La Vita de saint Léri - III
Dom Lobineau (1725) et l’abbé Tresvaux (1836)
La Vita Leri d’après Les vies des saints de Bretagne de Dom Lobineau (1725), et ses enrichissements dans l’édition de l’abbé Tresvaux (1836).
La version de Dom Lobineau
La version de la vie de saint Léri que nous proposons dans cet article est la plus ancienne transcription publiée en français du Manuscrit Bibl. nat., fr. 22321. Elle est tirée d’un ouvrage de Dom Lobineau (1667-1727), paru en 1725. Le moine bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur a inséré des commentaires historiques dans le corps de la Vita.— LOBINEAU, Dom Guy-Alexis, Les vies des saints de Bretagne et des personnes d’une éminente piété qui ont vécu dans la même province, avec une addition à l’Histoire de Bretagne, Rennes, La Compagnie des imprimeurs-libraires, 1725, Voir en ligne. pages 157-159 —
Les vies des saints de Bretagne de Lobineau ont fait l’objet d’une nouvelle édition en 1836. À cette occasion, l’abbé Tresvaux a sensiblement enrichi le panégyrique de saint Léri. — LOBINEAU, Dom Guy-Alexis et TRESVAUX, abbé François-Marie, Les vies des saints de Bretagne et des personnes d’une éminente piété qui ont vécu dans cette province, Vol. 2, Nouvelle édition, Paris, chez Méquignon junior, 1836, Voir en ligne. p. 85 et suivantes — Sa contribution ressort en encadré vert dans la rédaction de son prédécesseur.
Saint Léry, en latin Laurus, abbé, 7e siècle
Une grande & vaste forêt, qui commençait vers les confins de l’Évêché de Rennes, & continuait jusques vers celui de Cornouaille, séparait autrefois la partie septentrionale de la Bretagne Armoricaine, d’avec la partie méridionale, & l’on appellait, à cause de cela, païs d’outre les bois, cette partie septentrionale, en Latin Pagus trans-silvam, & en Breton Poutre-coët, d’où s’est depuis formé le nom de Porhoët, quoique le païs qui porte le nom de Porhoët n’ait pas une aussi grande étendue, que celui qui était auparavant compris sous le nom de Pou-tre-coet, ou de Pagus trans-sylvam. Ce canton a été sanctifié par la demeure de beaucoup d’hommes pareils à ceux dont saint Paul a dit, que le monde n’en était pas digne, & de ce nombre a été saint Leri, en Latin Laurus.
Ses actes, que nous n’avons pas entiers, mais qui paraissent avoir été dressés dans le IXe siècle, ne nous apprennent point précisément quel est le païs où ce saint homme a pris naissance. On a quelque sujet de croire qu’il était de Broüerech, c’est-à-dire du païs de Vannes. Il vivait dans le siècle avec dignité ; son origine était noble ; mais il tirait encore un plus grand éclat de ses vertus que de la naissance distinguée de ses ancêtres.
Il était enrichi des dons du ciel, patient dans les adversités, d’une humilité profonde, accompagnée d’une douceur inaltérable ; sa charité sans bornes le rendait continuellement attentif aux besoins des autres, les plus grandes difficultés n’avaient rien qui pût le rebuter, quand il s’agissait de la gloire de Dieu & du salut des âmes ; constamment attaché à la forme de vie qu’il s’était proposée, il suivait le plan d’une exacte discipline, toujours plus disposé à pratiquer l’obéissance qu’à exercer le commandement.
Tel était saint Léri, quand, pour suivre les attraits d’une grâce particulière qui l’appelait à une perfection plus grande, il quitta son païs, son bien & ses parents, pour aller dans une terre où il ne fût point connu. Il passa en Poutrecoët, où il fut reçu par saint Judicael, roi ou prince des Bretons de la Domnonée, qui résidait ordinairement à Gaël, ou aux environs. Un autre homme, distingué par sa sainte vie, nommé Elocau, venait, à la sollicitation de Bili, chapelain de Morone, femme de Judicaël, d’abandonner une retraite qu’il avait bâtie sur le bord de la rivière de Doueff, & était allé s’établir ailleurs.
