1215-1230
Lancelot propre, Quête du saint Graal et Mort du roi Arthur
Les œuvres en prose : cycle Lancelot-Graal ou cycle Vulgate
Dans la première moitié du 13e siècle, les Continuateurs du Conte du Graal de Chrétien de Troyes écrivent un grand corpus en prose appelé Lancelot-Graal ou Vulgate dans lequel sont rassemblés et organisés les textes arthuriens. Il s’agit d’un long cycle littéraire de cinq manuscrits écrits entre 1215 et 1235, allant de la naissance du Graal jusqu’à la fin du monde arthurien.
Le cycle Lancelot-Graal ou Vulgate
Le Lancelot-Graal, appelé aussi Lancelot en prose ou Vulgate, apparait après le Petit cycle composé autour de 1200 et attribué à Robert de Boron. C’est un ensemble littéraire de cinq romans, d’auteurs anonymes, qui crée un lien entre la matière du Graal et l’histoire du royaume arthurien.
Dans Essais sur le cycle du Lancelot-Graal, Alexandre Micha explique la difficulté à rapporter une histoire précise et finie de l’univers arthurien et du Graal.
Le lecteur qui aborde pour la première fois le Lancelot se trouve emporté dans un flot d’aventures qui le laisse désemparé ; et il faut avouer qu’il n’est pas facile de faire la jonction entre les morceaux d’épisodes, interrompus par d’autres morceaux, ni de dominer la profusion de la matière, vrai maquis où les carrefours ne font que désorienter d’avantage le voyageur. Le grand nombre d’anonymes, demoiselles, chevaliers, valets, ermites ou prud’hommes qui viennent grossir la foule des personnages et qui reparaissent, alors qu’on les avait perdus de vue, ajoutent à la difficulté de circuler avec aisance.
Pour faciliter la compréhension de ces cinq œuvres, nous présentons un résumé du cycle Lancelot-Graal.
Selon les spécialistes, les trois premiers romans auraient été rédigés dans l’ordre suivant :
- Le Lancelot dit Lancelot propre, écrit entre 1215 et 1225,
- La Queste del saint Graal dite Quête du saint Graal, écrit entre 1225 et 1230,
- La Mort le roi Artu dite Mort du roi Arthur, écrit en 1230.
À ces œuvres s’ajoutent deux romans, écrits entre 1230 et 1235, qui viennent compléter le cycle. Ils traitent de l’histoire des origines du Graal.
- Estoire dou Graal dite Histoire du saint Graal,
- Estoire de Merlin dite Histoire de Merlin.
L’ensemble couvre une période de cinq à six siècles et se distingue du Petit cycle par une profusion de personnages et d’aventures.
Les cinq romans apparaissent ensemble dans les mêmes manuscrits, non pas comme une simple compilation, mais comme les cinq branches d’un seul cycle. Se renvoyant les uns aux autres, ils dégagent une impression indéniable de cohérence. […] A une époque férue de sommes et encyclopédies, ces romanciers veulent organiser et développer la matière de Bretagne par le biais de sa réécriture systématique. En effet, ils reprennent, retouchent et adaptent une masse préexistante de récits. […]
L’ordre de lecture suivant l’enchainement du récit du cycle Lancelot-Graal est celui-ci :
- Histoire du saint Graal,
- Histoire de Merlin,
- Lancelot propre,
- Quête du saint Graal,
- Mort du roi Arthur.
La particularité la plus notable du Lancelot en prose est la création de Galaad, personnage utilisé pour mettre fin aux aventures de la quête du Graal. Galaad est l’heureux élu, investi du Saint Veissel (le Graal). Jusqu’alors, c’est Perceval 1 qui était le héros principal dans l’œuvre de Chrétien de Troyes, comme dans la Deuxième Continuation et dans le Didot-Perceval.
Le Lancelot propre
C’est l’écriture du Lancelot qui donne naissance à l’ensemble de la Vulgate. Le Lancelot propre est daté entre 1215 et 1225. Il représente plus de 2500 pages, soit neuf volumes de l’édition récente d’Alexandre Micha 2. — MICHA, Alexandre, Lancelot, roman en prose du XIIIe siècle, Vol. 1, Genève, Librairie Droz, 1978, Voir en ligne. — — MICHA, Alexandre, Lancelot, roman en prose du XIIIe siècle, Vol. 9, Rééd. 1996, Genève, Librairie Droz, 1983, Voir en ligne. —
Les manuscrits du 13e siècle du Lancelot en prose ont subi de nombreux remaniements. Alexandre Micha décèle trois versions disséminées dont l’ordre de composition n’est pas établi de façon certaine. Ces remaniements sont remplis d’entrelacs nombreux et diversifiés, ce qui rend malaisé la compréhension d’une histoire unique, même s’il y a une cohérence pour mener les multiples récits à leur terme.
Par rapport à Chrétien de Troyes qui s’en tenait, dans la Charrette comme dans le Conte de Graal, à un roman épisodique, le Lancelot appartient à un nouveau type de roman : le roman cyclique. Le procédé de l’entrelacement 3, amorcé par Chrétien de Troyes, surtout dans son dernier roman, est ici porté à la perfection, et non parfois sans quelque virtuosité gratuite.
Le personnage de Lancelot 4 a été créé par Chrétien de Troyes. Il apparait pour la première fois dans le Chevalier de la Charrette (1176-1180). Le thème repris dans le Lancelot propre emprunte beaucoup à Chrétien de Troyes, même si la perspective chrétienne dans laquelle il s’inscrit l’en éloigne. Le chevalier Lancelot, absent dans le Conte du Graal, dernier roman de Chrétien de Troyes est également délaissé dans les Continuations et dans le Petit cycle attribué à Robert de Boron. Les continuateurs de la Vulgate s’emparent du personnage qui devient la pierre angulaire de la quête du Graal. Les autres chevaliers de la Table Ronde vont être aussi appelés à se rapprocher du saint Graal suivant leur vertu et leur foi.
