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Les Continuateurs du Conte du Graal de Chrétien de Troyes

Les Continuations versifiées du Conte du Graal

1190-1230

En 1190, pour une raison inconnue, Chrétien de Troyes laisse inachevée la rédaction de son cinquième roman, le Conte du Graal. De nombreux auteurs vont tenter de trouver une fin au Conte du Graal inachevé. Quatre Continuations versifiées sont d’abord écrites en prolongement de l’œuvre de Chrétien. Elles se trouveront rapidement supplantées par des œuvres en prose.

Les quatre Continuations versifiées

C’est d’abord en vers, dans le mode d’écriture du Conte du Graal de Chrétien de Troyes, que vont être rédigées quatre Continuations dont trois auteurs sont connus.

Au cours de la première moitié du XIIIe siècle, seuls quatre écrivains de langue française continuant et clarifiant le Conte du Graal, ou reprenant ses thèmes ont laissé leur nom à la postérité : Robert de Boron, Wauchier de Denain, Manessier et Gerbert de Montreuil. Il en va de même, en allemand, pour Wolfram von Eschenbach et l’autrichien Henrich von dem Türlin. Le reste a gardé à jamais l’anonymat ou s’est faussement présenté, dans le prologue ou l’épilogue du livre […] Au nombre de quatre et en vers octosyllabes à la mode de Chrétien, les Continuations du conte du Graal poursuivent, dans les mêmes manuscrits contenant le dernier livre du romancier champenois, son récit tronqué.

AURELL, Martin, La légende du roi Arthur, Paris, Édition Perrin, 2007. [page 369]

Les Continuations représentent un corpus de quelque soixante mille vers qui prolonge les œuvres de Chrétien de Troyes. Si leurs auteurs enrichissent le thème arthurien tous ne parviennent pas pour autant à trouver une fin au Conte du Graal.
Trois de ces écrivains ont laissé leur nom à la postérité. Ils ont également par leurs dédicaces, fait connaitre celui de leurs mécènes. Depuis la disparition de Philippe de Flandre (†1191), mécène de Chrétien de Troyes, la haute aristocratie flamande encourage les développements de l’histoire du Graal. Wauchier de Denain, Manessier et Gerbert de Montreuil évoluent dans ce milieu comtal de Flandre. Robert de Boron écrit pour Gautier de Montbéliard, haut personnage parent des ducs de Bourgogne et des comtes de Champagne et de Flandre.

La Première Continuation ou Continuation-Gauvain

Cette Continuation est ainsi nommée parce que Gauvain est le personnage central —  ANONYME,, COOLPUT-STORMS, Colette-Anne van (trad.) et ROACH, William, Première Continuation de Perceval, Rééd. 1993, Paris, Le Livre de Poche, Lettres gothiques, 1191. —. Il en existe trois versions, d’auteurs anonymes, respectivement appelées : « courte », « longue » et « mixte » ; la version « courte », de 9 500 vers, date d’avant 1200, aussitôt après la mort de Chrétien. Le récit reprend la phrase laissée en suspens à la fin du Conte du Graal 1. La version « longue », de 19 600 vers, plus tardive, pourrait dater de 1220 et la version « mixte », de 15 300 vers, est un mélange des deux autres, donc la plus récente. —  ANONYME,, COOLPUT-STORMS, Colette-Anne van (trad.) et ROACH, William, Première Continuation de Perceval, Rééd. 1993, Paris, Le Livre de Poche, Lettres gothiques, 1191. [page 10] — Pour autant la Première Continuation ne clôt pas l’histoire du Graal. Gauvain échoue devant une épreuve préalable qui consiste à ressouder l’épée brisée 2 et il s’endort alors que le roi allait lui révéler les ravages occasionnés par le « coup douloureux » porté par cette épée 3.

La Deuxième Continuation ou Continuation-Perceval

Cette Continuation a été probablement écrite dans les années 1205-1210. Perceval est le personnage d’élection pour mener à bien l’aventure du Graal. La Deuxième Continuation se compose de 13 000 vers attribués avec quelques réserves à Wauchier de Denain, un clerc, traducteur par ailleurs d’ouvrages religieux en prose. Il a pour mécènes le comte et la comtesse de Flandre, de la famille de Philippe de Flandre, le commanditaire du Conte du Graal —  WAUCHIER DE DENAIN,, MANESSIER,, HANNE-DOUCHE, Simone, [et al.], Perceval et le Graal, Deuxième et troisième continuations du "Perceval" de Chrétien de Troyes, Paris, Triades, 1968. —. La Deuxième Continuation reprend le roman au moment où Perceval rencontre son oncle ermite. Les aventures vont s’organiser autour de deux quêtes : celle du Blanc cerf et celle du Graal qui est en arrière-plan. Lorsqu’il parvient au château du Roi Pêcheur, Perceval pose bien les questions attendues, il parvient aussi à ressouder l’épée mais un petit défaut dans la finition l’empêche d’accéder au secret du Graal. L’histoire n’est pas menée à son terme 4.

