1859-1861
Blin Francis et Guérard Amédée
Deux peintres à Monterfil
Entre 1859 et 1861, deux élèves de François-Édouard Picot à l’École des beaux-arts de Paris, Francis Blin (1827-1866) et Amédée Guérard (1824-1898), se retrouvent à Monterfil pour y peindre des paysages et des scènes de vie.
Francis Blin (1827-1866)
Éléments biographiques
Francis Blin est un peintre paysagiste né à Rennes le 10 septembre 1827. Son père François-Adrien Blin, né à Bazouges-du-Désert (Ille-et-Vilaine), est d’abord relieur puis libraire à Rennes, de 1832 à 1845. Sa mère Félicité Manpon est la sœur d’un avocat Rennais. — KERVILER, René et CHAUFFIER, Louis, Répertoire général de bio-bibliographie bretonne. Livre premier. Les bretons. Bli-Bou, Vol. 4, Rennes, Plihon & Hervé, 1886, Voir en ligne. p. 7 —
Après des études au collège à Rennes, il se consacre au dessin et à la peinture. À vingt ans, il part avec ses parents pour Orléans et parcourt la Sologne à la recherche d’inspiration dans la nature.— KERJEAN, Louis de, « Chronique », Revue de Bretagne et de Vendée, XX, 1866, p. 162-168, Voir en ligne. —
Francis Blin reçoit une formation de peintre auprès de François-Édouard Picot (1786-1868) à l’École des beaux-arts de Paris. Il rencontre notamment dans ce cours les peintres Amédée Guérard et Henri Saintin. Il se crée ensuite un atelier à Paris dans lequel il travaille l’hiver, arpentant les côtes et campagnes bretonnes le reste de l’année.
Son œuvre, remarquée par la critique, rencontre un certain succès aux Salons 1. Il meurt à Rennes, à trente-huit ans, le 26 juillet 1866, quelques mois après avoir obtenu la médaille d’or au Salon de 1866. Sa veuve, Jeanne-Marie-Auguste Fauquembergue, épouse le peintre Amédée Guérard.— DECOMBE, Lucien, Notice biographique sur Francis Blin, paysagiste, Rennes, Alphonse Leroy, 1878, 28 p., Voir en ligne. —
1852-1866 — Les œuvres de Francis Blin au Salon
Les œuvres de Francis Blin sont exposées au Salon à partir de 1852, année où il présente Les Bohémiens et Vue des côtes de Bretagne. En 1857, il expose Vue prise en Sologne.
En 1859, deux de ses huiles sur toile, Après l’orage et Le matin dans la lande, souvenir de Monterfil sont l’objet des éloges de la critique.
[...] à cette exposition, il arrive avec deux tableaux très recommandables, et qui sont un important progrès. « Après l’orage (Bretagne) », est un très hardi paysage et une fort habile peinture. Les dernières nuées de la tempête, ramassées à l’horizon en immenses volutes et éclairées par un reflet de soleil, roulent dans le ciel au-dessus d’une lande coupée par une route grise ou la boue délayée s’étend comme un long tapis gris et humide ; de chaque côté, des tertres verts effondrés d’ornières l’accompagnent, et, au fond, on aperçoit un bouquet d’arbres qui s’égoutte ; nul homme ne passe, nul cheval ne fait jaillir la fange sous ses sabots, nul troupeau ne revient des champs. C’est la solitude, la profondeur et la lumière prises sur le fait ; ce tableau-là est fort bon et annonce l’avenir d’un maître.
Françis Blin expose deux œuvres au Salon de 1861, La solitude et Le ruisseau. Il présente trois œuvres au Salon de 1863, Paysage, Une plage en Bretagne et Souvenir de la Creuse. Son Paysage, refusé par le jury du Salon est exposé au Salon des refusés où, réhabilité, il obtient un grand succès critique.
M. Blin, que nous n’avons pas l’honneur de connaitre, que nous n’avons jamais vu, s’est fait un nom parmi les artistes militants ; mis au bas d’une œuvre de cette valeur, ce nom devrait lui ouvrir toute grandes les portes du Salon. Et ce jugement qui infirme et casse celui du jury, n’a pas été prononcé par nous seul ; non certes ! Car nous avons eu la bonne fortune d’assister à une petite émeute de gens de goût arrêtés devant le tableau de M. Blin et indignés d’une injustice aussi flagrante. On éprouvait le besoin de protester contre l’ostracisme qui a frappé un homme de talent...
