1940
Jeanne de Gaulle à Paimpont
La mère du général de Gaulle à Paimpont
En mai 1940, Jeanne de Gaulle (1860-1940) se réfugie à Paimpont (Ille-et-Vilaine) chez son fils ainé Xavier. Elle décède le 16 juillet 1940, et est inhumée dans le cimetière de Paimpont quatre jours plus tard. Le Général de Gaulle se rend sur sa tombe le 22 août 1944 et la fait déplacer dans le caveau familial de Sainte-Adresse (Seine-Maritime) en novembre 1949.
La famille de Gaulle - Éléments biographiques
La mère de Charles de Gaulle, Jeanne Maillot (1860-1940) est née le 28 avril 1860 à Lille (Nord). Le 2 août 1886, elle épouse son cousin germain, Henri de Gaulle (1848-1932) avec lequel elle a cinq enfants.
- Xavier (1887-1955),
- Marie-Agnès (1889-1982),
- Charles (1890-1970),
- Jacques (1893-1946),
- Pierre (1897-1959).
À la mort d’Henri de Gaulle en 1932, elle demeure dans la maison familiale de Sainte-Adresse (76), commune limitrophe du Havre. Charles de Gaulle est profondément marqué par les valeurs politiques et spirituelles de sa mère, qui portait à la patrie une passion intransigeante à l’égal de sa piété religieuse.
— GAULLE, Charles de, Mémoires de guerre - L’appel (1940-1942), Vol. 1, 1954, Pocket, 1999. 3 vol. —
1939-1940 — La famille de Gaulle à Paimpont
1939-1940 — Xavier de Gaulle
Xavier de Gaulle, frère ainé du colonel Charles de Gaulle, est mobilisé en 1939 en qualité d’officier réserviste. Il est affecté au camp de Coëtquidan (Guer, Morbihan) comme capitaine d’artillerie. Il s’installe à une dizaine de kilomètres du camp, à Paimpont avec sa femme Armelle et trois de ses enfants, Geneviève (1920-2002), Philippe et Henri. La famille de Gaulle loge dans un trois pièces au premier étage d’une maison du bourg louée à Louis Rigolé, boucher-cafetier à Paimpont 1. — ANONYME, « 10 juin 1940 : La mère du général de Gaulle à Paimpont », Ouest-France, 10 juin, 2003, p. 7, Voir en ligne. —
En 1939, il [Xavier] est de nouveau mobilisé pour les essais des matériels d’artillerie au camp de Coëtquidan. Il y est fait prisonnier en juin 1940 et libéré en mars 1941 comme ancien de 14-18. Handicapé d’une jambe, son état physique nécessite son hospitalisation. Il reprend tant bien que mal ses fonctions antérieures en janvier 1941.
Mai 1940 — L’arrivée de madame de Gaulle à Paimpont
Le 10 mai 1940, Jeanne de Gaulle quitte son logement de Sainte-Adresse et trouve refuge auprès de son fils Jacques à Grenoble (Isère). Mais le répit est de courte durée. La région de Grenoble menacée par l’entrée en guerre de l’Italie, elle décide, sur les conseils de Xavier, de rejoindre Paimpont. Sa présence y est attestée le 15 mai.
En 1939, octogénaire, elle quitte le Havre pour Grenoble où elle est allée voir son fils Jacques, paralysé, puis pour Paimpont où est mobilisé son fils Xavier, officier de réserve d’artillerie. Elle y est hébergée avec sa belle-fille et ses plus jeunes enfants dans un petit appartement de trois pièces loué à un cafetier.
La mère du général de Gaulle s’installe à Paimpont sous son nom de jeune fille - Jeanne Maillot - afin de préserver une part d’anonymat.
5 juin 1940— Une lettre du Général à sa femme Yvonne
Le 5 juin 1940, le général de Gaulle envoie une lettre à sa femme, l’invitant à rejoindre la famille de Xavier à Paimpont pour s’y mettre à l’abri.
Tu ne dois pas retourner à Colombey pour le moment. Il te faut trouver pour l’été une villégiature, par exemple en Bretagne, du coté de la tante Richard ou du côté de Paimpont, où se trouvent les Xavier, qui pourraient te rendre service.
C’est finalement à Carantec (Finistère), auprès de sa propre famille, les Vendroux, qu’Yvonne trouve refuge. Le Général la rejoint le 15 juin dans la soirée.
