aller au contenu

IIe-Ier s. av. J.-C.

Les bustes gaulois de Saint-Utel

Une statuette gauloise a été découverte en 1968 par un agriculteur de Saint-Utel en Mauron (Morbihan). Nous ne la connaissons qu’à travers deux photographies prises avant sa disparition définitive dans les années 1990. Une seconde statuette découverte en mauvais état par un autre agriculteur de Saint-Utel a été encastrée dans un mur de ferme. Leur analyse stylistique permet de les dater du second Âge du Fer (IIe-Ier s. av. J.-C.).

Des découvertes fortuites à Saint-Utel

En 1968, Francis Pépion, agriculteur au « Validé », proche de Saint-Utel en Mauron (Morbihan), découvre une statuette au cours d’un labour. La considérant comme une sorte de talisman, il la place dans son écurie pour protéger son cheval. À la mort de Francis Pépion, sa filleule Lucienne Jagu, habitante du « Pritais » en Illifault (Morbihan), en hérite. Depuis le décès de cette dernière, le buste a disparu.

Les bustes gaulois de Saint-Utel
Photos Anne-Marie Guillois

Une seconde statuette a été découverte peu de temps après à Saint-Utel par Mr Lemasle dans le champ « Marivint ».

Les bustes gaulois de Saint-Utel
Photos Anne-Marie Guillois

La statuette, très abimée, a depuis été intégrée dans le mur de sa maison de Saint-Utel où elle se trouve encore.

L’archéologue Maurice Gautier et les statuettes de Saint-Utel

Au début des années 1990, l’archéologue Maurice Gautier effectue de la prospection aérienne dans la région de Mauron pour le Centre régional d’archéologie d’Alet. Croisant la prospection aérienne et les recherches au sol, il découvre l’existence des deux statuettes grâce aux renseignements fournis par Gilles Montgobert et aux photographies prises par Anne-Marie Guillois. Convaincu que ces objets constituent une découverte majeure, il entreprend des recherches pour retrouver la trouvaille de Francis Pépion, tant sur les lieux de la découverte qu’auprès des familles du secteur. Malgré tous ses efforts, la statuette reste introuvable.

En 1995, Maurice Gautier publie le premier article archéologique mentionnant les statues. Il les rapproche de celles découvertes à Paule et à Yvignac, ce qui lui permet de les dater de l’Âge du Fer.

Les vérifications au sol et les enquêtes menées auprès des habitants ont permis de faire connaitre deux trouvailles fortuites anciennes (informations A.-M. Guillois et G. Montgobert). Il s’agit de deux bustes sculptés trouvés dans un contexte d’enclos au nord du hameau de Saint-Utel en Mauron (56). L’une de ces statuettes présente divers caractères stylistiques qui permettent de la rattacher à la statuaire gauloise. Ces deux découvertes, après celle de Paule (1988) et celle d’Yvignac (1992) apportent la preuve de réexaminer certaines trouvailles anciennes à la lumière des études récentes.

GAUTIER, Maurice, « Prospections dans le bassin occidental de la Moyenne Vilaine », in Bilan scientifique de la région Bretagne, 1995, p. 90-91.

Cette première mention est suivie de deux articles parus dans Ouest-France, dans lesquels l’archéologue explique ses vaines tentatives pour retrouver le buste gaulois. —  GAUTIER, Maurice, « Un dieu gaulois disparaît à Mauron », Ouest-France, 20 août, 1997, p. 13. — et —  GAUTIER, Maurice, « A la recherche du dieu gaulois de Saint-Utel », Ouest-France, 1998. — Maurice Gautier mentionne à nouveau ce buste en 2002. —  GAUTIER, Maurice, « Pour une nouvelle géographie antique des pays de Brocéliande », in Brocéliande ou le génie du lieu, Presses Universitaires de Grenoble, 2002, p. 30-48. [page 43] — 1

Éléments de comparaison

Les intuitions de Maurice Gautier concernant l’origine gauloise des deux bustes de Saint-Utel ont été confirmées par Yves Menez et Pierre-Roland Giot. Les deux archéologues qui ont découvert quatre bustes celtiques à Paule en 1988 ont défini six caractéristiques permettant d’identifier des bustes comparables 2.

Les quatre bustes découverts à Paule en 1988
Yves Menez

Au cours de cette étude comparative, ils se sont livrés à l’analyse des deux bustes de Saint-Utel grâce aux photographies transmises par Maurice Gautier.

Le premier, dans un état de conservation remarquable si l’on en juge par les clichés qui nous ont été transmis, figure, au-dessus d’un socle où le matériau est resté brut, un personnage dont les bras sont repliés sur le torse. L’impact du soc de la charrue qui l’a sorti de terre est clairement visible sur la partie senestre du buste, du coude à l’œil. Les mains sont représentées en vis-à-vis, plaquées sur la poitrine. De fines stries parallèles, caractéristiques de l’utilisation d’une gradine (Bessac, 1986), figurent la texture d’un vêtement limité au niveau des biceps par un léger bourrelet. Une incision, semblable à celle qui ceinture ce bourrelet, souligne l’encolure de ce vêtement et encadre le bas du visage. Quelques stries régulièrement espacées dans une entaille sous le nez schématisent une moustache. Un bourrelet en fort relief, orné d’incisions qui semblent figurer les mèches d’une chevelure, encadre la partie supérieure du visage, en passant derrière l’oreille à la manière des bandeaux des bustes de Paule. À l’exception de la calotte crânienne, la face arrière ne semble avoir fait l’objet d’aucun travail d’épannelage ou de sculpture.

