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1564-1792

Les bois et landes de Beignon

Déboisement et conflits d’usages sur les terres du seigneur-évêque de Saint-Malo

Du 16e à la fin du 18e siècle, les bois de Feil et de Tenedo, de la baronnie de Beignon, font l’objet de conflits entre l’évêque de Saint-Malo et ses vassaux de Beignon.

La baronnie de Beignon

Dès le 11e siècle, les évêques de Saint-Malo construisent un manoir épiscopal, appelé « château de Beignon », dans un lieu situé à deux kilomètres de l’actuel bourg de Beignon. Ils s’établissent en seigneurs d’un territoire situé sur les actuelles communes de Saint-Malo-de-Beignon et de Beignon. En 1597, l’évêque Jean du Bec définit la baronnie de Beignon comme telle :

[L’évêque de Saint-Malo est] sieur propriétaire et possesseur de la baronnie de Beignon dont dépendent la ville de St-Mallo de Beignon et le bourg et paroisse de St-Pierre de Beignon ; lesquels, pour ce qu’ils sont assis en lieux fort fertiles et abondants en toutes sortes de commodités et peuplés d’une bonne quantité de bastiments, places commodes si peu distans ou éloignés l’un de l’autre, ils sont encore enrichis, sçavoir la dite ville de S. Mallo de deux juridictions, l’une ecclésiastique ou ressort tout l’archidiaconé de Porhouët dont les appellations ressortent directement par devant les délégués de Tours à Rennes, et l’autre séculière, qui est un franc régaire, les appelants de laquelle cour vont en la Cour du Parlement de Bretagne ; du manoir épiscopal où les évesques dudit lieu font leur résidence ordinaire, et, avec ce, de deux foires par chacun an qui se tiennent l’une au premier jour de may et l’autre en jour S. Laurens ; et ledit bourg et paroisse de S. Pierre de Beignon, qui est de la juridiction séculière dudit S. Mallo, de plusieurs riches et aisées familles ; et tous les deux d’une bonne quantité de bourgeois et marchands trafiquant en toutes sortes de marchandises.

Jean du Bec in GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, « Les évêques de Saint-Malo dans leur baronnie de Beignon », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 40, 1876, p. 89-109, Voir en ligne.
La baronnie de Beignon

Les immenses communs du fief de Beignon se répartissent sur 2400 journaux 1 comprenant des bois de haute futaie épars. L’évêque de Saint-Malo, seigneur et propriétaire, en partage la jouissance avec ses vassaux de Beignon.

Entre le milieu du 17e siècle et la Révolution, l’usage et la propriété de ces bois sont l’objet de conflits récurrents entre le seigneur évêque et ses vassaux.

1564 — L’aveu sur les bois des communs de Beignon

Le plus ancien document attestant d’un accord sur les bois des communs de Beignon entre le seigneur évêque et ses vassaux date de 1564.

Désireux de se procurer quelques ressources, l’évêque de Saint-Malo, monseigneur Bohier (1500 - 1569) 2, consent à une transaction avec ses vassaux de Beignon. Il leur accorde le droit de prélever et de vendre un nombre d’arbres équivalent à la somme de 25 000 livres sur les vagues - terres incultes - de la seigneurie. En contrepartie, il spécifie que ses vassaux doivent s’acquitter d’une rente collective de 15 sols monnoie pour leur usage en commun des bois du fief.

Les chablis étaient laissés à la disposition des habitants ; toutefois, ces derniers ne pouvaient s’attaquer aux bois « sec en estant », ou morts en cime, à moins qu’ils ne « soient chu par vent ou aultre cas fortuit » (sic). La coupe des bois de construction demeurait subordonnée à la permission de l’Évêque.

DUVAL, Michel, Forêt et civilisation dans l’Ouest au XVIIIe siècle, Rennes, Presses artisanales de M. Le Mée, 1959, 297 p., Voir en ligne. [page 158]

1640-1785 — Le conflit sur les bois de Feil et de Tenedo

Les bois de Feil et Tenedo sont respectivement situés aux voisinages du moulin de Lanviel et de la chapelle Sainte-Reine, à environ trois kilomètres au nord-ouest et au sud-ouest du bourg de Beignon.

