aller au contenu

1841-1929

Schuré, Édouard

Brocéliande et le celtisme dans son oeuvre

L’œuvre « celtique » d’Édouard Schuré (1841-1929) comprend sept productions littéraires publiées entre 1887 et 1928. La légende de Merlin l’Enchanteur y occupe une place centrale. Édouard Schuré lui a consacré un essai et un drame en partie localisés en forêt de Brocéliande.

Éléments biographiques

Fils unique de Jean Frédéric Schuré (1810-1855) et de Sophie Pauline Bloechel (1816-1845), Édouard Schuré naît le 21 janvier 1841 à Strasbourg.

Orphelin à quatorze ans 1, il est recueilli par son professeur d’histoire jusque l’âge de 20 ans. Après son baccalauréat, il s’inscrit à la faculté de Droit mais se passionne pour les arts et la littérature. À partir de 1860, l’héritage de ses grands parents maternels lui permet, toute sa vie durant, de vivre de ses rentes.

En 1865, Édouard Schuré est marqué par une représentation du Tristan et Isolde de Richard Wagner et se lie d’amitié avec le compositeur. Durant une dizaine d’années, il se consacre à l’étude de son œuvre et publie des articles et des essais qui initient le public français au génie du musicien allemand. À partir de 1876, Édouard Schuré prend ses distances avec Wagner en raison de ses positions nationalistes prussiennes.

En 1871, il rencontre Marguerite Albana Mignaty, Grecque originaire de Corfou, de vingt ans son aînée, dont il tombe éperdument amoureux. Cette relation qui nourrit son goût pour les arts, la culture et l’ésotérisme se termine à la mort de cette dernière en 1887. Il lui dédicace son œuvre principale publiée en 1889. —  SCHURÉ, Edouard, Les Grands Initiés. Esquisse de l’histoire secrète des religions. Rama ; Krishna ; Hermès ; Moïse ; Orphée ; Pythagore ; Platon ; Jésus, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1889, Voir en ligne. —

En 1900, Édouard Schuré fait la connaissance de Rudolf Steiner 2 (1861-1925) et se passionne pour son œuvre ésotérique. Il devient membre de la Société Théosophique en 1907 et publie des articles et des essais sur Steiner et l’anthroposophie. Il démissionne de la Société Anthroposophique en 1914 en raison des positions pangermanistes de celui qu’il considère comme son maître spirituel mais se réconcilie avec lui en 1921.

Édouard Schuré meurt à Paris le 7 avril 1929.

Le celtisme d’Édouard Schuré

L’œuvre abondante et multiple d’Édouard Schuré est célébrée de son vivant. Initiateur pour le public français de la musique de Wagner, de l’Anthroposophie ou de la spiritualité et de l’ésotérisme oriental, il est aussi un auteur lu et apprécié pour ses nombreuses œuvres consacrées au celtisme.

Les premiers élans d’Édouard Schuré pour le celtisme datent de ses années de lycée au cours desquelles le professeur Roissac l’initie au romantisme celtisant de Châteaubriand.

Dès mes lectures d’adolescent, l’Armorique lointaine avec ses druides, ses fées, sa forêt de Brocéliande et tout son merveilleux me semblaient l’arcane sacro-saint de notre histoire, la source et le refuge de ses mystères intimes. Je me mis à parcourir ses sites, ses traditions et sa littérature.

SCHURÉ, Edouard, L’âme celtique et le génie de la France à travers les âges, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1920, Voir en ligne. p. 14

Mais c’est la défaite des armées françaises lors de la guerre franco-allemande de 1870 et l’annexion de l’Alsace à la Prusse qui marque un véritable tournant dans son œuvre.

Une des conséquences pour Schuré de la guerre entre la France et l’Allemagne est la passion avec laquelle il se veut Celte. [...] La défaite de 1870 l’ayant profondément blessé dans son amour pour la France, il entreprit de chanter les grandes légendes nationales.

JEAN-CLAUDE, Georgette, Édouard Schuré, auteur des "Grands initiés" : Sa vie, son œuvre, Paris, Éd. Fischbacher, 1968. [page]

Dès lors, Édouard Schuré concentre sa force de travail sur l’élaboration d’une théorie visant à réveiller l’âme celtique, cette glorieuse vaincue qui toujours rebondit de ses défaites , afin de revitaliser le génie français vaincu par la Prusse.

