1939
Les réfugiés espagnols du camp de Coëtquidan
De mai à septembre 1939, plusieurs milliers de réfugiés espagnols sont regroupés au Centre de Rassemblement des Étrangers du Bois du Loup sur le camp de Guer-Coëtquidan. Ils sont employés à la construction de baraquements puis à des travaux de routes et chemins vicinaux.
Les réfugiés espagnols de 1939
Durant toute la Guerre d’Espagne (1936-1939) 1 de nombreux réfugiés de guerre fuient leur pays pour trouver asile en France.
L’effondrement du front de Catalogne pendant l’hiver 1938-1939 entraine une amplification de cette émigration. Devant l’ampleur de la Retirada 2, le gouvernement français hésite à ouvrir la frontière. Le 28 janvier 1939, Édouard Daladier annonce l’ouverture aux seuls réfugiés civils. Le 5 février, la frontière est ouverte aux soldats républicains. Du 28 janvier au 13 février, 475 000 personnes - soldats de l’armée républicaine en déroute, personnel politique républicain, et leurs familles respectives - passent la frontière française, en différents points du territoire : Cerbère, Le Perthus, Prats de Mollo, Bourg-Madame, etc.
Les autorités françaises sont rapidement débordées par le nombre de personnes à vouloir passer la frontière. Des troupes militaires, déployées aux différents points de passage désarment, fouillent, identifient puis envoient les réfugiés dans des centres dispersés le long de la frontière pour y être vaccinés et ravitaillés.
Les familles sont alors séparées. Dans la grande majorité des cas, les femmes, les enfants et les vieillards sont envoyés en train vers les départements français au nord de la Loire. Les hommes sont quant à eux regroupés dans des « camps de concentration 3 » nommés Centres de Rassemblement des Étrangers, dans lesquels ils restent plusieurs mois 4.
Les conditions de captivité dans ces camps improvisés sont déplorables.
Les premières semaines, les hommes dorment à même le sable ou la terre, sans baraquement pour s’abriter. Les décès sont réguliers en raison du manque d’hygiène et des difficultés d’approvisionnement en eau potable et en nourriture. Les conditions de surveillance sont drastiques et assurées par les troupes militaires, tirailleurs sénégalais, spahis ou garde républicaine mobile.
Pour alléger la charge représentée par les réfugiés, les autorités françaises favorisent les rapatriements en Espagne. Certains essaient d’émigrer en Amérique latine, refusant le retour en Espagne tant que le général Franco est au pouvoir. Beaucoup d’anciens soldats acceptent l’enrôlement dans la Légion Étrangère ou dans le corps des Régiments de Marche de Volontaires Étrangers.
Alors que le début de la Seconde Guerre mondiale se profile, ceux qui restent deviennent pour le gouvernement français une possible main d’œuvre pour remplacer les appelés au front. Les C.T.E., ou Compagnies de Travailleurs Étrangers sont créées en avril 1939 par un décret-loi et des milliers d’Espagnols, de sexe masculin et âgés de 20 à 48 ans, sont répartis sur le territoire français afin d’être affectés à ces compagnies de travail surveillé.— PARELLO, Vincent, « Les compagnies de travailleurs étrangers (CTE) en France à la fin de la Troisième République », Bulletin hispanique, Vol. 118 / 1, 2016, p. 233-250, Voir en ligne. —
D’encombrants et coûteux pour le budget français les réfugiés deviennent dès mai 39 aux yeux des autorités françaises un réservoir de main-d’œuvre : une circulaire de mai souligne en effet de transformer « cette masse inorganisée et passive que constituent les réfugiés en éléments utiles à la collectivité nationale ». Les préfets sont priés de se consacrer à cette tâche. 1er temps : enrôlement dans les C.T.E. 5 (C.T.E. à Coëtquidan) Les premières mobilisations importantes se firent sous forme de C.T.E. qui regroupaient vers février mars 1940, 50 à 60 000 espagnols.
Le Centre de Rassemblement des Étrangers de Coëtquidan
Le 12 novembre 1938, le Gouvernement Daladier publie un décret prévoyant la création de centres spéciaux pour l’internement des étrangers indésirables
. Le 21 janvier 1939, le premier C.R.E. (Centre de Rassemblement des Étrangers) est créé à Rieucros (près de Mende, Lozère) afin de regrouper des réfugiés espagnols. Son ouverture sera suivie de celle de 135 C.R.E. sur le territoire national 6 parmi lesquels se trouve celui de Coëtquidan (Morbihan).