Le Moulin de Lanviel et la chapelle Sainte Reine sur le plan cadastral de Beignon de 1812

L’usage et la propriété de ces deux bois vont concentrer les tensions et les conflits opposant les évêques à leurs vassaux de Beignon durant deux siècles. —  BRIDIER, Pierre, Pays de Beignon : des origines à 1789, Beignon, autoédition, sans date, 53 p., Voir en ligne. [page 26-27] —

Devant la faiblesse des autorités ecclésiastiques, les grands maitres royaux se voient à maintes reprises, obligés d’intervenir, pour arrêter les désordres qui se dessinent de toutes parts dans les bois de Main-Morte : isolés et déclos, ces boqueteaux sont à la fin de l’ancien régime, livrés à la merci des riverains qui, à la faveur d’une tolérance séculaire, achèvent d’en consommer la ruine. La lente décrépitude des bois de Mgr l’Evêque de St-Malo dans sa baronnie de Beignon, illustre tragiquement cette situation.

DUVAL, Michel, Forêt et civilisation dans l’Ouest au XVIIIe siècle, Rennes, Presses artisanales de M. Le Mée, 1959, 297 p., Voir en ligne. [page 158]

1640-1697 — Premiers conflits

Un aveu rendu au roi en 1640 par monseigneur de Harlay (1581 - 1646) 3 reconnait au seigneur-évêque la faculté de disposer de deux bois situés sur les communs de la baronnie - les bois de Feil et Tenedo - pour la nécessité de l’église et de la fabrique. Cette faculté est néanmoins soumise à l’importante réserve des droits de pasnage, herbage et litterage reconnus aux vassaux de la seigneurie.— Duval, Michel (1959) op. cit. p. 158 —

En dépit des termes explicites de cet aveu, l’évêque de Saint-Malo revendique le droit d’user à sa guise de ces bois et du produit de leur vente. Forts de leurs droits, les Beignonnais l’attaquent en justice.

Le 15 avril 1697, le tribunal donne raison aux vassaux de la baronnie de Beignon contre leur seigneur-évêque monseigneur de Guémadeuc (1626-1702) 4. Conformément à l’aveu de 1640, l’évêque n’est autorisé à utiliser le bois des communs que pour la construction et l’entretien des bâtiments paroissiaux.

En 1702, les arbres des bois de Feil et de Tenedo sont abattus et le produit de leur vente est versé à la paroisse.— Bridier, Pierre op. cit. p. 27 —

1771-1784 — L’afféagement des landes de Beignon

Vers 1770, monseigneur Laurents (1713-1785) 5 afféage le quart des communs de Beignon, soit 500 journaux, principalement situés au voisinage du moulin de Lanviel et de la chapelle Sainte-Reine.

"Reliquaire et chapelle Sainte-Reine"

Les bénéficiaires de ces concessions appartiennent au monde de la judicature ou de la finance et possèdent déjà des intérêts dans des fermes de la seigneurie.

Les afféagistes étaient les sieurs Hochet, Le Breton de Ranzégat, Jousselin de Verrières, de Fermont, etc., toutefois les afféagements faits aux sieurs de Ranzégat, Jousselin et de Fermont avaient seuls de l’importance. Msr des Laurents avait afféagé cent journaux à M. de Ranzégat 6, mais ce dernier n’en avait enclos et défriché qu’environ quatre-vingts ; l’afféagement de MM. Jousselin 7 et de Fermont 8 était de quatre cents journaux, dont ils n’eurent le temps d’enclore que la moitié ; des autres terrains afféagés à divers particuliers, il n’y eut que quatre journaux enclos ; ainsi l’évêque de Saint-Malo n’avait réussi à faire défricher que deux cent quatre vingt-quatre journaux, quand tout à coup la tempête se déchaîna contre lui.

GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, « Les évêques de Saint-Malo dans leur baronnie de Beignon », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 40, 1876, p. 89-109, Voir en ligne. p. 104

Les paroissiens de Beignon réagissent et attaquent monseigneur des Laurents en justice affirmant qu’il leur fait tort en afféageant une partie de ces landes, et que les bois de Tenedo et du Feil leurs appartiennent en toute propriété. Le 9 mai 1774, la juridiction royale de Ploërmel leur donne partiellement raison et remet en cause la validité de ces afféagements. — A. D. I.-V. G70 Baronnie de Beignon —

[...] ils obtinrent de la juridiction royale de Ploërmel un arrêt du 9 mai 1774, condamnant Msr des Laurens. Cette sentence déclarait nuls les afféagements faits par l’évêque de Saint-Malo, et défendait à ce prélat d’en consentir aucun autre avant un triage en règle, dans lequel ne pourraient être compris les bois du Feil et de Ténédos ; elle ordonnait que les talus et autres ouvrages faits ou commencés pour la clôture de ces afféagements, seraient démolis sous deux mois, faute de quoi elle permettait au général de la paroisse de Saint-Pierre-de-Beignon, d’en faire la démolition aux frais de l’évêque et des afféagistes, et elle condamnait enfin Msr des Laurents à payer 500 livres de dommages intérêts au général de la paroisse.

L’évêque, pour dédommager les anciens afféagistes contraints de détruire fossés et bâtiments récemment édifiés, leur afferme à un taux très réduit, l’ensemble des revenus de la baronnie.

On comprend la position difficile où se trouvèrent l’évêque et ses afféagistes : ces derniers avaient non seulement enclos des terres, mais ils avaient construit des maisons d’habitation, créé des prairies, ensemencé des champs : tous ces travaux devaient disparaître. Pour les dédommager, en quelque chose, l’évêque de Saint-Malo afferma à prix réduit sa baronnie de Beignon, en 1767 à Pierre-Paul Le Breton de Ranzégat, et, en 1775, à René-François Jousselin, sr de Verrières, et à Charles de Fermon, et il essaya de les soustraire aux tristes conséquences de la sentence portée contre lui.

Mais cet arrangement entre l’évêque et les afféagistes ne fait qu’amplifier les conflits entre ces derniers et les Beignonnais. Selon Michel Duval, c’était laisser à ces hommes de loi toute latitude de faire pression sur les vassaux de la seigneurie, en cherchant par tous les moyens à se soustraire à l’exécution de la sentence. — Duval, Michel (1959) op. cit. p. 159 —

Par ailleurs, en stipulant que le triage doit être subordonné à la destruction des aménagements réalisés dans les afféagements, l’arrêt de Ploërmel conduit à une situation inextricable. En effet, quels que soient les arrangements proposés, les usagers, les afféagistes ou la fabrique seraient fatalement lésés.

À la fin du XVIIIe siècle, il était devenu aussi difficile de faire une assiette [triage] de ces bois, et de les fossoyer, que de les inclure dans un cantonnement, sans léser à la fois les usagers et les afféagistes. Situés en lisières, les lotissements s’interposaient sur le parcours des bestiaux. Par ailleurs, il était excessivement difficile d’assigner au bénéfice de la paroisse, un périmètre rentable de reboisement sur un sol inégal, rocailleux et raviné, ouvert de toutes parts à la pénétration des bestiaux. Un regroupement s’imposait qui ne pouvait que sacrifier les droits des uns et des autres.

Duval, Michel (1959) op. cit. p. 159

Le procureur de l’évêché et C. des Brulais, l’arpenteur chargé par la Maitrise royale de mener à bien l’opération de triage, conscient de l’inapplicabilité de la sentence, rendent compte à l’évêque du caractère inextricable de la situation.

