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1928-2016

Maleuvre, Célestine

Les derniers charbonniers de Paimpont

Le témoignage de Célestine Maleuvre, charbonnière en forêt de Paimpont.

Éléments biographiques

Célestine Guégan est née le 26 août 1928 à Lanvaudan (Morbihan). Ses parents, charbonniers, sont apparentés aux frères Guégan 1. Sa famille quitte le Morbihan quelques mois après sa naissance, pour Paimpont où son père a trouvé du travail.

Elle se marie avec Lucien Maleuvre - né le 6 mars 1908 à La Poterie (Morbihan) - avec lequel elle à trois enfants :

  • Jean-Claude
  • Cécile
  • Joël (1949 - )

Comme son père, ses deux sœurs et son mari, Célestine est employée à la fabrication du charbon de bois en forêt de Paimpont de 1938 au milieu des années cinquante 2.

Son témoignage est enregistré le 5 mars 2003 à son domicile situé à « La Boulais » à Telhouët en Paimpont. Ce collectage, réalisé par Maryline Millet et Laurent Goolaerts, parait en 2007 dans un ouvrage consacré aux derniers charbonniers de Paimpont.—  GLAIS, Pascal, GOOLAERTS, Laurent et CHENU, Frédéric, Charbonniers de Brocéliande : L’art de la fouée, Amis de la Bibliothèque de Paimpont, 2007, 86 p., Voir en ligne. —

Elle décède le 1er avril 2016 à l’âge de 88 ans à Paimpont.

Témoignage de Célestine Maleuvre

— Où êtes-vous née ? D’où votre famille est-elle originaire ?

Je suis née en 1928, à Lanvaudan dans le Morbihan.
Mon père à toujours été charbonnier, c’était un cousin des frères Guégan. On vivait en forêt, d’une baraque à l’autre.
Ma mère vivait à Lanvaudan, elle ne voulait pas rester en forêt, elle était toujours malade. Ma grand-mère tenait un café à Lanvaudan.
Je suis venue à trois mois à Paimpont.
J’avais trois sœurs, mais seule l’aînée est née en forêt de Paimpont.
J’avais 10 ans quand ma mère est décédée. À ce moment, mes sœurs sont venues avec moi travailler en forêt le charbon de bois. Mais une de mes sœurs voulait partir.

— Êtes-vous allée à l’école ?

Qu’est-ce que j’ai fait à l’école, rien du tout. Fallait travailler en ce temps là.

On avait loin. En haute forêt, à travers le bois, par la grotte. J’allais chez les parents à Kaël [Judicaël] Lefeuvre. J’allais chercher tous les matins, parce que Marie et Gervais, on était du même âge. Le matin, mon père partait à trois heures vers les fouées de charbon. Je me préparais. Y venait m’amener jusqu’à haute forêt. Eh ben, j’arrivais y étaient pas levés. J’allumais le feu. J’avais sept-huit ans.

On n’allait pas si souvent que ça à l’école. A 11 ans, l’instituteur me dit : « Tu ferais mieux de rester à aider ton père que de venir ». Ah bon sang, le lendemain, terminé, plus d’école. Après y disait : « c’est malheureux, elle aurait eu son certificat ». Non, non, j’aimais pas ça l’école.

— Quand avez-vous commencé à travailler ?

J’ai commencé vers 9-10 ans avec mon père à rouler le bois, monter les fouées. Il m’a transmis ses secrets. Lorsque j’avais 15 ans, mon père s’est cassé une jambe, il est allé à l’hôpital. Je suis resté toute seule à m’occuper des fouées.

Quand on était à Comper, y avait un espèce de moulin, y avait un meunier. On mettait du charbon et y m’emmenait voir mon père à l’hôpital. J’amenais sur mon dos un sac. C’était volé au patron… (rires). Et pis y m’emmenait le voir. Çà marchait pas si vite, mais ça roulait bien quand même dans le camion.

— Comment étiez-vous payés ? Qui était votre patron ?

Notre patron était Eugène Berson de Concoret. Il était marchand de charbon. Il disait que mon père était le meilleur charbonnier de Paimpont. Il nous payait à la corde de bois. Il achetait le bois coupé au propriétaire. Une coupe toute entière. D’autres charbonniers étaient payés à la tonne de charbon de bois. Ça dépendait des patrons. Je me souviens, j’allais avec mon petit papier compter les cordes de bois qu’on avait sur la parcelle.

— Où avez-vous travaillé ?

