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1878

Le conte de Merlin

Un conte populaire collecté par Joseph Foulon

Le Conte de Merlin est un conte populaire localisé en forêt de Brocéliande, publié en 1878 par Joseph Foulon-Ménard.

Le collectage

Le Conte de Merlin est publié en 1878 par Joseph Foulon-Ménard (1808-1879). Son auteur, né à Mauron, écrit l’avoir entendu dans son enfance et collecté en 1859 auprès d’une lingère originaire de Talensac, proche de Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine).

Pendant les premières années du siècle, le conte que l’on va lire se disait aux fileries d’hiver dans toutes les paroisses qui environnent la forêt de Penpont. Je l’avais entendu à Mauron dans ma petite enfance. […] En décembre 1859, j’eu l’occasion de me le faire redire par une lingère à la journée, Véronique Paris, âgée alors de soixante-quatorze ans, qui le tenait de sa mère, comme elle repasseuse de coiffe et native de Talensac. Je l’écrivis sous sa dictée, le voici.

FOULON-MÉNARD, Joseph, « La tradition de Merlin dans la forêt de Brocéliande », in Mélanges historiques, littéraires, bibliographiques, Vol. 1, Nantes, Société des bibliophiles bretons et de l’histoire de Bretagne, 1878, Voir en ligne.

Rééditions

Le Conte de Merlin a été l’objet de deux rééditions contemporaines.

  • En 1986 dans la revue de l’Écomusée de Montfort-sur-Meu.—  FOULON-MÉNARD, Joseph, « Le conte de Merlin », Glanes en Brocéliande, Vol. 12, 1986, p. 1-7. —
  • En 2012 dans un recueil de contes d’Ille-et-Vilaine publié par le conteur Jean-Pierre Mathias et illustré par Camille Romanetto. —  FOULON-MÉNARD, Joseph et MATHIAS, Jean-Pierre, « Le conte de Merlin », in Contes et légendes d’Ille-et Vilaine, De Borée, 2012, p. 327-335. —
Illustration pour le "Conte de Merlin"
—  FOULON-MÉNARD, Joseph et MATHIAS, Jean-Pierre, « Le conte de Merlin », in Contes et légendes d’Ille-et Vilaine, De Borée, 2012, p. 327-335.
[page 326] —
Camille Romanetto

Le texte intégral du Conte de Merlin

Il y avait une fois... un roi, qui voulait savoir combien de garçons contenait son royaume. Et il y avait un pauvre homme qui n’avait que des filles ; deux d’entre elles dirent à leur père :

— Faut nous habiller en hommes ; nous irons nous présenter au roi. Peut-être nous donnera-t-il quelque gratification.

Le roi retint ces deux visiteurs ; de l’un (Jeanne) il fit un cuisinier, de l’autre (Marie) un valet de chambre. La reine dit un jour au roi :

— Le valet de chambre est un insolent ; il m’a manqué.

Le valet de chambre fut mis en basse-fosse.
Le cuisinier allait porter à manger au captif, qui l’interrogeait sur la durée de son emprisonnement :

— Pas de mention qu’on te délivre, disait le cuisinier.
— Il y a moyen, reprit l’autre, il y a moyen de me sauver. Monte dans un arbre sur le passage du roi, couvre-toi de feuilles et de brindilles, cache-toi sous les branches et crie d’une voix forte : « le sujet qui est dans la basse-fosse n’est point un garçon, c’est une fille ! »

Le roi et la reine, dans leur promenade, entendirent cette voix sans trop y faire attention. Ils revinrent le lendemain au même endroit, à la même heure, et entendirent de nouveau la voix cachée qui disait : « le prisonnier du roi, qui aurait manqué à la reine, n’est point un garçon, c’est une fille. »
Le roi dit à la reine :

— C’est étrange, vérifions.
— C’est vrai, répliqua la reine, c’est étrange, il faut vérifier.

Le cuisinier eut ordre d’informer le captif qu’il allait sortir de prison, le roi voulant le faire coucher dans sa chambre, afin, de s’assurer s’il était, oui ou non, fille ou garçon.

