1957-1976
La Station biologique de Paimpont
Aux origines de la station
Dès les années 1950, l’Université s’invite sur le massif forestier de Paimpont. Elle s’institue sous la forme d’un équipement moderne qui voit le jour en 1967 au lieudit « Beauvais ». Il est conçu dès l’origine comme un outil pédagogique de première importance qui permet aux étudiants en biologie d’observer les plantes et animaux en milieu naturel. Parmi les programmes de recherche qui y sont développés, certains concernent la gestion de la forêt et des landes. Ils contribuent à impliquer l’Université dans la vie de la forêt de Paimpont.
1957-1959 — L’Université de Rennes achète des terrains communaux à Paimpont
Dès 1957, l’Université de Rennes prend contact avec la commune de Paimpont, en vue de l’implantation d’un laboratoire sur le site de « Beauvais », à 45 km à l’ouest de Rennes.
Monsieur le Maire informe le Conseil municipal qu’il a reçu la visite de deux professeurs de l’Université de Rennes 1. L’Université voudrait créer à Paimpont un laboratoire de recherche pour la faculté des sciences et de ce fait elle voudrait faire l’acquisition d’un terrain communal. Après délibération, le Conseil municipal considérant que ce projet est d’un intérêt certain pour la commune, se déclare favorable à vendre un terrain communal pouvant convenir pour cette création et donne tous pouvoirs à Monsieur le Maire pour poursuivre cette affaire.
[...] le terrain de Beauvais, inculte, ne sert à rien mais intéresse la Faculté des sciences de Rennes qui voudrait créer une station biologique. Le Conseil municipal accepte de vendre le terrain communal dit la Cadetterie, d’une superficie d’environ 6,5 ha moyennant un prix de 50 000 francs l’hectare [...] moyennant les droits de passage.
La vente est conclue le 28 février 1959, pour une superficie de 5,77 ha.
Le projet de construction d’une station biologique à cet endroit repose sur l’initiative de Gaston Richard 2, professeur d’éthologie à la Faculté des sciences de Rennes, qui explique, dans une interview télévisée de 1973, que cette station répond à une nécessité d’ouverture des naturalistes vers la véritable nature
.
Gaston Richard rappelle qu’autrefois, avant que cette station ne s’ouvre, les étudiants naturalistes rennais allaient sur le terrain une journée en excursion sur le littoral ou en forêt, et rapportaient du matériel au laboratoire pour l’étudier mais qu’il s’agissait de matériel mort et que l’intérêt d’une station de terrain, c’est de voir le matériel en place dans ses réactions vivantes.
[...] Il est vrai que l’on peut former des naturalistes en laboratoire, on peut les former en leur montrant des animaux, en leur montrant des plantes, en leur expliquant un certain nombre d’interrelations mais si on n’est pas dans la nature réelle, on ne fait qu’une formation très théorique et jamais complexe comme elle doit être lorsque l’on voit les problèmes sur le terrain. Cette station a été justement conçue pour ouvrir les étudiants aux problèmes réels du terrain. [...] Le cours magistral, dans lequel l’enseignant est tout seul devant un amphithéâtre de 50, 100, 200, 500 étudiants est un petit peu une hérésie pour un naturaliste de terrain alors qu’ici nous avons essayé [...] d’impliquer un enseignement de groupe dans lequel les enseignants eux-mêmes acceptent de confronter leurs opinions devant les étudiants.
Pourquoi avoir choisi le massif de Paimpont, la plus grande forêt de Bretagne, pour implanter une telle station ?
[...] la région de Paimpont avec ses nombreux étangs, ses ruisseaux, ses landes, sa forêt, constitue un terrain de prédilection pour les biologistes que nous sommes, et ce d’autant plus que le relief accusé de cette région, sa topographie particulière, son climat, font du massif de Paimpont une zone carrefour tant du point de vue climatique que botanique ou zoologique, en clair, que l’on peut y trouver davantage d’espèces de plantes et d’animaux que dans les régions avoisinantes.
Une telle diversité de milieux, associant bois, prairies, landes, étangs, rivières, zones cultivées offrait en effet les conditions idéales pour l’enseignement de la biologie de terrain et pour des recherches en écologie.
1958-1966 — Des étudiants sur les landes de Beauvais
Le site de « Beauvais », sur la façade ouest du massif de Paimpont, près de la route Paimpont-Campénéac, est un espace au relief accidenté, composé de quelques parcelles couvertes partiellement de landes. À partir de la fin des années cinquante et jusqu’en 1967, il est occupé par des étudiants de la Faculté des sciences de Rennes qui viennent y camper pour faire des stages de terrain pendant l’été et les vacances universitaires 3.
Les parcelles concernées sont des terrains communaux ou privés 4.

Au cours de l’été 1958, des étudiants volontaires investissent le premier baraquement construit sur le site 5 qui permet l’accueil de stagiaires pendant plusieurs années. Les premiers inventaires faunistiques et floristiques sont ainsi réalisés sans interruption jusqu’à la création des bâtiments actuels.