Vous savez monseigneur, ce que c’est que d’avoir affaire à un général de Paroisse ; ici l’arrangement deviendra d’autant plus difficile que les landes et communs ne sont pas également à la portée du village. Celui qui souffrira dans le partage que l’on en pourrait faire amiablement, n’y consentira point ou fera naître des contestations interminables. Quels moyens de réunir, avec l’intérêt particulier des paroissiens, celui des afféagistes, qui malgré l’arrêt, n’en conserve pas moins le droit d’asseoir leurs afféagements. Je ne vous dissimule point, Monseigneur, que jusqu’à présent, je n’en ai point conçu de praticable, surtout si, comme il vous importe, vous désirez conserver la propriété des bois répandus sur les communs qui suivant la jurisprudence de Bretagne appartiennent à votre Évêché, et dont vous attendez assurer la sauvegarde.[...] Il suffit que la portée du triage soit de diviser le droit du seigneur, d’avec celui des vassaux, pour que ceux-ci, devenus propriétaires des 2/3, paraissent fondés à soutenir que les arbres, dont ils se trouvent couverts, doivent leur appartenir au même titre.

Lettre de C. des Brulais à Monseigneur Laurents

Le 23 juillet 1784, la sentence de la juridiction royale de Ploërmel est confirmée par le Parlement de Bretagne. Les deux partis sont renvoyés dans la juridiction de Ploërmel pour y faire régler les indemnités demandées par les afféagistes.

1785 — La réaction des vassaux

Mais les décisions de justice rendues à Rennes et Ploërmel n’apaisent pas le conflit entre les seigneurs évêques et les Beignonnais.

En 1785, la Maitrise royale remet en cause les arrêts du Parlement concernant Beignon. Dans le but d’empêcher les destructions des ressources forestières, elle suspend les vassaux de Beignon de leurs droits d’usages dans les bois de Feil et de Tenedo.— Duval, Michel (1959) op. cit. p. 160 —

Ici, les vassaux ne sont habitués à plaider leur seigneur (sic) qu’aux dépens des bois communs [...] Jusqu’à l’intervention récente du grand maître [de la Maitrise royale], les gens étaient dans l’usage de charmer les arbres (sic), de les étêter, d’en couper les racines et souvent le tronc, pour faire périr par ce moyen et accélérer leur chute et en pouvoir disposer à leur volonté... C’estoit principalement ès veilles de fêtes qu’ils abattoient les arbres et les vendaient le lendemain à l’issue de la grand messe et des vêpres, pour se procurer quelque argent ; si les officiers voulaient poursuivre les délits, leurs recherches étaient inutiles, attendu la maxime accréditée dans ce pays, que la question sur les bois intéressant toutes les paroisses, les habitants ne sont point tenus de déposer sur leur propre cause.

Lettre de l’official à l’évêque in Duval, Michel (1959) op. cit. p. 160

Mgr des Laurents meurt le 15 octobre 1785 en rentrant d’un voyage à Paris. Son successeur, Gabriel Cortois de Pressigny (1745-1823) 9, est sacré évêque de Saint-Malo le 15 janvier 1786. Ulcérés par la décision de la Maitrise royale, les paroissiens de Beignon profitent de la vacance du siège de l’évêché pour se faire justice eux-mêmes. Les enclos et bâtiments édifiés par les fermiers épiscopaux n’ayant pas encore été rasés, ils décident de se charger eux-mêmes de l’application de la sentence du 23 juillet 1784.

On raconte qu’à Lanviel, l’argenterie de Monsieur de Ranzegat aurait été jetée dans le puits et que, depuis ce jour, les beignonnais ont toujours refusé de voir se construire un château sur le territoire de leur commune. Le fait est qu’il n’y en a aucun.

BRIDIER, Pierre, Pays de Beignon : des origines à 1789, Beignon, autoédition, sans date, 53 p., Voir en ligne. [page 28]

La propriété de M. de Ranzégat, détruite en 1785 par les Beignonnais, était située à quelques centaines de mètres du village de la Houssaie. Elle est dénommée Masure de Lanvieil et signalée en ruine sur le cadastre napoléonien de Beignon de 1812. Ces ruines sont aujourd’hui situées sur le camp de Coëtquidan.