À ses yeux, celui-ci est constitué de trois éléments primordiaux, le celtique, le latin et le franc.

Celtes, Latins et Franks, trois races, trois génies, trois mondes, si opposés qu’ils paraissent irréconciliables. Et pourtant le génie français n’est-il pas justement le résultat de leur harmonie ou de leur équilibre instable ? À toutes les époques de notre histoire, on les voit se battre, se mêler et s’unir sans jamais se confondre totalement. [...] Le génie frank par la monarchie et la féodalité, en constitua l’ossature solide ; le génie latin qui nous a si fortement imprimé son sceau et sa forme par la conquête romaine, par l’église et par l’Université, y joue le rôle de l’intellect. Quant au génie celtique, c’est à la fois le sang qui coule dans ses veines, l’âme profonde qui agite son corps et sa « conscience seconde », secrète inspiratrice de son intellect. C’est du tempérament et de l’âme celtique de la France que viennent ses mouvements incalculables, ses soubresauts les plus terribles comme ses plus sublimes inspirations.

SCHURÉ, Edouard, Les grandes légendes de France, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1908, Voir en ligne. pp. 193-194

Son intérêt pour le légendaire breton occupe une place centrale dans cette volonté de revitalisation de la France. La Bretagne est pour lui le réservoir du génie celtique et les Celtes les dépositaires d’un legs sacré, d’une mission religieuse et sociale symbolisée par la légende de Merlin l’Enchanteur — Schuré, Édouard (1891) —.

[...] les Légendes de la Bretagne ont pris une grande place dans les traditions spirituelles auxquelles il consacra tant de temps, d’énergie et de ferveur. Elles portent en elles tout ce qui passionne Schuré depuis l’enfance, dans leur mélange de christianisme et de paganisme, de lieux sacrés et de personnages magiques. Il va chercher l’Âme celtique où il croit la trouver, dans les légendes de la ville d’Ys, au cœur des forêts sombres et sur les côtes agitées de Bretagne. Les femmes y sont fortes et inspiratrices, les hommes imprégnés de mystique, les éléments naturels à la hauteur des déchaînements des passions humaines. Un monde aux multiples aspects, mystérieux et complexe, inspirant et millénaire, comme le concevait Edouard Schuré.

TERRIEN, Nolwenn, « Préface », in Les légendes de la Bretagne, 1908, Paris, La part commune, 2011.

La théorie d’Édouard Schuré sur l’âme celtique s’inscrit dans le courant de pensée du panceltisme et trouve écho chez des auteurs bretons comme Philéas Lebesgue, Charles Le Goffic ou Anatole Le Braz. Voix originale de ce courant durant une trentaine d’années, il contribue à le nourrir d’éléments spécifiques - anthroposophie, ésotérisme oriental - avec pour objectif de le transcender.

Qu’est-ce alors que le mouvement néo-celtique auquel nous assistons et qui s’affirme par des voix éparses ? Sa nouveauté consiste en ceci, qu’ayant été jadis un mouvement de curiosité archéologique ou une idéologie de dilettante, il est devenu aujourd’hui un mouvement de rénovation psychique et de synthèse nationale.

SCHURÉ, Edouard, L’âme celtique et le génie de la France à travers les âges, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1920, Voir en ligne. p. X

Brocéliande et le celtisme dans l’œuvre d’Édouard Schuré

L’œuvre celtique d’Édouard Schuré tient en cinq essais, deux drames et quelques poèmes. Ces ouvrages, publiés entre 1887 et 1928, ont été diffusés auprès d’un large public et de nombreuses fois réédités de son vivant.

1887 — Vercingétorix

La première œuvre d’Édouard Schuré d’inspiration celtique est un drame consacré à Vercingétorix et à la défaite d’Alésia. Cette pièce de théâtre est conçue dans une pensée purement politique et dans l’intention de faire revivre un héros national 3. —  SCHURÉ, Edouard, Vercingétorix : Drame, Paris, Librairie Lemerre, 1887. —

Vercingétorix succombe pour une idée et il est le premier personnage de l’histoire de France dans lequel s’incarne la patrie. Comme le dit M. Schuré, le génie celtique « n’est pas tout le génie de la France, mais il en constitue le ferment primitif et original. Vercingétorix le représente dans ce qu’il a de plus impétueux, de plus téméraire, de plus chevaleresque » et il l’exprime en face de César qui personnifie, lui, le génie latin.