Le seul historien à s’être intéressé à ce centre de réfugiés espagnols, est le commandant Peters, dans son Historique de Coëtquidan, resté confidentiel 7. — PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [pages 80-81] —
Mai 1939 — L’arrivée des réfugiés à Coëtquidan
Dans les premiers jours de mai 1939, des réfugiés espagnols arrivent au Centre de Rassemblement des Étrangers ou C.R.E. de Coëtquidan. Leur nombre varie d’un millier à trois mille selon les sources.
Lundi dernier sont arrivés en gare de Guer-État, deux trains spéciaux contenant environ mille miliciens espagnols, à destination du camp de Coëtquidan, où il demeureront jusqu’à une date indéterminée. Ces miliciens, encadrés de gardes mobiles et d’un détachement d’Infanterie Français, ont gagné le camp par la route. Au camp de Coëtquidan, un îlot de bâtiments leur a été réservé. Nous croyons savoir que le commandement envisage d’employer ces miliciens pour divers travaux.
Lundi dans le courant de la journée, des réfugiés espagnols, un millier environ, venant de différentes régions, ont été hébergés au camp de Coëtquidan, de confortables abris ont été préparés à leur intention. Cette arrivée massive s’est effectuée sans incident et dans un ordre parfait.
Selon Ginès Hernandez 8, soldat républicain âgé de 35 ans, ils étaient plusieurs milliers.
[...] avec 3000 autres Espagnols, j’ai été envoyé à Coëtquidan pour y construire neuf bâtiments nouveaux pour l’école militaire.
Ginès Hernandez fait partie de ces Républicains qui fuient par milliers le régime franquiste, victorieux de la guerre civile débutée en 1936. Comme les autres réfugiés de Coëtquidan, il a passé la frontière franco-espagnole au Col du Perthus 9 dans les premiers mois de l’année 1939. — Témoignage de M. Denieul in PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 80] —
C’est ainsi que 15 000 des nôtres sont passés en France en février 1939. La Légion Étrangère nous a désarmés et envoyés dans des camps de regroupement jusqu’en mai 1939. En ce mois-là, la France demandait des volontaires pour la Légion Étrangère. Je n’ai pu être pris, car j’avais trois blessures récentes [...].
Le camp de Coëtquidan a certainement été choisi pour sa situation géographique, éloignée des zones de mobilisations traditionnelles du Nord et du Nord-Est. Depuis septembre 1938, le commandement français joue une série d’exercices de mobilisation partielle, aussi, la faible fréquentation du camp autorise l’accueil des Espagnols.
Les réfugiés espagnols sont regroupés aux alentours du château du Bois du Loup, en Augan, dans un immense camp de toile entouré de barbelés. — Témoignage de M. Binard in PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 80] —
Travaux et chantiers
Au cours de leurs cinq mois d’internement à Coëtquidan, les réfugiés espagnols sont mobilisés pour travailler sur deux types de chantiers.
La construction des baraquements du Bois du Loup
Le premier travail réalisé par les réfugiés consiste à construire les baraquements censés leur permettre de passer l’hiver dans des conditions plus favorables.
Sept bâtiments en dur sont construits - cinq pour la troupe et deux pour les cadres - à l’est du château du Bois du Loup. Pour les monter, les réfugiés espagnols prélèvent les matériaux sur les habitations de l’ancien village du Bois du Loup 10 situé à quelques centaines de mètres au sud, vidé de ses habitants en 1910 pour la construction du camp de Coëtquidan. Dépourvus de moyens techniques, ils les acheminent à l’aide d’une chaine humaine jusqu’à leur lieu de construction. — Témoignage de M. Binard in PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 80] —
Ces baraquements ne leur serviront finalement que quelques mois. Le 3 septembre 1939, la guerre est déclarée entre la France et l’Allemagne. La plupart des réfugiés espagnols affectés à d’autres groupes de travail, quittent alors la région.
D’octobre à mai 1940, ces baraquements servent à abriter des éléments de l’armée polonaise en reconstitution. Ils servent aujourd’hui encore à héberger des troupes de passage en manœuvre au camp de Coëtquidan.
La construction de chemins vicinaux
Après avoir construit les baraquements du Bois du Loup, les réfugiés espagnols sont mobilisés à la construction de chemins et de routes.
Le ministère de la Guerre pense par la suite à les employer aux travaux de détournement de la RN 24 mais la guerre met fin à ce projet.— PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 81] —
Les conditions de vie
Quelques témoignages recueillis par le commandant Peters permettent d’avoir un aperçu des conditions de vie des réfugiés espagnols.
Certains aménagements ont été passés entre l’administration militaire et des fournisseurs locaux afin de permettre un approvisionnement en nourriture décent pour les réfugiés. Des marchés sont notamment passés avec les bouchers d’Augan et de Campénéac pour les ravitailler.— Témoignage de M. Collin in PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 81] —
Malgré cet apport en nourriture carnée, l’alimentation des réfugiés ne semblent pas satisfaisante.