L’histoire de Lancelot se poursuit dans la Quête du saint Graal où il parvient à approcher le « saint vase ». Elle prend fin avec la Mort du Roi Arthur, dans lequel ses amours avec Guenièvre contribuent à mettre fin au règne arthurien.
Nous présentons quelques épisodes des multiples aventures qui émaillent le roman. Les sous-titres ont été ajoutés par nos soins.
La jeunesse de Lancelot
Le Lancelot propre développe la biographie de son héros qui commence avec Ban de Benoïc, roi de Petite-Bretagne 5 et Hélène son épouse. Tous deux voient leur château assiégé par Claudas, roi de la Terre déserte et sont contraints de s’enfuir avec leur fils. Lors de cette fuite, le roi Ban meurt, terrassé par le chagrin. Dans l’affolement Hélène laisse son petit enfant au bord d’un lac. Viviane le recueille dans son palais au fond du lac. La Dame du Lac l’élève et l’initie aux principes de la chevalerie pour qu’il devienne le meilleur chevalier du monde. C’est elle qui amène Lancelot à la prestigieuse cour du roi Arthur. Dès que le jeune homme voit la reine Guenièvre, ils tombent amoureux l’un de l’autre. Il est adoubé par le roi mais c’est la reine qui lui ceint l’épée. Elle va faire de Lancelot un chevalier dévoué à son service. Il ne devient compagnon de la Table Ronde que lorsque la reine tombe à ses pieds pour l’en prier. L’amour exclusif que se portent les deux amants va alimenter les intrigues tout au long du roman. Dès lors, Lancelot et Guenièvre doivent cacher leurs amours interdites et faire face aux tentatives les plus perfides menées pour les désunir.
L’épisode de la « Douloureuse Garde » où Lancelot découvre son nom.
Le Blanc Chevalier qui a chevauché tout le jour voit se dresser devant lui en haut d’une colline le « château de la Douloureuse Garde ». Derrière les murs de cette imposante forteresse remplie de sortilèges, les habitants vivent l’enfer. De nombreux chevaliers sont morts pour avoir tenté de les délivrer. Le Blanc Chevalier entend les cris déchirants des hommes, des femmes et des enfants retenus prisonniers. Il n’hésite pas à tenter l’aventure pour les libérer. Après avoir tué dix chevaliers et franchi une première muraille, une demoiselle parait, le visage caché sous sa guimpe 6. Elle lui apprend les coutumes du château. Le deuxième jour, le Blanc Chevalier livre plusieurs combats et franchit la deuxième muraille. La demoiselle le rejoint et lui remet trois écus blancs, chacun avec une, deux et trois bandes vermeilles qui lui donneront lors des combats la force d’un, deux puis trois hommes. Puis elle baisse sa guimpe laissant paraitre son visage. Le chevalier reconnait aussitôt la demoiselle. Elle est chargée par sa dame, la Dame du Lac, de lui remettre ces écus et de lui en apprendre leur vertu. Le troisième jour, le Blanc Chevalier tient compte de la marche à suivre pour libérer les prisonniers et met fin aux mauvaises coutumes de la Douloureuse Garde 7. Les habitants sont libérés des tourments et des terreurs qui leur rendaient la vie pire que la mort. Ils conduisent le Blanc Chevalier au milieu du cimetière où se trouve une dalle. C’est une grande lame de métal fortement scellée dans le sol, enrichie d’émaux et de pierres précieuses. Il y est gravé que le conquérant du château sera le seul à pouvoir la soulever et qu’il y trouvera son nom. Le Blanc Chevalier soulève facilement la dalle et lit cette inscription : « Ci reposera Lancelot du Lac, le fils au roi Ban de Benoïc ». Le Chevalier a désormais un nom et un blason.
L’épisode de la Douloureuse Tour où Lancelot est prisonnier de Morgue.
Cet épisode narre les aventures de Lancelot parti libérer Gauvain qui est prisonnier de Caradoc, seigneur de la Douloureuse Tour. Sur son chemin, Lancelot délivre le Val sans Retour des sortilèges de Morgain (Morgane) et libère les prisonniers. Mais il se laisse prendre par la ruse et la trahison de Morgain dont il se retrouve désormais seul prisonnier. Depuis que la reine Guenièvre avait interdit à son neveu Guiamor sa liaison amoureuse avec Morgain, celle-ci hait la reine. Dès lors elle trouve l’occasion de se venger en dévoilant l’adultère de Lancelot et Guenièvre et ainsi mettre fin à l’amour que se portent les deux amants. Morgain cherche vainement à s’emparer de l’anneau que Lancelot porte au doigt ; anneau qui est un gage d’amour que lui a remis la reine. Mais la fée n’entend pas abdiquer. Elle accepte de laisser Lancelot poursuivre son chemin lorsque celui-ci lui demande d’aller à la Douloureuse Tour où Gauvain 8 est prisonnier de Caradoc. Cette permission n’est pas sans condition, Lancelot doit faire le serment de revenir se constituer prisonnier aussitôt Gauvain libéré. Devant le refus de Lancelot de lui remettre l’anneau de la reine. Morgain veut lui faire avouer son amour pour Guenièvre. Pour parvenir à ses fins, elle lui impose la présence de la plus belle demoiselle de sa cour pour le guider sur le chemin de la Douloureuse Tour. La mission de celle-ci est de faire avouer à Lancelot son amour pour Guenièvre, sinon de le pousser à commettre un adultère en cour de chemin. Lancelot, qui doit aller au secours de Gauvain, accepte malgré lui la présence de la demoiselle à son côté. Elle fera tout son possible pour mettre son amour à l’épreuve sans toutefois y parvenir.