— Cours chez l’apothicaire, dit le valet de chambre au cuisinier, et apporte-moi vite la liqueur qui fait dormir.

Voilà donc le prisonnier entrant le soir dans la chambre du roi. Mais le roi, à ce moment même, sent la vertu du liquide qui fait dormir et, grâce à cette essence, tombe dans un sommeil de plomb. Le lendemain, la reine curieuse l’interroge. Le roi répond qu’il n’en sait pas plus que la veille, un sommeil subit et profond s’étant emparé de lui.

Une vieille, soupçonnée de magie, habitait une masure dans un des hameaux voisins :

— Qu’on la consulte, dit la reine.

La sorcière consultée répond :

— Un être mystérieux ravage toutes les nuits le potager du roi ; mettez le prisonnier à la garde du jardin. S’il prend le malfaiteur, c’est une fille.

L’ordonnance de la sorcière est suivie. On a posté le valet de chambre en surveillance :

— Mais, dit-il, pour exécuter ma consigne, il me faut trois choses : un feu allumé en face d’une table bien servie, un lit et un coffre.

On lui fournit ce qu’il demande. Au coup de minuit, l’être fantastique arrive. Il se parle à lui-même :

— Merlin, ô Merlin, prends garde ! Voilà un bon feu, et tu as froid ; une bonne table, et tu as faim. Ne te fie pas trop à ton bonheur. On a peut-être des desseins contre toi. Quand l’oiseau repose, dit-on, tout est tranquille. L’oiseau repose-t-il ?

Et il jette une pierre dans la haie. Un oiseau s’envole. Merlin se dit :

— Il dormait, donc le lieu est sûr.

Alors il se chauffe tout à son aise et soupe avec appétit ; cela fait, il aperçoit le lit et le coffre :

— Depuis si longtemps que je couche sur la dure et à la belle étoile !... Mais, avant de me coucher, vérifions encore si l’oiseau repose.

Il jette de nouveau une pierre, un second oiseau réveillé s’envole :

— C’est bien, dit Merlin, l’oiseau repose ; soyons sans crainte. Couchons-nous.

Il s’approche du lit. Mais à peine pose-t-il, pour y monter, un pied sur le coffre, que le garde du jardin (notre valet de chambre), qui avait fait un piège de ce coffre, y enferme Merlin et va trouver le roi :

— Sire, le ravageur est pris.
— Pas possible !

On s’assure de cette prise, on constate le bon renseignement de la sorcière et, vérification faite, valet de chambre et cuisinier sont reconnus pour filles. Les congédiera-t-on ? Non. On les réinstalle dans leurs services. Quant à Merlin, il fut mis, tout coffré qu’il était, dans la basse-fosse. Et le roi fit un édit portant : « celui qui déprisonnera Merlin, je le ferai mourir ! »

La reine, pour plus de sûreté, prit la clef du coffre ; et elle l’attacha par un ruban à une chaîne d’or qu’elle portait au cou. L’enfant du roi — car j’ai oublié de dire que leurs majestés avaient un fils unique — l’enfant du roi était à l’âge où l’on joue à la cannette. On l’appelait Pelo, comme les petits enfants qui ont nom Pierre. Un jour qu’il jouait sur les parquets cirés avec ses cannettes d’or, voilà une de ces billes qui tombe, par un trou invisible, jusque dans la basse-fosse.

— Merlin, s’écria Pelo, Merlin, mon Merlin, rends-moi ma cannette d’or !
— Oui, dit Merlin, si tu me donnes ma liberté, ta cannette d’or je te la rendrai.
— Mais tu sais bien que mon père a dit : je ferai mourir qui délivrera Merlin. Tu veux donc qu’on me fasse mourir ?
— Non, tu ne mourras pas, j’aurai soin de toi. Fais ce que je te demande et ne crains rien. Quand ta maman te peignera, avec les ciseaux de sa ceinture coupe le ruban qui retient la clef, et viens m’ouvrir.

L’enfant fait ce que lui a demandé Merlin et le déprisonne. Quand le cuisinier (Jeanne) alla porter à manger à Merlin, elle trouva la basse-fosse ouverte et le prisonnier absent.

