aller au contenu

1846

Un projet d’acquisition de la forêt de Paimpont par Louis-Philippe

En 1846, Louis-Philippe cherche à acquérir la forêt de Paimpont. Ce projet s’inscrit dans une stratégie visant à contrer ses opposants légitimistes en Bretagne.

La stratégie de la famille d’Orléans en Bretagne

En 1830, Louis-Philippe d’Orléans succède à Charles X (1757-1836), dernier roi de la branche des Bourbons à régner sur la France. Durant son règne, deux partis s’affrontent.

  • les orléanistes, favorables à la dynastie régnante,
  • les légitimistes favorables au rétablissement de la royauté en la personne du chef de la maison de Bourbon.

Au printemps 1832, la duchesse de Berry (1790-1870) 1, mère du petit-fils de Charles X, prétendant légitimiste au trône de France sous le nom de « Henri V » tente de renverser le pouvoir royal en soulevant l’Ouest acquis à la cause des Bourbons. Après avoir étouffé cette rébellion, Louis-Philippe entreprend de créer un soutien orléaniste en Bretagne. Pour atteindre cet objectif, il adopte une stratégie qui comprend quatre axes principaux :

  • Montrer la puissance de l’armée royale
  • Mener des actions diplomatiques par l’intermédiaire de ses fils
  • Placer des candidats aux campagnes électorales
  • Mettre en place une politique d’acquisition de terres symboliques 2

Le massif forestier de Paimpont est l’un des bastions des tendances légitimistes en Bretagne. De 1843 à 1846, la famille d’Orléans y applique les quatre volets de sa stratégie contre les partisans des Bourbons.

1843 — Le camp du Thélin

Durant l’été 1843, l’armée royale s’implante au camp du Thélin à Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine) au sud du massif forestier de Paimpont.

L’établissement de ce camp de manœuvre a pour but de montrer la force de l’armée royale aux légitimistes. Le lieu choisi est symbolique : en 1794, les chouans de Puisaye y avait remporté leur première bataille contre des forces républicaines.

Il faut voir de près ce mouvement pour y croire. Les plus incorrigibles chouans du pays en reviennent tout surpris. C’est ainsi qu’on a vu, ces jours derniers, plusieurs chefs de bandes de la duchesse de Berry, et surtout l’avocat Guibourg 3, trouvé avec la duchesse derrière la plaque de cheminée à Nantes.

L*****, « Le camp du Thélin », Feuilleton du Globe, 1843.
Le camp du Thélin (1843)

La famille d’Orléans n’hésite pas dans le même temps à tendre la main aux membres de la noblesse qui souhaiteraient s’allier à elle. Deux prestigieux émissaires sont dépêchés en Bretagne dans ce but : le prince héritier, le duc de Nemours, logé à Saint-Malo-de-Beignon et le général de Rumigny, qui a maté la rébellion légitimiste de 1832 en Bretagne.

Avant de descendre dans les quartiers de l’infanterie, montons à la tente du général de Rumigny. On ne tarit pas, à Plélan comme à Thélin, sur l’affabilité, la grâce, et la généreuse satisfaction avec lesquelles l’honorable général fait les honneurs du camp. Son éloge est dans toutes les bouches. Le riche et le pauvre, tous sont cordialement accueillis ; on ne saurait avoir d’aussi unanimes et plus vives sympathies. M. le général de Rumigny sait faire aimer la dynastie par tous ceux qui approchent de lui.

L*****, « Le camp du Thélin », Feuilleton du Globe, 1843.

1846 — Un projet d’acquisition du domaine de Paimpont

En 1846, la famille d’Orléans projette d’acquérir la forêt de Paimpont. Une proposition est faite à Étienne de Formon (1784-1854), d’acheter le domaine pour 5 millions de francs soit le double de son prix d’achat en 1841.