La Masure de Lanviel sur le cadastre Napoléonien
Beignon — 3 P 52 1 - Extrait du tableau d’assemblage du plan parcellaire, échelle 1/10 000 (15 mai 1812). 1812
A. D. M.
Aménagements de M. de Ranzégat à Lanviel sur le cadastre napoléonien
Beignon — 3 P 52 2 - Section A de Lanvieil, 1re feuille, échelle 1/2 500, parcelles n° 1-39 1812
A. D. M.

1786 — Un arrêt en faveur de l’évêque

En 1786, Gabriel Cortois de Pressigny reprend la défense contre les paroissiens de Beignon et obtient du Parlement de Bretagne un arrêt plus favorable que la précédente sentence.

[...] par cet arrêt de 1786, le parlement condamnait encore, il est vrai, les afféagements faits dans les landes de Beignon, mais il adjugeait en toute propriété un tiers de ces communs à l’évêque de Saint-Malo, de sorte qu’après le partage fait, il devait rester encore aux afféagistes une étendue de terrain plus considérable que celle dont ils avaient été dépossédés.

Pourtant, monseigneur de Pressigny ne demande pas le bénéfice du triage seigneurial, dont le Parlement de Rennes vient de poser le principe. Deux raisons principales expliquent sa décision.

L’évêque de Saint-Malo craint une nouvelle réaction violente que ne manquerait pas de susciter l’application de la sentence. Mais des raisons économiques motivent aussi sa décision. Le triage des communs de Beignon est une opération fort coûteuse en raison de la répartition géographique des peuplements forestiers.

Une note jointe au plan des lieux, par l’expert géomètre, nous éclaire sur ce point : les frais de recépage et de ravalement des bois ordonnés en Conseil, le 31 juillet 1784, n’étaient rentables, à longue échéance, qu’au prix d’un regroupement. Celui-ci sacrifiait inéluctablement diverses terres, au bénéfice de certaines autres reconnues biologiquement plus aptes à être repeuplées. Une telle opération, financièrement coûteuse, heurtait simultanément les intérêts des afféagistes et ceux des usagers 10. [...] les frais d’infrastructure du nouveau cantonnement - indemnité d’expropriation, travaux de ravalement, repiquage - dépassent largement les revenus de ce malheureux canton dont l’adjudication vient d’être ordonnée par le Roy. Le général et l’évêque ne peuvent ni ne veulent avancer les frais nécessaires, d’autant qu’aucun d’entre eux n’est d’accord sur la superficie à accorder à ces bois.

Duval, Michel (1959) op. cit. p. 161

1786-1789 — L’abattage des bois de Feil et de Tenedo

Les Beignonnais suspendus de leurs droits d’usages, l’évêque est désormais autorisé à user des bois de Feil et de Tenedo à sa guise. Il fait alors abattre 860 pieds et confie le produit de leur vente - 32 000 livres - au fermier de l’évêque afin qu’il l’utilise, conformément à la décision de la Maitrise royale de Vannes, à repeupler les communs. Mais ce dernier fait faillite et le repeuplement reste en souffrance, provoquant une action en justice de la paroisse.

Le général [de paroisse] tira argument de cet échec pour demander le retour au statu-quo antérieur. N’appartenaient-il pas à l’évêque de contraindre en justice les communiers à exécuter leurs obligations ? Chacun d’eux s’acquitterait isolément, comme par le passé de son « debvoir » de repeuplement, en repiquant, au gré de ses convenances, dans les communs du fief.

Duval, Michel (1959) op. cit. p. 161

Les Beignonnais réunis dans le cimetière en avril 1789 se plaignent au roi de cette vente dans leurs cahiers de doléances.

Nous nous plaignons encore que notre seigneur a fait abattre 860 pieds d’arbres dans nos communs, disant que c’était votre ordre et que la maitrise les a fait vendre et se sont chargés de l’argent qui se montaient à la somme de trante deux milles [livres ?] dont nous devions avoir l’argent puisqu’il nous appartenait comme bien propre, et nous n’avons jamais reçu aucunes argent et même nous ne pouvons en avoir. Si votre majesté permet de nous donner un pouvoir pour toucher l’argent pour la mettre en plant et sans aucune diminution, sire obligez nous si votre majesté le permet.