15 juin 1940 — La visite du général de Gaulle
Les 12 et 15 juin 1940, le général de Gaulle est envoyé en mission officielle à Rennes par le cabinet de Paul Reynaud 2 pour envisager la création d’un « réduit breton ». Aucun avion n’étant disponible au départ de Bordeaux, il arrive en automobile dans la capitale bretonne le 15 juin au matin, accompagné du lieutenant de Courcel. — LATTA, Claude, « L’Appel du 18 juin 1940 au cœur de la tourmente Histoire et mémoire », Cahiers de Village de Forez, 2010, p. 34, Voir en ligne. —
Le 5 juin 1940, Charles de Gaulle est nommé sous-secrétaire d’État à la Défense dans le Cabinet de Paul Reynaud qui a émigré à Bordeaux. Le 15 juin, le Général est à Rennes pour étudier la question d’un « réduit breton », susceptible de résister à l’armée allemande. Avant de partir pour un premier voyage à Londres où il doit rencontrer Churchill, le Général s’arrête à Paimpont pour saluer sa mère avant de rejoindre Carantec où sont réfugiés sa femme et ses enfants.
Le 16 juin, il débarque à Plymouth (Angleterre) au petit matin puis rejoint Londres dans la journée où il rencontre Winston Churchill. Il atterrit à Bordeaux dans la nuit du 17 juin. Il y informe Paul Reynaud des possibilités d’accord concernant un « Plan d’union totale » avec le gouvernement britannique. Le 17 au matin, il embarque à nouveau pour Londres en compagnie du lieutenant Geoffroy Chodron de Courcel.
Nous sommes partis vers 9 heures en prenant quelques précautions mais sans difficultés. D’ailleurs, c’est ce matin-là seulement que M. Paul Reynaud a transféré ses pouvoirs au maréchal Pétain et, jusqu’à l’accomplissement de cette formalité, j’étais membre du gouvernement et ne courais guère de risque. [...] Nous survolâmes La Rochelle et Rochefort. Dans ces ports brûlaient des navires incendiés par les avions allemands. Nous passâmes au-dessus de Paimpont, où se trouvait ma mère, très malade. La forêt était toute fumante des dépôts de munitions qui s’y consumaient [...]. Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord de l’océan qu’il prétendrait franchir à la nage.
17 juin 1940 — Le départ de Paimpont
Le 17 juin 1940, la Bretagne est submergée par l’avancée allemande. Le même jour à 12 h 20, le maréchal Pétain prononce un discours à la radio française dans lequel il demande aux Français de cesser le combat.
Le discours du 17 juin 1940 du maréchal Pétain.
Français !
A l’appel de M. le président de la République, j’assume à partir d’aujourd’hui la direction du gouvernement de la France. Sûr de l’affection de notre admirable armée, qui lutte avec un héroïsme digne de ses longues traditions militaires contre un ennemi supérieur en nombre et en armes, sûr que par sa magnifique résistance elle a rempli son devoir vis-à-vis de nos alliés, sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.
En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.
Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités.
Que tous les Français se groupent autour du gouvernement que je préside pendant ces dures épreuves et fassent taire leur angoisse pour n’écouter que leur foi dans le destin de la patrie.
Les troupes restées au camp de Coëtquidan reçoivent alors l’ordre de se replier sur le Finistère. Xavier de Gaulle et sa famille quittent Paimpont et arrivent à Locminé (Morbihan) dans la soirée. Geneviève de Gaulle témoigne.
À cette époque, la mère du Général, Jeanne de Gaulle, se trouvait auprès de mon père, le frère aîné du Général, Xavier, à Paimpont, près du camp de Coëtquidan où mon père était mobilisé. Les officiers et les soldats qui s’y trouvaient étaient des hommes âgés, de la réserve. Ils avaient reçu l’ordre de quitter le camp et de rejoindre le Finistère […].
Le 17 juin le convoi s’est mis en route ; il comprenait quelques centaines d’hommes et les officiers avec leur famille. Nous avons passé la nuit du 17 au 18 à Locminé dans le Morbihan dans des abris de fortune, comme tant de réfugiés de l’époque […].
