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1803-1858

Brizeux, Julien Pélage Auguste

Un poète romantique breton

Brizeux est de ceux qui participent à l’émergence d’une mouvance culturelle bretonne au 19e siècle. Nommé Inspecteur des Monuments de Bretagne, il se rend en mission en forêt de Paimpont en août 1836. Il consacre deux poèmes à la Fontaine de Barenton, qui contribuent à la notoriété de celle-ci.

Éléments biographiques

Julien Pélage Auguste Brizeux, naît en 1803 à Lorient. Orphelin à huit ans, il est confié à l’abbé Marie-Joseph Lenir, ami de la famille qui habite à Arzano, entre Quimperlé et le Faouët. Il s’installe à Paris en 1824 pour y faire des études de droit. Quatre ans plus tard, il connaît son premier succès avec l’ouvrage poétique intitulé Marie, long poème allégorique, où il évoque son enfance bretonne ainsi que ses premières amours. Brizeux fait découvrir au monde parisien une réalité bretonne, loin de l’image déformée alors en cours.

A partir de 1834, il se lie d’amitié avec un groupe de bretons celtisants réunis autour de Le Gonidec. Brizeux, Hersart de la Villemarqué, Souvestre, Aurélien de Courson, Alfred et Paul de Courcy... se retrouvent dans l’appartement parisien de Le Gonidec pour déclamer des poèmes, parler breton et s’exalter autour de la patrie lointaine. —  LECIGNE, Constantin, Brizeux : sa vie et ses oeuvres, Réimpr. 1973, Genève, Slatkine reprints, 1898, Voir en ligne. page 196 —

Auguste Brizeux alterne les voyages en Italie, les visites en Bretagne et les séjours à Paris. Il passe l’été 1834 en Finistère, découvrant la forêt du Huelgoat, recueillant la matière de ses futurs poèmes. De 1839 à 1856, il écrit des œuvres poétiques, parmi lesquelles Telenn Arvor, Les Ternaires, Furnez Breizh, Les Bretons, Histoires poétiques. C’est avec Les Bretons publié en 1845, où il évoque la Fontaine de Barenton, qu’il accède à la renommée. Ce poème est couronné l’année suivante par l’Académie française, grâce à l’appui d’Alfred de Vigny et de Victor Hugo.

Après plusieurs voyages, Brizeux décède de la tuberculose à Montpellier, le 3 mai 1858. Il est enterré à Lorient où une statue est érigée à sa mémoire en 1888 en présence de Jules Simon et d’Ernest Renan. Plusieurs rues en Bretagne (à Nantes, Guingamp, Port-Louis, Douarnenez, etc.) portent son nom.

Brizeux en forêt de Paimpont en 1836

Grâce aux appuis de Sainte-Beuve, d’Alfred de Vigny, d’Alexandre Dumas et de Prosper Mérimée, il est nommé inspecteur des Monuments de Bretagne en 1836, charge créée à son intention pour lui permettre d’échapper à la misère 1.

C’est donc missionné par le ministère de l’intérieur qu’il se rend en forêt de Paimpont en août 1836. Dans ses notes, il décrit longuement la Fontaine de Barenton.

Kon-Korred (Concoret), comme dit son nom est à l’extrémité d’un très grand val, mais peu profond, terminé par Ménéak. Beaucoup de paysans sur place, jolies jeunes filles, hommes laids ; je parle de Ber-en-dun, on me regarde ; plusieurs voyageurs sont déjà réunis ; un entr’autre sur un petit cheval blanc ne fait que tourner autour de la fontaine. Il y a six mois on en voyait beaucoup ; un homme a trouvé des papiers à Paris, lesquels leur on dit qu’il y avait beaucoup d’or autour de la fontaine ; un saint y dormait sur un coussin d’or.Le jeune Louis Barbier, menuisier me conduit.
Le château du Ro (Roi) commandait d’une hauteur la vallée et le seigneur pouvait arrêter les chevaliers qui allaient vers la fontaine sacrée. Le château ou plutôt la maison actuelle, est dans la plaine qui descend vers la vallée mais l’ancien kastel devait être un peu plus haut sur ce terrain tout pierreux et plein de rochers.
A travers une très longue bruyère nous doublons la pointe de la forêt et bientôt nous sommes à la fontaine de Merlin.

FONTAINE DE BER-ENN-DUN.
Merlin ! Merlin ! Merlin !
Dimanche 10 août 1836 à 6 heures du soir.

