de Paris. —  CADIC, François, « La clochette mystérieuse », La Paroisse bretonne, 1910. —

Cette légende communiquée par M. Lecomte de Guer est l’histoire d’un miracle censé s’être passé dans le bourg de Guer. Elle a été l’objet de deux rééditions.

  • en 1910, par l’abbé Cadic sous le titre L’hostie de Guer . —  CADIC, François, « L’hostie de Guer », in Contes et légendes de Bretagne, 7e série, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1910, p. 79-82. —
  • en 2001, dans les œuvres complètes de François Cadic aux éditions Terre de Brume, sous le titre La clochette mystérieuse. —  CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 1, Terre de Brume Editions, 2001, 399 p. [pages 315-319] —

Le texte intégral de La clochette mystérieuse

À quelle époque s’est passée cette histoire ? Il y a mille raisons pour que je ne vous le dise pas, dont la principale est que je l’ignore. Ce qu’il y a de certain, c’est que du temps des vieux cela remontait déjà loin.

Il y avait alors au milieu de la rue Saint-Gurval, en Guer, une maison très ancienne que l’incendie a détruite. Elle ne payait guère de mine, cette maison. L’air rustique, un toit de chaume, comme toutes les modestes demeures de nos campagnes, elle se composait de deux pièces, d’un vaste grenier et d’un large couloir conduisant à l’écurie. Une famille de braves paysans l’habitait que le deuil avait visité, car ils venaient d’enterrer leur fils aîné, et que depuis ce moment vivaient une existence chagrine et inquiète. Leur maison en effet semblait hantée.

Cela recommençait chaque nuit. Sur les trois ou quatre heures du matin, tandis que les bonnes gens goûtaient leur meilleur somme, soudain on entendait à la porte de la cuisine le son d’une clochette : dinn, dinn, dinn ! On eût dit celle de l’enfant de chœur accompagnant le saint viatique. Le bruit durait deux minutes, puis il s’éloignait par le couloir : dinn, dinn, dinn ! et s’arrêtait du côté du petit jardin.

Qu’est ce que cela pouvait bien être ? Les pauvres habitants de la maison se demandaient et leur terreur allait croissant : « Grand saint Gurval, patron de la paroisse, disaient-ils, délivrez-nous ! » Mais ils avaient beau invoquer saint Gurval et ses autres compagnons de gloire au ciel, cela ne servait à rien. Sur les trois ou quatre heures de la nuitée, c’était toujours la même musique, et il y avait un mois que cela durait. Encore un peu et la maison devenait inhabitable.

Ainsi qu’il convient, toutes les fois que les esprits de l’au-delà s’occupent des affaires de ce bas monde, on s’en fut demander conseil à monsieur le curé. Le bon pasteur écouta le récit de l’étrange phénomène avec attention et un peu de scepticisme : « Mes enfants, déclara-t-il, l’histoire est très étrange et ne va pas sans quelque réserve. Il est certain pourtant que tout est possible à Dieu. Priez et à la prochaine occasion, sitôt que vous entendez la clochette, venez me trouver. Avec le secours du ciel, j’aurai la clé du mystère.

Le lendemain, les gens de la maison étaient de retour au presbytère, sur les trois heures du matin. « Vite, vite, monsieur le curé, criaient-ils, la clochette est là. Il n’y a pas d’erreur. Veuillez nous suivre et vous en jugerez par vous-même. » Le prêtre se précipita vers la demeure hantée. Plus distincte, plus pressante que d’ordinaire, la clochette sonnait : dinn, dinn, dinn ! Elle se dirigeait de la porte de la cuisine au seuil du couloir, et revenait ensuite à son point de départ, et par ses appels répétés : dinn, dinn, dinn ! Elle semblait inviter tout le monde à prendre le même chemin qu’elle.

Il n’y a pas de doute, opina le curé, elle nous demande de la suivre. Suivons-la. Le mystère est où elle s’arrête. » On sortit à la suite, et voilà que le bruit se dirigeait du côté du cimetière. On eût dit une procession funèbre, au milieu des ténèbres de la nuit, la clochette invisible troublant seule le silence : dinn, dinn, dinn ! semblable à la clochette du fossoyeur qui, à travers les campagnes, conduit les enterrements.

Le cimetière était à quelques pas, derrière un mur élevé. Au milieu, parmi les ifs et les cyprès, une antique chapelle. Contre elle, un ossuaire qui gardait les restes des ancêtres, et à l’entour, disposées en ordre sous leurs petites croix rustiques, dans l’attente de l’appel du souverain Juge, les tombes des fidèles trépassés. La clochette entra dans le champs des morts, puis le curé, puis les braves gens. Ils prirent une allée de droite, une deuxième à gauche et atteignirent la chapelle. Dinn, dinn, dinn ! fit la clochette avec plus de force et à coups répétés, et soudain le bruit cessa. On devait être au terme.

