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Les continuateurs du Conte du Graal de Chrétien de Troyes

Les œuvres en prose : le Petit cycle de Robert de Boron

1200-1230

Le Petit cycle est une trilogie qui met en scène le Graal. Dans ce roman, le Graal est le vase utilisé lors de la Cène qui a également recueilli le sang du Christ crucifié. Cette version christianisée du Graal est rédigée en vers par Robert de Boron. Elle attribue une origine « historique » au Graal inventé par Chrétien de Troyes dans le Conte du Graal.

À partir de 1200, apparait un nouveau mode d’expression littéraire : la prose. Utilisé par l’ensemble des autres continuateurs du Conte du Graal, elle va mieux ancrer la légende dans la réalité et donner lieu à de féconds développements. L’essor de la prose autorise les auteurs à développer leur thème sur plusieurs romans. Elle offre des possibilités narratives beaucoup plus étendues et permet d’amplifier le récit dans plusieurs directions. Ainsi certains romans en vers vont être réécrits en prose, ce mode d’écriture mettant fin à la versification des romans.

Le cycle littéraire de Robert de Boron

Les spécialistes s’accordent à dire que Robert de Boron était chevalier plutôt que clerc.

Autour de 1200, les « chevaliers lettrés » [(milites litterati)] sont nombreux aux cours des rois et de la haute aristocratie, qu’ils aident dans l’administration de leurs territoires. C’est à leur groupe que doit appartenir Robert de Boron.

AURELL, Martin, La légende du roi Arthur, Paris, Édition Perrin, 2007. [page 402]

Le terme de Petit cycle est utilisé par les historiens pour désigner la trilogie Joseph-Merlin-Perceval. Ces trois romans sont présentés comme étant l’œuvre de Robert de Boron. Il y fait état de son nom une seule fois dans son premier roman, le Joseph. On y apprend aussi le nom de son dédicataire, Gautier de Montbéliard, seigneur de Montfaucon dans le comté de Bourgogne. Cette dédicace renseigne sur l’origine géographique possible de Robert, Boron étant un hameau situé à dix-huit kilomètres de Montbéliard.

Les deux premiers romans de la trilogie, le Joseph et le Merlin sont écrits en vers dans un premier temps puis mis en prose sans que l’on ait la preuve que Robert de Boron en soit le prosateur. Le troisième roman, Perceval, a été directement écrit en prose. Les historiens ne sont pas unanimes pour l’attribuer à Robert de Boron. Cette trilogie s’appuie sur la matière de Bretagne et marque une très forte christianisation du mythe arthurien.

Le Joseph

Appelé aussi le Petit Saint Graal, il contient 3514 vers octosyllabes sur les origines du Graal. L’auteur de sa transcription en prose est inconnu. Robert de Boron est le premier à inventer une origine au Graal qu’il identifie avec le vase dans lequel Joseph d’Arimathie recueille le sang du Christ après sa mort. En cela, il fait référence à l’évangile apocryphe 1 de Nicodème.

Dans ce roman, Joseph d’Arimathie obtient de Pilate l’autorisation d’enterrer le corps du Christ. Il utilise le vase (veissel) de la Cène pour recueillir le sang qui ruisselle des plaies du crucifié. Les juifs l’accusent d’avoir fait disparaitre le ressuscité et l’emmurent dans une tour. Jésus lui rapporte le vase et lui en confie la garde. Joseph reçoit l’enseignement du Christ. Joseph est libéré par l’empereur Vespasien récemment converti au christianisme. Il est rejoint par sa sœur Enygeus et par Bron son mari, fondateur de la lignée des Rois Pêcheurs. Ils partent avec des amis dans le désert.

Une voix céleste ordonne à Joseph de construire une table à l’image de la Cène, sur laquelle sera mis le vase couvert d’un voile et un poisson pêché par Bron. Joseph doit s’asseoir à la place du Christ, Bron à sa droite et tous les vrais croyants autour, à l’exception d’un siège, celui de Judas, laissé vide. [...] Le Saint-Esprit annonce que ce siège est réservé au petit-fils de Bron et d’Egyneus.

Aurell Martin (2007) op. cit., p. 403

Alain, le dernier des douze fils de Bron, reçoit le savoir de son oncle Joseph. Le Graal est confié à Bron. Lui et ses fils ont pour mission de le mener loin vers l’occident, aux vallées d’Avalon et d’annoncer l’Évangile partout où ils passent. Un des fils d’Alain deviendra un jour le gardien du Graal. Ainsi prend fin l’histoire du Joseph.