Lancelot tue Caradoc en duel, délivre Gauvain et respecte le serment fait à Morgain en revenant se constituer prisonnier. Il ne dit à personne où il va. Morgain qui veut absolument s’accaparer l’anneau de la reine que Lancelot porte au doigt s’aperçoit qu’il est semblable au sien. Après en avoir fait un faux, ressemblant à celui de la reine, elle fait l’échange lorsque Lancelot est endormi. Aussitôt Morgain se sert de cet anneau pour dénoncer l’infidélité de la reine. Elle dépêche une de ses demoiselles à la cour d’Arthur où elle dénonce publiquement l’adultère de la reine. La demoiselle remet à Guenièvre l’anneau que celle-ci avait donné à son bien aimé. Pour parachever son œuvre, Morgain donne à boire à Lancelot un filtre hallucinogène lui faisant croire à la trahison de la reine. Elle le libère à la condition de ne pas retourner à la cour d’Arthur et de ne voir aucun chevalier.
L’épisode de la charrette
Lancelot sombre dans la folie. Retrouvé dans la forêt par la Dame du Lac, il est soigné et guéri. C’est alors que Méléagant 9, arrive à Camelot pour rappeler la promesse que lui avait fait Lancelot de l’affronter en tournoi. Si ce dernier l’emportait Méléagant s’engageait à libérer les Bretons captifs en son royaume. Dans le cas contraire il emmènerait la reine prisonnière. Lancelot étant absent, le sénéchal Keu 10 relève le défi et se voit battu. Méléagant emmène Guenièvre.
Cet épisode met en scène la charrette, symbole dans l’oeuvre de Chrétien de Troyes de l’avilissement suprême. Lancés à la poursuite de Méléagant, Lancelot et Gauvain rencontrent un personnage conduisant une charrette. Ce dernier accepte de les conduire au château de Méléagant, à condition d’y monter. Gauvain refuse alors que Lancelot accepte, pour retrouver la reine, quitte à se déshonorer. Lancelot et Gauvain sont accueillis par le roi Baudemagu dans son château où Lancelot subit l’épreuve du lit périlleux. Vient ensuite la redoutable traversée du Pont de l’Épée. Il est guidé dans cette épreuve par une demoiselle à laquelle il fait une promesse de don. La demoiselle le conduit à une « maison de religion » pour y être hébergé. Lancelot est amené au cimetière pour soulever une dalle sous laquelle il découvre la tombe de Galaad.
Ci gist Galaad, li haus roi de Gales, le fiex Yoseph d’Arimacie. Cil Galaad avoit conquis Gales au tans qui li Graaux fu aportés en Bretaigne, et pour lui ot ele non Gales, et devant estoit apelee Oselyce 11.
Lancelot aperçoit par une fenêtre de la maison une grande flamme. À sa demande, un frère le conduit dans une cave où se trouve la tombe d’où s’échappe la flamme. Le frère lui dit que celui qui lèvera la pierre tombale s’assoira sur le « siège périlleux » de la Table Ronde, mettra fin à la « haute quête » et achèvera les aventures du Graal. Lancelot ne parvient pas à soulever la dalle. Une voix s’élève alorsJe ai non, fet il, Symeu [Siméon], et sui niés Joseph de Barimatie, celui qui le Graal aporta en la grant Bretaigne de terre de Promission
. Siméon lui révèle qu’il n’est pas digne de metre a fin les aventures du saint Graal
à cause de l’adultère dont il est souillé. Lancelot apprend alors que son vrai nom de baptême est Galaad 12.
Suit le long et périlleux passage du Pont de l’Épée. Pour délivrer la reine prisonnière de Méléagant au pays de Gorre 13. Lancelot doit traverser une eau noire et glacée sur une longue épée tranchante. C’est, arc-bouté sur son épée à laquelle il s’agrippe des pieds et des mains, qu’il avance. Par amour pour Guenièvre il se surpasse dans cette épreuve. Au terme de nombreuses péripéties, Lancelot, suite à un combat furieux, coupe la tête de Méléagant.
La naissance de Galaad
Lancelot est conduit par une demoiselle au château du Graal à Corbenic. Comme Gauvain qui a échoué avant lui, il subit les premières épreuves. Pellès 14, le Roi Pêcheur lui fait bon accueil. Il lui dit que le pays a été dévasté et que c’est par lui, Lancelot, ou par quelqu’un sortant de lui, que cette terre sera délivrée des aventures étranges dont il est victime. Or Pellès a une fille, Hélène, la plus belle pucelle de haut lignage. C’est elle qui porte le Graal lors des processions. Pellès a aussi à son service une fée du nom de Brisane qui n’ignore rien de l’amour que Lancelot porte à Guenièvre. Lancelot qui voit passer le Graal lors de la procession s’agenouille à son passage et remarque, ému, la très belle fille qui le porte. Mais le chevalier ne pose pas la moindre question au roi Pellès. Pour parvenir à rapprocher le chevalier de la fille du roi, Brisane utilise la ruse et la magie. Grâce à une potion, elle persuade Lancelot que Guenièvre se trouve dans un château proche de Corbenic. Le philtre d’amour bu par Lancelot lui fait croire qu’il passe la nuit avec Guenièvre alors qu’il est dans les bras d’Hélène, la porteuse du Graal. De cette union va naitre Galaad. Lancelot apprendra plus tard qu’il a un fils né de la fille du Roi Pêcheur.
La Quête du Saint Graal
La quête du Graal va amener les compagnons de la Table Ronde à abandonner les prouesses profanes pour suivre désormais la voie de l’ascèse spirituelle.
La Queste a recueilli quantité de thèmes du Lancelot, mais en les accommodant à sa manière. Avec habileté elle les éclaire d’une lumière nouvelle et cette faculté d’adaptation est une des originalités du roman. Les prouesses de chevalerie purement profanes, c’est-à-dire didactico-religieuses, suivies ou non de gloses de la part des ermites, sont rares [...]
Le roi Arthur se fait une grande joie de retrouver tous ses chevaliers réunis en son château de Camaalot, pour le festin de la Pentecôte. Tous les sièges autour de la Table Ronde vont être occupés, sauf un où aucun nom n’est inscrit. Cette place appelée le Siège Périlleux est celle que Merlin, alors conseiller du roi, avait autrefois réservé à celui qui doit achever les aventures du Graal. Ce Chevalier inconnu doit mettre fin au mortel enchantement du Graal qui s’étend sur la Bretagne. Il est attendu pour cette Pentecôte. Tous les chevaliers et les barons tiennent à être présents pour cet événement et cette attente inquiète Arthur.