Il y avait à côté une fosse assez fraîchement remuée et qui ne portait pas encore de pierre funéraire. Cette fosse était précisément celle qui avait reçu peu de temps auparavant les restes du fils aîné de la maison. S’il existait un mystère quelque part, nul doute qu’il était là.

Ainsi pensa le curé : « Que l’on mette ici la pioche, ordonna-t-il, et que l’on perce. Le mort qui repose en cette tombe a un secret à nous révéler. Il importe que nous le connaissions. » Les ouvriers saisirent leurs instruments ; on retira la terre, et bientôt, au fond du trou béant, on distingua le cercueil. « Qu’on l’ouvre ! » reprit le curé.

Des mains fébriles arrachèrent les clous ; le couvercle tomba. Or l’on fut en ce moment témoin d’une chose surprenante. Étendu dans son linceul, son chapelet entre les mains, le corps du jeune homme était en parfait état de conservation et sans la moindre odeur. Ses traits étaient calmes, son visage reposé. Pas un muscle cependant ne bougeait, car c’était bien la fixité cadavérique et la mort avait accompli son œuvre ; mais la bouche était grande ouverte, et dans cette bouche on apercevait la langue fraîche et vermeille de celle d’un homme en bonne santé et, sur cette langue, quelque chose qui brillait avec l’éclat d’une pierre précieuse sous la lumière du jour.

« Miracle ! » s’écria le curé. « Miracle ! » crièrent les assistants. Ce quelque chose était une hostie que le moribond sans doute n’avait pas pu absorber, au moment de son agonie, et qui reposait sur ses lèvres, ainsi que dans un tabernacle, en attendant que la main d’un prêtre la prit pour la rapporter à l’église. « La volonté de Dieu est manifeste, déclara le pasteur. Elle nous permet d’assister à une merveille du sacrement de son amour. À nous de faire notre devoir. » Et respectueusement il recueillit l’hostie sur les lèvres du trépassé.

Ce jour-là, à la messe qu’il célébra, il y eut une foule comme jamais l’église de Guer n’en avait vue, car le prodige avait été vite connu de la paroisse entière. Lorsque, au moment de la communion, on le vit se pencher sur l’autel et prononcer les paroles sacrées : Corpus domini nostri Jesu Christi custodiat animam meam in vitam aeternam, amen ! (Que le corps de notre Seigneur Jésus-Christ garde mon âme pour la vie éternelle !), il y eut, dans l’assistance une émotion indescriptible, les yeux se mouillèrent de larmes, et un chant d’allégresse ébranla les voûtes. Le prêtre avait communié avec l’hostie que le défunt n’avait pas consommée.

Depuis ce jour, personne n’a plus entendu la clochette mystérieuse ; la paix est revenue dans la rue Saint-Gurval et les années ont continué paisiblement leur course vers l’éternité. Quelle était la famille qui fut témoin du prodige ? Quel était le curé qui y fut mêlé ? Personne ne saurait le dire aujourd’hui. On a conservé le souvenir du fait seulement. La tradition impitoyable a négligé les noms et tout ce qui pouvait servir à la vanité humaine.

Les lieux eux-mêmes ont beaucoup changé. Qu’est devenue la chapelle du cimetière ? La destinée ne l’a guère plus ménagée que les hommes. Il n’en a pas subsisté un débris, à moins qu’on ne prétende désigner par là un petit oratoire qui servait jadis de caveau funéraire à une famille du pays et qui conserve les restes du vénérable et discret messire Julien Rouxel, prêtre fondateur de la mission perpétuelle de Guer, mort le 18 janvier 1718.

Quant à l’ossuaire, il n’a été guère plus respecté. À l’abri de ses murs jadis, les restes des défunts exhumés de leur tombe attendaient en paix pour le jour du jugement. Le progrès moderne a passé par là et plus destructeur que la main des barbares il a jeté bas le monument. Les ossements aujourd’hui traînent sur les tombes, sans respect pour la mort, jouets des enfants et exposés aux intempéries.

De l’homme et de ses œuvres, rien ne survit à travers la durée du temps. L’œuvre de Dieu seul demeure. La tradition du miracle de Guer en est une nouvelle preuve. Veritas Domini manet in aeternum !


Bibliographie

CADIC, François, « La clochette mystérieuse », La Paroisse bretonne, 1910.

CADIC, François, « L’hostie de Guer », in Contes et légendes de Bretagne, 7e série, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1910, p. 79-82.

CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 1, Terre de Brume Editions, 2001, 399 p. [pages 315-319]