Cahier de doléances de Beignon du 7 avril 1789
ADM

Dans une lettre du 18 juillet 1789, le représentant des paroissiens de Beignon remet en cause l’autorité royale qui impose les repeuplements forestiers et s’étonne de ce que la somme provenant de l’aliénation des arbres du Teil et Tenedo n’ait pas bénéficié exclusivement au budget de la fabrique

Celle-ci [la paroisse] ne s’est elle pas « considérablement endettée pour défendre les intérêts communs » ? De quel droit lui ôterait-on alors la déposition du produit de la vente ? : « Il n’est point d’affectation plus profitable que l’acquêt d’une dette qui expose le général chaque jour à des contraintes multipliées et ruineuses » ... Seule une nouvelle sentence accordera aux habitants de Beignon le délivrement « du prix nécessaire pour payer les frais d’une procédure dans laquelle ils ont réussi et où ils ont conservé une propriété qu’on voudrait leur arracher. »

Extraits d’une lettre du 18 juillet 1789 in Duval, Michel (1959) op. cit. p. 162

1790-1792 — Les droits d’usage durant la Révolution

1790 — Révoltes agraires et conflits d’usages

La région de Beignon est particulièrement touchée par les tensions révolutionnaires de l’année 1790.

Les 28 et 29 janvier 1790, au cours des révoltes agraires qui enflamment le sud-ouest de l’évêché de Saint-Malo, quatre cents vassaux de l’évêque parmi lesquels des Beignonnais pillent le château de Saint-Malo de Beignon et brûlent les titres de propriété des seigneurs.

Le 28 janvier 1790, environ 400 campagnards des paroisses environnant Maure, Mernel, Saint-Séglin, Bruc, etc..., tous vassaux de l’évêque de Saint-Malo, s’insurgèrent contre l’autorité de ce prélat (Mgr de Présigny), vinrent en furieux à Saint-Malo de Beignon, s’emparèrent violemment des vivres et boissons de M. Jean-Baptiste Pascheu, notaire et procureur, l’un des sous-fermiers de la baronnie, menacèrent de mettre le feu au château épiscopal et n’y renoncèrent qu’à la vue des titres seigneuriaux qu’ils livrèrent aux flammes avec de sauvages démonstrations de joie. Ils partirent ensuite satisfaits d’avoir assouvi leur haine. Mais ils revinrent dès le lendemain 29 ; toutefois, ils se contentèrent ce jour là de piller la maison du concierge et quittèrent définitivement Saint-Malo de Beignon sans avoir mis le feu au manoir de l’évêque.

A.D.I.V. 4 G, 82 in LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne. [pages 375-376]
Carte postale du manoir des évêques de Saint-Malo-de-Beignon
Carte postale ancienne 7003 - Lamiré - Le château, côté de la rivière

Les révoltes agraires prennent fin après la répression du Bois-de-la-Roche des 4 et 5 février mais les tensions ne sont retombées qu’en apparence. Le 3 mars 1790, le premier conseil municipal de Beignon est officiellement élu.

Immédiatement, le Procureur de la commune se constitue partie civile pour demander l’application du procès contre l’Évêque. On donne procuration au Maitre Maufrer Procureur au Parlement de Bretagne pour représenter la commune et demander l’exécution de l’arrêt du 23 juillet 1785. Malheureusement, les messieurs de Paris ont décidé de supprimer les Parlements provinciaux. Jamais la commune n’obtiendra le bénéfice d’un verdict prononcé en sa faveur.

BRIDIER, Pierre, Pays de Beignon : la révolution (1789-1802), Beignon, autoédition, sans date, 73 p., Voir en ligne. [pages 17-18]

En fin d’année, les Beignonnais revendiquent un accès avec leurs bêtes à la forêt de Brécilien.