Il semble que cela soit insuffisant puisque le braconnage est courant. Le gibier ainsi récupéré est en partie vendu dans les villages à proximité et leur procure un peu d’argent. Cet argent qui leur fait tant défaut et qui ajouté au mal du pays (le climat breton sans être mauvais est tout de même moins agréable que celui de la péninsule ibérique) les amène à commettre des exactions.
Un article de L’Ouest Républicain daté du 6 juillet relate la seule exaction
attestée, un vol d’argent en vue d’une évasion. — ANONYME, « Un vol à Coëtquidan », L’Ouest Républicain, 6 juillet, 1939, p. 3, Voir en ligne. — Le 9 juillet, l’accusé est condamné à un mois de prison par le tribunal correctionnel.
Tribunal correctionnel. Un voleur parmi les miliciens.
Parmi les miliciens espagnols cantonnés au Camp de Coëtquidan, se trouvait Belloque Domingo Vincente originaire de Barcelone. Le 30 mai dernier il déroba une somme de 70 francs au brigadier-chef Lerat du 106e RAL. Le milicien prétexte qu’il avait cherché à s’approprier cet argent pour tenter de s’évader et rejoindre sa famille en Espagne. Un mois de prison au milicien après plaidoirie de Me Desseigne.
Septembre 1939 — La fin du camp
Après la Mobilisation du 1er septembre 1939, la majorité des réfugiés quittent le camp pour être utilisés comme réservoir de main d’œuvre par l’armée française.
Le 8 septembre 1939, un général est venu nous faire un discours : « Espagnols, Franco voulait vous éliminer. La France vous a accueillis et vous a sauvé la vie. Maintenant la France a besoin de vous. Ceux qui veulent l’aider : un pas en avant. » Il n’y a guère que 150 Espagnols, sur les 3000 qui étaient à Coëtquidan, qui n’ont pas fait ce pas. Ils ont été renvoyés en Espagne.
Ceux qui ont répondu à l’appel rejoignent Nantes puis Saint-Nazaire afin d’y être notamment employés à la construction de pistes d’aviation. — Témoignages de M. Nivouare d’Augan et de M. Ménagé de Campénéac in PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 81] —
C’est le cas de Ginès Hernandez, affecté à la construction des terrains d’aviation de Nantes et de Rennes Saint-Jacques.
Moi, avec d’autres, j’ai continué à extraire la pierre pour construire l’école militaire. Et puis, avec quelques autres, j’ai été envoyé à la carrière de la Blinais à St Vincent des Landes, pour y faire des graviers pour le terrain d’aviation Nantes - Château Bougon et de Rennes St Jacques.
Quelques réfugiés restent travailler dans les fermes et commerces de la région.— Témoignages de M. Nivouare d’Augan et de M. Ménagé de Campénéac in PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 81] —
Après l’armistice, le 22 juin 1940, tous se dispersent pour rejoindre leurs familles dans le sud de la France ou pour trouver du travail en région parisienne.
Durant leur séjour, ils semblent n’avoir eu que très peu de rapports avec la population, à l’exception de ceux qui sont restés quelques mois supplémentaires. Ceci explique pourquoi seulement une dizaine d’entre-eux, s’est installée en Bretagne et pourquoi aussi, aujourd’hui, il est si difficile de recueillir des informations précises à ce sujet.
Familles de réfugiés espagnols en Brocéliande
Dans les premiers mois de l’année 1939, les femmes, les enfants et les vieillards qui, à la frontière espagnole ont été séparés des hommes en âge de travailler, sont envoyés dans des Centres de Rassemblement des Étrangers ou C.R.E. répartis sur l’ensemble du territoire français. La Bretagne accueille environ 15 000 de ces réfugiés.
En février 1939, 3000 d’entre-eux arrivent en Ille-et-Vilaine en quatre convois. Six centres sont ouverts dans le département 11. Aucune des communes d’Ille-et-Vilaine situées sur le massif forestier de Paimpont ne semble avoir hébergé de réfugiés à cette époque.
Le département du Morbihan accueille lui aussi environ 3000 réfugiés espagnols. Des C.R.E. sont créés afin de pouvoir les loger 12 mais la préfecture encourage les familles morbihannaises à accueillir des réfugiés espagnols en proposant une indemnité journalière de 8 fr par adulte et 4 fr par enfant. Devant le peu de réponses positives les municipalités prennent en charge le ravitaillement.
La seule commune morbihanaise de la région de Brocéliande à avoir accueilli des réfugiés espagnols - onze réfugiés - est celle de Guer.— AMIGOS DE ESPAÑA, « Les camps dans le Morbihan en 1939 », 2021, Voir en ligne. —