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vers 1234

Berceliande dans le Tournoiement de l’Antéchrist

Huon de Méry

La fontaine périlleuse de Berceliande est le point de départ et l’un des éléments centraux du Tournoiement de l’Antéchrist (Tornoiemenz Antécrit) écrit par Huon de Méry vers 1234.

Le Tornoiemenz Antécrit

Le Tornoiemenz Antécrit 1 est la seule œuvre connue de Huon de Méry. Il s’agit d’un roman de 313 vers octosyllabiques à rimes plates en langue française, écrit vers 1234. Le Tornoiemenz fut une œuvre de référence en son temps, comme le prouvent la dizaine de manuscrits qui nous sont parvenus 2.

Le Tornoiemenz Antécrit est un poème allégorique qui décrit le combat entre des vices engagés dans l’armée de l’Antéchrist et des vertus entièrement dévouées au Christ. Le parcours initiatique d’un tout jeune chevalier se greffe sur ce schéma très classique de la psychomachie.

ORGEUR, Stéphanie, « De la forêt de Brocéliande à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés », in Huon de Méry : Le Tournoi de l’Antéchrist, 2e édition, Orléans, Paradigme, 1995. [page 10]

Afin d’ancrer l’œuvre poétique dans la réalité, le récit commence par une référence à un épisode historique connu des contemporains de Huon : la campagne militaire du roi de France, en 1234, contre le duc de Bretagne 3. Un jeune chevalier, combattant sous les armes du roi, décide de se rendre en forêt de Bercelïande pour voir de ses propres yeux les merveilles décrites par Chrétien de Troyes dans Le Chevalier au Lion. Après avoir bu à la fontaine périlleuse, il puise de l’eau avec le bassin et la répand sur la margelle. Aussitôt se déclenche l’inévitable tempête. Dans un premier temps, Huon de Méry, le héros-narrateur, marche dans les pas de Calogrenant et d’Yvain, selon le schéma mis en place par Chrétien. Mais, si le combat contre le gardien de la fontaine mène Yvain au domaine des fées, la défaite du jeune chevalier Huon contre un Maure le précipite dans un monde apocalyptique.

Il assiste alors au plus grand combat de tous les temps : le combat des Vices contre les Vertus. Des personnages allégoriques, empruntés à la mythologie, à la tradition biblique ou littéraire s’affrontent pour le règne du monde. Spectateur de cette psychomachie, Huon est blessé à l’œil par une flèche que Vénus destinait à un autre, motif courant de la littérature courtoise.

L’œuvre de Huon de Méry est cependant originale : son roman est la première psychomachie écrite en langue française, thème chrétien précédemment traité en latin pour un public plus restreint.

Désireux de partager sa foi plus que son savoir, Huon n’hésite pas à se servir de la langue profane, ni à dévoiler son jo (le je) devant un large public, afin, par son exemple personnel, de mieux servir la cause de Dieu et de tout homme à la recherche de Dieu.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 36

Huon de Méry s’inspire à la fois du Chevalier au Lion de Chrétien de Troyes et du Songe d’enfer, poème allégorique de Raoul de Houdenc 4, deux œuvres majeures de son époque. Le roman de Huon se conclut toutefois par la conversion du jeune chevalier en moine bénédictin. Ainsi, à l’idéal des romans de chevalerie, il substitue la quête de Dieu à travers la vie monastique.

Huon de Méry auteur et narrateur du Tornoiemenz

Huon de Méry est l’auteur du Tornoiemenz Antécrit. Il en est aussi le héros-narrateur.

Que savons nous exactement de l’auteur, de son origine géographique, ou des conditions de rédaction du poème ? Rien de plus que ce que veut bien nous en dire Huon de Méry lui-même.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 7

Dans son édition de 1851 du Tornoiemenz, Prosper Tarbé, —  TARBÉ, Prosper, Le Tornoiement de l’antéchrist par Huon de Mery, Reims, P. Régnier, 1851, Voir en ligne. —, interprète à la lettre les déclarations du narrateur. Celui-ci se présente comme étant Huon de Méry, un chevalier français peu fortuné, appartenant à la maison du comte de Champagne. Il aurait suivi l’armée de Louis IX, durant la campagne des années 1234-1235 en Bretagne contre le duc Pierre Mauclerc.