— Sire, un grand malheur, va-t-elle dire au roi ; Merlin est en fuite et la prison vide.

Le roi en colère dit :

— Mon édit sera exécuté ; quiconque a ouvert la porte à Merlin sera tué !

La reine s’était aperçue que le petit prince lui avait dérobé la clef. Elle dit à Marie, la femme de chambre :

— Voilà de l’or et de l’argent, voilà mon fils ; emmène-le en pays étranger, bien loin !

Marie partit avec le petit Pelo, qui s’habitua bien vite à l’appeler maman ; et ils furent bien loin, bien loin, dans un royaume nommé Barenton. Un soir donc, bien fatigués, ils aperçurent la porte d’un château-fort, et demandèrent si on avait besoin d’une domestique. On leur dit : « Oui ». La maman adoptive ajouta :

— Mais j’ai mon fils avec moi.
— C’est égal, on en tirera parti, il ira garder les oies.

Or, dans ce royaume de Barenton, il venait une bête tous les sept ans. Elle avait sept têtes ; et à chacune de ses apparitions il fallait lui donner à dévorer un enfant. Le roi de Barenton avait une fille. Son tour était venu d’être dévorée. Cette petite princesse avait pris pour compagnon de jeux le petit Pierre, qu’elle aimait à rencontrer dans la prairie aux oies. Elle lui disait :

— Mon Pelo, je n’ai plus que deux ans à vivre. Je suis destinée à la bête dévorante...
— Oh ! disait le petit Pierre, ce n’est pas possible !

Et il aurait voulu être en âge et en force de combattre cette bête. Tous les jours même rencontre, mêmes jeux, même plainte de la princesse, même douleur de Pelo. Cependant le temps courait ; et voici qu’un matin, en l’appelant pour jouer, la princesse dit au petit gardeur d’oies :

— C’en est fait, je n’en ai plus que pour huit jours !

Le soir venu, Pelo était rêveur ; il songeait à la princesse, à la bête, à lui-même, à son malheur.

— Oh ! dit-il, c’est Merlin qui est cause de tout cela, mais il m’a promis d’avoir soin de moi. II me devrait bien venir en aide à ce moment.

Le lendemain matin, comme il conduisait son troupeau dans la prée, Merlin lui apparut :

— Tu as donc besoin de moi ?
— Grand besoin, répond l’enfant. Je t’en supplie, sauve la princesse de ce pays. Sauve-la de la bête à sept têtes !
— Soit, lui dit Merlin. Quand cette princesse partira pour être livrée au monstre sur la colline, elle te fera ses adieux, car elle t’aime.
— Et moi je l’aime aussi, je l’aime à en mourir !
— Hé bien ! au moment du départ, appelle-moi.

La nuit se passe. Le jour revient. Voici la princesse sur son départ :

— Ah ! Pelo, tu ne me verras plus.

Et elle pleurait. Et Pelo, cachant sa figure entre ses mains, pleurait plus fort. La voyant disparaître :

— Merlin ! crie-t-il, Merlin ! mon Merlin, viens à moi !

Merlin arrive avec un cheval gris de fer, une armure de même couleur et une grande épée :

— Prends cette armure et cette épée, monte ce cheval et va au rendez-vous. Tu diras à la princesse de monter derrière toi, et quand tu l’auras en croupe, combats toujours à droite.

Le petit Pierre, ainsi vêtu en chevalier, aborde la princesse, qui, bien entendu, ne le reconnaît pas et répond à ses questions :

— Je suis résignée à mon sort ; j’attends la bête qui doit me dévorer.
— Montez derrière moi, je viens combattre avec vous et pour vous.

La princesse s’y refuse, disant :

— Au lieu d’une proie le monstre en aurait deux.

Le chevalier insiste, la princesse saute en croupe et le combat commence : car déjà l’affreuse bête est arrivée, jetant eau et feu par les narines. Deux de ses têtes tombent tranchées par l’épée du jeune chevalier ; et la bête quitte le champ en disant (car elle parlait) :

— A demain ! avec cinq têtes je serai plus forte qu’avec sept.

