18-19 janvier 1790
Les émeutes de Guer et d’Augan
Un épisode des révoltes agraires de janvier 1790
Des révoltes agraires naissent dans les paroisses de Maure, Guer et Augan à partir du 18 janvier 1790, et se propagent en Brocéliande jusqu’au 5 février. Ces insurrections paysannes sont le fait de bandes organisées qui attaquent un château après l’autre, réclamant le renoncement des seigneurs à leurs droits féodaux. Les premiers châteaux touchés par ces émeutes sont ceux de Coëtbo en Guer, et du Bois-du-Loup en Augan.
L’incendie du château de Coëtbo en Guer
Le 17 janvier 1790, à l’issue des vêpres, plusieurs habitants du bourg de Campel se réunissent dans le cimetière. Ils désignent ceux qui doivent les accompagner au château de Coëtbo 1 pour aller enlever les titres et papiers de M. de Guer.
Le lendemain matin, vers huit heures, une troupe d’une vingtaine de particuliers, armés de fusils et de bâtons, quitte Bovel. — SÉE, Henri et RÉBILLON, Armand, « Les troubles agraires en Haute-Bretagne (1790 et 1791) », Bulletin d’Histoire économique de la Révolution, 1920, p. 231-370. [page 276] — Dans la matinée du 18 janvier, ils rejoignent des troupes de paysans provenant des paroisses de la région de Maure de Bretagne et attaquent le château de Coëtbo en la paroisse de Guer (Morbihan).
Les habitants des paroisses de Maure, Loutehel, Campel, Comblessac, Plélan, Maxent, armés de fusils, fourches, faucilles, pillent et saccagent entre autres châteaux, celui de M. de Guer, et exigent de ce seigneur une renonciation à ses rentes et droits féodaux.
La municipalité de Guer, inquiète de la situation, demande du secours aux autorités municipales de Rennes. — Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., pp. 302-303 —
Les descentes ont commencé dans les châteaux de la Voltais [Monteneuf], du Bois du Lou [Augan], de la Villemorin [Monteneuf], etc. Lundi 18, environ 2000 hommes descendirent à Coëtbo, ils ont été les jours suivants aux châteaux de la Chapelle-Bouexic, le Bois au Voyer [Lohéac], le Bois Demo, la Rochecotterel [Bovel], le Plessix, etc. L’objet de ces descentes est, nous a-t-on dit, l’abolition de tous les droits féodaux et d’exiger des seigneurs qu’ils y renoncent expressément. Nous avons entendu dire que M. de Marnière de Guer renonçait à tous ses droits. Cependant, nous sommes menacés d’une seconde descente demain. Nous disons que nous sommes menacés, parce que ce malheur, nous sommes forcés de le partager par la violence dont usent les attroupés, dont nous nous passerions bien d’augmenter le nombre. N’ayant rien de commun avec le seigneur du lieu, nous attendons de vous, Messieurs, que vous prendrez promptement des mesures convenables pour arrêter les progrès de cette insurrection, trop contraire aux intérêts de l’Assemblée nationale, et que nous n’avons pas les moyens de faire exécuter.
Malgré les plaintes du seigneur, la municipalité de Guer laisse faire les émeutiers, arguant que M. de Coëtbo n’a pas prêté serment de fidélité au nouveau régime. Les émeutiers hissent alors leur seigneur sur une mauvaise selle et l’emmènent ainsi jusqu’à Rennes, la tête tournée vers la queue du cheval. — Le Claire, abbé Jacques-Marie (1915) op. cit., p. 373 —
Le lendemain, mardi 19 janvier, les émeutiers reviennent à Guer après avoir attaqué le château de la Chapelle-Bouëxic, paroisse limitrophe de Maure-de-Bretagne.
Au sac du château de la Chapelle-Bouexic participent des émeutiers originaires de Campel, de Guer, de Loutehel et surtout de Maure. La bande qui a attaqué la Chapelle-Bouexic se dirige ensuite vers le château de Coetbot
Le foyer insurrectionnel d’Augan
La paroisse d’Augan est suspectée par les autorités d’être un des foyers de l’insurrection paysanne qui va se répandre dans une trentaine de paroisses de la Haute-Bretagne au cours des mois de janvier-février 1790.