Il advint, après l’attaque des Français contre le comte de Champagne, que le roi Louis conduisit son armée en Bretagne, sans prendre le moindre retard [...] Alors la paresse ne put m’empêcher d’aller rejoindre l’armée du roi de France. J’y demeurais jusqu’au moment où le roi de France fut parti de Bretagne une fois mis au point l’accord qui réglait le grand désaccord que l’on sait entre le roi et le comte de Bretagne. 5

Vers 28-33 [...] 45-51— MÉRY, Huon de et WIMMER, Georg, Huon de Méry : Le Tournoi de l’Antechrist, 2e édition, Orléans, Paradigme, 1995.

Rien ne prouve cependant que l’auteur du Tornoiemenz ait réellement participé à cette campagne.

Prosper Tarbé, qui prête foi aux dires de Huon, le dit originaire d’une seigneurie de Méry-sur-Seine en Champagne. On ne peut cependant que spéculer sur son origine géographique. Selon Margaret O. Bender, qui a donné une autre édition du Tornoiemenz en 1976, il existe sept villages français portant le nom de Méry. —  BENDER, Margaret O., Le Torneiment Anticrist by Huon de Méry, Vol. 17, Mississipi, University of Mississipi, 1976. —

Ce n’est qu’à la fin de son poème, au vers 3526, que le héros-narrateur dévoile son identité. Il dit alors que son aventure l’a mené à la vie monastique :

Je prie Vie-Religieuse de me conduire jusque là, si je ne fais pas tout échouer. Elle m’a déjà menée par la main jusqu’en l’église de Saint-Germain-des-Prés, près des murs de Paris. De là, elle me mènera jusqu’au Paradis si je n’abandonne pas son service - aussi vrai que je crois être récompensé si je fais le bien.
Que Dieu y mène Huon de Méry, qui a mis toute sa peine à écrire ce livre, parce qu’il n’osait pas cueillir comme il le désirait, librement, le beau français. 6

Vers 3517-3531 — Huon de Méry (rééd. 1995) op. cit., p. 145

L’appartenance de Huon de Méry à une communauté monastique régie par la règle bénédictine, certainement l’abbaye Saint-Germain-des-Prés citée dans le dénouement du Tornoiemenz, est le seul élément de sa biographie qui ne souffre aucun doute. —  Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 8 —

Brocéliande dans le Tornoiemenz Antécrit

La forêt de Brocéliande est un élément central du Tornoiemenz. Elle y est citée à cinq reprises sous la forme Bercélïande (vers 55) puis sous celle de Broucéliande (vers 59, 72, 191, 2024).

Les deux premières mentions de la forêt apparaissent au début du récit, aux vers 55 et 59. A peine le narrateur a-t-il évoqué le cadre historique et réel de son aventure – la campagne militaire de 1234 en Bretagne – que l’entrée dans Brocéliande plonge le lecteur dans la fiction.

Comme la forêt de Brocéliande ne se trouvait pas très loin de là, mon cœur qui souvent m’ordonne d’agir en dépit de mes intérêts, me fit décider – comme si c’était un vœu – d’aller dans cette forêt de Brocéliande. 7

Vers 54-59 — Huon de Méry (1888 rééd. 1995) op. cit., p. 40

Huon fait se juxtaposer les formes Bercelïande et Broucéliande. Cette différenciation marque probablement la volonté d’indiquer que le narrateur a glissé dans un autre monde. La forme Berceliande est attachée à l’enracinement historique du début du récit. En cela, le Tornoiemenz se rapproche du Roman de Rou, évoquant la forêt réelle de Bercelïande/Brecheliant, située en Bretagne, dans laquelle le narrateur et Wace se rendent pour se confronter au mythe.