J’ai travaillé sur toute la commune de Paimpont. Beauvais on a fait pas mal, Telhouët, le Pas du Houx, Haute forêt, Comper, Tréhorenteuc. Le Val Sans Retour, c’est là qu’on a eu le plus de mal, dans les buttes, fallait balancer des morceaux de bois deux, trois fois, avant d’arriver à la fouée. Là on a eu du mal.

Des fois on restait six mois sur une coupe, ça dépendait comment la coupe était grande, combien de bois y avait à faire, de charbon à brûler.

— En quoi consistait le travail ? Quelles étaient les différentes étapes ?

Mon père faisait trois sortes de charbon. Du gros, du mi-gros et du petit. Le gros fallait pas monter sur la fouée, on était obligé de le mettre en sac, à la main. Parfois il était menu-menu, parce qu’il était brûlé trop vite.

Parfois on faisait des petites fouées. J’ai vu faire des vingt-cinq cordes, c’était beau. On savait à peu près combien ça faisait de charbon de bois pour tant de cordes. Mais ça dépendait du temps. On avait des hayons qu’on mettait pour le vent. Combien de fois j’ai dormi sous les hayons dans les sacs à charbon. Parfois, la pluie imbibait les mottes de terres et ça prenait feu plus vite.
On a toujours fait ça, toujours…

Y avait du travail toute l’année dans ces moments là, y avait du travail tout le temps.

Les emplacements des fouées on les trouvait facile, ça avait déjà été brûlé avant et on trouvait encore du charbon. Le charbon ça pourrit pas.

C’était dur physiquement. Il fallait aller chercher de l’eau, des seaux d’eau, loin, loin, pour éteindre le feu dans le charbon. Parfois ça prenait quand il était sorti, dans le sac.

— Quels étaient les rapports avec le patron ?

Le patron de Concoret avait son charretier avec des chevaux qui venait chercher le charbon de bois. Combien de fois j’en ai chargé, j’étais toute comme ça, mais bon sang, j’étais costaud. Je chargeais des sacs de cinquante, soixante kilos de charbon dans la charrette. Des fois j’avais du mal à les mettre.

Le patron venait voir si la nuit mon père surveillait bien les fouées. Oh la la, il l’aurait pas laissée sa fouée… C’était sacré pour lui son métier. Même moi à Comper, toutes les trois heures je me levais pour voir les fouées la nuit. On avait pas de réveil, j’ai jamais bien dormi de toute façon, jamais bien de ma vie. Fallait que je me lève, que je suive mon père partout.

Des fois y prenait sa petite cuite lui aussi. On allait chercher de l’argent, des acomptes jusqu’à Concoret à pied. Dans la neige j’ai vu. Y tombait ! C’est parce qu’il en prenait des cuites des fois. J’étais debout – Eh lève toi ! Lève-toi ! Y avait de la neige, j’avais froid. Pas moyen, fallait l’attendre. Eh ben le patron était arrivé dans la forêt pour voir si il la surveillait bien la fouée.

— Quels étaient vos outils ?

On faisait faire nos outils. On roulait le bois en brouette jusqu’à la fouée.
On n’avait pas de scie, pas de hache, pas besoin de ça, le bois était déjà coupé.
Y faisait quatre-vingt-trois en ce temps là.

— Les femmes travaillaient-elles ?

Les femmes s’occupaient quand même de certaines tâches, moi je faisais tout, du commencement jusqu’à la fin.

— Comment cela s’est-il passé pendant la guerre ?

Pendant la guerre, mon père a été mobilisé. Les Allemands l’avaient réquisitionné pour travailler. Il faisait du charbon de bois pour le gazogène.

Moi et mes sœurs on est restées en forêt. Eugène Berson de Concoret nous a placées dans des fermes. La plus jeune de mes sœurs s’était cassé le bras, elle était à l’hôpital. On était menées comme des chiens ! À la tâche ! Je suis partie de Saint-Malon, en chaussons, à minuit jusqu’à Beauvais dans la baraque de mon père. Elle tournait autour de la table la bonne femme – Penses-tu, tu vas pas m’avoir plus longtemps ! C’était honteux. J’étais haute comme deux pommes. Fallait ramasser des betteraves. Elle me donnait un bout de pain à midi et hop au champ. On y est pas restées longtemps, trop habituées à la forêt.
J’aimais ça la forêt.

Renouard était venu m’aider pendant la guerre. Il avait peur que je ne sache pas faire le boulot. On choisissait sa fouée. Je l’avais fait après lui, parce qu’il trouvait que je ne le faisais pas bien, j’avais recommencé.
C’est Berson qui a fait revenir mon père.