Alors que tous les chevaliers allaient s’asseoir pour le repas, un valet annonce au roi la présence d’un gros bloc de marbre flottant sur l’eau près de la rive du fleuve. Tous accourent sur le lieu où ils découvrent fichée dans le marbre, une riche et belle épée. 15 Sur son pommeau en pierre précieuse il est écrit en lettres d’or que celui qui doit tirer l’épée de cette pierre pourra la porter à son côté ; et il sera le meilleur chevalier du monde. Le roi Arthur se tourne en premier vers Lancelot qui refuse, ne s’en jugeant pas digne. Gauvain et Perceval essaient de retirer l’épée sans y parvenir. Personne d’autre n’ose y mettre la main. Tous regagnent la salle où a lieu le somptueux festin.
Alors que le premier service est terminé, les portes et fenêtres du palais se ferment et apparait un vieillard en robe blanche tenant par la main un chevalier à l’armure vermeille, sans écu et sans épée. Le vieillard amène au roi celui qu’il attend, le descendant du roi David, celui par qui les merveilles de ce royaume et des terres étrangères seront terminées. Le vieillard recouvre la cotte du chevalier d’un manteau de drap de soie vermeil, fourré de blanche hermine et l’invite à prendre place sur le Siège Périlleux. Son nom apparait alors en lettres d’or sur le haut dossier : Galaad.
Tous sont en admiration devant celui qui doit mettre fin aux malheurs de la Bretagne. Le roi Arthur invite Galaad à retirer l’épée fichée dans le perron. Tous les barons suivent, et sont rejoints par la reine et ses demoiselles. Galaad saisit l’épée et la retire sans effort. Après l’avoir mise au fourreau, il la porte à sa ceinture. Puis le roi invite les chevaliers à une joute prodigieuse dans les prairies de Camaalot. Galaad vainc tous ses adversaires hormis Lancelot et Perceval qui n’ont pas jouté.
Les compagnons de la Table Ronde sont assis à leurs places pour le repas du soir lorsqu’un violent coup de tonnerre ébranle le palais. C’est alors que le Graal apparait de façon mystérieuse. Il est voilé de soie blanche, porté par des êtres invisibles. Aussitôt le palais s’emplit de tous les parfums du monde. Puis le Graal passe devant les convives pour les servir de leurs mets préférés et disparait.
Et Dieu même prit soin de le confirmer en faisant paraitre [...] le saint Graal au festin de la Table Ronde. Apparition merveilleuse, qui emplit les assistants de délices terrestres et de grâce divine, mais qui leur sembla trop brève. [...]
Gauvain prend à témoin l’assemblée, regrettant de ne pas avoir vu clairement le Graal ; il raconte que ce festin miraculeux n’existe qu’au château de Corbenic, d’après ce qui est dit. Il fait alors le vœu, sans plus attendre, d’entreprendre la Quête du Saint Graal, jurant de ne pas revenir à la cour sans avoir contemplé le Vase merveilleux. Tous les chevaliers se lèvent et font le même vœu. Avant leur départ les chevaliers jurent sur les reliques des saints de connaître la vérité du Graal avant de revenir à la cour d’Arthur. Le roi doit se rendre à l’évidence, beaucoup de ses chevaliers ne reviendront pas de cette quête.
L’approche du saint Graal : une quête spirituelle
Tous les chevaliers partent à la quête du saint Graal mais la plupart d’entre eux en sont vite écartés car ils sont élus selon leur mérite. L’éloignement de Dieu en font des chevaliers mondains c’est-à-dire qu’ils ne trouvent que des aventures terrestres qui les maintiennent loin de la quête du Graal, à l’exemple de Gauvain qui ne trouve aucune aventure le menant à la quête céleste du saint Graal. Des ermites et des abbés lui expliquent qu’il a perdu la grâce de Dieu et qu’il doit faire pénitence pour la retrouver, ce qu’il refuse de faire. D’autres, parmi lesquels Hector 16, Lionel 17 et nombre d’autres compagnons ne peuvent accéder à la quête célestielle. Lancelot est exclu de la découverte à cause de son amour illicite pour Guenièvre.
Seuls Bohort, Perceval et Galaad seront admis à accomplir, avec l’aide de la grâce, des aventures qui surclassent toutes les autres. Les hauts faits de ces chevaliers célestes largement rapportés dans le roman sont commentés dans le style des récits bibliques. Tous trois vont accéder aux saintes Reliques mais c’est Galaad qui sera l’élu de Dieu, admis à contempler de ses yeux les suprêmes merveilles du Saint Graal. Il mettra fin au Graal comme objet terrestre. Une main céleste l’emportera au ciel.
L’œuvre trace fermement la frontière entre les chevaliers du monde, faisant le jeu du diable tant qu’ils ne se convertissent pas, et des chevaliers humbles, justes et chastes, et même paradoxalement pacifiques, promis à la contemplation du Graal. [...]