S’il n’est pas sans rappeler le Roman de Rou de Wace (cf. vv. 6376-6398) par certains côtés, cet épisode à la fontaine périlleuse se termine d’une façon fort différente dans le Tornoiemenz. Parti pour apprendre la vérité, c’est-à-dire tenter de démythifier l’endroit, le héros du Tornoiemenz doit se rendre à l’évidence : la merveille existe bel et bien. [...] Tout se passe pour lui comme pour Calogrenant, Yvain et les chevaliers arthuriens…

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 35

La deuxième mention de la forêt, sous la forme Broucéliande, indique le passage dans le monde mythique et littéraire. Le changement de mot est aussi changement de monde. Après l’introduction historique, le roman de chevalerie peut alors véritablement commencer, Huon se référant maintenant à un nouveau modèle : Yvain le chevalier au Lion de Chrétien de Troyes.

Broucéliande et la fontaine périlleuse de Chrétien de Troyes

Les deux mentions suivantes de la forêt de Broucéliande, aux vers 72 et 191, s’ancrent définitivement dans la fiction littéraire et la référence au Chevalier au Lion. Le récit se développe autour de la découverte de la fontaine périlleuse par le héros-narrateur.

Après avoir vanté le talent du défunt Chrétien de Troyes, Huon lui emprunte sans vergogne le cadre, la structure et les motifs de son célèbre roman Yvain ou le Chevalier au Lion.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 18

Je fis demi-tour et pris sans plus attendre le chemin de la forêt, car je voulais apprendre la vérité sur la fontaine périlleuse. Je portais un épieu dont le fer venait d’Ardennes et dont la pointe n’était pas terne, et un haubert à maille double ; tous deux me furent ensuite bien utiles.
Sans suivre de route ni de sentier, Je chevauchai quatre jours durant. Alors m’apparut un sentier qui me conduisit, à travers une lande désolée, jusque dans la forêt de Brocéliande, très sombre et touffue. 8

Vers 60-73 — Huon de Méry (rééd. 1995) op. cit., pp. 40-41

Tout ou presque se déroule comme dans le roman de Chrétien. Le narrateur n’atteint la fontaine périlleuse qu’après s’être égaré plusieurs jours, au cours desquels il a dû affronter une nature hostile.

Aussitôt je vis la fontaine auprès de moi. C’est la cinquième nuit de mai, que je la découvris par hasard. La fontaine n’était pas sombre, mais au contraire brillante comme de l’argent pur. La prairie qui recevait l’ombre d’un arbre, était vraiment riante et belle. Là je trouvais le bassin, la margelle de marbre, le pin vert et la chaîne, tels les décrit Chrétien 9.

Vers 90-103 — Huon de Méry (rééd. 1995) op. cit., p. 42

Dès lors rien ne manque à la recréation en l’atmosphère d’Yvain et des romans de chevalerie en général. […] Autour de [la fontaine] sont rassemblés tous les éléments décrits par Chrétien de Troyes. Pourtant, et c’est un point significatif, la chapelle est ici absente.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., pp. 17-18

Le jeune chevalier imprudent va vouloir tester l’efficacité du rituel de la fontaine. Par deux fois, il verse de l’eau sur la margelle, déclenchant la tempête. En cela, il opère une synthèse des différents personnages du Chevalier au Lion.

Dans Yvain, l’épisode de la fontaine périlleuse concerne plusieurs personnages, Calogrenant, Yvain et de nombreux chevaliers. Huon choisit de ne faire de ces chevaliers qu’un seul et même personnage, curieux et audacieux puisqu’il verse un second bassin d’eau sur la margelle.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 21

Alors commença d’apparaitre le jour dont l’aube était déjà là. Tous les jeunes oisillons – pas un ne manquait – acclamèrent son arrivée : ils étaient venus en volant de toute la forêt de Brocéliande. Jamais on n’en vit autant dans les halliers, la forêt ou dans la lande ; il y en avait sous le pin plus que Calogrenant n’en avait vu. Ils produisaient en unissant leurs chants variés, une si douce mélodie que je ne voudrais à la vie à la mort, connaître d’autre gloire. Maintenant encore, lorsque je m’en souviens, j’ai vraiment le sentiment que c’était le paradis sur terre. 10

Vers 186-202 — Huon de Méry (rééd. 1995) op. cit., pp. 44-45

Huon n’omet en effet aucune des étapes avortées de la quête de Calogrenant [...]. Comme ce cousin d’Yvain, le jeune chevalier du Tournoiemenz Antécrit jouit du délicieux chant des oiseaux après la terrible tempête. Ce chant possède dans le poème de Huon une résonance religieuse absente d’Yvain.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., pp. 17-18

L’aventure de Huon à la fontaine périlleuse touche à son terme. L’accalmie est brève et le véritable danger guette sous les traits d’un Maure. Calogrenant avait échoué à vaincre Esclados le Roux, le jeune homme échoue à renverser son adversaire.