Il avait laissé cette première retraite fournie de tous les meubles qui conviennent à un solitaire. Judicaël fit présent de ce lieu & de ses dépendances à saint Léri, qui voulut bien s’y fixer pour le reste de ses jours. Il y bâtit une cellule, ou petit monastère, qui a depuis porté son nom, & qui, ayant été ruiné dans la suite, soit par décadence naturelle aux bâtimens anciens, soit par les Normans, n’est plus aujourd’hui qu’une paroisse médiocre, qui conserve le nom & le tombeau de saint Léri. Ce fut dans ce lieu qu’il continua les exercices d’une vie toute céleste, & qu’il se rendit utile à tout le païs des environs, par ses discours, par ses exemples, & par les miracles dont il plut à Dieu de récompenser ses prières & la foi de ceux qui s’adressaient à lui.
Ce serviteur de Dieu passa ainsi plusieurs années dans les occupations saintes et les travaux apostoliques, ce qui le fit estimer de Judicael, et lui gagna le cœur des habitants du diocèse d’Aleth. Il se trouva cependant quelques seigneurs particuliers qui ne goûtèrent pas toujours ses avertissements, parce qu’ils étaient quelquefois vifs, et qu’ils les intéressaient souvent personnellement ; ils tentèrent d’en faire sentir leur mécontentement à saint Léri, mais il eut constamment assez de fermeté pour ne pas avilir son ministère par aucune complaisance, ni par aucun adoucissement coupable, qui pût altérer les mœurs et la discipline de l’Église. — Tresvaux, abbé François-Marie (1836) op. cit. pp. 88-89 —
Après une vie assez longue, il tomba malade, & mourut en paix, dans un âge fort avancé. Aussitôt que la nouvelle de sa mort se fut répandue, on s’assembla de toutes parts pour célébrer ses obsèques, qui furent faites honorablement. On mit son corps dans un tombeau de pierre qu’il avait préparé lui-même, & l’avait fait apporter de Broüerech sur un chariot traîné par deux taureaux indomptés. C’est ce que l’auteur des Actes dit avoir appris des anciens. La circonstance des taureaux est indifférente, mais le reste ne l’est pas, & nous apprend que ce saint homme faisait consister la meilleure partie de la philosophie Chrétienne dans la méditation continuelle de la mort. L’auteur des mêmes Actes dit que le corps de saint Léri demeura au même lieu jusqu’à son temps, & y était encore, où Dieu l’honorait de fréquents miracles ; ce qui fait voir que cet auteur écrivait avant les ravages des Normands, puisqu’il est constant que le corps de Saint Léri fut depuis transporté à Tours, & déposé dans l’abbaye de Saint-Julien ; transport auquel il n’y a que la persécution de ces barbares qui ait pu donner lieu.
Dans la Chronique ancienne qui fait mention de cette translation, & dans l’ancien calendrier de l’abbaye de saint Méen, saint Léri est qualifié abbé, soit qu’il ait eu véritablement des moines à conduire, comme ses Actes semblent l’insinuer, en l’appelant Docteur ; soit qu’on ne lui ait donné ce titre d’abbé que dans le style des auteurs Ecclésiastiques d’Orient, qui appellent abbés tous les anciens solitaires de quelque distinction.
En 1407 [lire 1457], les sacrés ossements de saint Léri furent tirés d’une châsse de bois presque pourrie de vieillesse, & transportée dans une autre chasse plus propre & plus précieuse, par Jean, archevêque de Tours, en présence de Marie, reine de France, de Magdeleine de France sa fille, de Jean duc de Bourbon, de Jacques de Bourbon comte de la Marche, de l’ambassadeur du duc d’Autriche, des abbés de Marmoutier, de Saint-Julien & de Cormeri, & de quantité d’autres personnes considérables.