MÉNEZ, Yves, GIOT, Pierre-Roland, LAUBENHEIMER, Fanette, [et al.], « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-d’Armor) », Gallia, Vol. 56 / 1, 1999, p. 357-414, Voir en ligne.

Le second buste, fort abimé, possède des caractéristiques similaires.

Le second buste, mis au jour avec le précédent, est fortement altéré. Il a été scellé au ciment sur la façade d’une maison (fig. 43, n° 6). On distingue néanmoins un visage en ronde-bosse émergeant d’un torse d’un volume grossièrement parallélépipédique, très proche du bloc équarri. Les emplacements des yeux, des oreilles et d’une partie de la bouche sont encore visibles, malgré les mutilations qu’a subies cette œuvre haute d’une trentaine de centimètres. Son principal intérêt réside dans le caractère simultané de la découverte de ces deux bustes, proches par leurs caractéristiques générales, pour autant que la disparition du premier et les dégradations subies par le second permettent d’en juger.

MÉNEZ, Yves, GIOT, Pierre-Roland, LAUBENHEIMER, Fanette, [et al.], « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-d’Armor) », Gallia, Vol. 56 / 1, 1999, p. 357-414, Voir en ligne.

Après analyse de l’ensemble du corpus, ils identifient en Bretagne même, quatre sculptures présentant les six caractéristiques et pouvant être comparées aux bustes découverts à Paule.

  • le buste en granit découvert en 1951 à Lanneunoc en Plounévez-Lochrist (Finistère), aujourd’hui conservé au musée préhistorique finistérien de Penmarc’h (Finistère).
  • Le buste de Lannouée à Yvignac (Côtes-d’Armor), découvert en 1977 et signalé pour la première fois en 1978.
  • Les deux bustes en grès de Saint-Utel en Mauron

Quatre statues supplémentaires, pouvant être apparentées à ce corpus ont été découvertes à Trémusson (Côtes d’Armor) en 2019.

Ces œuvres rappellent celles retrouvées à Paule (1988-1992), à 70 km de là, dont le fameux personnage à la lyre, interprétées comme les effigies de membres de l’aristocratie destinées à perpétuer leur mémoire et la grandeur de la famille.

BOURNE, Stéphane, « Rare découverte de quatre sculptures gauloises à Trémuson », 2019, Voir en ligne.
Une des statues gauloises découvertes à Trémusson en 2019

En élargissant la recherche à l’échelle de la France, trente bustes supplémentaires, possèdent des caractéristiques identiques aux statuettes de Mauron.

Des bustes des IIe et Ier siècles av. J.-C.

L’analyse des contextes archéologiques dans lesquels ont été découverts les dix-huit bustes comparés permet à Yves Menez et Pierre-Roland Giot de les dater des deux derniers siècles av. J.-C.

Si toutefois on se limite aux dix-huit sculptures s’intégrant au type des bustes sur socle défini au début de ce chapitre, on remarque que sept d’entre elles ont été découvertes lors de fouilles, dans des remblais datés du IIe s. ou du Ier s. avant J.-C. Deux autres ont été trouvées dans des terrains qui ont livré ultérieurement, lors de prospections ou de fouilles, du mobilier des deux derniers siècles avant notre ère. Cette convergence chronologique ne semble pas fortuite, d’autant que, parmi les œuvres privées de tout contexte archéologique, six portent un torque annulaire de forte section et à deux tampons, analogue à celui figuré sur le premier buste de Paule. Or de tels objets semblent caractéristiques, si l’on en juge par le mobilier des dépôts dans lesquels ils ont été découverts, d’une période que l’on pourrait situer entre la fin du IIe s. et le milieu du Ier s. avant J.-C. Le groupe de sculptures constitué à partir des caractéristiques énoncées au début de ce chapitre semble donc susceptible de définir un type bien précis de la statuaire celtique : celui des bustes sur socle enterrés. Le rejet de telles œuvres durant les IIe s. et Ier s. avant J.-C. montre que la plupart de ces bustes ont dû être sculptés durant le siècle et demi qui a précédé la conquête de la Gaule par César. Il s’agit donc, très vraisemblablement, d’un ensemble relativement homogène par son style et sa chronologie.

MÉNEZ, Yves, GIOT, Pierre-Roland, LAUBENHEIMER, Fanette, [et al.], « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-d’Armor) », Gallia, Vol. 56 / 1, 1999, p. 357-414, Voir en ligne.