18 juin 1940 — L’appel du Général
Le 18 juin 1940, le général de Gaulle lance à la radio de Londres un appel invitant les français à maintenir allumée la flamme de la Résistance
. Le Général lit son discours sur les antennes de la BBC à Broadcasting House à 18 heures, heure locale. Le discours annoncé dans le programme de la BBC à 20 h 15 est finalement diffusé à 22 h.
L’appel du 18 juin 1940
Le Gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions honorables un cessez-le-feu était possible. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la dignité et l’indépendance de la France, la lutte devait continuer.
Les Chefs qui, depuis de nombreuses années sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.
Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique terrestre et aérienne de l’ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui. Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limite l’immense industrie des États-Unis.
Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a dans l’univers tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.
Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres.
Le 18 juin 1940, Jeanne de Gaulle se trouve à Locminé en compagnie de sa petite-fille Geneviève de Gaulle.
Le 18 juin, des ordres contradictoires sont arrivés et sur la place principale de Locminé les hommes se sont rassemblés, quelques officiers autour d’eux. C’est alors que nous avons vu passer les premiers détachements allemands, c’étaient des motocyclistes habillés de noir, avec des casques de cuir noir et leurs grosses motos qui vrombissaient semblaient chanter un cri de victoire. Ils ont traversé ce gros village sans même un regard pour ces officiers qui avaient tous fait la guerre de 14-18 et n’avaient que leur revolver d’ordonnance, personne n’était armé, et ils ont continué au-delà.
Ceux qui ont à peu près mon âge ont connu l’humiliation de voir l’ennemi pénétrer comme cela sans que personne ne tente de l’arrêter, cet ennemi méprisant, cet ennemi qui nous écrasait.
C’est alors qu’un prêtre - l’abbé Thouai - qu’elles croisent sur une place du village, les informe de l’appel du Général. — NÉAU-DUFOUR, Frédérique, Geneviève de Gaulle Anthonioz. L’autre de Gaulle, Editions du Cerf, 2015, 259 p., Voir en ligne.p. —
À ce moment-là nous avons vu arriver du fond de la place un prêtre en soutane, qui se dirigeait vers le groupe d’officiers pour leur faire part de ce qu’il venait d’entendre. Il avait écouté la radio de Londres et avait entendu l’appel du 18 juin. A sa manière il essayait de nous le redire, il ne fallait pas désespérer, mais continuer le combat. Un jeune général qui avait été secrétaire d’État à la Défense Nationale appelait tous ceux qui voulaient le rejoindre pour relever l’épée de la France. Nous écoutions, bouleversés, et ma grand-mère, petite dame en noir, un peu courbée, à laquelle personne ne faisait attention, tira le prêtre par la manche et dit : « c’est mon fils, Monsieur le Curé, mais c’est mon fils ! » Dans cette humiliation si profonde il y avait déjà la lumière de l’espérance, et déjà le sursaut de la fierté. […] Le 18 juin 1940, c’est le mélange d’un abîme d’humiliation, un abîme de chagrin, presque de désespoir, et en même temps cet appel qui donnait déjà des raisons d’espérer et qui permettait de relever la tête.
La retraite sur le Finistère étant désormais impossible, la famille de Gaulle - excepté Xavier de Gaulle - retourne à Paimpont. Les semaines suivantes sont marquées par des nouvelles éprouvantes pour Madame de Gaulle qui apprend la mort de l’un de ses petits-fils, la captivité de son fils Xavier ainsi que les attaques du gouvernement Pétainiste contre le général de Gaulle.
Puis les nouvelles s’assombrissent de nouveau. Elle apprend que son petit-fils Charles Cailliau, filleul de mon père et officier de chasseurs d’un bataillon motorisé, a été tué en mai près de Cambrai et que son fils ainé Xavier a été emmené en captivité. Elle aura toutefois la joie de pouvoir écouter à plusieurs reprises Charles de Gaulle parlant de Londres, mais aussi la peine d’entendre Radio-Paris le déclarer traitre à son pays, dégradé et condamné. « Je vous assure que mon fils est un bon français », répète-t-elle alors à chacun.
18 juin 1940 — La version de Philippe de Gaulle
Selon Philippe de Gaulle, fils du Général, Madame Jeanne de Gaulle était à Paimpont le 18 juin 1940. Elle aurait pris connaissance de l’appel du 18 juin par l’abbé Thouault, recteur de Paimpont.