Lancelot exclu de la quête
Lancelot dont le souhait ardent est d’entrevoir quelque chose du Saint Graal voit enfin ce jour arrivé. Vers minuit sa barque s’arrête au bas d’un escalier de pierre qui descend dans l’eau. Il gravit les marches et ouvre une porte derrière laquelle apparait la masse sombre d’un grand château. Lancelot passe la porte malgré la présence de deux lions. À la clarté de la lune, il franchit des poternes, des cours désertes, monte quelques marches, traverse des salles et arrive dans une grande salle sans avoir rencontré âme qui vive. Il se trouve enfin devant une porte qu’il ne peut pas ouvrir. De l’autre côté il perçoit des voix plus qu’humaines qui chantent des hymnes. Il se demande alors si ce mystérieux château, n’est pas celui du Saint Graal. Soudain la porte s’ouvre dans un flot de lumière qui éblouit Lancelot ; le palais tout entier en est illuminé. Alors qu’il s’élance pour voir d’où vient cette clarté prodigieuse, il entend une voix crier : « Lancelot, n’entre pas ! » Resté sur le seuil il voit au fond d’une vaste salle à travers des fumées d’encens, une table d’argent, sur laquelle est posée le Saint Graal couvert d’une soie verte ; tout autour, des anges paraissent accomplir une liturgie. À la vue de ce qui lui semble être un office, Lancelot veut intervenir pour aider le prêtre qu’il croit en difficulté et il entre dans la salle. Aussitôt un souffle brûlant lui ôte ses forces. Inerte, il sent des mains le saisir et le jeter à terre devant le seuil qu’il ne devait pas franchir. Les gens du château le trouvent là le lendemain et le couchent dans un lit. Lorsqu’il rouvre les yeux, il demande pourquoi on l’a réveillé si tôt. Comme on s’étonne de ces singulières paroles, il explique que son âme avait entrevu les mystères du Graal pendant que son corps était inerte. On lui apprend que son sommeil, semblable à la mort, avait duré vingt-quatre jours. Il comprend que c’est là le symbole et le châtiment de sa vie pécheresse qui a duré vingt-quatre ans. Il n’a contemplé les saintes merveilles du Graal qu’à travers les brumes du rêve. Lancelot ne continue pas la quête et se résigne donc à quitter Corbenic et à s’en retourner vers le royaume d’Arthur.
Le monde de la Queste est celui de l’évanescence et de la métamorphose [...] Si le merveilleux et l’étrange animent cette fantasmagorie, l’authentique fantastique y est l’exception. [...]
Perceval, Bohort et Galaad : élus du Graal
Galaad est un prédestiné à qui la grâce pleine et entière a été donnée, pour faire ce qu’il ne pourrait faire de lui-même, si elle ne le portait : de toute éternité il ne pouvait manquer l’aventure du Graal. Ni Bohort, ni Perceval ne sont marqués du même sceau et n’ont le titre d’élus, mais ils sont pourvus de la grâce qui nous remet en état de vouloir le bien. [...]
Perceval
Perceval apparait dans le roman à l’image du personnage décrit par Chrétien de Troyes : un être d’une candeur enfantine. Sa naïveté l’amène à prendre les conseils de manière trop littérale. Il ne voit pas les embûches que lui tend le démon. Heureusement qu’il trouve souvent quelqu’un pour le remettre en confiance car il se désespère sans mesure.
Lors d’une messe dans une abbaye, Perceval voit au bas des marches de l’autel un lit avec de riches soieries blanches sur lequel gît une forme humaine difficile à distinguer à cause des voiles blancs qui l’enveloppent. Au moment de l’élévation de l’hostie, Perceval voit le gisant se redresser sur son séant et découvre alors le visage d’un vieil homme qui porte une couronne d’or sur la tête. Quel n’est pas son étonnement quand il reçoit l’hostie avant de reprendre l’immobilité de la mort. Perceval apprend d’un moine que le vieillard est le roi Evalach venu d’Orient jusqu’en Bretagne pour secourir Joseph d’Arimathie, quatre cents ans auparavant. Il lui fut promis qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le Bon Chevalier. Depuis, sa seule nourriture est l’hostie que lui donne chaque jour le prêtre. Il ne reprend un semblant de vie que pour la recevoir. Le moine dit alors à Perceval qu’il n’est pas le Bon Chevalier (Galaad) attendu et le quitte sans autre salut.
Dans un autre épisode du roman, Perceval s’échoue seul sur une île déserte. Grimpé au sommet d’un rocher pour scruter la mer, il voit apparaître une nef qui vient accoster sur la rive. Il rejoint l’embarcation dans laquelle se trouve une femme d’une grande beauté, somptueusement vêtue. Elle lui dit qu’il va mourir de faim et de soif ou sous la dent des bêtes, si d’aventure il reste vivre sur cette île. Perceval n’ayant pas mangé depuis deux jours, elle lui propose de faire tendre le plus beau pavillon du monde pour s’y reposer et manger. Perceval accepte. Le pavillon est dressé sur la rive et un festin abondant et exquis leur est servi. On lui apporte du vin à boire. Il le trouve si bon qu’il en boit sans mesure. Sa tête s’échauffe. Il trouve la dame encore plus belle qu’à son arrivée. Perceval sent le désir s’emparer de lui et la prie d’amour. Elle refuse dans un premier temps, puis devant son empressement elle finit par consentir à condition qu’il promette d’être tout à elle, de ne faire que ce qu’elle lui demandera. Perceval promet tout. Des chambrières s’affairent à dévêtir la dame et à la coucher en un lit magnifique. Au moment où il va la rejoindre, Perceval aperçoit son épée à terre. Par habitude de combattant, il veut la placer près de lui contre le lit. La poignée est en forme de croix, et dans le pommeau sont de saintes reliques. La poignée vers le ciel, il élève devant ses yeux la loyale épée, et soudain le lit, le pavillon, tout s’écroule dans une fumée et une puanteur horribles. La mer soulevée en tempête emporte la nef qui chavire. La femme échevelée crie à Perceval que c’est un traître. Perceval comprend que toute cette scène était une machination du démon ; la promesse d’amour fidèle était un pacte avec Satan ! Il tire son épée et s’entaille la cuisse gauche d’une large blessure, par pénitence. Agenouillé vers l’orient, il implore le pardon divin. À l’aube du jour suivant, Perceval, à demi endormi, entend une voix qui lui dit qu’il est pardonné. À sa demande, il va au rivage et monte dans une jolie nef blanche aux voiles de soie. La brise gonfle la voile et la nef glisse sur la mer paisible.
Bohort
Bohort est un chevalier austère et pieux. Il sait résister au trouble des sens. La pureté de ses mœurs, la rectitude de sa dévotion sont des atouts pour ne jamais le détourner du chemin du Graal.