Messieurs, vous avez connaissance de ce qui s’est passé aux paroisses d’Augan, Guer, et autres limitrophes, où des gens attroupés se sont portés vers les châteaux pour retirer des propriétaires des déclarations de renoncer à leurs droits féodaux. Aujourd’hui, ils se sont tournés vers les procureurs fiscaux et autres particuliers, notamment contre les habits bleus. [...]
Le 26 janvier 1790, alors que les paroisses de Paimpont et Plélan sont en insurrection, Boisgontier 2, officier seigneurial de Beignon, qui a subi des menaces quelques jours plus tôt, envoie une lettre de dénonciation à la municipalité de Rennes. Selon ses accusations, M. de Langan, châtelain du Bois du Loup en Augan serait à l’origine de ces émeutes. — Sée, Henri ; Rébillon, Armand (1920) op. cit., pp. 336-337 —
Je soussigné certifie que le mardi 19 de ce mois on répandit que les vassaux de M. de Langan s’étaient rendus à son château du Boisdulou en la paroisse d’Augan pour le forcer à l’abandon de ses droits féodaux, que le lendemain le nommé Jean Chotard, son domestique, vint me confirmer le fait, m’ajoutant que son maitre avait été pris au collet et secoué fortement ; que je lui demandais pourquoi il n’avait pas défendu son maitre, qu’il me répondit que son maitre l’avait prévenu que ces gens se présenteraient chez lui, qu’ils feindraient de lui faire du mal, mais qu’il ne lui en arriverait point ; que deux jours après, le même domestique me revint avec trois autres particuliers ; que lui ayant demandé s’il ne se trouvait point dans les troupes qui parcouraient les autres châteaux, il me répondit qu’il y était allé, qu’il n’y avait point de crainte que M. de Langan, le trouvât mauvais, parce que M. de Lemo, autre seigneur de la paroisse, y envoyait ses domestiques, que le même domestique et plusieurs autres m’assuraient qu’on viendrait après mettre le feu à ma maison.
Cette lettre du procureur fiscal de Beignon accrédite la thèse, soutenue par certains à cette date, d’un complot aristocratique à l’origine des émeutes de janvier 1790. Le lendemain 27 janvier, M. de Langan, réfute énergiquement ces accusations.
Je soussigné, Messire Auguste-Hyacinthe de Langan, prévenu qu’il se répandait sur mon compte une calomnie affreuse, dont le sieur Boisgontier, procureur fiscal de Beignon, était réputé l’auteur, a l’honneur de déclarer à MM. de la municipalité de Rennes qu’il n’a point varié sur ses sentiments de patriotisme, qu’il est bien éloigné d’avoir fomenté aucuns troubles, qu’il défie qui que ce soit de pouvoir produire la preuve qu’il ait cherché à soulever les paysans de la paroisse d’Augan, dont il a pensé être la victime, qu’au contraire il leur a toujours peu parlé des affaires publiques et que, lorsqu’il l’a fait c’était en leur donnant des conseils pour l’union et la paix ; au reste, le sieur de Langan se soumet à toutes les épreuves qu’on exige de lui, et son innocence lui fait espérer qu’un jour on aura quelques regrets d’avoir un peu trop légèrement soupçonné un galant homme, qui ne croit pas avoir jamais fait de mal à personne.
Dès la fin du mois de janvier 1790, les autorités comprennent que ces insurrections paysannes sont en réalité le fait de bandes organisées mues par la volonté d’abolir les droits seigneuriaux et de se venger de ceux qui les appliquent, les procureurs fiscaux.
La municipalité de Rennes réagit
Dix jours après les émeutes de Coëtbo et du Bois du Loup, la tension remonte d’un cran en la paroisse de Guer. Le 30 janvier, un détachement militaire envoyé par la municipalité de Rennes arrive à Guer vers sept heures du soir, rapidement rejoint par les commissaires de la municipalité de Guer et par l’état-major. La troupe a été informée qu’un grand nombre de paysans doivent venir au bourg le lendemain pour brûler les titres que M. de Guer a déposés en sécurité dans le coffre de la paroisse. Le 31 janvier, les officiers de la municipalité de Guer, aidés par l’armée, canalisent les émeutiers, évitant ainsi l’affrontement dans le bourg même.