Le 18 avant la nuit, l’abbé Thouault, curé du bourg auquel elle exprime ses inquiétudes avec d’autres habitants ou réfugiés, lui répond : « Il ne faut pas être trop triste, il vient de se passer une chose formidable : un général français a parlé à la radio de Londres. Il affirme que l’espérance ne doit pas disparaître, que la défaite n’est pas définitive. Il s’appelle le général de Gaulle ». Ma grand-mère ne peut s’empêcher de saisir le bras du prêtre et de s’écrier : « Mais, c’est mon fils ! »
Cette version est contredite par celle de Geneviève de Gaulle, qui a été témoin de cet épisode en compagnie de sa grand-mère Jeanne de Gaulle. Philippe de Gaulle était quant à lui à Brest avec sa famille. Il a pris connaissance de l’appel de son père le lendemain 19 juin à son arrivée à Falmouth en Grande-Bretagne.
16 juillet 1940 — Le décès de madame de Gaulle
Jeanne de Gaulle, souffrant de problèmes cardiaques depuis plusieurs mois, décède le 16 juillet 1940 dans son logement paimpontais. Durant ses dernières heures, elle est accompagnée par sa petite fille Geneviève ainsi que par une jeune paimpontaise, Madeleine Hervé, que le Colonel Rémy a rencontré en août 1944 dans le cimetière de Paimpont.
Je demandais s’il se trouvait dans l’assistance quelqu’un qui fut à même de me renseigner sur les derniers instants de Mme de Gaulle. On poussa vers moi une jeune fille en larmes, dont j’appris qu’elle s’appelait Madeleine Hervé. Suffoquée par les sanglots, elle était incapable de prononcer une parole. Je sus qu’avec un dévouement admirable, elle avait assisté et soigné jusqu’au dernier instant la mère du Général. Maitrisant enfin son émotion elle me déclara : « Avant de mourir, Mme de Gaulle a prié pour son fils. Elle a dit : Charles a toujours réussi ce qu’il a entrepris. Je suis sûre qu’il est dans la bonne voie. »
La messe d’enterrement a lieu le 20 juillet à midi à l’église abbatiale, pleine pour l’occasion. Madame de Gaulle est enterrée dans le cimetière de Paimpont à l’issue de la cérémonie.
Les Allemands exigent que sa tombe soit simplement numérotée et datée (20 juillet 1940) pour que n’y figure pas le nom du général qui a refusé leur victoire momentanée. La municipalité l’entretiendra durant toute la guerre et des inconnus y déposeront fréquemment des fleurs.
Été 1940 — Le Général et la photo de la tombe fleurie
Selon Roland Rigolé, fils du propriétaire du logement de la famille de Gaulle, le Général, alors à Londres, aurait reçu une photo de la tombe fleurie de sa mère.
J’ignore d’ailleurs comment ça s’est fait, mais un jour à Londres, le général de Gaulle à reçu une photo de cette tombe sur laquelle il n’avait évidemment pas eu la possibilité de se recueillir. Il l’a montré à Maurice Schumann et lui a dit, très ému : « Regardez, ils fleurissent la tombe de ma mère, ils sont avec nous. »
Le général de Gaulle évoque cet épisode dans ses Mémoires de guerre.
A Carlton Gardens 3, déferlait jour après jour, la vague des déceptions. Mais c’est là aussi que venait nous soulever au-dessus de nous même le flot des encouragements. Car, de France, affluaient les témoignages... Telle cette image d’une tombe couverte de fleurs innombrables que des passants y avaient jetées : cette tombe étant celle de ma mère, morte à Paimpont le 16 juillet, en offrant à Dieu ses souffrances pour le salut de la patrie et la mission de son fils. Ainsi pouvions nous mesurer quelle résonance trouvait, dans les profondeurs du peuple, notre refus d’accepter la défaite.
Max Gallo a mis en scène ce passage des Mémoires de guerre dans le prologue du premier tome de son roman consacré au général de Gaulle. — GALLO, Max, De Gaulle - L’appel du destin, Vol. 1, Robert Laffont, 2012, 353 p., Voir en ligne. —
18 juin 1943 - Des fleurs sur la tombe de Madame de Gaulle
Un matin de juin 1943, sur la place de l’Église de Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine), un tract exhorte à commémorer l’appel du Général le 18 juin prochain sur la tombe de Madame de Gaulle au cimetière de Paimpont. Michel Renimel, membre de la Résistance, interviewé en 1994 pour un article de Ouest-France, se souvient.