La Troisième Continuation ou Continuation-Manessier

Cette Continuation date des années 1215-1235. Elle porte le nom que se donne l’auteur à la fin de son roman. Manessier est un clerc proche de Jeanne de Constantinople, comtesse de Flandre, à laquelle il dédie les 11 000 vers de son manuscrit —  MANESSIER,, LEFAY-TOURY, Marie-Noëlle (trad.) et ROACH, William, La Troisième Continuation du Conte du Graal., Rééd. 2004, Champion Classiques, série Moyen-Âge, 1215. —. La Troisième Continuation reprend les derniers vers de la Deuxième Continuation pour débuter son histoire. La lance qui saigne devient celle qui a servi à percer le flanc du Christ sur la croix. Manessier trouve un achèvement aux aventures du Graal. L’épée est ressoudée par Perceval puis de nouveau brisée. Elle ne sera ressoudée que lorsque Perceval aura tué Partinal de la Rouge Tour 5. Le Roi Pêcheur retrouvera alors l’usage de ses jambes. Perceval apprenant du Roi qu’il est son neveu, il fait le vœu de lui succéder.

Perceval succède au Roi Pêcheur mais après sept ans de règne il se retirera dans un ermitage pour y finir pieusement ses jours, nourri par le Graal qui sera emporté avec lui dans les cieux 6.

MANESSIER,, LEFAY-TOURY, Marie-Noëlle (trad.) et ROACH, William, La Troisième Continuation du Conte du Graal., Rééd. 2004, Champion Classiques, série Moyen-Âge, 1215. [page 15]

Au fur et à mesure qu’elle est retouchée, l’histoire du Graal ne cesse de se cléricaliser. Certes, la Troisième Continuation garde l’arrière-fond des luttes entre partis aristocratiques et leur lot de violences gratuites et de vengeances incessantes, propres au Conte de Chrétien de Troyes. Mais Manessier met, pour la première fois, explicitement en scène la lutte du héros contre le diable. De plus, Perceval devient prêtre à la fin de ses jours. La spiritualité est omniprésente dans un roman où foisonnent les symboles religieux.

Aurell Martin (2007). op. cit., p. 381

La Quatrième Continuation ou Continuation de Perceval

Cette Continuation, attribuée à Gerbert de Montreuil, comprend 17 090 vers. Elle aurait été écrite entre 1226 et 1230. Son orientation est chrétienne —  GERBERT DE MONTREUIL,, CHRÉTIEN DE TROYES, et LE NAN, Frédérique., La continuation de Perceval : quatrième continuation, Genève, Droz, 2014. —.

Le texte de cette Continuation a été inséré ultérieurement par les copistes entre la Seconde Continuation et la Continuation Manessier.

Gerbert reprend lui aussi l’histoire là où s’arrête la Deuxième Continuation mais une voix divine explique à Perceval qu’il doit subir de terribles épreuves s’il veut entendre les secrets du Graal. Perceval se heurte aux portes du paradis, sur lesquelles il brise son épée. Il remporte de rudes épreuves avant son retour au château du Roi Pêcheur. Là, il réussit à ressouder l’épée de façon parfaite. Lors de sa présence au passage du cortège, son hôte lui révèle les mystères du Graal et de la lance brisée. Pour autant, Gerbert de Montreuil ne parvient pas à terminer l’histoire 7.

Le médiéviste Martin Aurell fait part d’un changement qui s’opère au 13e siècle dans l’approche du merveilleux celtique dont s’inspirait Chrétien de Troyes. Il souligne cette différence :

Les romans arthuriens adoptent un ton pédagogique, aux antipodes du mystère et de l’intrigue que Chrétien de Troyes avait su préserver dans son Conte. Des explications allégoriques sur les épisodes et objets des romans pullulent désormais dans la matière de Bretagne. Elles relèvent de la culture cléricale et savante, qui fait intervenir le diable dans des merveilles que les récits du XIIe siècle auraient présentées comme de simples exceptions aux lois de la nature.