Dans sa quête, Bohort est durement mis à l’épreuve. Un sortilège amène son frère Lionel à vouloir le tuer. Meurtri, blessé, Bohort doit se lever pour se battre contre Lionel qui est armé, face à lui, prêt à en découdre. À cet instant, la foudre tombe entre eux, les jetant à terre. Quand ils reprennent connaissance, tous deux sont sains et saufs et se regardent longuement. Une voix du haut des cieux se fait alors entendre et dit à Bohort d’aller vers la mer, où Perceval l’attend. Il chevauche jusqu’au rivage de la mer où il trouve une jolie barque à la voile blanche dans laquelle il monte. Aussitôt la nef s’envole sur les flots et Bohort finit par s’endormir. Il fait grand jour quand il s’éveille. À l’autre bout de la nef, un chevalier le regarde en souriant : c’est Perceval.
Galaad
Adoubé par Lancelot, son père, Galaad est le héros de la quête. À son arrivée à la cour d’Arthur, il est présenté comme étant du haut lignage du Roi David. C’est le « Bon Chevalier » qui se voit remettre l’écu à la croix vermeil par un chevalier blanc qui symbolise la divinité. Il apprend que cet écu avait appartenu à Joseph d’Arimathie. La croix qui est dessus avait été tracée de son propre sang par Josephé, son fils. Galaad achève sans peine au gré du hasard toutes les aventures qui jusque-là avaient déconcerté les chevaliers de la Table Ronde. Il en est ainsi à l’abbaye où git le roi Evalach depuis quatre cents ans, à qui il fut promis qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu le « Bon Chevalier ». Dès qu’il voit Galaad, le vieux roi sent sa chair, morte de vieillesse, revenir à la vie. C’est dans ses bras que le vieux roi est guéri et trépasse presque au même instant.
Galaad libère les pucelles prisonnières d’un château maudit. Il en détruit les coutumes douloureuses qui y sont établies. Il intervient aussi promptement lorsque Perceval se trouve seul aux prises avec une troupe de plus de vingt cavaliers armés. Alors qu’il est perdu, Galaad fond sur eux. Aucun n’est touché par lui sans voler à terre
. Blessés, épouvantés, tous s’enfuient. Dès que Perceval est hors de danger, Galaad s’en retourne au plus épais de la forêt.
Durant cinq ans, Galaad parcourt en tous sens le royaume de Logres. Il punit les méchants, les violents, chasse les démons, fait crouler les enchantements : il est le « Rédempteur » et le « Juge ». Tous ceux qui souffraient, les malheureux, les maudits, pucelles prisonnières, veuves déshéritées, pécheurs qui expiaient quelque faute ancienne, à son approche sont délivrés, pardonnés ; tous le saluent avec la même révérence : « Seigneur, soyez le bienvenu ! Si longtemps nous vous avons attendu ! »
Galaad se voit adoubé une seconde fois par la sœur de Perceval, jeune fille chaste et vierge, ce qui en fait pleinement un chevalier céleste. C’est d’emblée un être habité par la grâce du Saint-Esprit.
La cérémonie du saint Graal
Les aventures de Galaad se terminent au château de Corbenic. Il y retrouve Perceval et Bohort. L’accueil du roi Pellès et des siens aux trois chevaliers est enthousiaste et festif.
L’« Épée brisée » qui doit être ressoudée est présentée aux chevaliers. Perceval et Bohort ne parviennent pas à en ajuster les deux morceaux. Le roi Pellès pleure de joie lorsqu’il voit son petit-fils Galaad ressouder les deux parties de telle sorte qu’aucune trace de brisure n’apparait dans l’acier. À l’heure des vêpres, le ciel s’obscurcit soudain, comme si une grande tempête allait éclater. Enfin une voix se fait entendre : Que ceux qui ne furent pas à la Quête du Saint Graal sortent d’ici !
Le son de cette voix emplit d’épouvante les cœurs les plus hardis. Les trois compagnons, restés seuls, voient à ce moment entrer dans la salle neuf chevaliers inconnus qui ont été guidés par le Saint Graal. Ils se joignent à eux : trois d’entre eux sont de Gaule, trois d’Irlande et trois de Danemark.
Pendant qu’ils parlent entre eux, ils voient sortir d’une chambre voisine un lit de bois porté par quatre jeunes filles, sur lequel gît un vieillard souffrant, coiffé d’une couronne d’or. On pourrait le prendre pour un cadavre s’il ne poussait par moments un long gémissement. C’est le Roi Méhaignié que les jeunes filles déposent au milieu de la salle. Le Roi Méhaignié dit à Galaad : Seigneur, soyez le bienvenu ! Depuis si longtemps je vous attendais, dans les douleurs et l’angoisse que vous pouvez voir !
Alors recommence la céleste cérémonie que Lancelot n’avait fait qu’entrevoir de loin. Sur la Table d’argent le saint Graal parait de nouveau, mais découvert et rayonnant d’un indicible éclat. Puis, du haut des cieux ouverts, on voit descendre quatre anges soutenant une chaire où un évêque est assis, la mitre en tête et la crosse en main. Sur sa mitre se lisent ces mots : Josephé, premier évêque des chrétiens.
Josephé se présente aux chevaliers de Dieu, il leur dit avoir servi le saint Vase lorsqu’il était une créature terrestre. Il continue à le servir maintenant qu’il est un être céleste. Josephé s’approche de la table et se prosterne, coudes et genoux à terre. Un long moment se passe lorsque le bruit d’une porte qu’on ouvre attire l’attention de tous. Apparaissent les anges qui ont porté Josephé. Deux d’entre eux tiennent des cierges qu’ils posent sur la table, le troisième une pale 18 de soie rouge qu’il pose près du saint Vase. Le quatrième ange porte une Lance qui saigne abondamment et dont les gouttes tombent dans un récipient qu’il tient de l’autre main ; il amène la Lance au-dessus du saint Vase de telle sorte que le sang y tombe.
Lors de la célébration de la messe, Josephé prend une hostie dans le saint Vase. Au moment de l’Élévation, l’hostie prend entre ses mains l’apparence d’un enfant ; puis elle revient à sa forme première et Josephé la remet dans le Vase. Il va ensuite embrasser Galaad et lui dit d’embrasser à son tour ses frères. Josephé les appelle Soldats de Jésus-Christ
pour les peines et les tourments endurés lors de la quête du saint Graal. Il les invite à s’asseoir à la table et leur dit vous serez rassasiés de la main de votre Sauveur.