L’échec du jeune chevalier non initié relance le récit et introduit le thème central du poème, le déroulement du plus grand tournoi de tous les temps sous les yeux du jeune héros.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 18

Le roi Arthur et les chevaliers de la Table Ronde dans le Tornoiemenz Antécrit

La dernière et cinquième mention de Brocéliande apparaît alors que le Tournoi des Vices et des Vertus est déjà avancé. Arthur et les Chevaliers de la Table Ronde viennent rejoindre l’armée du Christ.

Mêlés à Générosité, Noblesse et Vaillance, se trouvaient les Chevaliers de la Table Ronde. Arthur, le meilleur roi du monde, fils d’Uter Pendragon, portait l’écu au dragon de gueules se détachant sur un fond d’argent. 11

Vers 1975-1980 — Huon de Méry (rééd. 1995) op. cit., p. 98

Mais le roi Arthur et ses chevaliers sont présentés de façon parodique. L’écu du roi arbore un dragon, animal emblème du mal et le « gueules », rouge héraldique, est connoté négativement.

Huon ne se laisse pas impressionner par toute cette tradition littéraire. Si respectueux soit-il envers son prédécesseur, Huon ne se fait pas faute d’ironiser sur le monde chevaleresque chanté par Chrétien. En effet, le beau vernis craque rapidement sous la plume corrosive de Huon, et les compagnons de la Table Ronde deviennent dans son poème des êtres vains et risibles.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 20

Après avoir nommé les principaux chevaliers compagnons d’Arthur, Huon s’attarde sur Perceval, le plus vaillant d’entre eux.

Ces chevaliers arrivèrent les derniers, quand il n’y avait plus qu’à lacer les heaumes. Pour s’amuser et sacrifier à leur plaisir de toujours, ils avaient chevauché toute la nuit dans l’épaisseur des bois et des forêts, en quête de jeux et d’aventures, par la Cornouailles et l’Irlande. En traversant la forêt de Brocéliande, ils avaient manqué tous périr, car Perceval s’était mis en tête, par jeu, d’arroser la margelle ; il l’arrosa avec si peu de mesure que la foudre tua plus de cent hommes de leur troupe. 12

Vers 2017-2030 — Huon de Méry (rééd. 1995) op. cit., p. 100

L’on pourrait presque dire que l’on assiste à la destruction d’un mythe dans l’œuvre du moine Huon. Les chevaliers y sont vains, irréfléchis, sans bravoure et entachés de tous les vices de leur époque, à côté desquels ils défilent dans les rangs de l’Antéchrist.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 21

L’idéal chevaleresque est vivement moqué. La forêt de Brocéliande, théâtre des exploits de la Table Ronde, devient le lieu où l’arrogance et la futilité exposent stupidement à la mort des chevaliers par centaines. Les beaux chevaliers des romans préférés du public deviennent des joueurs puérils, capricieux et imprudents.

L’on peut alors considérer l’acte insensé de Perceval (vv.2019-2030) comme un suicide littéraire : les romans de chevalerie ont fait leur temps et corrompent les mœurs ; ici ils s’éliminent comme d’eux-mêmes de la scène littéraire, à travers l’intervention d’un de leur principaux personnages.

Orgeur Stéphanie (1995) op. cit., p. 21

Le héros-narrateur, qui avec le lecteur a contemplé la vacuité de la quête chevaleresque, peut désormais se consacrer à un nouvel idéal : la conversion à Dieu et à la vie monastique.

La redécouverte du Tournoiemenz au 19e siècle

Entre le 15e et le début du 19e siècle, l’intérêt pour Le Tournoiemenz Antécrit disparaît. Sa redécouverte, au début du 19e, est liée à la problématique de la localisation des lieux arthuriens en petite Bretagne. Il est alors utilisé par certains érudits comme preuve d’une localisation de Brocéliande en forêt de Paimpont. Le premier à en faire cet usage est Miorcec de Kerdanet en 1826, dans Le Lycée Armoricain.