Théophile Gautier remarque quant à lui la hardiesse et l’originalité d’une de ses œuvres exposée au Salon.
« Une plage en Bretagne » de M. Blin, est une toile d’une hardiesse rare en dehors de toutes les habitudes de composition. L’artiste a représenté une plage nue et plate, bossuée de quelques roches basses, tachée ça et là de fucus et de varech laissés par la marée. Au-delà, dans la solitude et l’immensité, s’étend la mer tumultueuse sous un ciel grisâtre traversé de grands bancs de nuages que le vent bouleverse et fait écrouler. Sur la plage, pas une figure humaine, sur la mer, pas une voile. Rien que la nature, le silence et l’espace. La planète devait être ainsi avant l’apparition d’Adam. On rêve en face de cette toile déserte, d’où le peintre lui-même s’est retiré.
Il expose deux tableaux au Salon de 1865, La châtaigneraie et Souvenir du Cap Fréhel pour lequel il obtient une médaille. Il connait la consécration au Salon de 1866 en obtenant la médaille d’honneur pour la toile intitulée L’Arguenon à marée basse 2.
La mort prématurée de Francis Blin l’empêchera d’atteindre la consécration définitive qui lui semblait promise pour le Salon de 1867. Un critique attentif aux peintres de l’Ouest écrit : « Il se place immédiatement à la suite de Corot et de Rousseau... Il y avait là entre ces deux maitres une place originale à prendre, c’est monsieur Blin qui l’a prise ».
1859 — Francis Blin à Monterfil
Francis Blin doit son attachement à Monterfil à la propriété familiale où il a passé une partie de son enfance.
Sa famille possédait, à six lieux de Rennes, au milieu des landes et des bois de Monterfil, une propriété où sa mère le conduisait souvent. C’est là qu’il apprit à aimer et à connaitre la nature ; c’est dans cette solitude, tantôt au milieu des bruyères et des ajoncs, tantôt à l’ombre des grands chênes, que la vocation de l’artiste se révéla chez l’enfant. Insouciant et gai comme on l’est à seize ans, il passa les années les plus heureuses de sa vie, peut-être, dans ces campagnes pittoresques que son pinceau devait illustrer plus tard.
En 1859, il y peint son œuvre la plus célèbre, Le matin dans la lande, souvenir de Monterfil.
Cette œuvre connait un vif succès au Salon de 1859 et reçoit les éloges des critiques d’arts et commentateurs parmi lesquels Louis Jourdan, Maxime du Camp 3 et Alexandre Dumas.
J’ai beau chercher, je ne vois que quatre tons dans le tableau de M. Blin ; les autres sont sacrifiés avec une extrême adresse. De là cette tranquillité parfaite du tableau, malgré les innombrables détails qu’il renferme ; le ciel est léger, transparent, plein d’air. Avec quoi M. Blin fait-il ces charmants verts si insaisissables dans la nature ?
Ce tableau est mentionné au n° 2 du catalogue de ses œuvres, publié à l’occasion de sa succession. Cinq autres études ou dessins réalisés eux aussi à Monterfil sont aujourd’hui introuvables 4.— PETIT, François, Catalogue des tableaux, esquisses et études de F. Blin, Hotel Drouot, 1867, Voir en ligne. —
- n°2 — Landes de Monterfil (Ille-et-Vilaine) 1,30 x 2,26 m
- n°27 — Paysage à Monterfil
- n°32 — Dans les landes de Monterfil
- n°34 — Landes de Monterfil (Ille-et-Vilaine)
- n°40 — Environs de Monterfil
- n°47 — Études à Monterfil
1824-1898 — Amédée Guérard
Éléments biographiques
Amédée Guérard nait à Sens (Yonne) le 24 février 1824. Il se forme à l’École des beaux-arts de Paris aux cours de François-Édouard Picot où il rencontre le rennais Francis Blin avec lequel il se lie d’amitié.