Tournée au soleil couchant, couleurs d’un tertre (comme dit son nom celtique) ; bordé de landes, de lucettes, de bruyère, de bourdenne et de faugerolle, et contenue entre trois murs de pierres grises et croulantes, solitaire au milieu des bruyères, telle est aujourd’hui la pauvre fontaine de Ber-Enn-Dun. J’ai lavé mes tempes et mes mains à la fontaine de l’enchanteur, j’ai bu de son eau sacrée, j’en ai rempli une petite fiole de verre bleue, puis cueillant quelques feuilles des plants qui bordent la source, j’ai par trois fois appelé : Merlin ! Merlin ! Merlin ! Le barde n’a point répondu – mais dans la fontaine, quand j’ai jeté une épingle en disant selon la formule : Ris, fontaine de Ber-Enn-Dun et je te donnerais une épingle, et la fontaine a ri.

TOMBE DE MERLIN
Pierre : de longueur 3 p. ½ ; de largeur 3p. 2 pouces ; d’épaisseur 1p.
Ces pierres qui n’étaient pas jointes ensemble ne pouvaient être la tombe de Merlin, d’ailleurs, la plus grande même est trop petite pour une pierre tombale. Les paysans éveillés par les recherches des nouveaux bardes ont arraché les pierres ; mais ils ne savent pas que l’or est dans la fontaine elle-même.

Après une heure je reviens à travers la forêt de Brézilian. Le nom de Merlin inconnu à Kon-Korred : c’est un homme qui place bien ses paroles me dit mon jeune guide ; ici nous ne sommes pas des rutins (méchants) ; on joue aux cartes, mais pas de danger.A la brune je rencontre un homme à cheval avec qui je vais à Penn-pont, à travers la forêt et les bruyères. Chevaux de Charbonniers. Paimpont. Pour Penn-Pont ou Pemp-Bon. Fondée en 633, par Judicaël cousin de St Méen chez lequel il mourut ; on conserve le bras de Judicaël à Paimpont. Génovéfains. Il y avait un temple druidique où est la fontaine de Ber-enn-dun ou du moins très voisin. La première maison de Penn-Pont, était de l’autre coté de l’étang, reste de l’ancien pont. Une femme centenaire. Concorret vient dit un traité qui est entre les mains du maire d’un accord entre l’abbaye de Paimpont et ceux de Concorret (fausse étymologie). Détails donnés par le curé et le maire.

Antiquaires du pays : M. Guillotin, inspecteur de la forêt. M. Poignant, juge à Montfort. M. Duteilha, à Rennes (ancien conseiller).
Le curé demeure à l’abbaye, frères et écoles dans le cloître. Je reviens par la forêt. Plusieurs étangs. Brécilien est un carrefour de la forêt qui lui donne son nom. Les forestiers ont sur leur plaque Brécilien et non Paimpont qui est le nom populaire ; pourtant à Konkorred on dit Brécilien pour parler de toute la forêt. Ber-en-dun ; à Konkorred on prononce Beranton qui se rapporte bien aux mots celtiques.Dans les actes on lit Ber, bar, bel.

Cren L. (1955) op. cit., p. 112-114

Brizeux se rend à la Fontaine de Barenton, avec l’état d’esprit d’un pèlerin, voulant toucher du doigt la tombe de Merlin 2. Il reconnaît bien la fontaine qu’il nomme Ber-enn-Dunn, mais déçu par la modestie du lieu, il ne peut se résoudre à voir dans le perron une pierre tombale. Elle ne correspond pas à la représentation qu’il s’en était faite. En 1837, Hersart de la Villemarqué, y verra pour sa part le Tombeau de Merlin.

Brizeux se rend en Angleterre durant l’été 1838, en compagnie de Théodore Hersart de la Villemarqué, Louis de Carné de Marcelin et Auguste du Marhallac’h pour être intronisé barde par les Gallois du Gorsedd des bardes de l’île de Bretagne à Abergavenny. Il gardera de ce séjour le surnom de « prince des bardes bretons ».

Poèmes sur la Fontaine de Barenton

En 1841, il publie La fleur d’or, recueil dans lequel apparaît son premier poème sur Barenton.

A LA FONTAINE DE BARANTON
Je viens comme Merlin m’asseoir à ton perron,
Source, apaise ma soif et rafraîchis mon front.
L’Esprit intérieur qui me dictait ce livre,
Sage modérateur, me défend de poursuivre.
Dans le monde idéal j’ai cueilli tour à tour
L’âpre fruit de Science et le doux fruit d’Amour ;
M’élevant sans orgueil vers le Souverain Maître, Sur Lui, l’être complet, j’ai modelé mon être ;
Dans sa triple unité Lui constamment égal, L’homme cherchant toujours l’accord primordial :
Dans l’art, dans la nature, en moi, vivante Idée,
Avec quel saint respect mes yeux t’ont regardée !
Mon voyage est fini. Vienne à présent le sort,
Mon cœur est aussi bon, mon esprit est plus fort.
J’ai touché dans la vie à chaque point extrême,
L’Amour m’a dit enfin le secret de moi-même.
Désormais tous mes vers aux peuplades d’Arvor !
Fontaine, laisse-moi boire à ton bassin d’or !