FANTONI, A. et MELEGARI, D., « Bulletin des livres - Edouard Schuré : Vercingétorix », Revue internationale, 1887, p. 622, Voir en ligne.

Dans un essai publié en 1920, Édouard Schuré rappelle que la finalité de ce drame est de montrer par l’exemple de Vercingétorix la renaissance possible de l’esprit celtique.

Les gaulois sont vaincus par César. Pour sauver ses compagnons, Vercingétorix se sacrifie et lui rend son épée. Mais l’esprit de Vercingétorix n’est pas mort. A son exemple, sous mille formes, en des centaines d’individualités diverses ont le verra renaitre.

SCHURÉ, Edouard, L’âme celtique et le génie de la France à travers les âges, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1920, Voir en ligne. p. VII

1908 — Les grandes légendes de France

En 1908, Édouard Schuré publie Les grandes légendes de France, essai consacré à la présence de l’âme celtique dans les hauts-lieux du légendaire français. L’ouvrage comprend quatre chapitres principaux dédiés aux légendes alsaciennes, à la Grande Chartreuse, au Mont-Saint-Michel ainsi qu’à son plus vieux sanctuaire, la Bretagne.

Si je me demande ce qu’a été pour moi ce livre, qui va des sommets des Vosges aux landes de Bretagne et jusqu’à la pointe extrême du Finistère, si j’essaye de comprendre à quelle voix intérieure, à quelle volonté latente j’ai obéi en l’écrivant je m’aperçois qu’un but mystérieux en a déterminé, à mon insu, les étapes successives. Ce livre a été un voyage à la découverte de l’Âme Celtique.

SCHURÉ, Edouard, Les grandes légendes de France, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1908, Voir en ligne. [page I]

Le projet d’Édouard Schuré est de ressusciter les vieilles légendes de France, âme du peuple, reflet de l’Avenir dans le passé, afin que le génie français à nouveau porté par l’âme celtique puisse à nouveau dire son verbe d’amour, de justice, de fraternité !

Les hommes comme les peuples ont une âme. [...] Or, pour qu’un homme ou un peuple remplisse sa mission, il faut que son âme arrive à la plénitude de sa conscience, à l’entière possession d’elle-même. Voilà ce qui n’est pas encore advenu, mais qui se prépare pour l’âme celtique de la France. La Bretagne est son vieux sanctuaire, mais elle vit, elle palpite sur toute l’étendue de notre sol, et, dans toutes les périodes de notre histoire [...]. Et aujourd’hui elle est prête à dire son secret.

La Forêt de Brocéliande et la légende de Merlin l’enchanteur

Le quatrième et dernier chapitre, Les légendes de la Bretagne et le génie celtique est daté de 1891. Il est introduit par un essai sur la Bretagne reprenant des éléments du panceltisme communs aux œuvres d’ Anatole Le Braz (1859-1926) ou de Charles Le Goffic (1863-1932) à la même époque.

On dirait que l’élite de la race s’est réfugiée dans ces pays sauvages, pour s’y défendre derrière ses forêts, ses montagnes et ses récifs et y veiller sur l’arche sainte des souvenirs contre des conquérants destructeurs. L’Angleterre saxonne et normande n’a pas pu s’assimiler l’Irlande celtique. La France gauloise et latine a fini par s’attacher la Bretagne et même par l’aimer. L’importance de cette province est donc capitale dans notre histoire. Elle représente pour nous le réservoir du génie celtique.

Continuateur de la résurrection de la poésie celtique initiée par les poètes bretons du début du 19e siècle, Édouard Schuré esquisse dans ce chapitre une histoire du génie celtique en ses périodes vitales afin de pénétrer dans son arcane à travers ses grandes légendes.