Josephé disparait, laissant les chevaliers en grand émoi et en grande crainte. Du saint Graal sort un homme qui a les mains et les pieds sanglants, une plaie à la côte, et qui leur dit :
Mes chevaliers, mes soldats et mes fils, vous qui m’avez tant cherché que je ne puis plus me cacher de vous. Il convient que vous voyiez une partie de mes mystères et de mes secrets. Vous voilà assis à ma table, où nul homme ne mangea depuis l’époque de Joseph d’Arimathie, voici que le vase de votre nourriture est le Graal, celui-là même où je mangeais l’agneau pascal avec mes disciples ! Recevez et prenez donc la sainte nourriture que vous avez si longtemps désirée et pour laquelle vous avez tant souffert.
Il prend dans ses mains le saint Graal et leur donne son Sauveur qu’ils reçoivent avec joie, persuadés qu’on leur a mis dans la bouche l’hostie. Lorsqu’ils ont reçu la sainte nourriture, la divine Apparition explique à Galaad que l’écuelle est agréée et est appelée à juste titre le saint Graal. Il lui dit : tu ne l’as pas encore vu aussi distinctement que tu le verras. Et sais-tu où ce sera ? Dans la cité de Sarras, au Palais Spirituel.
Il ajoute qu’il doit quitter le royaume de Logres cette nuit et embarquer au matin dans la nef où il a pris l’« étrange baudrier ». Pour ne pas voyager seul, Galaad emmènera avec lui Perceval et Bohort. Puis Galaad reçoit l’ordre de guérir le Roi Pêcheur : il doit prendre du sang de la Lance et lui oindre les jambes, car c’est le seul remède qui le guérira. Après avoir donné sa bénédiction la divine Apparition monte vers le ciel. Galaad, ayant pris du sang qui coule de la Lance, en oint les jambes du Roi Méhaignié. Le vieillard se lève aussitôt, guéri du mal qui l’a si longtemps accablé. C’est aussi le cas des terres du royaume de Logres qui reviennent à la vie en même temps que lui. Les campagnes dévastées retrouvent subitement leur fécondité de jadis. Désormais ces temps sont achevés.
Galaad, Perceval et Bohort retrouvent la Nef avec le saint Graal couvert de soie vermeil. Soudain, le vent se lève, emportant la Nef vers la haute mer. Après une longue navigation, ils arrivent à Sarras. Au plus haut de la cité sainte se dresse un temple prodigieux fait de hautes tours, où nul vivant n’habite. Galaad accomplit un miracle en guérissant un infirme, ce qui attire les foules. Le roi du pays les fait arrêter et raconter leurs aventures. Ils ne sont pas crus et sont jugés comme étant trois enchanteurs et traîtres mauvais
. Les trois chevaliers sont jetés en prison. Le roi, soudain atteint d’un mal mystérieux, se languit de ne pouvoir ni guérir ni mourir. Au bout d’un an de souffrance et de faiblesse, le repentir lui vient. Il convoque Galaad, Perceval et Bohort et s’excuse de les avoir maltraités à tort. Ils lui pardonnent volontiers, et aussitôt le roi goûte l’apaisement de la mort. Ceux de la cité qui tenaient conseil ont alors l’idée d’élire pour roi le plus jeune des chevaliers, Galaad qui se retrouve couronné malgré lui. Galaad enrichit le Temple qui abrite le saint Graal d’une arche d’or et de pierres précieuses. Chaque jour, les trois chevaliers viennent y prier.
Un an après le couronnement de Galaad, tous trois voient une apparition en arrivant devant l’arche. Le bienheureux évêque Josephé est entouré d’anges en grand nombre. De nouveau l’office merveilleux se déroule avec ses pompes paradisiaques, célébré par un Esprit, servi par des Esprits
. Vient le moment le plus sacré. Josephé se tourne vers Galaad et lui dit : Bon chevalier, viens et tu connaîtras enfin ce que tu as tant désiré.
Il retire le voile qui recouvre le Graal. Galaad s’en approche et regarde à l’intérieur du Vase divin. Il se met aussitôt à trembler à la vue des choses spirituelles. Les mains tendues vers le ciel, il rend grâce au Seigneur d’avoir accompli son désir. Maintenant il voit clairement ce que langue ne pourrait décrire ni cœur concevoir.
Après que ses souhaits ont été exaucés, Galaad, en état de béatitude, demande au Seigneur de passer de cette vie terrestre à la vie céleste. Il reçoit l’hostie et va embrasser Perceval et Bohort puis il se prosterne devant le Graal et son âme quitte son corps. Aussitôt, ses deux compagnons voient une main descendre du ciel, prendre le saint Graal et la Lance et les emporter pour toujours.
Galaad est enseveli au « Palais spirituel », à la place même où il a expiré. Perceval se retire au désert et y vit en ermite quelques mois encore. Bohort reprend le chemin du royaume de Logres, passe la mer et arrive enfin à la cour d’Artus, où depuis longtemps on le croyait perdu.
La Mort du roi Arthur
La Mort du roi Arthur, Mort le Roi Artu (vers 1230), achève le cycle Lancelot-Graal. Ce roman d’un auteur inconnu termine la série de récits du Lancelot en prose, après le retour de quête du chevalier. Il raconte la destruction du monde arthurien.
[Galaad] disparu avec le Graal, le monde retombe dans le péché. […] Dès lors le temps des grands desseins est révolu, puisque « l’invention » du Graal y a mis un terme, mais le temps est venu d’aventures qui ne sont plus des « merveilles », comme on les appelait naguère, mais de rancœurs et de félonies. Des forces mauvaises, incarnées en Agravain, en Gauvain pour un temps, puis en Mordret, se conjuguent pour dégrader un bel édifice humain et le précipiter vers le pire. […]
Au début du roman, Lancelot et Guenièvre sont toujours aussi amoureux et ne peuvent cacher durablement leurs amours. Un jour, Agravain, le frère de Gauvain, surprend leurs relations et en fait part au roi mais celui-ci ne le croit pas. Se déroule alors une série de quiproquos qui vont amener Lancelot et Guenièvre à se croire mutuellement trompés, suite aux mauvaises interprétations rapportées par leur entourage.
