1857
La princesse Élisa-Napoléon Baciocchi à Beignon
Un projet agricole dans les landes de Coëtquidan
En 1857, Élisa-Napoléon Baciocchi (1806-1869), nièce de Napoléon Ier, tente d’acquérir les landes de Coëtquidan, situées sur les communes de Beignon et Saint-Malo-de-Beignon afin d’y établir un domaine agricole.
Élisa-Napoléon Baciocchi — Éléments biographiques
Élisa-Napoléon Baciocchi est la fille de Félix Baciocchi et d’Élisa Bonaparte, sœur de Napoléon Ier, princesse de Piombino, de Lucques, et grande-duchesse de Toscane. Née à Lucques, dans le nord de la Toscane (Italie), le 3 juin 1806, elle est faite princesse de Lucques et Piombino le 27 juin 1808 par Napoléon Ier.
Sa mère possède dans le Frioul (Italie) un domaine agricole de 10 000 hectares où elle s’adonne, jusqu’à sa mort en 1820, à sa passion du progrès agricole
.
En 1824, elle est mariée au comte Filippo Camerata-Passionei di Mazzoleni (1805-1882). Leur fils Charles Félix Jean-Baptiste nait en 1826. Élisa Baciocchi s’émancipe de cette union l’année suivante et initie une conspiration politique visant à porter au pouvoir son cousin, le fils de Napoléon Ier 1, duc de Reischtadt 2.
Désœuvrée, le vague à l’âme, elle se lie aux jeunes libéraux italiens aspirant à affranchir la péninsule de la domination autrichienne. Madame se croit portée par le vent de l’Histoire, échafaudant un plan audacieux : offrir le trône de France et la couronne d’Italie à l’adolescent fragile prisonnier à Vienne, l’espoir de la dynastie.
Cette vaine tentative politique lui vaut une assignation à résidence à Canale d’Isonzo, vaste domaine aujourd’hui situé en Slovénie où elle s’initie à la gestion d’une grande exploitation rurale.
En 1848, l’élection de son cousin germain Louis-Napoléon en tant que premier président de la IIe République lui permet de venir s’installer en France.
Pendant trois ans, elle mène une vie publique, plastronnant dans toutes les manifestations officielles. On la rencontre très souvent au Palais-Bourbon, enrageant de ne pouvoir y jouer un rôle politique, condition féminine oblige [...].
À partir de 1852, Napoléon III devenu empereur à la faveur d’un coup d’état la fait créditer de revenus très confortables et la nomme Princesse Baciocchi avec qualification d’Altesse.— QUÉMÉRÉ, Pierre, La bretonne pie noir : grandeur, décadence, renouveau, Editions France Agricole, 2006, 192 p., (« Races bovines françaises »), Voir en ligne.p. 47 —
Son fils unique, membre du Conseil d’État, se suicide en 1853. Bouleversée par sa mort, Élisa Baciocchi délaisse la cour et, forte de son expérience de la gestion d’une grande exploitation agricole, achète le château de Viviers-les-Ruines, près de Melun, où elle se consacre à l’agronomie, à l’élevage et à la pisciculture.— A.D.M., « Élisa Napoléon Baciocchi, la princesse fermière », 2022, Voir en ligne. —
Son troupeau de vaches bretonnes et son domaine lui valent d’élogieuses critiques de la part des chroniqueurs acquis à l’Empire.— Quéméré, Pierre (2006) op. cit. p. 47 —
Napoléon III en personne lui remet le 7 juin 1855, lors de l’Exposition Universelle, une médaille d’argent pour sa présentation d’une vache pie-noir. En ces joutes amicales, elle côtoie les meilleurs spécialistes, venus de l’Ouest pour la plupart.