La Forêt de Brocéliande et la légende de Merlin l’enchanteur est un récit d’une trentaine de pages comprenant une longue introduction précédant l’exposé de la légende proprement dite 4.

L’introduction commence avec l’arrivée du narrateur à Concoret. On peut cependant douter qu’Édouard Schuré se soit jamais rendu à la fontaine de Barenton tant son introduction reprend trait pour trait la trame de la Visite au tombeau de Merlin d’Hersart de la Villemarqué (1815-1895). —  HERSART DE LA VILLEMARQUÉ, Théodore, « Visite au Tombeau de Merlin », Revue de Paris, Vol. 40, 1837, p. 45-62, Voir en ligne. —

C’était aux environs de Ploërmel. J’avais marché tout le jour par des chemins creux, des montagnes, des bois, des landes. Le soleil d’après-midi plombait de tous ses feux sur le désert des verdures sauvages, lorsque, dans une vapeur violette, je vis poindre le clocher de Concoret. Ce vaste amphithéâtre couronné de bois sombres, c’était le val des fées, le val sans retour, comme l’ont appelé les trouvères. J’étais enfin dans l’antique forêt de Brocéliande, vieux sanctuaire celtique, dont le nom, Koat brec’helléan, signifie forêt de la puissance druidique 5, contrée immortalisée par la poésie chevaleresque du moyen âge. Et devant moi, cette fontaine, près de laquelle on voit deux pierres couvertes de mousse, que domine une vieille croix de bois vermoulue, c’était la fontaine de Baranton 6 et le tombeau de Merlin. C’est là que, selon la tradition bretonne, le barde-devin fut endormi par la fée Viviane et qu’un magique sommeil ferma pour toujours les paupières du grand enchanteur. Que de pèlerins sont venus ici, attirés par le mystère troublant de cette légende, par ce personnage fuyant, énigmatique. Mais ni le susurrement ironique de la source, ni le balancement des genêts en fleurs, ni la forme bizarre des pierres brutes ne leur ont rien appris sur l’Orphée celtique. Le prophète des Bretons est resté le sphinx des bardes, et la forêt de Brocéliande a gardé son secret. Le plus vieux des trouvères, Robert Wace, le dit avec un sourire fâché « Fol y allai, fol m’en revins. »

Comme tous les poètes et trouvères venus à Barenton, le narrateur allait s’en retourner sans avoir eu accès aux secrets de Merlin, lorsqu’il aperçoit appuyée contre un rocher dont elle semblait faire partie, une bergerette de quinze à seize ans, vêtue de loques, le teint hâve, les cheveux noirs pendants. Lui demandant son chemin, elle lui indique une direction du regard.

Elle ne parlait pas le français, mais elle m’avait compris. « Est-ce là-bas la fontaine des fées ? » dis-je en désignant la fontaine de Baranton. Elle me répondit « Homman nequet an hini ffuir ». Les deux ou trois mots de breton que j’avais appris en voyage ne me suffisaient pas pour comprendre mais je crus deviner à son hochement de tête que cela signifiait « ceci n’est pas la vraie ». Et voyant qu’elle se mettait en marche, je compris qu’elle voulait me conduire à une autre source qui, selon elle, avait des vertus plus efficaces.

La jeune bergère le mène à la véritable fontaine des fées qui coule au pied d’un antique manoir breton. S’y abreuvant, il demande aux divinités du lieu de lui révéler quelque chose sur l’âme du grand Myrdhin. Répondant à son appel, des bardes de l’ancien temps viennent lui conter la véritable histoire de Merlin, restaurée des éléments celtiques que les auteurs français du Moyen Âge avaient travestis.

[...] parce que nous avons été vaincus, vous nous les avez pris pour les travestir et vous nous avez couvert d’oubli. [...] À cause de votre injustice et de votre ingratitude, nous ne vous avons rien légué de notre science et de nos mystères. Vous vivez dans l’oubli de la vérité ; vous ignorez les forces cachées de la nature, vous ne savez rien des trois cercles de l’existence où l’âme transmigre. Vous ne savez pas ce que vous auriez pu faire de notre harpe.