Deux représentants du domaine privé, M. S. et un proche parent, M. G. ont été mis en campagne ; nous voulons croire qu’ils n’allaient pas tout à fait au hasard. Ils se présentent chez le propriétaire de Paimpont, et lui tiennent à peu près ce langage :
— Vous êtes avancé en âge. Pourriez-vous laisser à une femme et à des enfants, jeunes encore, le fardeau d’une succession compliquée d’exploitation d’usines et de forêts ? Si vous êtes sage vous vendrez, mais on ne trouve pas facilement un acheteur qui puisse donner à l’instant cinq millions.

CORSAIRE SATAN, « Agriculture dynastique », La Quotidienne, 15 février, 1846, p. 2, Voir en ligne.

Cette proposition d’acquisition intervient durant la campagne des législatives de 1846 4, qui voit s’affronter les partis orléanistes et légitimistes. L’un des principaux opposants à Louis-Philippe, Henri de La Rochejaquelein (1805-1867) 5, chef du parti légitimiste, député du 6e collège du Morbihan (Ploërmel) depuis 1842 6, se représente en 1846. Louis-Philippe lui oppose l’un de ses plus fidèles soutiens, le général de Rumigny.

M. de Larochejacquelein est député de Ploërmel ; au dire des casuistes de la rue de Grenelle, il éprouve le plus grand besoin d’être remplacé par le général de Rumigny, aide de camp du roi. Or, il existe dans cet arrondissement un domaine de Paimpont d’une valeur d’environ cinq millions, ce qui le fait considérer par tous les géographes de l’endroit comme le Pérou de l’arrondissement de Ploërmel. [...] La Liste Civile 7 veut adjoindre Paimpont au domaine de Carheil déjà possédé par M. de Joinville. Certes, voilà de quoi rumignifier l’arrondissement de Ploërmel.

ANONYME, « Deux bons coups », Le charivari, 27 février, Paris, 1846, p. 1, Voir en ligne.
Henry, Auguste, Georges du Vergier de La Rochejaquelein
Assemblée nationale

Pour le parti légitimiste, la proposition d’acquisition de la forêt de Paimpont vise un double motif : favoriser l’élection du général de Rumigny puis permettre d’acquérir la forêt du Gâvre (Loire-Atlantique) que la famille d’Orléans convoite depuis plusieurs années.

[...] notre rôle d’historien impartial nous force à faire connaitre le double motif de cette opération. Le Domaine de Paimpont qui se trouve situé en partie dans l’arrondissement de Ploërmel, une fois acquis, on espère faire nommer un aide de camp bien en cour à la place de M. de Larochejacquelein. Cela ne vous semble-t-il pas naturel ? Les éléments de succès paraissent nombreux et infaillibles. La forêt est giboyeuse, on y a chassé de tous temps, on donnera la chasse à tout électeur qui ne votera pas pour M. de Rumigny. Les usines de Paimpont fournissent du fer à tout le pays. On ne négligera pas de tirer parti des relations d’affaires. Voici maintenant le second motif qui n’est pas moins important. À une époque plus ou moins éloignée, on s’occupera d’échanger Paimpont contre la forêt du Gâvre. Cinq millions contre vingt, l’affaire sera belle. Il y aura sans doute du retour, mais quel retour ? Un mot, réussira-t-on ? On peut toujours essayer avec une majorité docile ; et nous sommes convaincus que si M. de Rumigny arrivait à la Chambre (chose fort douteuse), son vote serait acquis à la proposition.

CORSAIRE SATAN, « Agriculture dynastique », La Quotidienne, 15 février, 1846, p. 2, Voir en ligne.

La stratégie de Louis-Philippe essuie un double échec à Paimpont.