1855- 1869 — Élisa Baciocchi en Bretagne
1855-1857 — Premiers contacts
Suite au suicide de son fils, Élisa Baciocchi s’éloigne de la vie politique et cherche à quitter Viviers-les-Ruines. Elle songe à s’installer en péninsule armoricaine à laquelle elle est liée par ses activités agricoles et ses relations de cour.— ANONYME, « Elisa Napoléon Baciocchi, la princesse de Colpo », Le Télégramme, 2022, Voir en ligne. —
La princesse Baciocchi se lie d’amitié avec une dame du palais d’Eugénie, Mme de Lourmel. Elle est la veuve du général originaire de Napoléonville (Pontivy - 56), tombé à Solférino, auteur d’une « étude sur la Mise en valeur des landes de Bretagne par le défrichement et l’ensemencement en bois ». Ses meilleurs amis – la marquise Laurence Rosnyvinen de Piré et son mari - résident ordinairement à Rennes, en l’Hôtel de Châteaugiron. Le marquis sera nommé en octobre 1857 chevalier d’honneur de Son Altesse, à la fois factotum et souffre-douleur ! Elle côtoie une de leurs relations, le comte Anne Henri Julien de La Bourdonnaye, chambellan honoraire à la Cour et conseiller général du canton de Grandchamp (56) depuis 1852.
Selon le général Koechlin-Schwartz, Henri de La Bourdonnaye (1826-1896) aurait joué un rôle déterminant dans l’installation d’Élisa Baciocchi en Bretagne en la sensibilisant à la misère des paysans bretons.— GÉLAIN, F., « La princesse Baciocchi et ses successeurs au château de Korn-er-Houët », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1964, p. 20-24, Voir en ligne. —
Une implantation soutenue par l’Empereur
L’implantation d’Élisa Baciocchi en Bretagne est appuyée par l’Empereur lui-même qui cherche des points d’appui dans cette région où ses opposants politiques sont puissants.
Napoléon III songe à jeter en Bretagne les bases de colonies agricoles. Elle propose donc de dépenser son énergie à ouvrir de larges perspectives de modernisation en des terres incultes, dans le seul but d’augmenter le bien-être des populations rurales... tout en s’opposant aux menées des légitimistes ! Forte des encouragements du souverain et lasse des milieux sournois qui se gaussent des toquades agricoles d’une princesse, celle-ci décide de s’affirmer au milieu des landes et des bruyères pour y mener des expériences pionnières, loin du protocole et des railleurs. L’appareil administratif gouvernemental mobilise illico ses hommes de terrain pour contenter les désirs de Napoléon III et de son mandataire.
1857 — Une proposition d’achat des landes de Coëtquidan
Élisa Baciocchi pense dans un premier temps à implanter son nouvel établissement agricole dans la région de Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine).— Gélain, F. (1964) op. cit. p. 20 —
Son projet l’amène finalement dans la commune limitrophe de Beignon (Morbihan). Selon son biographe, Jean-Etienne Picault, ce projet d’installation serait motivé par la perspective d’établissement du futur camp de Coëtquidan et de ses potentiels débouchés en fumure de cheval.
Une indiscrétion lui ayant fait connaître le projet d’installation d’un camp sur les landes de Coëtquidan, Madame veut impérativement acquérir ces communs ou vaines pâtures. La proximité du chemin de fer, vecteur indispensable de la révolution économique et sociale en cours, et la perspective d’un abondant fumier de cavalerie pour amender les terres l’y incitent. Elle désire créer en ces lieux une vaste exploitation du type de celle en construction aux abords du camp militaire de Châlons-en-Champagne.
Les premiers projets d’établissements d’un camp militaire dans les landes de Coëtquidan sont pourtant postérieurs à la défaite de Sedan et les premières locations de terres par l’armée n’y datent que de 1873.— PETERS, Commandant, « Historique de Coëtquidan », Coëtquidan, Armée de Terre, 1989, p. 126, Voir en ligne. [page 11] —
Le projet d’implantation d’Élisa Baciocchi à Beignon semble plutôt motivé par des implications politiques. En 1846, la famille d’Orléans avait projeté de s’implanter en forêt de Paimpont pour contrer les opposants légitimistes dans un de leurs bastions historiques. En 1857 - année marquée par les élections législatives de juin - Napoléon III et sa cousine entreprennent à leur tour de s’implanter dans cette partie de la Bretagne afin de convaincre les populations locales des bienfaits d’un modernisme agricole soutenu par l’Empire.