Lancelot, malade suite à un violent coup que lui a porté malencontreusement Bohort lors d’un tournoi, ne peut prendre part à celui de Taneborc. Au retour d’un tournoi, Arthur et quelques chevaliers qui l’accompagnent s’égarent en forêt, ce qui les oblige à passer la nuit dans un superbe château. Le hasard veut que ce soit celui de Morgain (Morgane), la sœur d’Arthur. Pour elle, c’est l’occasion d’assouvir une vengeance vis-à-vis de Guenièvre et de Lancelot. Elle donne au roi la chambre où elle avait jadis retenu prisonnier Lancelot, celle-là même où ce dernier avait, pour passer l’ennui, peint le récit de ses amours avec Guenièvre. Le roi est alors convaincu de l’adultère. Le lendemain, Morgane pousse son frère à se venger de manière éclatante.
Lors du jugement, Arthur et sa cour condamnent Guenièvre au bûcher. Au moment de l’exécution, Lancelot, Bohort et Hector surviennent et libèrent la reine, tuant au passage les fils du roi Lot d’Orcanie, Agravain, Gueherret et Gaheriet, frères de Gauvain et demi-frères de Mordret. Seuls Mordret et deux autres chevaliers échappent au massacre. Lancelot et ses compagnons emmènent la reine en lieu sûr au château de la « Joyeuse Garde ». Désormais le roi et son conseil décident de mener une guerre sans merci contre Lancelot. Le château est assiégé durant plusieurs mois. Des mêlées terribles ont lieu. Le pape intervient et menace d’excommunier le roi et de mettre ses terres sous interdit s’il ne reprend pas son épouse. Arthur, toujours amoureux d’elle, cède à l’injonction du pape, ce qui met fin aux combats. De son côté, Guenièvre accepte de se séparer de Lancelot avec son accord. Mais les choses n’en restent pas là. Gauvain, devenu haineux contre Lancelot depuis la mort de ses frères, pousse Arthur à continuer la guerre.
Lancelot quitte le royaume de Logres pour revenir dans son pays de l’autre côté de la mer dans ses royaumes de Benoïc et de Gaunes, en Petite Bretagne. Arthur rassemble son armée pour aller assiéger la cité de Gaunes sur le continent. Il prend soin de confier la reine et tous ses trésors à Mordret, son fils naturel. Alors qu’elle fait ses adieux au roi, Guenièvre, inquiète de ce choix, a de sombres pressentiments. À Gaunes de violents combats ont lieu sous les murs de la cité. Entre temps, Mordret prend soin de s’attacher les hauts barons du royaume par ses largesses. Il s’éprend de la reine qui repousse ses avances. Mordret fait écrire une fausse lettre signée d’Arthur dans laquelle le roi dit être sur son lit de mort et demande à Guenièvre d’épouser Mordret pour qu’elle échappe à Lancelot, accusé de l’avoir blessé. Guenièvre refuse le mariage et s’enferme avec ses fidèles dans la tour de Londres.
Au bout de deux ans passés devant Gaunes, Arthur n’a toujours pas pris la cité. Pour en finir avec cette guerre, un combat singulier est alors décidé entre Gauvain et Lancelot. Ce dernier en sort vainqueur mais au dernier moment il renonce à tuer Gauvain, grièvement blessé à la tête.
C’est alors que les Romains attaquent la Bourgogne et déclarent la guerre à Arthur. Pour le roi, la guerre change de lieu et d’adversaire. C’est dans la région de Meaux qu’Arthur tue l’empereur romain. L’arrivée d’un messager de la reine lui apprend la trahison de Mordret. Arthur décide de reprendre la mer avec ses hommes pour l’île de Bretagne. Les blessures de Gauvain empirent. Il implore le pardon de Lancelot et du Christ avant de mourir dès son arrivée sur l’île.
Mordret quitte la ville, sachant qu’il va affronter le roi. Il emmène avec lui une troupe considérable de guerriers reconnaissants de ses largesses. Dans un rêve, Arthur se voit confessé par un archevêque qui lui conseille de faire appel à Lancelot. La bataille contre Mordret se déroule sur la plaine de Salisbury.
Fort de son alliance avec les Saxons, les Irlandais, les Écossais et les Gallois, Mordret se défend bien. Ses troupes tuent pratiquement tous les chevaliers de la Table Ronde. Mais, en dépit de ce massacre sans précédent, Arthur a le dernier mot, tuant son rival en combat singulier. Il n’en reçoit pas moins de lui un coup d’épée à la tête [...]
Il ne reste plus que deux chevaliers rescapés : Lucan le Bouteiller et Girflet. Ce dernier accompagne Arthur jusqu’à la mer. Le roi tire son épée Excalibur du fourreau, lui adresse des paroles d’adieu et de regret et ordonne à Girflet (Girflet est le fils de Do de Carduel, cousin de Lucan) d’aller la jeter dans un lac un peu plus loin. À l’instant où celui-ci jette l’épée,
[...] il voit une main sortir du lac, prendre Escalibor par la garde, la brandir à plusieurs reprises, puis disparaitre.
Le royaume de Logres est pris par les fils de Mordret. Guenièvre entre en religion dans une abbaye. À la nouvelle des évènements, Lancelot rassemble une armée pour venger le roi. Il passe la mer avec Bohort, Lionel et Hector et apprend la mort de Guenièvre juste avant la bataille. Lionel est tué mais les fils de Mordret sont mis en déroute. Lancelot décide de vivre en ermite, puis est rejoint par Hector. Sentant sa mort prochaine, il demande à être enterré auprès de Galehaut au château de la « Joyeuse Garde ».
Le Lancelot-Graal met ainsi fin au monde arthurien légué au 12e siècle par Geoffroy de Monmouth, Wace et Chrétien de Troyes.