Une bande se forme, faite d’une dizaine de jeunes, plus ou moins en délicatesse avec le STO, à laquelle tient absolument à se joindre M. Malle, patriote convaincu et ancien poilu de 14-18. C’est lui qui prend en mains « l’opération Cimetière » et en établit le plan : « Pour ne pas se faire repérer, on se rendra à Paimpont à vélo, par petits groupes de deux ou trois maximum, en empruntant des chemins différents. Rendez-vous le 18 juin à 15 h. autour de la tombe de Mme de Gaulle. »
Huit plélanais sont volontaires pour se rendre au cimetière - Jean Malle, Michel Renimel, André Riffault, René Gillet, Jules Isard, Roger Guéno, Maurice Robin et Henri Moras qui trouvera la mort lors de la Libération de Paimpont en août 1944. Plusieurs d’entre-eux se retrouvent le 18 juin 1943 à l’entrée du bourg de Paimpont. Michel Renimel, revient sur le déroulement de « l’opération ».
[...] croulant sous les emballages de fortune et autres savants camouflages, dans lesquels s‘entassent fleurs et bouquets de toute « une population reconnaissante », nous arrivons à Paimpont. [...] Nous allons atteindre la porte principale lorsqu’un officier SS, en tenue d’apparat, sort du restaurant en titubant. Il alerte ses collègues ; et tous se plantent goguenards, pour nous regarder passer. Nos camarades nous attendent au cimetière, près d’une tombe déjà très fleurie. Après un moment de recueillement, nous allons envisager la retraite... lorsque M. Malle, d’une voix de stentor entonne une vibrante Marseillaise ! Et le bougre de vieux poilu en connaît plusieurs couplets. C’est long et angoissant. Cette fois, c’est sûr, tout le monde doit être au courant. On s’attend au pire. « Allons enfants ... le jour de gloire est arrivé ! ... » Oui, on y pense sérieusement ! Après quelques effusions et congratulations, le « commandant Malle » va enfin donner l’ordre de dispersion. À la sortie du cimetière, nous comprenons très vite que les allemands sont partis ! Derrières les fenêtres et les volets qui s’ouvrent timidement, sourires complices et applaudissements nous confortent dans cette idée. La population anxieuse et solidaire a suivi avec angoisse le déroulement des opérations. Bientôt, d’autres fleurs viendront rejoindre les nôtres sur la tombe de madame de Gaulle.
Août 1944 — le général de Gaulle à Paimpont
La lettre d’une paimpontaise au Général
À Alger, en août 1944, le général de Gaulle reçoit d’une habitante de Paimpont, Mme Madeleine Hervé, une lettre où sont évoqués les derniers instants de sa mère. — ANONYME, En ces temps-là, de Gaulle, Vol. 1, 1971, (« Femmes d’aujourd’hui »), Voir en ligne. —
8 août 1944 — Le colonel Rémy à Paimpont
Le 8 août 1944, le colonel Rémy quitte Rennes pour Vannes. Informé de la présence de la tombe de la mère du général de Gaulle à Paimpont par des membres de la 12e compagnie de F.F.I., il fait un détour pour se recueillir sur sa tombe. — RÉMY, Colonel, La délivrance, Vol. 3, 1947, France-Empire, 1998, 490 p., (« Mémoires d’un agent secret de la France libre »), Voir en ligne. —
Sais-tu, me dit Marcel, que la mère du général de Gaulle est enterrée au cimetière de Paimpont ? – Je l’ignorais. – Puisque tu t’en vas demain matin à Vannes, on a pensé que tu pourrais faire un crochet par Paimpont. On a trouvé un car et on t’accompagnerait. D’ailleurs, il faut qu’on soit armés parce qu’il paraît que des Boches circulent encore dans la forêt. – Très bien, veux-tu commander une gerbe ? – C’est déjà fait, répond Marcel qui a réponse à tout. Après le départ de la délégation, Sylvio s’approche. – On le savait nous autres que la mère du Général était enterrée à Paimpont. On avait même fait une collecte dans le maquis, parce que sa tombe, c’est pas ça. On voulait lui mettre une belle pierre, un vrai granit. On a eu tout l’argent et la pierre a été faite. – Vous avez pu la poser sur la tombe ? – On n’a pas osé mon colonel, parce qu’on n’avait pas la permission du Général et qu’on savait pas comment la demander.