BRIZEUX, Auguste, Œuvres complètes d’Auguste Brizeux, Vol. 2, Paris, Michel Lévy Frères libraires-éditeurs, 1860, Voir en ligne. page 119

Brizeux connaît la célébrité en 1846 avec Les Bretons, vaste fresque poétique. Considérant que l’épopée historique fait partie du passé, il revendique un style poétique nouveau empreint de réalisme. Il définit son œuvre comme un tableau de mœurs, afin que lisant ce récit on pût dire ; "Les choses se passent ainsi en Bretagne ; cette histoire doit être vraie. " — Brizeux Auguste (1860) op. cit., vol. 2, p. 94 —

L’action se déroule dans les cantons de Vannes, Tréguier, Léon et Cornouailles. Les premiers vers sont consacrés à l’enserrement de Merlin qui ne s’est toujours pas réveillé de son long sommeil.

J’entends au loin, j’entends les landes s’éveiller !
Au murmure des flots lasses de sommeiller,
Les paroisses d’Arvor veulent que je les nomme ;
Merlin dans son tombeau triomphe d’un long somme :

Le quatorzième chant, intitulé Les mineurs, nous intéresse particulièrement. Il commence par une longue évocation de la Fontaine de Barenton dans des vers qui on fait la célébrité du poète. L’action de ce chant est pourtant censée se dérouler aux mines de plomb argentifère de la forêt de Huelgoat, dans lesquelles Brizeux s’était rendu en 1834.

Chant Quatorzième
Les Mineurs

A la fontaine féerique de Baranton

Est-ce vous, Baranton ? Sur sa pelouse verte
Que la fontaine sainte est aujourd’hui déserte !
Les plantes ont fendu les pierres de ses murs ;
Et les joncs, les glaïeuls et les charbons impurs
Entouré son bassin d’où ses eaux étouffées
De ravins en ravins coulent au Val-des-Fées !
Nul bruit dans ce désert, hors le cri du vanneau
Immobile longtemps au bord des flaques d’eau,
Le beuglement d’un bœuf lointain ou la voix triste
D’un cerf de Brécilien qu’un chien suit à la piste.
0 bois d’enchantements, forêt de Brécilien
Où dans son fol amour s’est endormi Merlin,
Où rois et chevaliers, sur leurs bonnes montures,
Venaient de tout pays tenter les aventures,
Bravant les nains hideux, les spectres, les serpents,
Tous les monstres ailés, tous les monstres rampants,
Bravant (autre péril) les doux regards des fées
Qui, leurs voiles au vent, leurs robes dégrafées,
Suivaient dans le vallon les sons errants du cor
Et peignaient leurs cheveux autour du perron d’or :
O bois d’enchantements, vallon, source féconde
Où se sont abreuvés tous les bardes du monde,
Est-ce vous ? est-ce vous ? Terre morne et sans voix,
Qui vous reconnaîtrait sous vos noms d’autrefois ?

Oui, c’est elle, l’honneur des sources d’Armorique,
Sainte en nos jours chrétiens comme au vieux temps féerique !
Voyez (dans tous les puits quand tarit l’eau du ciel),
Des hauteurs d’Héléan, des vallons de Gaël ;
Voyez vers Baranton, à travers les bruyères,
Avec les croix d’argent s’avancer les bannières,
Tous y tremper leurs mains, et les processions
Entonner à l’entour l’air des Rogations !
Et moi, moi que Paris nourrit de ses doctrines,
Fontaine, j’ai voulu boire à tes eaux divines :
Tandis que mes amis dans leur grande cité
Entre eux paisiblement parlaient de la beauté,
Je suis venu m’asseoir seul dans ton marécage ;
Là j’appelai trois fois Merlin, barde sauvage,
Et penché sur ta source avec dévotion,
Je.bus à m’enivrer l’eau d’inspiration.
Ravive donc mes sens, ô magique fontaine !
L’Esprit noir du Huel-Goat vers sa mine m’entraîne :
Pour marcher d’un pied sûr dans ce monde infernal,
Baranton, j’ai besoin d’un puissant cordial !... [...]

Brizeux Auguste (1860) op. cit., vol. 1, p. 198

Edmond Rébillé s’étonne du manque de précision géographique.