Élisa Baciocchi propose aux municipalités de Beignon et de Saint-Malo-de-Beignon d’acheter les landes de Coëtquidan pour mener à bien ses projets. Depuis janvier 1857, ces dernières sont proposées au partage ou à la vente par le tribunal de Ploërmel. — LEGAVRE, H., « Exécution des articles quatre et cinq du 6 décembre 1857 », Le Foyer Breton, 10/02, 1857, p. 4, Voir en ligne. —
Son premier projet portait sur 46 hectares. Les expertises avaient été faites. Le conseil municipal de Saint-Malo de Beignon était totalement d’accord, mais celui de Beignon refuse catégoriquement toute vente de terrain, dans des termes d’ailleurs parfaitement courtois.
L’offre d’achat est refusée 3. Une délibération antérieure du conseil municipal de Beignon, datée du 13 mai 1855, explique dans le détail les raisons de ce refus : car ces terrains tomberaient entre les mains de quelques gens riches, étrangers pour la plupart à la commune, et qui feraient sans doute planter ces terrains, ce qui rendrait pire la position de la population.
Conscient de l’intérêt collectif des landes, le conseil municipal de Beignon maintient la position exprimée en 1855 affirmant que [...] le seul moyen de concilier les intérêts de la population serait de faire un partage de ces terrains communaux entre les habitants de la commune.
On perçoit dans cette opposition à un projet d’acquisition prestigieux et rémunérateur l’héritage des conflits - l’affaire des afféagements des bois des communs de Beignon - ayant opposé pendant deux siècles les habitants de Beignon à leur seigneur Évêque.

Délibération du conseil municipal de Beignon du 13 mai 1855
L’Assemblée portant son attention sur les terrains communaux et considérant :
1° Que les communaux de Beignon prennent en étendue la moitié environ de la surface de la commune.
2° Que la population se trouve ainsi resserrée dans un petit espace de terrain suffisant à peine à ses besoins, car si l’habitant de Beignon a quelque peu d’argent, il l’a gagné hors communs ; aussi chaque année on voit un nombre considérable de jeunes gens et de jeunes personnes partir de la commune et se rendre dans la ville pour y servir en qualité de domestique ou pour tâcher de faire un petit commerce, car naturellement, l’habitant de Beignon est industrieux.
3° Que cette émigration de la population lui est fatale car au bout d’un certain temps on apporte dans la campagne la passion des villes et dans les villes, si on a pas de quoi vivre, souvent on arrive à une mauvaise fin.
4° Ce qui prouve manifestement que la population se trouve trop resserrée sur le terrain qu’elle occupe, c’est le peu de mariages qui ont lieu chaque année et encore, ce sont presque toujours des mariages entre personnes âgées ainsi que la preuve résulte des registres de l’état civil.
5° Que toutefois, si les terrains communaux étaient vendus la position de la commune ne serait probablement pas améliorée, car ces terrains tomberaient entre les mains de quelques gens riches, étrangers pour la plupart à la commune, et qui feraient sans doute planter ces terrains, ce qui rendrait pire la position de la population.
6° Que le seul moyen de concilier les intérêts de la population serait de faire un partage de ces terrains communaux entre les habitants de la commune, à charge à eux de s’entendre sur le mode de partage.
7° Qu’en principe, il est vrai, les demandes de partage de terrains communaux ne sont pas accueillis favorablement, mais que le gouvernement aurait sans doute des égards à la position toute particulière des habitants de Beignon.
8° Qu’en effet, sur la commune, il ne se trouve qu’une seule ferme de sorte que la commune qui ne se compose que de petits propriétaires riches de 50 frs, 100 frs, 150 frs, 200 frs, 250 frs, 300 frs. Les plus riches sont quelques rares exceptions et sans espoirs d’agrandissement vu qu’ils sont limités de toutes parts par les communaux.