Commence alors la « véritable légende », contée par Taliésinn 7 au narrateur subjugué. Mais la parenthèse féérique se referme et Taliésinn se lamente sur la disparition de Merlin. le temps des bardes est fini depuis longtemps et depuis, Merlin dort dans la forêt de Brocéliande, envoûté sous une haie impénétrable, la tête couchée sur les genoux de Viviane, l’Enchanteur enchanté, — et personne n’a réveillé l’Orphée celtique de son sommeil éternel.
— Schuré, Édouard (1908) op. cit. p. 278 —

1909 — L’âme des temps nouveaux

Trois poèmes d’un recueil publié en 1909 - Druidesse Moderne, Le Gui et Viviane - trouvent leur inspiration autour de thèmes celtisants.—  SCHURÉ, Edouard, L’âme des temps nouveaux - poèmes, Paris, Librairie académique Perrin, 1909, 344 p., Voir en ligne. —

1914 — La Druidesse et Le Réveil de l’Âme Celtique

Dans cet ouvrage paru en 1914, Édouard Schuré entreprend de démontrer que l’âme celtique demeure toujours au fond de nous et que la doctrine de leurs druides, qui a su s’adapter au monde moderne, est capable de rendre notre société plus juste, plus fraternelle, au sein d’un monde où les droits fondamentaux des hommes soient respectés... —  SCHURÉ, Edouard, La Druidesse ; précédé d’uné étude sur : Le Réveil de l’Âme Celtique, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1914, 242 p. —

La Druidesse a suscité d’importantes réactions chez les principaux auteurs bretons du panceltisme. Anatole Le Braz tient cet essai pour fondamental dans l’histoire de la redécouverte des influences celtiques sur l’histoire française.

Ce qui m’a surtout ébranlé jusqu’au fond de l’être, c’est le grand coup de sonde que vous jetez, comme en vous jouant, dans tout un océan de problèmes que les trois quarts des historiens attitrés de la littérature ne soupçonnent même point, eux qui ont la prétention de l’avoir mis en fioles. Pour ne vous en citer qu’un exemple, qui a vu, hormis vous, que ce qu’on nomme le romantisme n’est autre chose qu’une fermentation du vieux levain celtique, se manifestant à sa date périodique pour faire éclater les moules durcis et cristallisés et rendre à l’inspiration nationale, figée dans les bandelettes romaines, le libre jeu de ses mouvements, de sa spontanéité, de sa vie ?

Le Braz, Anatole in SCHURÉ, Edouard, L’âme celtique et le génie de la France à travers les âges, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1920, Voir en ligne. p. IX

Dans un essai sur Le renouveau celtique publié en 1924, Charles Le Goffic commente longuement La Druidesse, ouvrage qu’il considère comme une fiction visionnaire.

Mais la Druidesse de M. Schuré ne pose pas qu’un problème littéraire. L’auteur l’a fait précéder d’une étude sur le réveil de l’âme celtique qui est certainement une des pages les plus brillantes de cet écrivain nourri de Quinet 8, de Moreau de Jonès 9 et de Jean Reynaud 10 et qui prolonge jusqu’à nous la tradition des grands illuminés du romantisme.[...] Et croyez que ce regard de voyant qu’il porte sur l’avenir, ce verbe volontiers augural, ces airs de mystagogue 11, s’accommodent très bien à l’occasion, chez M. Schuré, avec un sens critique des plus déliés [...] Cela est d’un art tout classique, d’une netteté toute latine. Et le compliment choquera peut-être M. Schuré. Mais le moment est venu de marquer nos positions respectives et de lui dire jusqu’où je veux bien le suivre dans son mouvement de rénovation celtique et pourquoi, en conscience, il m’est impossible d’aller plus loin.

LE GOFFIC, Charles, Le renouveau celtique, Série IV, Édouard Champion, 1924, 352-368 p., (« L’Âme Bretonne »), Voir en ligne.

La Druidesse inspire à Charles Le Goffic le rêve de voir ce drame joué en forêt de Paimpont.

Je tiens, pour ma part, qu’il a écrit une très belle œuvre, plus symbolique peut-être que dramatique — encore n’en suis-je pas sûr et il se pourrait que, représentée sur un théâtre de plein air, dans un cadre propice, à Ploumanac’h ou à Erdeven par exemple, ou mieux encore dans une clairière de l’antique forêt de Paimpont, elle fît un effet considérable sur le public.