Et la princesse, pleine de terreur et de reconnaissance, prie instamment son sauveur de lui apprendre son nom et de venir avec elle au château de son père.

Le chevalier refuse de se nommer et se retire de son côté, emportant pour gages, dans une cassette et un mouchoir enchantés, les deux têtes coupées du monstre.

— Voici les deux premières têtes, dit-il à Merlin qui vient à sa rencontre. Je vous les livre avec l’armure et la monture que vous m’avez prêtées.

Et petit Pierre, redevenu gardeur d’oies, retourne dans la prairie, où la princesse vient le rejoindre.

— Mon Pierre, lui dit-elle, me voilà sauvée pour aujourd’hui. Un beau chevalier a passé, qui m’a fait monter en croupe, et a si puissamment combattu le monstre de son épée merveilleuse, qu’il l’a vaincu en lui coupant deux têtes. Mais, hélas ! sauvée... je ne le suis que pour un jour ! Demain je retourne.
— Demain, interrompt Pierre, demain aura peut-être sa grâce, comme aujourd’hui.

Et ils fondaient en larmes tous deux, car il n’y avait point d’espoir au cœur de la princesse. Le lendemain, la scène de la veille se renouvelle. Merlin, invoqué par petit Pierre, lui ramène monture et armure, mais cette fois couleur de vair, et lui recommande de combattre, non plus à droite, mais à gauche :

— Et hâte toi, dit-il, car la bête est impatiente et tout proche.

Le combat reprend. Trois autres têtes tombent. La bête, cinq fois décapitée, quitte encore le champ en remettant la partie finale au lendemain. Petit Pierre met les trois têtes dans le mouchoir, le mouchoir dans la cassette enchantée, et disparaît : non sans nouvelles instances de la princesse pour qu’il vienne au château paternel, ce qu’il refuse, pour retourner au contraire, comme la veille, à son troupeau d’oies. Malheureusement, le soir, en rendant son équipage à Merlin, il ne le prévient point de revenir le lendemain. Aussi, le moment venu, c’est en vain qu’il l’appelle :

— Merlin, viens à moi, viens à moi mon Merlin ! Si je t’ai manqué hier, c’est que j’étais hors de moi de joie et d’exaltation. Entends mes cris et mes excuses. Viens, viens !....

Enfin Merlin arrive ; cette fois cheval et armure sont couleur d’argent, et ordre est donné de combattre en face :

— Allons, à cheval et de l’éperon ! dit Merlin.

Pelo galope ventre à terre et arrive juste pour rattraper d’une main la princesse, que la bête entraînait déjà par sa robe, et qu’elle eût étouffée, rien que de son haleine, une seconde plus tard. La lutte est terrible. Une des deux têtes tombe ; mais dans celle qui reste toutes les forces de la bête semblent concentrées, doublées... A la fin, elle tombe aussi, le monstre succombe et meurt. Son cadavre, pestant l’air, force à quitter la place. La princesse, pendant ce temps-là, s’avise de couper une mèche de cheveux à son dernier sauveur : car elle croyait que c’étaient trois chevaliers différents. Elle ne reconnaîtra point les deux autres, mais de cette façon elle retrouvera peut-être celui-ci.

— Je vous en prie lui dit-elle, comme elle l’avait dit les deux autres jours, venez auprès de mon père ; oh ! venez-y avec moi ! Et, si vous n’êtes pas marié et que je vous plaise, mon père fera de vous mon époux et son héritier.
— Impossible. Déjà même je suis en retard pour une bataille acceptée ; si j’y manquais, on m’accuserait de lâcheté et de félonie.

De retour auprès de Merlin, Pierre lui dit :

— Que faire ? Elle me propose sa main et la couronne après son père. Mais c’est à toi que l’une et l’autre sont dues.
— C’est bien, lui dit Merlin. Pour ces choses-là, le moment venu, tu me rappelleras.