Dès la fin de l’année 1790, nous enregistrons l’intrusion au sein de nombreux massifs forestiers d’une foule de gens, riverains proches ou lointains, jadis écartés par l’administration royale ou seigneuriale qui, mettant à profit l’équivoque ambiante n’hésitèrent pas à unir leurs bestiaux à ceux des anciens usagers. Ce sont les habitants de Beignon que nous voyons prétendre avoir accès en la forêt de Brécilien, alors que leurs droits n’avaient jamais été reconnus par la coutume.

DUVAL, Michel, La Révolution et les droits d’usage dans les forêts de l’ancienne Bretagne, Rennes, Imprimerie Bretonne, 1954, 13 p., Voir en ligne. [page 4]

Effrayés par la possibilité d’une réaction des paroissiens, les officiers de la Maitrise royale reculent devant les travaux de deffens qu’ils étaient tenus de réaliser en 1790 dans les bois de Beignon.— Duval, Michel (1959) op. cit. p. 168 —

1792 — La vente des bois du Feil et de Tenedo par la paroisse

Comme ailleurs en Bretagne, les usagers de domaines seigneuriaux et ecclésiastiques parviennent lors de la tourmente révolutionnaire à prendre possession des communs. En 1792, les Beignonnais prennent possession des bois du Feil et de Tenedo, réactivant le conflit centenaire autour de ces communs.

C’est bien en effet d’usurpation, dont à la faveur des événements s’étaient souvent rendus coupables les usagers. La situation se trouvant brusquement renversée en leur faveur, les paysans entendaient l’exploiter et nombreux furent les cas où, tranchant sommairement, suivant leurs intérêts, des problèmes dont la solution étaient restée longtemps indécise, ils se mirent en possession pure et simple des boqueteaux, lambeaux de ce domaine seigneurial, dont au cours des siècles précédents ils avaient plus que tout autre consommé la ruine. Aucun exemple n’illustre mieux cette intrusion que celui de l’appropriation des bois ecclésiastiques du Feil et de Tenedo par les habitants de Beignon en 1792. Les massifs sur lesquels seuls des droits d’usages avaient été reconnus aux riverains, n’en furent pas moins incorporés aux communs et vendus comme tels par les habitants de cette localité pour la coquette somme de 32 000 livres.

DUVAL, Michel, La Révolution et les droits d’usage dans les forêts de l’ancienne Bretagne, Rennes, Imprimerie Bretonne, 1954, 13 p., Voir en ligne. [page 4]

Il est à remarquer que le produit de la vente des bois du Feil et de Tenedo par la commune en 1792 est équivalent à celui de la vente d’arbres des communs pour le compte de la Maitrise royale dénoncé dans les doléances de 1789. L’appropriation et la vente de 1792, pourrait donc être perçue comme une volonté de réparer l’injustice dénoncée en 1789. Malheureusement, la commune nouvellement créée engage le produit de la vente dans un mauvais placement et en perd rapidement le bénéfice.

Devenus propriétaires des bois de Feil et de Tenedo, la commune s’empressa de les aliéner pour une somme de 32 000 livres, qu’elle plaça en rentes sur l’État ! ... La tourmente lui fit d’ailleurs perdre cette valeur, sans qu’aucun avantage ait été retiré de cette opération par la communauté 11.

Duval, Michel (1959) op. cit. p. 162

Épilogue

En 1858, les Bois de Feil et de Tenedo sont une dernière fois l’objet d’un conflit. Il aboutit à la perte de leur propriété par les habitants de Beignon.

En 1858, sous le règne de Napoléon III, il n’y avait plus d’Évêque de Saint-Malo depuis plus de 70 ans et ce procès a refait surface, au détriment des Beignonnais. Ce dernier jugement nous apprend qu’en 1856, il y avait encore 1200 hectares de terrains communaux. Cette procédure compliquée à fait l’objet d’un mémoire de Me Camus de l’Oserais qui se trouve aux archives de Rennes (7 Fe 12)

BRIDIER, Pierre, Pays de Beignon : des origines à 1789, Beignon, autoédition, sans date, 53 p., Voir en ligne. [page 28]

Bibliographie

BRIDIER, Pierre, Pays de Beignon : des origines à 1789, Beignon, autoédition, sans date, 53 p., Voir en ligne.