Une cérémonie dans le cimetière est alors organisée. On invite le Colonel Rémy a prendre la parole. Après que le recteur de Paimpont eut récité le Pater et l’Avé, les F.F.I. présente les armes, Soudain, la Marseillaise éclate dans les rangs de la foule.
21 août 1944 — Le Général sur la tombe de sa mère
Le 19 août, Charles de Gaulle quitte Alger pour la France libre. Le 20 août 1944 il est à Cherbourg puis Rennes. La 12e compagnie de F.F.I. d’Ille-et-Vilaine constituée de volontaires des communes de Plélan, Paimpont, Monterfil, etc., a fait le déplacement pour célébrer l’arrivée du Général.
Le lendemain, 21 août, le général de Gaulle est au cimetière de Paimpont pour rendre hommage à sa mère en présence du capitaine Jubin, commandant de trois sections de la 12e compagnie. — ANONYME, « 20 août 1944 : de Gaulle à Rennes », Ouest-France, 22 aout, 2004, Voir en ligne. —
Dans l’après-midi, les 2e, 3e et 4e sections (Guibert, Jouchet et Correy) rendaient à leur tour les honneurs au Général venu à Paimpont se recueillir sur la tombe de sa mère. Dès que le Général fut à cinq cents mètres, les hommes qui n’avaient jamais fait de maniement d’armes ou alors très peu, prirent la position du « présentez armes ». Les autres manœuvrèrent à mon commandement. Avant que le Général n’arrivât dans la ligne droite menant au cimetière, je lançai un retentissant « présentez armes », la face était sauvée, il pleuvait à verse, la voiture du Général passa lentement. A l’entrée du cimetière, quatre gradés se tenaient au « présentez-armes » Ils avaient été triés sur le volet et avaient fière allure. Même scénario, dès que le Général s’éloigna de la tombe de sa mère. A sa sortie du cimetière, devant ces garçons habillés misérablement, à peine chaussés, mais raidis dans un « présentez-armes » impeccable, il lâcha ces quelques mots : « merci mes enfants ».
1945-1948 — Cérémonies en l’honneur de Madame Henri de Gaulle
Des cérémonies en hommage à Madame Henri de Gaulle sont organisées à l’église de Paimpont en 1945 et 1948.
Sur la demande de plusieurs Compagnons de Résistance du Général, un service solennel fut célébré, à la mémoire de Madame Henri de Gaulle, le 16 juillet 1945. [...]
Sur la requête d’un mouvement patriotique de Rennes, le mercredi 11 février [1948] un service funèbre solennel a été célébré dans notre vieille église à la mémoire de la mère et de la fille du Général, Madame Henri de Gaulle et Madame Anne de Gaulle. M. le vicaire général Riopel, représentant son Éminence le Cardinal, fit la recommandation de l’âme et donna l’absoute, M. le recteur de Saint Malon présida la Nocturne et M. le recteur de Paimpont chanta la messe du service. Une foule nombreuse venue de Rennes et des environs assistait à cette cérémonie et se rendit ensuite en cortège au cimetière sur la tombe de madame Henri de Gaulle sur laquelle furent déposées de magnifiques gerbes de fleurs.
1949 — Le déplacement de la tombe de Madame de Gaulle
Juin 1949 — La campagne du général de Gaulle en Bretagne
En juin 1949, Charles de Gaulle est en déplacement politique en Bretagne en tant que président du Rassemblement du Peuple Français (RPF).
Le couple de Gaulle passe une semaine en Bretagne à cette occasion, notamment à Paimpont et Morgat (Finistère). — NÉAU-DUFOUR, Frédérique, Yvonne de Gaulle, Fayard, 2010, 610 p. —
Novembre 1949 — Le déplacement de la tombe de Mme de Gaulle
En novembre 1949, le général de Gaulle fait déplacer la dépouille de sa mère du cimetière de Paimpont vers celui de Sainte-Adresse, dans laquelle se trouve le caveau familial.
A la fin de novembre 1949, mon père, que j’accompagnais avec ma mère et quelques proches de notre famille, vint chercher la dépouille de sa mère qui fut inhumée, à côté de son mari, au cimetière de Sainte-Adresse.