La plus considérable était celle de Paimpont, qui, en 1467 avait 7 lieues de long sur deux de large : elle contient aujourd’hui 9000 hectares. On sait de quelle célébrité a joui cette forêt dans les XIIe, XIIIe, XIVe siècles sous les noms harmonieux de forêt des Armantes ou de Brocéliande. Outre le perron merveilleux de l’enchanteur Merlin, elle renfermait le tombeau de ce barde et la fontaine périlleuse de Barenton, décrite assez longuement par Huon de Méry, poète du XIIIe siècle.

MIORCEC DE KERDANET, Daniel-Louis, « Précis sur l’histoire naturelle de Bretagne », Le Lycée Armoricain, Vol. 8, 1826, p. 333-344, Voir en ligne. p. 339

Miorcec de Kerdanet y cite soixante vers du Tournoiemenz Antécrit, (vers 93-145) opérant pour la première fois une localisation de cette œuvre médiévale en forêt de Paimpont.

En 1839, Baron du Taya utilise à son tour le Tornoiemenz comme preuve de la localisation de Brocéliande en forêt de Paimpont.

Ce que j’affirme, c’est que notre forêt de Painpont a conservé le nom de Brecelien, et les auteurs du Xlle et XIIIe siècles en font le théâtre des aventures et des enchantements. Voyez je vous en supplie, Wace, roman de Rou, et le roman du chevalier au Lion , et le roman de Brun de la Montagne, et le tournoiement du Christ et le roman de Ponthus. […] Dans le XlIIe siècle, vers 1288, Huon de Meri vient en Bretagne... Il veut visiter le plus curieux monument de ce pays, et se met en marche vers la fameuse forêt de Broceliande, si célèbre dans les romans de la Table-Ronde, par la périlleuse fontaine qu’elle couvre de son ombre. Il s’avance armé d’une épée vers la fontaine. (Tournoiement du Christ, n° 7613 et n° 218.)

BARON DU TAYA, Aymé-Marie-Rodolphe, Brocéliande, ses chevaliers et quelques légendes, Rennes, Imprimerie de Vatar, 1839, Voir en ligne. pp. 165-167

En 1896, Félix Bellamy s’intéresse lui aussi à l’œuvre de Huon, à laquelle il consacre un chapitre de son œuvre monumentale sur la forêt de Brocéliande. —  BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. pp. 33-75 — Comme à son habitude, Bellamy, qui vise l’exhaustivité, va plus loin que ses prédécesseurs. Il cite très largement l’œuvre, étudie la vie de Huon en détail, d’après la notice de P. Tarbé, et fait référence aux citations du Tornoiemenz parues avant lui 13. Bellamy se prête aussi au jeu de la localisation de certains des épisodes de l’œuvre de Huon de Mery, non sans un certain humour.

[…] le trouvère laisse entendre que le tournoi se livre aux confins de Bercéliande (vers 279-320). Pourquoi ne serait-ce pas dans la vaste lande que nous avons parcourue de Kon Korred à Tréhorenteuc, et qui forme de ce côté la marge de la forêt ?
Et Tréhorenteuc, ce séjour de paix, de silence et de contemplation, cette retraite cachée où le tumulte de la terre ne peut pénétrer ni venir vous inquiéter, cette bourgade encore toute imprégnée des vertus de la sainte princesse Onenna, pourquoi n’en ferions nous pas la cité d’espérance, la Montjoie du Paradis, selon l’expression du poète, d’où sortiront pour le tournoi les angéliques phalanges du christ ? Et à l’autre bout de la lande, à deux lieux de la cité d’Espérance, Kon Korred avec son origine entachée de superstitions païennes, avec ses sorciers et des saints de mauvais aloi, tous gens accointés de satanie (sans offenser personne), sera si vous le voulez la cité de Désespérance, point de ralliement des odieux chevaliers de l’Antéchrist. En tout cas, le champ de bataille ne saurait être loin de la Fontaine Périlleuse.