— Et les fours à braisettes ?

Pendant la guerre y avait des marmites et des fours à braisettes. Philippe Guégan a fait ça.

Lemel il a fait du charbon de bois au four sûrement, vu que je l’ai jamais vu faire du charbon de bois. On dit qu’il avait fait ça pendant la guerre, mais moi j’habitais pas ici.

Au four c’est pas pareil. C’est pas le même charbon de toutes façons, c’était plus petit. C’était fait avec des fagots qu’y brûlaient, du petit bois.
Pendant la guerre y faisaient ça camouflés, en cachette.

— Quels était les rapports entre charbonniers ? Avec les sabotiers ? Bûcherons ? Gardes forestiers ?

Les bûcherons vivaient en forêt. Y avaient des cabanes comme nous, avec leurs familles.

Les Cojou, y ont fait le charbon, y ont fait les deux.

J’avais neuf ans, je faisais de la galette sur le couvert de marmite, sur le charbon de bois. Tous les deux jours c’était la corvée de galette, fallait en faire. Y venaient manger, on s’entendait bien avec eux. Chacun payait sa farine, fallait bien, en ce temps là, y avait pas grand sous.

Les gardes forestiers passaient de temps en temps. On n’avait rien à faire avec eux.
Y avait Bossard qui faisait les cages et les balais.

— Quand avez-vous arrêté ?

Nous on a arrêté, on était au Pas du Houx dans ce temps là. Y a eu le feu. Ça brûlait, oui. Et pis mon père est tombé malade. J’étais mariée y avait pas longtemps. J’étais enceinte du premier gosse, je m’en rappelle, et ben j’ai arrêté à ce moment là.

Mais y en avait encore qui faisaient. Renouard et pis Roger Guégan qui brûlaient encore sur Trudeau.

— Qu’avez-vous fait après ?

On a bûché après, plusieurs années avec mon mari. Il l’abattait le bois, je le sciais et le rangeais. Trois cordes de bois et une stère par jour, cordé et tout, fallait le faire ! Y avait pas beaucoup d’hommes capables de le faire. Mais j’avais une scie qui coupait aussi. C’était un bûcheron qui l’aiguisait. Des fois elle avait pas de chemin, on appelait ça du chemin.

On a fait les fermes aussi. À la tâche. Un jour ici, un jour là.

— Où habitiez-vous ?

On appelait ça une baraque. Des fois on la faisait en terre, on mettait du papier journal, on utilisait des tôles. On voyait des vipères en haut. Saleté !

Fallait déménager la baraque et tout. On était habitués, et hop, fallait repartir de l’autre côté. Fallait que tout était fait le soir. On défaisait celle qu’on était dedans et on la refaisait. L’autre, elle tombait à la longue. Le charretier à monsieur Berson venait nous aider avec sa charrette ou même les bûcherons d’à côté. Fallait partir de bonne heure…

Si c’était pas trop fini fallait dormir quand même.
On la faisait le plus près possible qu’y avait des cordes de bois pour surveiller les fouées.

— Aviez-vous des meubles ?

Pour faire un lit, y avait deux bouts de bois à chaque bout et puis des branches de fagots dessous, de l’herbe séchée dessus et c’était tout. C’était ça le lit. C’était pas les matelas et les sommiers de maintenant.

On faisait avec des bouts de bois des chaises et des bancs, avec des planches, des tables. C’est tout ce qu’on avait.

Le ménage était vite fait. Un coup de balai et voilà.

On avait de grandes malles avec nos affaires dedans et un garde-manger pour notre pain.

— Où trouviez-vous l’eau ?

Et l’eau... Pour trouver de l’eau, si je vous dirais qu’on ramassait de l’eau des ornières de la charrette avec une louche. On la mettait à bouillir pour faire de la soupe.

Fallait que mon père trouvait la source avec sa montre. Il la faisait tourner. Ben quand y trouvait une source, on creusait un trou et on avait de l’eau. Des fois on avait loin à chercher. Fallait faire des trous, laver.

— Aviez-vous des animaux domestiques ?

On avait des lapins. Une chèvre. Quand y eut la guerre, la pauvre a tourné folle. On avait du lait. Trois litres de lait par jour qu’elle donnait la pauvre petite bête. Elle avait failli se faire tuer à Comper, à cause du bombardement de Point-Clos. Une bombe est tombée juste à côté.

On avait un chien, des chats des fois. On aimait bien les bêtes. Costaud, y mettait ses deux pattes sur la porte. Jamais y rentrait.