Le Merlin

Le Merlin 2, dont il ne reste que les 504 premiers vers de Robert de Boron, a été mis en prose sans que l’on sache qui en est le prosateur.

Ce roman évoque la naissance du prophète Merlin, le règne d’Arthur et la création de la Table Ronde. Le récit commence par la colère du Diable après que Jésus-Christ eut vidé les enfers 3. Les démons conviennent alors d’engendrer à leur tour un homme capable de séduire l’humanité entière. Ils utilisent la manière dont Dieu donna naissance à Jésus. De l’accouplement d’une vierge et d’un incube 4 doit naitre un antéchrist. Ainsi nait Merlin qui hérite d’un pouvoir partagé, à la fois du Diable et de Dieu. Du premier, il a le don de la connaissance du passé et des choses invisibles dans le présent. Du second, il a la connaissance d’une partie de l’avenir. Le roman raconte comment Merlin use de ce don de prophétie auprès des rois bretons Vortigern et Uther Pendragon et comment il métamorphose Uther pour abuser d’Ygerne et concevoir Arthur. Merlin récupère l’enfant et le confie à Antor. Ygerne meurt sans savoir ce qu’est devenu son fils. Lorsque Uther meurt, le royaume se trouve sans héritier. Le prophète promet aux barons que Dieu indiquera qui sera le nouveau roi. La magie de Merlin opère pour que le jeune Arthur retire l’épée fichée dans une enclume et le faire élire roi. Le récit s’arrête au moment du couronnement d’Arthur comme roi de Bretagne.

La narration du Merlin emprunte le même fils conducteur que l’Historia Regum Britanniae —  MONMOUTH, Geoffroy de et MATHEY-MAILLE, Laurence, Histoire des rois de Bretagne, 1992, rééd. 2008, Paris, Les Belles Lettres, 1135. — et la Vita Merlini —  MONMOUTH, Geoffroy de, Vie de Merlin suivie des prophéties de ce barde, Rééd. 1837, Paris, F. Michel et T. Wright, 1149, Voir en ligne. — de Geoffroy de Monmouth ainsi que le Roman de Brut de Wace —  WACE, et LE ROUX DE LINCY, Antoine, Le roman de Brut, Vol. 1, Rééd. 1836, Rouen, Edouard frères éditeurs, 1155, Voir en ligne. —

Dans le manuscrit de Modène 5, un passage du roman de Merlin fait part d’un dialogue entre le roi Arthur et Merlin. Le prophète lui apprend que la Table Ronde, créée autrefois par son père Uther, était une réplique de la table de Joseph d’Arimathie construite pour le Graal dans le désert. Merlin explique l’histoire de Joseph qui se voit confier le Graal par Notre-Seigneur en personne alors qu’il était en prison. Joseph construit une deuxième table engloutie dans un abîme. Reste la Table Ronde d’Uther dont on parlera dans le monde de la chevalerie.

Le Graal dont Joseph était le gardien fut transmis après sa mort à son beau-frère, nommé Bron. Ce Bron eut douze fils ; l’un d’eux se nomme Alain le Gros et le Roi Pêcheur lui confia la garde de ses frères. Alain est venu au pays de Judée selon les ordres de Notre-Seigneur et de là dans les îles d’Occident et il s’est établi avec ses compagnons dans ce pays.

ROBERT DE BORON, et MICHA, Alexandre (éd.), Merlin, 1994, Paris, Flammarion, 1200.

Le Perceval

Cette œuvre en prose, appelée aussi Didot-Perceval 6, est un roman qui n’est pas signé. Ce roman s’inspire partiellement du Conte du Graal de Chrétien de Troyes.

Perceval le Gallois, dernier membre de la lignée des Rois Pêcheurs, est dans ce roman le fils prédestiné d’Alain le Gros, lui-même fils de Bron. À la mort de son père, Perceval rejoint la cour d’Arthur. Sa mère en meurt de chagrin. Après avoir battu en tournoi les chevaliers de la Table Ronde, il est invité par le roi Arthur à prendre place autour de celle-ci. Perceval demande à s’asseoir sur le siège laissé vide à l’attention du « meilleur chevalier au monde ». Le roi refuse mais deux chevaliers, Gauvain et Lancelot, intercèdent en sa faveur. Aussitôt Perceval assis, la roche se fend et la terre s’ouvre donnant l’impression que le monde s’engouffre dans un abîme. Un cri douloureux déchire l’obscurité. Une voix céleste proclame que pour guérir Bron et vaincre le mauvais sort de la Bretagne,p Perceval et les compagnons de la Table Ronde doivent accomplir de nombreux exploits et se rendre à la demeure du Roi Pêcheur pour poser la question sur l’identité de celui que le Graal sert.