Bellamy Felix (1896) op. cit., p. 39

Cependant Bellamy, qui n’est pas naïf, remarque que le texte de Huon comporte deux imprécisions concernant la localisation de Bercéliande. Tout d’abord, les chevaliers de la Table Ronde partent de Cornouailles pour arriver en Armorique, sans que la traversée de la mer ne soit évoquée.

C’est avec pareille insouciance de la mer et du temps que Chrestien, on s’en souvient, amène ses personnages de la cour d’Artus en Galles jusqu’en Brocéliande d’Armorique, et les remmène de Brocéliande jusqu’en Galles. Huon de Méry n’a donc fait qu’imiter le maître.
De plus, bien que Huon (contrairement à Chrétien), mentionne la forêt en Armorique, il parle de la fontaine Périlleuse et non de Barenton, comme il devrait être.

Bellamy Felix (1896) op. cit., p. 75

Bibliographie

BARON DU TAYA, Aymé-Marie-Rodolphe, Brocéliande, ses chevaliers et quelques légendes, Rennes, Imprimerie de Vatar, 1839, Voir en ligne.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

BENDER, Margaret O., Le Torneiment Anticrist by Huon de Méry, Vol. 17, Mississipi, University of Mississipi, 1976.

MÉRY, Huon de et WIMMER, Georg, Huon de Méry : Le Tournoi de l’Antechrist, 2e édition, Orléans, Paradigme, 1995.

LE ROUX DE LINCY, Antoine, Le livre des légendes, Paris, Chez Sylvestre Libraire, 1836, Voir en ligne.

MIORCEC DE KERDANET, Daniel-Louis, « Précis sur l’histoire naturelle de Bretagne », Le Lycée Armoricain, Vol. 8, 1826, p. 333-344, Voir en ligne.

ORGEUR, Stéphanie, « De la forêt de Brocéliande à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés », in Huon de Méry : Le Tournoi de l’Antéchrist, 2e édition, Orléans, Paradigme, 1995.

TARBÉ, Prosper, Le Tornoiement de l’antéchrist par Huon de Mery, Reims, P. Régnier, 1851, Voir en ligne.


↑ 1 • Nous empruntons toutes les traductions du Tornoiemenz à l’édition de 1995 présentée, annotée et traduite par Stéphanie Orgeur à partir de la version transcrite de Georg Wimmer parue en 1888

↑ 2 • Douze manuscrits du Tornoiemenz Antécrit ont survécu au temps. Sept d’entre eux se trouvent dans des bibliothèques françaises, dont cinq à la B.N.F. et un à Reims. Les autres sont conservés à Londres, Stockholm, Turin, Vienne, Bruxelles et au Vatican (Voir en ligne).

↑ 3 • Louis IX devient roi de France en 1226 à l’âge de 12 ans. Une révolte est organisée à partir de 1229 par des barons mécontents de la régence de Blanche de Castille. À leur tête se trouve Philippe Hurepel, comte de Boulogne et oncle de Louis IX, mort en 1233. Y participent aussi la maison de Dreux et le duc de Bretagne Pierre Ier Mauclerc. La campagne de 1234-1235 est destinée à mettre un terme à cette guerre des barons. Le roi de France Louis IX, aidé par Thibaud IV de Champagne, qui lui avait été hostile auparavant, se rend en Bretagne afin de « négocier » avec Pierre Mauclerc, comte de Dreux.

↑ 4 • Né vers 1165-1170, mort vers 1230, ce poète et trouvère français est l’auteur d’un roman arthurien, Méraugis de Portlesguez, ainsi que du Songe d’enfer, et du Roman des Eles de Courtoisie.

↑ 5 • 

Texte original :
Il avint apres cele enprise
Que li François orent enprise
Contre le conte de Champaigne,
Que rois Loëys en Bretaigne
Mena son ost sans pont d’aloigne
[...]
Lors ne me pot tenir peresce
D’aler en l’ost le roi de France.
Tant fis en cel ost demorance,
Que de Bretaigne fu partiz
Li rois de France, et fu bastiz
Li acorz de la grant discorde,
Que li rois, si com l’en recorde,
Avoit au conte de Bretaigne.