Le Goffic, Charles (1924) op. cit.

1920 — L’Âme Celtique et le réveil de la France à travers les âges

Cet ouvrage qu’Édouard Schuré considère comme le testament de sa pensée, vise à révéler l’influence souterraine, immense et incalculable de l’esprit celtique dans les origines françaises à travers trois chapitres principaux intitulés : Les avatars de la Druidesse, Les étapes occultes de l’âme française, Jeanne d’Arc et l’Inspiration dans l’Histoire.

Le livre qu’on va lire représente, en quelque manière le testament de ma pensée et résume ainsi le travail de toute une vie. [...] J’essayerai de justifier mon audace, en leur racontant brièvement la genèse de cette œuvre. Elle me force, malgré moi, à remonter loin dans mon passé et à rappeler les assauts successifs, qu’au cours d’un effort dispersé et cependant dirigé vers un même but, j’ai tenté pour percer le massif enchevêtré du monde celtique et parvenir jusqu’à ce sommet d’où l’on peut embrasser, d’un seul coup d’œil, ce que fut, ce qu’est et ce que doit être — la France.

SCHURÉ, Edouard, L’âme celtique et le génie de la France à travers les âges, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1920, Voir en ligne. p. 2

L’Âme Celtique et le réveil de la France à travers les âges est une synthèse des principales influences de son auteur, anthroposophie, ésotérisme oriental et celtisme. Par cette synthèse, Édouard Schuré cherche à transcender le celtisme en y intégrant des aspirations morales, esthétiques, religieuses, philosophiques et sociales.

Le celtisme est donc aujourd’hui non une doctrine, mais un ensemble d’aspirations qui viennent des arcanes de l’homme et embrassent toute son activité psychique.

Schuré, Edouard (1920) op. cit.

1924 — Merlin l’enchanteur - Légende dramatique

Publié en 1924, Merlin l’Enchanteur est un développement de la légende de Merlin en trois actes. Comme dans Les grandes légendes de France, la version d’Édouard Schuré vise à redonner son caractère celtique à la légende de l’enchanteur.

[Les] données sur la conception et la naissance de Merlin suggèrent l’idée d’un grand caractère et d’un conflit dramatique. Mais on n’en trouve pas trace dans les romans de la Table-Ronde. Les ménestrels anglo-normands et les trouvères français ont complétement changé la physionomie de Merlin. Ils nous le montrent comme un devin qui sait tout et comme un sorcier qui s’amuse à faire mille tours pour étonner le monde, mais sans passion comme sans enthousiasme. J’ai tenté de redonner à Merlin l’Enchanteur son caractère primitif dans toute sa grandeur.

SCHURÉ, Edouard, Merlin l’Enchanteur : légende dramatique (Trilogie), Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1924, 232 p. [page IX]

Deux tableaux de ce drame se déroulent en forêt de Brocéliande. Contrairement à sa version de la légende de Merlin de 1909, la rencontre de Merlin et Viviane ne se situe pas à la fontaine de Barenton mais à la fontaine de Jouvence comme l’indiquent les didascalies 12 du sixième tableau du deuxième acte.

La Fontaine de Jouvence dans la forêt de Brocéliande — Un étang entouré de rochers aux formes druidiques, couverts de mousse. Un rideau d’aulnes, des bouquets de hêtre l’entourent. Quelques bouleaux penchent gracieusement leurs feuillages clairs sur l’eau verdâtre. A droite de l’étang, une fontaine de marbre avec un bassin d’argent suspendu à une chaine. Toute autour de l’étang la clairière d’une grande forêt.

Schuré, Édouard (1924) op. cit. p. 146

Le dernier acte, intitulé La sortie du gouffre, donne une conclusion nouvelle, conforme au génie de la France, à la légende traditionnelle de Merlin.

Si, comme je le crois, la légende de Merlin est le miroir magique où le génie celtique a évoqué l’image de son âme et de sa destinée, cette légende ne peut finir avec l’envoûtement de l’Enchanteur. Autrement, elle signifierait la défaite du génie celtique par la faillite du prophète à sa mission. Or, il n’en est pas ainsi [...], le génie celtique n’est pas mort, pas plus au XIIIe qu’au XIXe et au XXe siècle. Il est plus fort que jamais parce qu’il est en train de reprendre conscience de lui-même.