Quelques jours après la translation, Charles de Gaulle écrit à ce sujet à sa sœur Marie-Agnès (1889-1982).
J’éprouve une vraie sérénité à la pensée que notre chère Maman repose désormais à Sainte-Adresse , auprès de Papa [...].
1958-1969 — Deux visites d’Yvonne de Gaulle à Paimpont
Yvonne de Gaulle est venue à deux reprises à Paimpont rendre hommage à la défunte mère du Général, en 1958 et 1969. Le bulletin paroissial de mars 1969 rend compte de la deuxième visite.
Le vendredi 31 janvier [1969] , vers 15h 30, la Caravelle de la Présidence de la République atterrissait à l’aérodrome de Rennes-Saint-Jacques. Le Général de Gaulle et Madame en descendaient accompagnés de quelques ministres pour la visite officielle du Chef de l’État à la Bretagne. A peine une heure plus tard, et tandis que le Général commençait sa visite à Rennes, Mme de Gaulle arrivait à Paimpont. Pour une surprise, c’en était une ! ...
La première dame de France renouvelait son geste d’il y a 10 ans (en 1958), réalisé à peu près dans les mêmes circonstances. [...] Madame de Gaulle a d’abord visité - en bienfaitrice - la Maison d’Enfants ; puis elle est entrée dans l’abbatiale en s’inclinant, au passage devant N.D. de Paimpont, pour s’agenouiller ensuite plus longuement dans la chapelle du Saint-Sacrement. Notre visiteuse avait manifestement apprécié la beauté de notre église. A la sortie, la D.S. l’attendait... Et c’est ainsi que, ce jour là, Paimpont avait accueilli simplement et sans bruits, la Dame du Président de la République.
18 juin 1985 — La plaque commémorative
Le 18 juin 1985, une plaque commémorative est apposée sur le mur de la maison où Jeanne de Gaulle a vécu à Paimpont. Élisabeth de Gaulle, la fille du Général et son mari le général de Boissieu alors Chef d’État-major de l’Armée de Terre, sont présents à cette cérémonie.
La plaque porte l’inscription suivante : Ici Mme Henri de Gaulle a entendu le 18 juin 1940 l’appel de son fils le Général de Gaulle libérateur de la France - 1860-1940.
Le texte de la plaque commémorative est inexact sur deux points. Mme Henri de Gaulle n’a pas pris connaissance de l’appel du 18 juin à Paimpont mais à Locminé et elle ne l’a pas entendu mais l’a appris de la bouche du curé de Locminé.
Cette réinterprétation de l’histoire trouve une partie de son explication dans le fait que les souvenirs de Geneviève de Gaulle, seul témoin direct de l’événement, et seul témoignage à situer les faits à Locminé, ne seront publiés qu’en 1990. En 1985, la version « officielle » s’appuie sur les souvenirs de Philippe de Gaulle et de Roland Rigolé, fils du propriétaire du logement dont les deux témoignages concordent : Jeanne de Gaulle a pris connaissance de l’appel par le curé de Paimpont le soir du 18 juin à Paimpont.
Pourtant, là encore, un personnage de l’histoire, le curé de Paimpont, est évincé de la narration mémorielle.
Le texte de la plaque apparaît donc comme une restitution simplifiée de cet épisode historique. La complexité des déplacements et des relations de Jeanne de Gaulle dans le contexte de la débâcle, impossible à restituer sur un texte court, est volontairement réduite à une narration simple et synthétique : Ici Mme Henri de Gaulle a entendu le 18 juin 1940 l’appel de son fils le Général de Gaulle libérateur de la France.
Cette écriture simplifiée d’un épisode historique de la seconde Guerre-Mondiale est validée d’un commun accord par la famille de Gaulle, représentée par la fille du Général, l’Armée, représentée par le général de Boissieu, les Associations d’Anciens Combattants, les communes de Plélan et de Paimpont, représentées par leurs maires, Marie-Joseph Bissonnier et Pierre du Chélas.
La concision et l’unité du texte de la plaque commémorative permettent de faire de la maison du bourg dans laquelle Jeanne de Gaulle a vécu quelques mois et dans laquelle elle est morte, un lieu de mémoire attaché à l’Appel du 18 juin.
En 1994, la rue prend le nom de « rue Charles de Gaulle ».