Nous avions été informés, ce matin, que des vassaux de M. de Guer devaient se présenter, après les vêpres, en très grand nombre, à l’auditoire et y prendre les titres des archives de ce propriétaire, pour les brûler publiquement ; il était à craindre que cette assemblée soit le signal du ralliement des paysans armés et d’un combat dont la ville était menacée ; dès que nous avons appris leur projet, nous nous sommes concertés avec M. Baron commandant le détachement et autres de la milice nationale ; tout a été préparé pour rappeler les gens égarés à la raison et repousser, avec toute la prudence possible, l’attaque qui pouvait être méditée. Nous nous sommes approchés, sans affectation, de l’église, à l’heure indiquée, et, au moment où les ordres donnés allaient être exécutés dans le besoin et suivant les circonstances, nous avons aperçu à cette porte un nombre prodigieux d’hommes, dont les mouvements et les discours annonçaient que le projet allait se réaliser. C’est alors que vos commissaires, Messieurs, accompagnés du commandant et de quelques uns de leurs braves camarades, se sont portés au milieu de la foule ; ils ont représenté, exhorté, discuté ; l’objet de leur discours a été la soumission parfaite aux décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le roi [...] Nous n’avons pas tardé à éprouver la satisfaction la plus flatteuse : ces bonnes gens se sont déclarés nos amis ; nous leur avons demandé à ce titre de se rendre avec nous à l’auditoire ; ils y sont venus en foule ; ils nous ont écoutés derechef ; ils ont compris qu’il pouvait se trouver des titres utiles à eux-mêmes dans ceux de M. de Guer ; ils ont demandé qu’ils fussent déposés dans le coffre de la paroisse, auquel il a été convenu qu’il serait apposé une quatrième serrure, dont la clé leur serait confiée. C’est par ce moyen tout simple que les esprits se sont calmés et que la paix a été heureusement cimentée par des paroles d’honneur, par les sons redoublés des tambours et par les acclamations de joie dont la ville a retenti.
Le lendemain, 1er février, l’armée quitte Guer pour Pipriac où elle tire sur la foule des émeutiers, tue deux paysans et en arrête neuf. Les prisonniers sont ramenés à Guer et interrogés. Il sont relâchés le jour suivant après avoir prêté serment devant la population de Guer.
[...] l’on exigeât seulement d’eux qu’ils prêteraient le serment de ne plus attenter à la propriété de qui que ce soit, et même de réunir leurs forces pour empêcher tous désordres, serments qu’ils prêtèrent sur le champ ; ils ajoutèrent même qu’on pouvait être sûr « qu’ils n’y retourneraient pas, ayant eu trop de peur » ; ce sont leur propres termes.
Le lendemain, les troupes quittent Guer pour porter secours à nos frères de Plélan
, puis voyant la situation stabilisée à Plélan, partent dans la nuit pour Ploërmel.
Toutefois, à l’été 1790, la tension n’est toujours pas retombée à Guer. L’abbé Le Claire mentionne plusieurs mesures prises par la municipalité.
- Le 11 avril 1790, la municipalité de Guer demande une brigade de maréchaussée pour faire la police et empêcher de nouveaux troubles.
- Le 16 juin, elle écrit à M. de Thiard, commandant en Bretagne de leur envoyer des armes pour 100 gardes nationaux.
- Le 31 juin, elle fait emprisonner pour vingt-quatre heures Jean Colleaux, de la Touche Boulard, domestique chez M. Le Blanc, et fils ainé de Julien Rouxel, fermier aux Aulnais, pour avoir insulté le major de la Garde nationale et plusieurs officiers, pendant qu’ils assistaient à la procession du sacre.
- Le 3 août, le maire condamne à 8 jours de prison, Michel Colleaux et Mathurin Loret, son beau-frère, pour les troubles qu’ils ont causés.
— Le Claire, abbé Jacques-Marie (1915) op. cit., p. 368 —