↑ 6 • 

Texte original :
S’en moi ne remaint,
Religion pri, qu’el m’i maint,
Qui m’a ja mené par la mein
Jusqu’a l’eglise S.’Germein
Des prez, lez murs de Paris ;
De la me merra en parvis,
Se de li servir ne recroi
Si voirement, come je croi,
Que Se bien faz, qu’il m’iert meri.
I meint dex Hugon de Meri,
Qui a grant peine a fet cest livre,
Car n’osoit pas prendre a delivre
Le bel françois a son talent,
Car cil, qui troverent avant,
En ont coilli tote l’eslite,

↑ 7 • 

Texte original :
Pour ce que n’ert pas molt lointaigne
La forest de Berceliande ,
Mes cuers, qui sovent me commande
Fere autre chose que mon preu,
Me fist fere aussi come veu,
Que j’en Brouceliande iroie.

↑ 8 • 

Texte original :
Je m’en tornai et pris ma voie
Vers la forest sans plus atendre,
Car la verté voloie aprendre
De la perilleuse fonteine.
1. espié, ou ot fer d’Andaine,
Dont la more n’estoit pas trouble
Et 1. hauberc à maile double
Portai qui puis m’orent mestier.
Sans tenir voie ne sentier
Chevauchai IIII. jours entiers ;
Adont m’aparrut uns sentiers
Qui parmi une gaste lande
Me mena en Brouceliande,
Qui molt est espesse et oscure.

↑ 9 • 

Texte original :
Sans fere aloigne ne sejour
Vi la fonteine pres de moy ;
Ce fut la quinte nuit de moy
Que la trovai par aventure.
La fonteine n’iert pas oscure,
Ainz ert clere com fins argens.
Molt ert li prez plesanz et gens,
Qui s’ombroiot desoz 1. arbre.
Le bacin, le perron de marbre
Et le vert pin, et la chaiere
Trovai en itele maniere,
Comme l’a descrit Crestïens.

↑ 10 • 

Texte original :
Lors commença à aprochier
Li jours dont l’aube er ja venue.
Joie firent en sa venue
Trestuit li oiseillon menu,
Car avolé sont et venu
De partote Broucelïande.
En brouce n’en forest, n’en lande
N’en vit mes nus tant amassez :
Souz le pin en ot plus assez
Que n’en i vit Calogrinans,
Et fesoient de divers chans
Une si douce mélodie,
Que a ma mort ne a ma vie
Ne queïsse avoir autre gloire.
Encor quant me vient en memoire
M’est-il tout veraiement avis
Que c’est terrïens paradis.

↑ 11 • 

Texte original :
Entre largesce, et cortoisie,
Et proesce orent de mesnie
Touz ceus de la table roonde.
Artu, le meillor roi du monde,
Qui fu fiuz Uterpendragon,
Y portoit l’escu au dragon
De geules en argent asis.

↑ 12 • 

Texte original :
Iceste gent daarains vindrent,
Que n’i avoit que du lacier
Les hiaumes, mes pour soulacier,
Selonc lour ancïen deduit,
Orent chevauchié tote nuit
Par bois et par forez oscures,
Querant dépors et aventures
Par Cornouaille et par Illande.
Et vindrent par Brouceliande,
Où par poi ne furent tuit mort,
Car Perceval, qui par deport
Quida arouser le perron,
L’arousa par tel desreson,
Que le foudre ocist plus de C.
De lor mesniée et de lor gent.

↑ 13 • 

Avant l’édition de P. Tarbé des fragments du poème avaient été publiés. Ainsi, dans le Lycée Armoricain, t.VIII (1826), Miorcec de Kerdanet a inséré un passage allant du vers 93 à 145. – Le Roux de Lincy, dans le Livre des Légendes (1836), des pages 230 à 234, a reproduit un fragment un peu plus long, allant du vers 27 à 202. – Les Mabinogion de Lady Ch. Guest (1849) t.I, p.220-223, contiennent aussi le même passage du vers 54 à 202, communiqué par M. de la Villemarqué. Ce fragment raconte l’aventure du poète à la Fontaine Périleuse de Bercéliande, mais ne va pas au-delà

Bellamy Felix (1896) op. cit. p. 38

—  LE ROUX DE LINCY, Antoine, Le livre des légendes, Paris, Chez Sylvestre Libraire, 1836, Voir en ligne. —