Au centre : Jean-Yves Gautier, alors assistant

— Emplacement de la future station biologique
Richard nous a réunis au cours du premier semestre cinquante-huit pour nous parler d’écologie et nous informer que nous allions rester par groupe de deux sur le terrain dès la fin du mois de juin pour six semaines pour recenser la faune et la flore et faire des prélèvements sur deux étangs [...] Il venait nous voir tous les trois ou quatre jours.[...] La mission qu’il nous avait confiée consistait également à établir de bonnes relations avec les habitants du coin.
La première fois que je suis arrivé en tant qu’étudiant en 1958, on était sous la tente avec mon binôme Jean-Claude Massé, on restait quinze jours. On faisait des inventaires… On allait à travers la forêt chercher du lait dans les fermes.
L’activité de ces jeunes n’est pas sans intriguer la population locale.
Pour les gens du pays on faisait de la physique. Les premières années les gens nous apportaient de temps en temps des chenilles de papillons pour nous demander ce que c’était, ou alors il y avait un nid de frelons. Il fallait qu’on aille le détruire.

Je suis allé comme étudiant à la "pré-station" en Juillet 1961, puis à Noël de la même année (André Horel et Leguelte nous encadrant), enfin en Juillet 1962 (J.C. Guyomarc’h encadrant). La baraque existait toujours à cette époque... Il y avait deux barnums, un pour les filles, l’autre pour les garçons, qui étaient montés sur le terre-plein entre la cabane et la route. Il n’y avait pas d’accès direct à celle-ci, comme actuellement. Il fallait remonter jusqu’à l’embranchement, à l’est. Pas d’eau courante donc toilette de chat. Deux bidons de 20 l dans une carriole aux roues souvent crevées accrochée derrière un vélo de récup. devaient être remplis à une pompe située près du « troquet de la mère Gillet ». […] Donc le problème de l’eau a toujours été prégnant et les volontaires de corvée étaient rares. L’essentiel de l’eau passait dans la cuisine, en particulier dans une immense casserole où se prélassaient nouilles diverses et patates. Le sol de la cuisine était en terre battue et passablement bosselé. […]
[Description du local] La petite chambre, qui avait un vrai plancher, un luxe, était réservée aux enseignants, les étudiants couchant sous la tente. L’autre pièce était le "laboratoire" et salle d’enseignement. L’unique déco était une carte du camp de Coëtquidan […] mais il y avait aussi, sur des étagères bancales, de nombreux flacons riches des invertébrés récoltés avec assiduité sur les berges de l’étang, conséquence de notre enthousiasme juvénile et de notre curiosité sans faille. […]Nous avions l’impression d’appartenir à une élite, à des élus qui engrangeaient, alors que leurs malheureux collègues restés à Rennes, incultes donc des choses de la nature qui nous étaient alors révélées, au sens mystique du terme, ne pouvaient imaginer la distance qui nous éloignait d’eux. En fait, formation de luxe, quasiment des cours particuliers. Encore une fois, autre temps...
L’abbé Gillard se trouve, à cette époque, parmi les curieux les plus hardis. Il est surtout intrigué par les lampes à spectre UV qui toutes les nuits de l’été cinquante-huit sont allumées pour attirer les insectes que les étudiants doivent répertorier. — SIEURAC Jean-François - op. cit. — Il voit cette agitation d’un bon œil. Certains étudiants sont subjugués par le personnage, d’autres sont insensibles aux mythes de Brocéliande qu’il raconte dans son église de Tréhorenteuc.
Ainsi prend forme l’utilisation d’un site à partir duquel se formalise progressivement un programme pédagogique. Gaston Richard, en défendant l’idée de permettre aux étudiants en biologie de se confronter à la nature dans ce qu’elle a de concret, justifie en quelque sorte, dès 1957, la nécessité d’un projet d’implantation en forêt de Brocéliande d’un bâtiment universitaire destiné à l’enseignement et à la recherche apte à développer cette approche pédagogique in situ.
L’acquisition en 1962 d’une prairie expérimentale et de deux étangs, celui du Châtenay et celui dit « d’En-haut », pour une superficie de 5,56 ha, enrichit en forêt de Paimpont le patrimoine foncier de la Faculté des sciences de Rennes, en Bretagne 6. À cette époque, le Conseil municipal de Paimpont prend une délibération qui inscrit la Station biologique au programme 1961-1963 d’alimentation en eau pour une somme de 540 000 Francs, ce qui permettra simultanément l’alimentation en eau du village de Beauvais. — EALET, Jacky et LARCHER, Guy, Paimpont en Brocéliande, Beignon, Les oiseaux de papier, 2015. [pp. 383-384] — 7
Avec les acquisitions de parcelles de 1973 et de 1985, la superficie totale actuelle du domaine universitaire de la Station est de 16,8 hectares.
1965 — Construction de la station biologique de Paimpont
La construction d’un ensemble architectural d’une certaine audace, qui tranche avec le style des habitations environnantes, commence en 1965 pour s’achever en juin 1967. Toutefois, les plans d’ensemble de l’ouvrage portent la date du 20 février 1960. Cet ensemble de 3 500 m² de surfaces bâties regroupe laboratoires de recherche, salles de réunion, locaux administratifs, lieux d’hébergement et de restauration. C’est à Jean-Claude Lefeuvre 8, alors maitre de conférences, que la Faculté des sciences de Rennes confie le suivi des travaux dirigés par l’architecte Louis Arretche 9. — ARRETCHE, Louis, « Station biologique de Paimpont », L’Architecture française, Vol. 275-276, 1965. —
1967 — Ouverture de la station
L’ouverture des locaux coïncide avec l’application d’un arrêté ministériel paru quelques années plus tôt. Celui-ci fait obligation à tout étudiant en sciences naturelles qui se destine à l’enseignement de faire au moins un stage dans une « station de terrain » pendant son cursus universitaire. Quand la station biologique de Paimpont ouvre ses portes en 1967, l’Éducation Nationale vient d’intégrer l’écologie en tant que discipline scientifique enseignée dans le secondaire. Conjointement, des préoccupations environnementales se font jour à travers les médias et couronnant le tout, 1970 est décrétée « année de la protection de la nature ».
Ces quelques points montrent parmi d’autres l’opportunité de la création de cet équipement atypique dans la forêt de Paimpont et soulignent le caractère visionnaire du projet défendu par Gaston Richard.
L’équipement est en place dès la rentrée universitaire de 1967. Le personnel de service, peu nombreux, est recruté dans les environs immédiats.
L’année 1969 voit l’arrivée de l’équipe de primatologie d’Annie et Jean-Pierre Gautier, chercheurs au CNRS 10 et de leur élevage de singes du Gabon pour mener des études comportementales.
La station connaît rapidement une audience nationale et internationale. Entre 1967 et 1970, soit sur trois années et demi de fonctionnement, la station de Paimpont accueille 1 307 étudiants pour un total de 7 700 journées-étudiants. Ceux qui préparent la maitrise d’enseignement ou l’agrégation de sciences naturelles y viennent en stage obligatoire de toute la France, d’autres sont des futurs enseignants de Collèges d’Enseignement Général. Des stages spécialisés sur l’écologie générale, l’hydrobiologie, l’éthologie, etc. accueillent des étudiants de Suisse, d’Allemagne, de Belgique, du Mexique, du Brésil, du Maroc.