Les chevreuils venaient toujours auprès de la cabane. On voyait ça le matin quand on se levait. En ces temps là y avait plus de neige que maintenant.

— Que mangiez-vous ?

Les charbonniers avaient pas grand chose à manger. Y étaient durs avec nous.
Mon père question de ça, il achetait bien trop de viande. On avait de la viande à manger, ça c’est sûr. Il achetait à Tréhorenteuc, à Paimpont, ça dépend, fallait aller à pied au village.

— Chassiez-vous ?

On avait pas le droit d’aller à la chasse. J’ai mis un piège une fois, j’ai pris un renard et j’ai jamais recommencé. J’aurais aimé aller à la chasse.
Y en a beaucoup qui le faisaient. Mon père, jamais. Y avait plein de lapins, par Rauco et tout ça.
Le patron quand y nous a embauchés, il a dit, défense de braconner.

— Ramassiez-vous des champignons, des plantes ?

On ramassait des cèpes, des têtes de nègres. On connaissait pas les girolles, on connaissait rien en ce temps là.

On mangeait des myrtilles, des mûres, comme ça. Des châtaigniers on en trouvait.

— Et la boisson ?

Le cidre fallait aller le chercher au bourg. J’en ai fait des corvées de cidre.

— Quand quelqu’un était malade, comment le soignait-on ?

On voyait jamais le docteur. Un chien m’avait mordu une fois à la cuisse. Y avait où mettre le poing. La femme à Kaël Lefeuvre, une livre de sucre dans le trou qu’elle avait mis et tous les jours elle venait faire le pansement. Deux mois sur le lit, jamais chez le docteur. Ça m’étonne que je sois pas morte. J’aurais pu avoir la gangrène en plein mois d’août.

Oh les tiques, et les puces, à Rauco. Là bas, une fois, je chauffais de l’eau dans la lessiveuse et j’en jetais partout dans la cabane. Du coup, je me couchais pas de la nuit, incroyable.

La fumée c’est bon pour les bronches, la fumée de charbon. Fallait faire le tour sept fois autour de la fouée dans la fumée et ça allait mieux après.
Mon oncle qui habitait à Rennes, il amenait ses filles comme ça faire un tour autour de la fouée.
Le charbon c’est très sain.

— Comment passiez-vous l’hiver ?

Une année on a brûlé une fouée de charbon. Le feu était dans le milieu de la cabane. On avait pas de cheminée, ça fume pas le charbon de bois, mais ça chauffait. On avait jamais froid.

Fallait bien faire le charbon de bois sous la neige, en sabots. Pas de chaussettes, pas de chaussons, pas rien dans les pieds. On avait pas chaud aux pieds. Mais sur la fin j’étais plus maligne. Je piquais des sacs vides qu’y nous donnait pour mettre le charbon et je m’était mise à faire des chaussons pour les sabots. Jusqu’à minuit on faisait des chaussons. Comme ça on était bien.

— Aviez-vous des loisirs ?

On n’avait pas de jeux, fallait travailler, c’est tout.
Des trompettes, des machins qu’on faisait des fois, mais pas souvent. Ça faisait de la musique. On n’avait pas le temps.
Des fois on se réunissait avec les bûcherons, y habitaient pas loin.
On avait bien des communions, des petites fêtes de famille qu’on faisait en forêt. On trouvait des combines pour monter le banquet.

A seize ans, le dimanche fallait travailler jusqu’à midi avec mon père si je voulais sortir l’après midi. Si je voulais aller au bal.
J’aimais aller au bal à Tréhorenteuc. Je revenais à trois heures du matin. Fallait se rhabiller et aller à la fouée, pas le droit de se recoucher. Le travail c’est la santé.

On allait tous les dimanches à la messe. Ma mère était très croyante. Mais ça dépendait des familles. Fallait aller aux vêpres, cirer les chaussures.


Bibliographie

GLAIS, Pascal, GOOLAERTS, Laurent et CHENU, Frédéric, Charbonniers de Brocéliande : L’art de la fouée, Amis de la Bibliothèque de Paimpont, 2007, 86 p., Voir en ligne.


↑ 1 • Son père est-il Jean Guégan, né en 1900, charbonnier originaire de Lanvaudan recensé à Paimpont en 1936 et peut-être en 1946 sous le nom de Jean-Marie Guégan ?

↑ 2 • Un Jean-Marie Maleuvre, né le 20-09-1905, est mentionné en tant que charbonnier sur le recensement de Paimpont de 1954.