BRIDIER, Pierre, Le pays de Beignon témoin de l’histoire, Beignon, autoédition, 1987.

COLLECTIF, Cahiers de doléances en Brocéliande, Paimpont, Association des Amis du Moulin du Chatenay, 1989, 68 p., Voir en ligne.

DUVAL, Michel, La Révolution et les droits d’usage dans les forêts de l’ancienne Bretagne, Rennes, Imprimerie Bretonne, 1954, 13 p., Voir en ligne.

DUVAL, Michel, Forêt et civilisation dans l’Ouest au XVIIIe siècle, Rennes, Presses artisanales de M. Le Mée, 1959, 297 p., Voir en ligne.

GÉLAIN, F., « La princesse Baciocchi et ses successeurs au château de Korn-er-Houët », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1964, p. 20-24, Voir en ligne.

GUILLOTIN DE CORSON, abbé Amédée, « Les évêques de Saint-Malo dans leur baronnie de Beignon », Revue de Bretagne et de Vendée, Vol. 40, 1876, p. 89-109, Voir en ligne.

LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne.


↑ 1 • Le journal est une ancienne unité de mesure de surface, utilisée jusqu’à la Révolution. Définie comme la surface labourée en un jour avec une traction animale, elle varie suivant les régions. En Bretagne sa valeur approximative est d’un demi-hectare.

↑ 2 • François Bohier (1500 - 1569) est d’abord aumônier de François Ier avant de devenir le coadjuteur de son oncle le 31 décembre 1534 et de lui succéder comme évêque de Saint-Malo le 5 janvier 1535, charge qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1569.

↑ 3 • Achille de Harlay de Sancy, (1581 - 1646), est le fils de Nicolas de Harlay de Sancy, surintendant des finances d’Henri IV. Il est évêque de Saint-Malo de 1631 à sa mort en 1646.

↑ 4 • Sébastien de Guémadeuc ou Madeuc du Guémadeuc (1626-1702) est évêque de Saint-Malo de 1670 à sa mort à Saint-Malo de Beignon en 1702.

↑ 5 • Antoine-Joseph des Laurents (1713 - 1785) est évêque de Saint-Malo de 1767 à sa mort en 1785.

↑ 6 • M. le Breton de Ranzéguat est échevin à Rennes.

↑ 7 • M. Jousselin de Verrières est procureur à Châteaubriant (Loire-Atlantique).

↑ 8 • M. Ch. de Fermont est avocat au Parlement de Bretagne.

↑ 9 • Gabriel comte Cortois de Pressigny (1745-1823) est évêque de Saint-Malo de 1785 à 1801, puis archevêque de Besançon de 1817 à 1823.

↑ 10 • Selon Michel Duval :

La solution la plus simple eût été de faire disparaitre certains bouquets dépérissant, isolés sur le roc, et de se conformer strictement à l’arpentage de l’ancien 1/4 en réserve, délimité en 1688 par le Commissaire de Molinet : on tracerait d’Est en Ouest depuis le ruisseau [de Beauvais] en lisière Sud-Ouest avec le massif de Brécilien un périmètre plein sauf à sacrifier une partie des lotissements déjà construits par les hommes d’affaires de l’Évêque.

Duval, Michel (1959) op. cit p. 161

↑ 11 • Cette vente est initialement mentionnée par Joseph-Marie Le Mené.

La paroisse, de son côté, possédait les bois du Fœil et de Ténédos ; elle les vendit 32,000 livres, et plaça cette somme sur l’État ; mais la révolution vint et engloutit le capital.

LE MENÉ, Joseph-Marie, « Beignon », in Histoire archéologique, féodale et religieuse des paroisses du diocèse de Vannes, Vol. 1, Vannes, Impr. Galles, 1891. 2 vol., p. 53-56, Voir en ligne. [page 54]