Ce dernier lui fait découvrir la Bretagne qui devient sa principale source d’inspiration. Il séjourne à Monterfil (Ille-et-Vilaine) entre 1859 et 1861 puis à Saint-Briac-sur-Mer (Ille-et-Vilaine) d’où il parcourt la Côte d’Émeraude et la Côte de Penthièvre.
Il se marie avec la veuve de Francis Blin Jeanne-Marie-Auguste Fauquembergue. Figure importante du « réalisme social », il expose constamment de 1850 à 1890. Il meurt le 28 février 1898 à Paris. Une rue de Sens porte son nom. — CHANDENIER, Félix, « Portrait d’Amédée Guérard », Annuaire historique du département de l’Yonne, 1899, p. 22-28, Voir en ligne. —
Le peintre et les Salons
De 1848 à 1890, Amédée Guérard présente des œuvres aux Salons et expositions officielles. Inspiré par Gustave Courbet et Adolphe Leleux, il y acquiert progressivement une réputation de peintre majeur du « réalisme social ».
La première de ses œuvres remarquées est une huile sur toile exposée à l’Exposition universelle de 1855, aujourd’hui introuvable. Le souvenir de sa formation artistique en Italie est néanmoins conservé sous la forme d’une gravure.
Une toile intitulée Jour de fête en Bretagne, elle aussi introuvable aujourd’hui, est exposée au Salon de 1857. Ce tableau, peut-être réalisé dans la région de Monterfil, est apprécié par une partie de la critique 5.
M. Amédée Guérard, qui est aussi un jeune, a obtenu, pour son « Jour de fête en Bretagne », mieux qu’une médaille, les bravos de tous les artistes. Il était difficile de mettre plus de gaîté, plus d’entrain, plus d’ensoleillement qu’il n’y en a sur cette grande route, où, bras dessus, bras dessous, gambade la bande joyeuse de paysans de la même ferme, se rendant à la frérie. Ils vont s’amuser aussi bravement qu’ils travaillent, et les grosses plaisanteries sont au bout de leurs lèvres. La bonne vieille endimanchée, qui est au milieu, partage l’allégresse. La gaîté des autres l’a grisée. Pauvre vieille, c’est peut-être la dernière fois qu’elle se rend au village. Chaque physionomie est d’une vérité qui dénote de sérieuses études. Il y a une franchise d’allure remarquable. Une seule observation : je trouve les figures des femmes trop léchées, trop rosées, trop lisses. Il faut songer que le soleil les embrase toute la journée et qu’elles ignorent le cold-cream et la poudre de riz.
Un repas de noce (Ille-et-Vilaine), autre tableau possiblement réalisé dans la région de Monterfil, est présenté au Salon de 1861. En 1864, il expose à Toulouse une œuvre intitulée La moissonneuse avec laquelle il s’émancipe de ses influences de jeunesse.
M. Amédée Guérard, après avoir primitivement procédé de M. Ad. Leleux et plus tard de M. Courbet, nous paraît vouloir secouer le joug de l’imitation. Le Convoi d’une jeune fille que ce peintre envoya à l’exposition de l’Union artistique en 1862, annonçait des tendances individuelles, mais aujourd’hui sa Moissonneuse, en nous donnant la mesure exacte de son faire, nous prouve qu’il est entré dans la bonne voie. La femme qui, la faucille au poing, hèle joyeusement ses compagnes à moitié endormies sur les gerbes rutilantes, est nature au possible. Pourquoi donc M. Guérard n’a-t-il pas doré cette scène d’un chaud rayon de soleil ? Le ciel gris et terne n’est pas en harmonie parfaite avec cet épisode champêtre. Malgré l’imperfection légère que nous signalons, imperfection qui provient peut-être d’un jour faux et éreintant, la Moissonneuse est une des belles pages de notre salon.
— DELOUCHE, Denise, « Réalisme pictural et société rurale bretonne au 19e siècle », Société Historique et Archéologique de Bretagne, 1982, p. 119-156, Voir en ligne. [page 133] —
Amédée Guérard à Monterfil
Amédée Guérard est invité par Francis Blin à Monterfil à partir de 1859. Il y peint quatre tableaux : ses deux œuvres exposés au Salon de 1859, ainsi que deux tableaux présentés au Salon de 1861. — BLANC, Charles, « Mouvements des arts et de la curiosité », La gazette des Beaux-arts, 1859, p. 184, Voir en ligne. —
1859 — Une messe du matin à Monterfil
De ce tableau aujourd’hui introuvable, on connait la description par des critiques d’arts ou commentateurs du Salon de 1859.
