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1995

La riboulette

Une historiette d’Ernestine Lorand

La Riboulette est une histoire d’Ernestine Lorand dans laquelle une vache se prend pour un taureau.

Une histoire rapportée par Ernestine Lorand

La Riboulette est une histoire d’Ernestine Lorand écrite à partir de ses souvenirs d’enfance. Elle l’a racontée à Christian Leray lors d’un entretien dans sa maison de Concoret le 13 janvier 1987.

Parfois j’allais garder les vaches avec grand-mère. Elle avait l’habitude de mettre la corde d’une vache à son poignet, tout en brochant ses chaùsses 1. Ce jour là, elle était bien tranquille à garder sa vache quand, tout à coup, dans la mâe 2 de fagots, il y eut du bruit, une vipère peut-être ? La vache a pris peur, elle est partie en trainant ma grand-mère. O buyë, o fouissë, mins grand-mère ne disë pu rin. Nan la crÿit ben passë ! On n’ëtë que bërluzë mins tossë itou ! 3 Pauvre bonne femme, trainée comme ça pendant trois ou quatre mètres ! Elle ne s’en est jamais vraiment remise tellement elle fut choquée. La vache s’appelait La Riboulette. C’était une petite vache basse, mais elle ne voulait pas nous voir en rouge et moi qui avait toujours des petits cotillons 4 à carreaux de laine rouge. Ben dam la vla tchi me touche ! 5 Dans la mare de purin qu’elle m’a bousculée. Un autre jour, La Riboulette est rentrée dans la maison, on avait une porte unique, mais une grande porte ; on ouvre la porte et la voilà rentrée. J’ai fait un texte sur La Riboulette. Il m’est venu en gallo parce que ma grand mère parlait gallo. Astour, j’allons la contë.

LERAY, Christian et LORAND, Ernestine, Dynamique interculturelle et autoformation : une histoire de vie en Pays gallo, Paris, L’Harmattan, 1995, Voir en ligne. [pages 250-251]

Ernestine Lorand a écrit le texte qui suit en gallo et l’a transcrit en français pour être publié. —  LERAY, Christian et LORAND, Ernestine, Dynamique interculturelle et autoformation : une histoire de vie en Pays gallo, Paris, L’Harmattan, 1995, Voir en ligne. [pages 251-252] —

La Riboulette

La Riboulette ressemblait à un taureau : elle ne voulait pas voir le rouge. Nous avions donc bien peur de La Riboulette.

Je vais vous dire : les gars avaient des pantalons de mi-laine presque noire, qui leur grattait les fesses, si bien qu’ils écartaient les cuisses quand ils marchaient. Mais nous les filles, nous avions des jupes en tissu à carreaux rouge et noir. Quand La Riboulette voyait cela, elle se prenait pour un taureau.

Un jour que j’étais à laver la vaisselle avec Marguerite, voilà La Riboulette qui entre dans la maison. J’en casse le bol à papa ! Me voilà autour de la table, elle me suivait car on avait une grande maison à La Martrais ! [à Muel].

La Riboulette était basse, ses cornes n’étaient pas droites, elles lui tombaient sous les yeux, mais ça ne l’empêchait pas de voir. Eh bien, ce jour là, elle me fit faire bien dix fois le tour de la cuisine. J’étais blanche de peur, papa la fit sortir. J’avais les jambes en pelote de laine !

Une autre fois, ma grand-mère tricotait des chaussettes tandis que La Riboulette pâturait dans les extrémités du champ non labourées. Elle passait l’attache de la vache autour de son poignet. Qu’est-ce qui c’est passé ce jour là à l’extrémité du champ non labourée ? Toujours est-il que voilà La Riboulette qui s’est emballée et à trainé ma grand-mère. Elle beuglait, elle grattait le sol, papa l’arrêta, ma grand-mère ne disait plus rien. Elle était comme une chiffe molle, le poignet tout bleu par l’attache qui la serrait encore. On l’a crue morte ! Elle n’était que blessée mais renversée aussi. Papa la porta dans son lit et la mit sous la grosse couverture. Elle resta trois jours au chaud.

Depuis, elle trainait à ramasser ses choux. Un jour, elle tomba dans le sentier qui menait au tas de fagots. Elle cria : « Ma fille, ma fille, reste avec moi, j’ai peur ! » Moi je crois qu’elle pensait à La Riboulette qui l’avait trainée à l’extrémité du champ où elle s’était blessée et démise d’un membre.

Sacrée Riboulette, elle nous en a donc bien donné du mal !

—  LERAY, Christian et LORAND, Ernestine, Dynamique interculturelle et autoformation : une histoire de vie en Pays gallo, Paris, L’Harmattan, 1995, Voir en ligne. [pages 2251-252] —


Bibliographie

LERAY, Christian et LORAND, Ernestine, Dynamique interculturelle et autoformation : une histoire de vie en Pays gallo, Paris, L’Harmattan, 1995, Voir en ligne.


↑ 1 • Tout en tricotant ses chaussettes.

↑ 2 • La mâe signifie un tas en gallo.

↑ 3 • Elle beuglait, elle grattait le sol avec ses pattes, mais grand-mère ne disait plus rien. On la croyait morte ! Elle n’était qu’abimée mais choquée aussi.

↑ 4 • Un cotillon est une jupe.

↑ 5 • La voilà qui me poursuit