SCHURÉ, Edouard, Merlin l’Enchanteur : légende dramatique (Trilogie), Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1924, 232 p. [page IX]

1928 — Le rêve d’une vie

Son dernier ouvrage, Le rêve d’une vie, est une autobiographie dans laquelle Édouard Schuré revient sur la place du celtisme dans sa vie. —  SCHURÉ, Edouard, Le rève d’une vie : confession d’un poète, Paris, Librairie Lemerre, 1928, 334 p., Voir en ligne. —

Deux chapitres de la cinquième partie reviennent sur la genèse de ses deux drames celtiques, La Druidesse et Merlin l’Enchanteur.

Ainsi l’immense mystère de l’occulte et l’éternelle soif de l’au-delà continuent de planer sur l’âme latine, avec les émanations troublantes et l’indestructible souvenir de la Druidesse perdue, couronnée de verveine et la faucille d’or suspendue à sa ceinture.


Bibliographie

CNRTL, « Mystagogue », 2012, Voir en ligne.

DORNIS, Jean, Un celte d’Alsace : la vie, la pensée et les plus belles pages d’Edouard Schuré, Paris, Librairie académique Perrin, 1923, 317 p.

FANTONI, A. et MELEGARI, D., « Bulletin des livres - Edouard Schuré : Vercingétorix », Revue internationale, 1887, p. 622, Voir en ligne.

HERSART DE LA VILLEMARQUÉ, Théodore, « Visite au Tombeau de Merlin », Revue de Paris, Vol. 40, 1837, p. 45-62, Voir en ligne.

JEAN-CLAUDE, Georgette, Édouard Schuré, auteur des "Grands initiés" : Sa vie, son œuvre, Paris, Éd. Fischbacher, 1968.

LE BRAZ, Anatole, « Carnets du Fonds Anatole Le Braz : Brocéliande (Versions dactylographiées) », Bibliothèque numérique du Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC), sans date, Voir en ligne.

LE GOFFIC, Charles, Le renouveau celtique, Série IV, Édouard Champion, 1924, 352-368 p., (« L’Âme Bretonne »), Voir en ligne.

QUINET, Edgar, Oeuvres complètes de Edgar Quinet. Merlin l’enchanteur. I -II, librairie Germer-Baillière, 1863, Voir en ligne.

REYNAUD, Jean, Terre et Ciel, Paris, Furne, 1854, Voir en ligne.

TERRIEN, Nolwenn, « Préface », in Les légendes de la Bretagne, 1908, Paris, La part commune, 2011.

Oeuvre

SCHURÉ, Edouard, Vercingétorix : Drame, Paris, Librairie Lemerre, 1887.

SCHURÉ, Edouard, Les Grands Initiés. Esquisse de l’histoire secrète des religions. Rama ; Krishna ; Hermès ; Moïse ; Orphée ; Pythagore ; Platon ; Jésus, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1889, Voir en ligne.

SCHURÉ, Edouard, Les grandes légendes de France, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1908, Voir en ligne.

SCHURÉ, Edouard, « Les légendes de la Bretagne et le génie celtique », in Les grandes légendes de France, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1908, p. 198-298, Voir en ligne.

SCHURÉ, Edouard, L’âme des temps nouveaux - poèmes, Paris, Librairie académique Perrin, 1909, 344 p., Voir en ligne.

SCHURÉ, Edouard, La Druidesse ; précédé d’uné étude sur : Le Réveil de l’Âme Celtique, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1914, 242 p.

SCHURÉ, Edouard, L’âme celtique et le génie de la France à travers les âges, Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1920, Voir en ligne.

SCHURÉ, Edouard, Merlin l’Enchanteur : légende dramatique (Trilogie), Paris, Perrin et Cie, libraires-éditeurs, 1924, 232 p.

SCHURÉ, Edouard, « Merlin l’enchanteur », in Le rève d’une vie : confession d’un poète, Paris, Librairie Lemerre, 1928, p. 322.