  • La famille d’Orléans ne parvient pas à acquérir la forêt de Paimpont. Étienne de Formon, ancien membre du Conseil du roi sous Charles X - favorable à l’opposition légitimiste - refuse la proposition pourtant fort intéressante d’un point de vue financier.
  • M. de Rumigny perd les élections législatives du 1er août 1846. Sa défaite n’a pas l’ampleur annoncée par La Vigie du Morbihan, journal légitimiste qui pronostiquait la victoire du parti légitimiste dès le premier tour. Finalement, Henri de La Rochejaquelein remporte l’élection au second tour par 158 voix sur 296 votants et 314 inscrits, contre 136 à M. de Rumigny 8.
Election législative de 1846
—  ANONYME, « Elections du Morbihan », Morbihan, journal des intérêts du département, religieux, commercial, agricole, industriel, politique et littéraire (Le), 8 août, 1846, Voir en ligne. —

En 1855, la banque Seillière achète la forêt de Paimpont à la veuve d’Étienne de Formon pour le compte du duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe. Cette acquisition, réalisée dix ans après la première proposition de la famille d’Orléans, est trop tardive pour remplir ses objectifs initiaux. Elle peut néanmoins être perçue comme une « revanche » de la famille d’Orléans sur l’histoire.


Bibliographie

ANONYME, « Deux bons coups », Le charivari, 27 février, Paris, 1846, p. 1, Voir en ligne.

ASSEMBLÉE NATIONALE, « Alphonse, Joseph, Constant Bourelle de Sivry (1799-1862) », 2013, Voir en ligne.

ASSEMBLÉE NATIONALE, « Julien, Louis, Marie de La Haye-Jousselin (1791-1865) », 2014, Voir en ligne.

ASSEMBLÉE NATIONALE, « Henry, Auguste, Georges du Vergier de La Rochejaquelein (1805-1867) », 2014, Voir en ligne.

ASSOCIATION SYNDICALE LIBRE DU DOMAINE DE CARHEIL À PLESSÉ, « L’histoire de Carheil », 2021, Voir en ligne.

CORSAIRE SATAN, « Agriculture dynastique », La Quotidienne, 15 février, 1846, p. 2, Voir en ligne.

L*****, « Le camp du Thélin », Feuilleton du Globe, 1843.


↑ 1 • Marie Caroline Ferdinande Louise de Bourbon, princesse des Deux-Sicile, plus connue sous le nom de duchesse de Berry, est l’épouse de Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry, second fils du roi Charles X de France, assassiné en 1820 et la mère du comte de Chambord, prétendant légitimiste au trône de France sous le nom de « Henri V » âgé de 13 ans en 1832.

↑ 2 • La famille d’Orléans achète notamment les terres de Carheil et de Châteaubriant.

  • En 1842, François d’Orléans (1818-1900), prince de Joinville, troisième fils de Louis-Philippe, acquiert les terres et le château de Carheil à Plessé (Loire-Atlantique). Cette acquisition est hautement symbolique. Le marquis de Coislin et son père mort en 1837, ont activement œuvré au complot légitimiste de 1832. Leur château servait alors de quartier général à la conspiration de la duchesse de Berry. Un rapport daté de 1847 explicite les ambitions royales.

Palais Royal, le 16 septembre 1847 Le directeur des domaines Rouchet

Sire, l’acquisition de ce château a été faite dans un but presque entièrement politique ; il s’agissait d’annihiler une influence hostile, de faire revivre la mémoire du duc de Penthièvre si chère aux anciens du pays, et d’étendre, dans toute la Bretagne, l’attachement que les bretons des bords de la mer avaient hautement manifesté pour un de vos fils.

ASSOCIATION SYNDICALE LIBRE DU DOMAINE DE CARHEIL À PLESSÉ, « L’histoire de Carheil », 2021, Voir en ligne.
Château de Carheil à Plessé
  • En 1844, Henri d’Orléans, duc d’Aumale, achète le domaine de Châteaubriant, avec son château (Loire-Atlantique). Cette acquisition s’inscrit dans la continuité de la stratégie politique d’implantation de fiefs orléanistes en Bretagne.

Le domaine de Châteaubriant a donc été acheté au nom de M. le duc d’Aumale. On prétend qu’il a coûté quelques centaines de mille francs de plus qu’il ne vaut ; mais la Liste Civile l’aurait payé plus cher encore, qu’elle n’aurait pas cru faire une mauvaise affaire. Quand on est généreux, on est capable de tout.