— UNIVERSITÉ DE RENNES 1, Université de Rennes 1, Les Lices, 2001. —
Il y a aussi des stages dits « volontaires » qui regroupent, entre autres, pendant leurs vacances des professeurs de lycées qui viennent actualiser leurs connaissances.
Quatre ans après son ouverture, la station biologique de Paimpont est devenue une des plus importantes d’Europe (si ce n’est la première) au point de vue enseignement.
Les bâtiments sortis de terre, la station prend son essor grâce à deux maitres-assistants de la Faculté des sciences de Rennes, Paul Tréhen (directeur) et Pierre Constant 11 (directeur-adjoint) affectés à Paimpont. Les stages sont encadrés avec l’aide bénévole de nombreux autres enseignants. En 1970, Jean-Yves Gautier 12, maitre-assistant au laboratoire d’éthologie, vient renforcer l’équipe enseignante de la station.
En 1973, l’O.R.T.F. réalise un documentaire sur la station biologique de Paimpont. — GUILBERT, Danièle et POITOU, Gérard, « Quelques pas dans la forêt », 1973, (« Emission « portrait de l’univers » »), Voir en ligne. —
1972 — Les débuts de la recherche scientifique sur les landes
Dans le cadre du Groupe d’Études des Landes Armoricaines (GELA), Paul Tréhen 13 initie en 1972 des recherches fondamentales sur le fonctionnement des landes de Paimpont. Simone Deleporte et Yannick Delettre 14 participent aux travaux sur les landes de Roc Fermu. Ils sont rejoints en 1974 par Alain Bellido 15. Ce sont les pionniers d’un programme de recherche en environnement sur la forêt de Paimpont qui verra officiellement le jour au début des années quatre-vingts sous le nom de Programme Interdisciplinaire de Recherche en Environnement (PIREN).
Quatre années plus tard un incendie de grande ampleur détruit des centaines d’hectares. La réaction des élus locaux et régionaux ainsi que de l’administration préfectorale ne tarde pas à propos des mesures à prendre pour combattre plus efficacement les éventuels incendies à venir. C’est l’occasion pour la Station biologique de Paimpont de mettre au service des acteurs de la gestion de la forêt les méthodes et connaissances scientifiques qu’elle peut alors développer sur le terrain.
À lire ensuite — L’Université s’implique sur le massif forestier de Paimpont
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Projets de tracés de la RN 24 (1976)Voici les deux projets qui ont la même origine. L’entrée de la RN 24 à l’est de Plélan et la même fin de projet CD n°8 au sud-est de Ploërmel, c’est-à-dire à la hauteur de Camagnon. On remarque que le camp de Coëtquidan est enveloppé par les deux déviations et que celle proposée par le nord dessert plus directement la zone industrielle de Gourhel. — ANONYME, « Projets de tracés de la RN 24 », Ouest-France, 16 août, 1976, Voir en ligne. —
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Annie Gautier
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Jean-Yves Gautier
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Jean-Claude Lefeuvre
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