La princesse est dans la grande salle du château, à côté de son père assis sous le dais. De toutes parts on la complimente. Les uns font, les autres écoutent dans tous ses détails le récit de la délivrance. On conte que son sauveur est un beau jeune homme inconnu, qu’elle lui a coupé une mèche de cheveux, et que le roi a fait injonction, à tous les écuyers, chevaliers et autres gentilshommes du royaume de venir à l’épreuve. II en vint et en grand nombre et qui tentèrent bien des fraudes. On se teignait les cheveux à l’aventure, on se coupait une mèche aux endroits présumés. Mais à quoi bon ? Il fallait autre chose, il fallait pouvoir montrer les sept têtes dans le mouchoir. On s’épuisa en efforts, en recherches dans tous les rangs et dans toutes les classes ; on fit comparaître successivement tous les hommes du pays, si bien qu’un jour, à bout d’espoir, la princesse dit :

— Ah ! mon père, c’est fini : il n’y a plus personne à examiner... Je me trompe. Il y a encore ce pauvre petit Pierre !
— Ma fille, répondit le roi, on ne se moque pas des innocents. Qu’a à faire ici notre gardeur d’oies ?... Enfin... pour te faire plaisir... voyons Pierre.

Pierre, averti que le roi l’allait mander, avait de suite appelé son tout-puissant protecteur. Merlin était arrivé, amenant l’équipage couleur d’argent dont Pelo s’était servi dans le dernier combat et apportant les sept têtes du monstre dans le mouchoir. Il donne le tout à petit Pierre, qui endosse l’armure, monte à cheval, et entre, fier et galant, dans la cour du château.

— Le voilà ! s’écrie la princesse. Oui, mon père, voilà celui qui m’a sauvée !

Et Pierre de répondre modestement :

— Ce n’est point à moi la gloire ni la récompense, mais à celui qui me suit et m’accompagne, au véritable auteur du salut de la princesse, au grand et puissant Merlin !

Merlin s’avance et salue le roi, en disant :

— Ne l’écoutez pas, sire. C’est à lui que vous devez donner la main de la princesse et la couronne, non à moi, qui ne suis point de sang royal. Mais j’épouserai Marie, sa mère adoptive. Si l’enfant m’a délivré de la prison, Marie a opéré pour moi une bien autre délivrance. Car en me prenant dans un piège au jardin, elle a rompu un horrible charme. Le pouvoir supérieur d’une fée maudite avait fait de moi un animal farouche et malfaisant : j’étais en métamorphose, et elle m’en a délivré.

Pour le mariage, on rechercha les vrais parents et l’origine de petit Pierre. Depuis sa disparition, le roi son père n’avait cessé de pleurer sa perte. Il fut donc ravi de retrouver son fils. Les deux rois se traitèrent entre eux magnifiquement, et comme leurs royaumes étaient limitrophes, par l’union de leurs deux enfants, ils n’en firent plus qu’un.

Éléments de comparaison

Les hypothèses celtiques de Joseph Foulon

Dans un long préambule, Joseph Foulon présente le conte de Merlin comme l’unique exemple d’un conte populaire de Haute-Bretagne reprenant des thématiques arthuriennes liées à la vie de Merlin.

Nous avons eu la chance de retrouver sur le territoire de Brocéliande, sur les marges de la forêt actuelle de Penpont, un conte essentiellement populaire dont Merlin est le héros. Il a un caractère enfantin comme l’Owen, le Ghérent, le Pérédur, traduits en français et publiés par M. de la Villemarqué, comme les Mabinogion, manuscrit cambrien édité par lady Charlotte Guest. Seulement, à l’inverse de ceux-ci, il pourrait bien n’avoir jamais été écrit. [...] Notre conte est donc un nouveau fragment du cycle légendaire de Merlin en Armorique, il a sa place auprès des fragments déjà publiés ou indiqués par le savant auteur du Barzaz Breiz.

Foulon-Ménard, Joseph (1878) op. cit., pp. 4-5

Selon son collecteur, ce conte se rattache à la dernière phase du cycle de Merlin, celle du Merlin sauvage.

Nous sommes très portés à croire que notre Conte de Merlin, au lieu d’être un reflet, une parcelle des vastes poèmes de Chrestien de Troyes et de Robert Wace, leur est au contraire assez antérieur, et a fait primitivement partie - sous une forme quelconque - de cette littérature bardique des anciens Bretons, dont les épopées françaises de la Table Ronde ne sont qu’une altération fort amplifiée.