CORSAIRE SATAN, « Agriculture dynastique », La Quotidienne, 15 février, 1846, p. 2, Voir en ligne.
Le château de Châteaubriant en 1840
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine (Charenton-le-Pont), Cote conservation 0082/044/2002.
Eugène Viollet-le-Duc

Elle vise notamment à asseoir les intérêts politiques de M. de la Haye Jousselin (1791-1865), intendant des domaines du duc d’Aumale et député de Châteaubriant de 1837 à 1848. Durant ses onze années de mandature, fidèle servant de la famille d’Orléans, M. Jousselin de Lahaye vote constamment selon les vœux du pouvoir —  ASSEMBLÉE NATIONALE, « Julien, Louis, Marie de La Haye-Jousselin (1791-1865) », 2014, Voir en ligne. —

↑ 3 • Achille Guibourg est né en 1789 à Châteaubriant. Après ses études à la faculté de droit de Rennes, il entre dans la magistrature. En 1830, il démissionne, ne voulant pas servir Louis-Philippe (« l’usurpateur ») et part à Nantes. Parallèlement, en 1832, les provinces de l’Ouest se soulèvent sous l’impulsion de la duchesse de Berry qui veut redonner à son fils le duc de Bordeaux, l’héritier de la branche des Bourbons, le trône que Louis-Philippe a usurpé. Achille Guibourg adhère à la cause et devient Président du Comité Royaliste de L’Ouest. Cette rencontre avec la Duchesse de Berry sera pour Guibourg la grande rencontre de sa vie. Mais après l’échec de la prise de pouvoir, puis l’arrestation rocambolesque de la Duchesse à Nantes, Achille Guibourg prend ses distances et vient s’installer à Saint-Malo.

↑ 4 • Des élections législatives ont lieu en août 1846, suite de la dissolution de la chambre sortante par Louis-Philippe. Elles permettent de consolider la majorité parlementaire de Jean-de-Dieu Soult.

↑ 5 • Henri de La Rochejaquelein est le fils de Louis du Vergier de La Rochejaquelein qui compte parmi les plus célèbres des généraux royalistes de la guerre de Vendée. Farouche opposant à la famille d’Orléans, il démissionne de la Chambre des pairs après la révolution de juillet 1830 et l’accession au trône de Louis-Philippe. Il est élu député du Morbihan en 1842 et 1846 et siège à droite, parmi les légitimistes.—  ASSEMBLÉE NATIONALE, « Henry, Auguste, Georges du Vergier de La Rochejaquelein (1805-1867) », 2014, Voir en ligne. —

↑ 6 • Il succède à Alphonse Joseph Constant Bourelle de Sivry (1799-1862), fils de Nicolas Bourelle de Sivry (1750-1808), propriétaire du château de Trécesson. Il est député « centre gauche » du Morbihan de 1831 à 1842. Il se représente en 1846 où il est sévèrement battu (17 voix sur 300). —  ASSEMBLÉE NATIONALE, « Alphonse, Joseph, Constant Bourelle de Sivry (1799-1862) », 2013, Voir en ligne. —

↑ 7 • La liste civile correspond à la somme d’argent mise à la disposition personnelle du monarque pour les besoins de sa maison ; c’est donc une composante du budget de l’État dans les monarchies. Dans les républiques, l’équivalent de la liste civile est occupé par le budget de la présidence de la République.

↑ 8 • Depuis le Directoire, les membres du Conseil des Cinq-cents sont élus au suffrage censitaire, ils doivent être âgés de plus de 30 ans et résider depuis au moins dix ans sur le territoire national. La Restauration et la Monarchie de Juillet maintiennent ce système de vote censitaire entre 1815 et 1848 : de 1814 à 1830, le cens est fixé à 300 francs pour être électeur, et à 1 000 F pour être éligible. Le 19 avril 1831, il est abaissé à 200 F pour être électeur et 500 F pour être éligible : il y a 246 000 électeurs en 1847.