SCHURÉ, Edouard, Le rève d’une vie : confession d’un poète, Paris, Librairie Lemerre, 1928, 334 p., Voir en ligne.


↑ 1 • Sa mère meurt d’une péritonite en 1845 et son père d’une pleurésie en 1855.

↑ 2 • Rudolf Steiner (1861-1925) est un polygraphe et occultiste autrichien fondateur de la théosophie puis de l’anthroposophie. Il est aussi connu pour avoir fondé un courant pédagogique basé sur ses conceptions éducatives et anthroposophiques.

↑ 3 • 

Ce beau drame, conçu dans une pensée purement politique et dans l’intention de faire revivre un héros national, est à la fois une œuvre humaine et patriotique. Vercingétorix succombe pour une idée et il est le premier personnage de l’histoire de France dans lequel s’incarne la patrie. Comme le dit M. Schuré, le génie celtique « n’est pas tout le génie de la France, mais il en constitue le ferment primitif et original. Vercingétorix le représente dans ce qu’il a de plus impétueux, de plus téméraire, de plus chevaleresque » et il l’exprime en face de César qui personnifie, lui, le génie latin.

FANTONI, A. et MELEGARI, D., « Bulletin des livres - Edouard Schuré : Vercingétorix », Revue internationale, 1887, p. 622, Voir en ligne.

↑ 4 • Il est à noter que la structure du texte d’Édouard Schuré est similaire à celle de la légende inédite d’Anatole Le Braz sur Brocéliande. Le récit d’une visite en forêt de Paimpont introduit une version « celtique » de la légende de Merlin.—  LE BRAZ, Anatole, « Carnets du Fonds Anatole Le Braz : Brocéliande (Versions dactylographiées) », Bibliothèque numérique du Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC), sans date, Voir en ligne. —

↑ 5 • Le terme de Koat brec’helléan et sa signification de forêt de la puissance druidique sont eux aussi empruntés à Hersart de la Villemarqué (1815-1895). —  HERSART DE LA VILLEMARQUÉ, Théodore, « Visite au Tombeau de Merlin », Revue de Paris, Vol. 40, 1837, p. 45-62, Voir en ligne. —

↑ 6 • Dans la réédition des Grandes légendes de France de 1926, la fontaine est dénommée Jouvence.

↑ 7 • Taliesin est une figure importante de la mythologie celtique et de la littérature galloise, c’est à la fois un poète historique du VIe siècle et un barde mythique de la littérature galloise.

↑ 8 • Edgar Quinet (1803-1875) est un historien, poète, philosophe et homme politique français, républicain et anticlérical. Il est notamment l’auteur de Merlin l’Enchanteur, publié en 1860, qui constitue une des œuvres majeures de la réception de la légende de Merlin en France au 19e siècle.—  QUINET, Edgar, Oeuvres complètes de Edgar Quinet. Merlin l’enchanteur. I -II, librairie Germer-Baillière, 1863, Voir en ligne. —

↑ 9 • Alexandre Moreau de Jonnès (1778-1870) est un aventurier, militaire et haut fonctionnaire français, chargé de la Statistique générale de la France jusqu’en 1851.

↑ 10 • Jean Ernest Reynaud (1806-1863) est un philosophe et homme d’État français. Dans son œuvre majeure, Terre et ciel, publié en 1854, Reynaud pose et développe le principe de la préexistence de l’homme et sa survivance dans d’autres astres (palingénésie). Reynaud renoue avec une certaine image du druidisme, requalifie l’opposition entre anges et démons et rejette le dogme catholique des peines éternelles.—  REYNAUD, Jean, Terre et Ciel, Paris, Furne, 1854, Voir en ligne. —

↑ 11 • Mystagogue : celui qui, prêtre ou non, tente d’expliquer quelque mystère. —  CNRTL, « Mystagogue », 2012, Voir en ligne. —

↑ 12 • Une didascalie, dans le texte d’une pièce de théâtre, le scénario d’un film ou le livret d’un opéra ou d’une comédie musicale, est une note ou un paragraphe, rédigé par l’auteur à l’intention des acteurs ou du metteur en scène, donnant des informations sur des éléments que les répliques ne permettent pas de connaître, notamment des indications d’action, de jeu, de mise en scène ou de décor.