Aurell Martin (2007). op. cit., p. 384

L’oeuvre en vers de Robert de Boron

Durant la même période, Robert de Boron écrit deux oeuvres en vers : Joseph et Merlin. Ces œuvres vont être réécrites en prose sans que l’on sache qui est l’auteur de la transcription.

D’autres continuateurs vont utiliser la prose, un nouveau mode d’expression qui va vite s’imposer.


Bibliographie

ANONYME,, COOLPUT-STORMS, Colette-Anne van (trad.) et ROACH, William, Première Continuation de Perceval, Rééd. 1993, Paris, Le Livre de Poche, Lettres gothiques, 1191.

MANESSIER,, LEFAY-TOURY, Marie-Noëlle (trad.) et ROACH, William, La Troisième Continuation du Conte du Graal., Rééd. 2004, Champion Classiques, série Moyen-Âge, 1215.

AURELL, Martin, La légende du roi Arthur, Paris, Édition Perrin, 2007.

GERBERT DE MONTREUIL,, CHRÉTIEN DE TROYES, et LE NAN, Frédérique., La continuation de Perceval : quatrième continuation, Genève, Droz, 2014.

WAUCHIER DE DENAIN,, MANESSIER,, HANNE-DOUCHE, Simone, [et al.], Perceval et le Graal, Deuxième et troisième continuations du "Perceval" de Chrétien de Troyes, Paris, Triades, 1968.


↑ 1 • La reine l’aperçoit et lui demande ce qu’elle avait.

↑ 2 • L’épée dont il est question ici est celle offerte à Perceval par le Roi Pêcheur dans le Conte du Graal lors de sa rencontre avec ce seigneur. La cousine germaine de Perceval lui apprend que cette épée risque de le trahir lors d’une bataille en volant en éclats. Pour la refaire, il y aurait bien des épreuves à surmonter. Seul Trébuchet, le forgeron qui l’a faite peut la refaire, aucun autre ne saurait en venir à bout.

↑ 3 • Les principaux lieux et personnages rencontrés au cours des aventures sont : Guerrehet, Caradoc, Grinomalant, Clarissant, la dame de Montesclaire, Judda Maccabée, Joseph d’Arimathie, Escavalon, Guinganbresil, Disnadarès, Brun de Branlant, la pucelle de Lis, Bran de Lis, Girflet, le Château Orgueilleux, Lucan le Bouteiller, Keu, Yvain, le Riche Soudoyer, la Main Noire, Lionel, Glamorgan, Branguemuers, le Petit Chevalier.

↑ 4 • Les principaux lieux et personnages rencontrés au cours des aventures sont : le Blanc Cerf, le Chevalier Noir, Abrioris, le Chevalier Blanc, le Gué Amoureux, Blanchefleur, le Beau Mauvais, Rosette, la Gaste Forêt, le Pont de Verre, le Château Orgueilleux, le Château de l’Echiquier, Bagomedès, Pitre Chevalier, la Blanche Lande, Brun de la Lande, Pensif Chevalier, Guinglain, Carras, le Mont Douloureux, Main Noire.

↑ 5 • Le Roi Pêcheur avait confié à Perceval la tâche de venger son frère que Partinal avait traitreusement tué.

↑ 6 • Les principaux lieux et personnages rencontrés au cours des aventures sont : Longin, Saint Sang, Joseph d’Arimathie, Goon du Désert, Partinal de la Rouge Tour, Sagremor le Démesuré, le château aux Pucelles, Gauvain, Dodinel le Sauvage, le roi Margon, Keu, Agravain, Main Noire, Blanchefleur, Trébuchet, Camelot, Bohort, Lionel, Bademagu, le Beau Couard, Beau Hardi, Hector, Corbenic, le château de Maronne.

↑ 7 • Les principaux lieux et personnages rencontrés au cours des aventures sont : Escolasse, Trébuchet, Sagremor, Agravain, Mont Douloureux, siège périlleux, Arthur, le château aux Pucelles, Philosofine, Tristan, la Cornouailles, le roi Marc, Gornemant de Goort, Blanchefleur, Rohais, la « bête glatissant », Evalac de Sarras, le Chevalier Vermeil, Gauvain, Bloiesine et son père, Urpin, Montesclaire, Lugarel.