[...] nous entrons dans l’église de Monterfil avec M. Guérard. Les hommes sont d’un côté, les femmes de l’autre, suivant la coutume du pays, et l’officiant regarde ses paroissiens ; toutes les figures se ressemblent pour l’expression et pour la couleur. La beauté est chose rare dans ce canton, et nous plaignons ceux qui vont y chercher femme. On dit à cela : mais c’est ainsi, comment faire ? et nous retombons dans la grave question tant de fois débattue : l’art doit-il reproduire la laideur quand même ? Nous ne sommes pas de ceux qui croient que ce soit là son but. L’architecture est bien disposée et la lumière pénètre sous les voûtes de cet intérieur ; il y a dans cette toile une facture solide et une observation très-consciencieuse. Ces qualités sont habituelles à M. Guérard, il étudie attentivement ses sujets.
1859 — Vive la fermière !
Vive la fermière ! (la Parbatte) ; fête après le battage des grains à Monterfil est une huile sur toile présentée au Salon de 1859.
M. Amédée Guérard n’a pas perdu son temps depuis 1857, et ses progrès sont très visibles. Son colori, qui était un peu mou, est devenu plus ferme et il approche d’une originalité personnelle qu’il n’avait pas encore conquise. « Vive la fermière » est une scène de Bretagne élégamment rendue. Les blés sont battus ; on a ramassé en tas le grain jailli de l’épi battu par les fléaux, deux vigoureux gaillards ont placé la jeune fermière sur leurs épaules et lui font faire le tour de l’aire, pendant qu’on chante à pleine voix, qu’on lui offre des fleurs et qu’un des hommes va devant elle en portant sur une pelle quelques poignées de beau blé de couleur blonde. Il y a de l’air, du mouvement, de la couleur, et nous ne demanderions rien de plus si le dessin des têtes n’était douteux et comme aplati.
1861 — Le convoi d’une jeune fille vers l’église de Monterfill
La plus célèbre de ses œuvres, présentée au salon de 1861, est intitulée Le convoi d’une jeune fille vers l’église de Monterfill.
M. Amédée Guérard a su mettre une poésie touchante dans le Convoi d’une jeune fille se rendant à l’église. On est en plein champ, près d’un village de la Bretagne. Les compagnes de la morte, jeunes paysannes vêtues de gris et de blanc, défilent sur le chemin. Beaucoup de simplicité, de naïveté et même de charme ; une couleur douce et harmonieuse, dans une gamme claire, sans contrastes d’ombres.
Le tableau acheté par l’État après l’exposition de 1861 est donné au Musée d’Auxerre (Yonne) en 1864, où il se trouve toujours. Le convoi d’une jeune fille vers l’église de Monterfil a inspiré au graveur breton Théophile Busnel une gravure parue en 1882.
Avec grande minutie, le peintre développe, dans une campagne ample et déserte, un cortège funèbre en marche vers le village. Devant la mère éplorée, les proches et les habitants du hameau - seuls manquent les vieillards et nourrissons - quatre jeunes femmes portent le cercueil qu’un drap blanc recouvre. En tête, une fillette agite une clochette ; derrière s’avance la grande croix d’or, ceinte d’une écharpe au vent. Des enfants récitent le chapelet, portent l’eau bénite ou une petite couronne mortuaire. Toutes ont tablier blanc et coiffe de cérémonie. Derrière la croix, on reconnait une grande quenouille ; c’est dans le monde paysan, l’objet féminin par excellence.
1869 — Réception du cercueil sous le porche de l’église de Monterfil
Le deuxième tableau de la série, intitulé Devant la maison de Dieu, souvenir de Monterfil, ou Réception du cercueil sous le porche de l’église de Monterfil est présenté au Salon de 1869. Il est actuellement exposé au Musée des Beaux-Arts de Sens, sa ville natale.