Brizeux, sans doute fâché avec la géographie, va dans son Chant des mineurs boire de l’eau de la fontaine de Barenton avant de gagner à pied, à 150 kms, la mine d’Huelgoat...

Brizeux qui connaissait la fontaine pour y être venu en 1836, donne pourtant dans son chant des précisions permettant de la localiser en forêt de Paimpont. Il n’utilise pas le terme poétique de Brocéliande, lui préférant celui historique de Brécilien, puis évoque à proximité les vallons de Gaël.

Quant à l’évocation du Val des Fées, qui fait aujourd’hui partie de la toponymie de la forêt de Paimpont, voici ce que Félix Bellamy écrivait en 1896.

Le ruisseau de Baranton descend en effet dans la lande de Lanbrun qu’il coupe en travers. C’est à cette lande que Brizeux donne à tort, selon nous, le nom de Val des Fées.

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne. p. 749

La mort de Brizeux en 1858 l’a empêché d’écrire la vaste épopée sur la Table Ronde qu’il projetait. Cet ouvrage devait être le pendant des Bretons, une immense trilogie intitulée La chute de Bretagne, comprenant Tristan, Merlin et Arthur. Voici comment il l’imaginait.

L’histoire et les noms de Gauvain, Lancelot, Ivain, Perceval, Erec, se mêleront à cette trilogie. Arthur pourra paraître dans le poème de Tristan et chacun réciproquement dans les trois poèmes, de manière à faire un tout de ces trois histoires séparées. Le bénéfice de ce plan est de conserver isolé chacun de ces poétiques récits et cependant de former un tout nommé la Table Ronde ou la Chute de Bretagne. Le défaut du poème de l’Arioste, œuvre admirable, c’est que le lien étant naturellement rompu et le nombre des acteurs immense, l’intérêt ne s’arrête sur personne ; mais il ne voulait qu’amuser. Il faut que ce poème touche. Mœurs héroïques, sans emphase, mais prises aux sérieux.

Lecigne, C. (1973) op. cit., p. 346

Les écrits sur Barenton, par un poète si célèbre en son temps, ont été repris jusqu’à nos jours par de nombreux auteurs, ainsi Félix Bellamy dans l’épilogue de la forêt de Bréchéliant : Mais honneurs ne font pas richesse. De la pauvre fontaine que la misère est grande aujourd’hui ! Brizeux qui est venu s’inspirer du lieu même, à son aspect pousse une lamentation. — Bellamy Félix (1896) op. cit., vol. 2, p. 749 —


Bibliographie

BELLAMY, Félix, La forêt de Bréchéliant, la fontaine de Berenton, quelques lieux d’alentour, les principaux personnages qui s’y rapportent, Vol. 2, Rennes, J. Plihon & L. Hervé, 1896, Voir en ligne.

BRIZEUX, Auguste, Œuvres complètes d’Auguste Brizeux, Vol. 2, Paris, Michel Lévy Frères libraires-éditeurs, 1860, Voir en ligne.

CRENN, Louis, « Brizeux chargé de mission en Bretagne », Bulletin de la société Historique et Archéologique de Bretagne, Vol. 35, 1955, p. 105-121.

LECIGNE, Constantin, Brizeux : sa vie et ses oeuvres, Réimpr. 1973, Genève, Slatkine reprints, 1898, Voir en ligne.


↑ 1 • Une lettre signée du Ministre de l’intérieur, 3e division, 1er bureau : Beaux-arts, lui stipule les devoirs de sa nouvelle charge.

Monsieur, par décision en date du 18 juin, je vous ai chargé de recueillir dans l’histoire et les traditions de la Bretagne tous les documents qui peuvent faire connaître l’origine des anciens monuments de ce pays, leur destination, leur signification, et les changements qu’ils ont subis par l’effet du temps ou par la main des hommes.
Vos recherches devront être accompagnées de la description de ces monuments dont la connaissance peut éclairer l’histoire des anciens habitants de la Bretagne. Je vous laisse libre de donner à votre ouvrage la forme qui vous conviendra, persuadé que vous ferez tous vos efforts pour remplir utilement la mission que je vous confie.
J’ai pensé que ce travail ne pourrait être exécuté en moins de trois années, par conséquent, je vous ai alloué une indemnité de 1200 francs par an, durant trois ans, à partir du 1er juin payable par trimestre.
Recevez monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

CRENN, Louis, « Brizeux chargé de mission en Bretagne », Bulletin de la société Historique et Archéologique de Bretagne, Vol. 35, 1955, p. 105-121. [page 109]

↑ 2 • Brizeux ne fait pas état de l’actuelle localisation du Tombeau de Merlin, inventé en 1820 par Poignand aux « Landelles » en Saint-Malon