9° Qu’ainsi, si les communaux étaient équitablement partagés, ce serait le moyen d’attacher la population à son sol natal, de lui faire oublier les émigrations, de lui procurer le bien être et ainsi le moraliser.
— BRIDIER, Pierre, Le pays de Beignon témoin de l’histoire, Beignon, autoédition, 1987. [pages 31-32 Livre D] —
1857-1869 — la princesse Baciocchi à Colpo
Déçue par la réaction des habitants de la lisière sud de la forêt de Paimpont, la princesse Baciocchi continue à prospecter en Bretagne. Elle trouve finalement dans les landes de Lanvaux, une opportunité d’acquérir des landes.
D’autres landes communales convoitées, sises dans le Morbihan, viennent d’être partagées par des afféagistes, en vertu d’anciens titres. Seule la commune de Grandchamp tente depuis de longues années d’aliéner ses communs de Lanvaux en raison de la présence de quatre-cents marginaux vivant là de rapines. La princesse se résigne à acheter ces terres en y mettant une condition expresse : l’expulsion de ces indésirables, « des bohémiens », dit-elle, moyennant une indemnité.
En 1857, elle achète 525 hectares de terrains incultes à Colpo 4 (Morbihan) où elle peut laisser libre cours à ses ambitions de modernisation de la Bretagne.
Grâce à des moyens financiers importants et au soutien de l’empereur, la princesse y crée une exploitation agricole modèle. Après avoir fait défricher les landes, elle fait construire sa résidence et trois fermes à Korn-er-Houët où sont développées de nouvelles techniques comme l’utilisation d’une charrue à vapeur. De même, elle prend de multiples initiatives afin de diffuser les progrès de l’agriculture avec la création d’un concours et des encouragements à l’élevage et l’agronomie.

Le voyage impérial de 1858
En août 1858, Napoléon III entreprend un voyage en Bretagne afin de convaincre les bretons des bienfaits de la politique impériale 5 dont sa cousine est le meilleur exemple.

Le 15 août, point d’orgue de son voyage en Bretagne, il se rend à Saint-Anne d’Auray. Le lendemain, il rend visite à la princesse dans son domaine de Colpo.
En s’établissant dans le Morbihan, le plus abandonné, le plus pauvre, jusqu’à présent, des départements de la Bretagne, au cœur d’un arrondissement, d’un canton, aujourd’hui profondément pacifiés, mais qui furent autrefois le plus ardent foyer de la chouannerie, Mme la princesse Baciocchi ne s’est point dissimulé les difficultés qui l’attendraient dans son exploitation. Aussi son altesse ne commence-t-elle ses travaux que sur une échelle qui lui permet elle même d’en surveiller l’exécution.
Malgré le refus de lui vendre les landes de Coëtquidan, une délégation de Beignonnais s’est déplacée jusqu’au domaine de la princesse pour ovationner l’Empereur.
Sur la route et sur la lande, étaient rangés les paysans, à cheval, dans leur pittoresque costume : chapeaux à larges bords, longs cheveux flottants, habits blancs bordés d’ornements rouges et noirs ; chaque commune ayant un drapeau, et conduite par ses notables et son curé. Quelques-uns de ces braves gens, ceux de Beignon, ceux du canton de Guer, avaient fait vingt deux lieues pour voir Leurs Majestés.
Des délégations de villages morbihannais du massif forestier de Paimpont l’attendent l’après-midi même à Locminé.
Les députations des communes environnantes, Plumelin, Campénéac, Saint-Malo-de-Beignon, Trehorenteuc, etc., portaient toutes un drapeau avec cette inscription : Napoléon III en Bretagne, août 1858.

Durant les onze années suivantes, Élisa Baciocchi œuvre au développement de son domaine agricole ainsi qu’à la modernisation de l’agriculture bretonne 6. Elle meurt à Colpo en 1869.