Perceval apprend de son grand-oncle qu’il découvrira un jour le lieu où demeure son grand-père Bron et que celui-ci lui remettra le Graal. Sur le chemin qui le mène au Roi Pêcheur Perceval connait de surprenantes aventures. Il fait d’extraordinaires rencontres qui vont le conduire à une barque où se trouve Bron le Roi Pêcheur. Dans son château, Perceval assiste à la procession du Graal sans poser de questions. Le lendemain, une demoiselle lui apprend qu’il doit accomplir plus de hauts faits. Il part loin du château durant sept ans, subir de nouvelles épreuves. Un jour Merlin lui apparait pour lui dire comment retourner au château du Roi Pêcheur. Cette fois, lors du passage du Graal, il pose la question sur les objets et aussitôt Bron recouvre la santé. Le Saint-Esprit révèle à Perceval que la lance était celle de Longin 7 et que le Graal contient le sang des plaies du Christ, recueilli par Joseph d’Arimathie. D’autres secrets lui sont révélés par Bron qui meurt trois jours après. Perceval renonce à la chevalerie et devient à son tour le Roi Pêcheur et le gardien du Graal. Le gouffre ouvert sous le siège périlleux de la Table Ronde se referme. Merlin annonce à Arthur le succès de la quête et la fin des mauvais sorts. — Aurell Martin (2007) op. cit., pp. 411-412 — Le Perceval est suivi d’une Mort Artu qui se résume à quelques pages et qui vient compléter le Petit cycle.

Entre 1215 et 1235, un cycle littéraire plus important comprenant cinq romans fait suite à la trilogie. Il est appelé Lancelot-Graal ou Vulgate.


Bibliographie

AURELL, Martin, La légende du roi Arthur, Paris, Édition Perrin, 2007.

MONMOUTH, Geoffroy de, Vie de Merlin suivie des prophéties de ce barde, Rééd. 1837, Paris, F. Michel et T. Wright, 1149, Voir en ligne.

MONMOUTH, Geoffroy de et MATHEY-MAILLE, Laurence, Histoire des rois de Bretagne, 1992, rééd. 2008, Paris, Les Belles Lettres, 1135.

ROBERT DE BORON, et MICHA, Alexandre (éd.), Merlin, 1994, Paris, Flammarion, 1200.


↑ 1 • On qualifie généralement d’apocryphe (du grec ἀπόκρυφος / apókryphos, « caché ») un écrit « dont l’authenticité n’est pas établie » (Littré).

↑ 2 • Le personnage de Merlin n’a pas été inventé par Robert de Boron. Le créateur de la légende de Merlin est Geoffroy de Monmouth, auteur des Prophetiae Merlini en 1135 —  MONMOUTH, Geoffroy de, Vie de Merlin suivie des prophéties de ce barde, Rééd. 1837, Paris, F. Michel et T. Wright, 1149, Voir en ligne. —, suivi de son Historia regum Britanniae (Histoire des rois de Bretagne) —  MONMOUTH, Geoffroy de et MATHEY-MAILLE, Laurence, Histoire des rois de Bretagne, 1992, rééd. 2008, Paris, Les Belles Lettres, 1135. —. Geoffroy s’inspire de l’Historia Britonum de Nennius qui, au 9e siècle, cite un Ambrosius né sans père et prophète.

↑ 3 • Jésus descend aux enfers entre le Vendredi Saint et le jour de Pâques pour libérer toutes les âmes de ceux qui s’y trouvaient.

↑ 4 • Un incube est un démon mâle qui est censé prendre corps pour abuser sexuellement d’une femme endormie. Cette croyance très présente au Moyen Âge concernant les esprits qui s’unissent aux humains est récupérée par le dogme chrétien qui en fait des démons incubes et succubes. —  HÜE, Denis, Fils sans père, Paradigme, Orléans, 2000. [page 8] —

↑ 5 • Le manuscrit dit de Modène date de la première moitié du 13e siècle

↑ 6 • Le Didot-Perceval est le nom donné à une des versions conservées dans deux manuscrits : l’un conservé à Modène, daté de la seconde moitié du 13e siècle, dit de Modène, l’autre, daté de 1301, du nom de Didot, son éditeur.

↑ 7 • La Sainte Lance ou « lance de Longin » est l’une des reliques de la Passion du Christ. Elle est considérée comme l’arme qui a percé le flanc droit de Jésus lors de sa crucifixion.