Foulon-Ménard, Joseph (1878) op. cit., pp. 4-5

L’origine celtique du conte de Merlin remise en cause

En 1927, Emmanuel Philipot (1872-1950) 1 l’analyse longuement dans un article dédié aux Contes bretons relatifs à la légende de Merlin. Il le recense comme le seul exemple de conte du pays gallo relatif à Merlin.

Après un dépouillement consciencieux des principaux recueils de folklore, nous constatons que nous n’avons jusqu’à ce jour, en tout et pour tout, que trois contes bretons relatifs à Merlin ; deux d’entre eux font partie du recueil bien connu de Luzel, « Contes populaires de Basse-Bretagne ». A) Le Murlu ou l’Homme Sauvage. B) Le Capitaine Lixur ou le Satyre. [...] La troisième version est de pays gallo. c’est-à-dire française, mais recueillie dans une partie de la Haute-Bretagne très voisine de la région bretonnante. La version en question fut recueillie avec une sincérité parfaite que prouvent maintes bévues et lacunes, par le Dr Foulon-Ménard. C) « Le Conte de Merlin ». Les versions se réduisent donc à trois : mais chacune a son originalité propre ; le conte gallo ne dérive d’aucun des deux contes bretonnants et ceux-ci sont indépendants l’un de l’autre [...].

PHILIPOT, Emmanuel, « Contes bretons relatifs à la légende de Merlin », in Mélanges bretons et celtiques offerts à M. J. Loth, membre de l’Institut, professeur au Collège de France, Rennes, Plihon et Hommay, 1927, p. 349-363, Voir en ligne.

Au terme d’une analyse comparative détaillée, Emmanuel Philipot remet en cause l’hypothèse de Joseph Foulon sur son origine celtique et le rattache à une provenance d’Europe orientale.

Or, aucun de ces trois contes. quel que soit son idiome, n’est un produit indigène ; ce sont trois articles d’importation, venus de l’Europe orientale, sans doute par des intermédiaires français ; ils n’ont rien de celtique dans leur fond ni dans leur forme.

Philipot, Emmanuel (1927) op. cit., p. 350

Selon le conteur Jean-Pierre Mathias, Le conte de Merlin est un conte composite comprenant trois standards de la classification internationale Aarne-Thompson-Uther.

C’est un récit qui correspond à trois standards internationaux avec une introduction du type « la fille travestie courtisée par la reine », suivie de « l’homme sauvage », et se poursuivant par « la bête à sept têtes » ( de cette dernière forme on a des attestations à Liffré, Dourdain, Sains, Saint-Malo).

MATHIAS, Jean-Pierre, Contes et légendes d’Ille-et-Vilaine, Paris, De Borée, 2012, 484 p. [page 327]

Bibliographie

FOULON-MÉNARD, Joseph, « La tradition de Merlin dans la forêt de Brocéliande », in Mélanges historiques, littéraires, bibliographiques, Vol. 1, Nantes, Société des bibliophiles bretons et de l’histoire de Bretagne, 1878, Voir en ligne.

FOULON-MÉNARD, Joseph, « Le conte de Merlin », Glanes en Brocéliande, Vol. 12, 1986, p. 1-7.

FOULON-MÉNARD, Joseph et MATHIAS, Jean-Pierre, « Le conte de Merlin », in Contes et légendes d’Ille-et Vilaine, De Borée, 2012, p. 327-335.

PHILIPOT, Emmanuel, « Contes bretons relatifs à la légende de Merlin », in Mélanges bretons et celtiques offerts à M. J. Loth, membre de l’Institut, professeur au Collège de France, Rennes, Plihon et Hommay, 1927, p. 349-363, Voir en ligne.


↑ 1 • Emmanuel Philipot (1872-1950) a été Professeur honoraire de Langue et Littérature françaises du Moyen Age à la Faculté des Lettres de l’Université de Rennes —  FOULON, Charles, « Emmanuel Philipot », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, Vol. 58 / 1, 1951, p. 1-14, Voir en ligne. —