Tentative d’interprétation

À l’issue d’une analyse comparative entre les sculptures grecque, africaine, celtique et romaine, les deux archéologues interprètent le corpus des dix-huit statuettes de l’Âge du Fer comme la représentation post mortem d’une élite celtique.

À l’évidence, et à en juger par les dix-huit sculptures de ce type qui nous sont parvenues, seule une infime partie des défunts a été ainsi statufiée dans la pierre. La découverte de quatre de ces bustes, dans la forteresse aristocratique de Paule, et la figuration de torques au cou de plusieurs des personnages représentés montrent que cette pérennisation du mort par la statuaire devait être l’apanage de l’élite de la société du Second Âge du Fer.

MÉNEZ, Yves, GIOT, Pierre-Roland, LAUBENHEIMER, Fanette, [et al.], « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-d’Armor) », Gallia, Vol. 56 / 1, 1999, p. 357-414, Voir en ligne.

Reprenant les analyses de Yves Menez et Pierre-Roland Giot, les archéologues José Gomez de Soto et Pierre-Yves Milcent estiment que les bustes de Saint-Utel seraient des effigies d’ancêtres liés à un culte familial.

Reste le problème de l’identification des personnages représentés par les bustes armoricains et de Gaule du Centre : nous adhérons à la démonstration faite au sujet des bustes de Paule qui montre que ceux-ci sont, plutôt que des images de divinités ou de héros divinisés, des effigies d’ancêtres auxquelles un culte restreint au cadre familial pouvait être rendu (Menez et coll. 1999). Celles-ci seraient l’équivalent de ces imagines qu’à la même époque on conservait pieusement dans les gentes aristocratiques romaines. En ce sens, ces images de défunts auraient connu une destination différente de celles des tumulus princiers du Ha. D et de la Tène ancienne du Wurtemberg et de Hesse ou de la Tène de Gaule de Sud-Est, exposées à la vue de tous et probablement objets d’une dévotion publique ou à tout le moins plus ostentatoire.

GOMEZ DE SOTO, José et MILCENT, Pierre-Yves, « La sculpture de l’âge du Fer en France centrale et occidentale », Documents d’archéologie méridionale, Vol. 25, 2002, p. 261-267, Voir en ligne.

Bibliographie

BOURNE, Stéphane, « Rare découverte de quatre sculptures gauloises à Trémuson », 2019, Voir en ligne.

GAUTIER, Maurice, « Prospections dans le bassin occidental de la Moyenne Vilaine », in Bilan scientifique de la région Bretagne, 1995, p. 90-91.

GAUTIER, Maurice, « Un dieu gaulois disparaît à Mauron », Ouest-France, 20 août, 1997, p. 13.

GAUTIER, Maurice, « A la recherche du dieu gaulois de Saint-Utel », Ouest-France, 1998.

GAUTIER, Maurice, « Pour une nouvelle géographie antique des pays de Brocéliande », in Brocéliande ou le génie du lieu, Presses Universitaires de Grenoble, 2002, p. 30-48.

GOMEZ DE SOTO, José et MILCENT, Pierre-Yves, « La sculpture de l’âge du Fer en France centrale et occidentale », Documents d’archéologie méridionale, Vol. 25, 2002, p. 261-267, Voir en ligne.

MÉNEZ, Yves, GIOT, Pierre-Roland, LAUBENHEIMER, Fanette, [et al.], « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-d’Armor) », Gallia, Vol. 56 / 1, 1999, p. 357-414, Voir en ligne.


↑ 1 • 

Le riche passé gaulois de la région est également confirmé par la découverte fortuite, il y a une vingtaine d’années, d’une statuette au nord de la ferme de St-Utel en Mauron (Information Anne-Marie Guillois). Ce buste sculpté présente divers caractères stylistiques qui permettent de le rattacher à la statuaire gauloise. Cet objet dont la valeur est essentiellement patrimoniale constitue une découverte majeure pour "le Pays de Brocéliande". Malheureusement, la statuette demeure introuvable malgré les diverses investigations entreprises. —  GAUTIER, Maurice, « Pour une nouvelle géographie antique des pays de Brocéliande », in Brocéliande ou le génie du lieu, Presses Universitaires de Grenoble, 2002, p. 30-48. [page 43] —

↑ 2 • 

Seules seront ici répertoriées, comme éléments de comparaison utiles à la compréhension des bustes découverts à Paule, les œuvres présentant les caractéristiques suivantes :

  • taillées dans la pierre, elles doivent être soit des bustes en hermès, où seule la tête est figurée et émerge d’un torse schématique limité par deux plans latéraux, soit des bustes où toute la partie supérieure du corps est représentée, bras y compris ;
  • les parties figurées doivent émerger d’un socle, soit brut d’extraction, soit sommairement équarri, visiblement destiné à être enfoui ;
  • la hauteur de ces bustes doit être modeste, comprise entre 20 et 95 cm, socle compris ;
  • ces œuvres doivent respecter les règles d’une stricte frontalité et sont destinées à être vues de face ou de trois quarts ; si le torse est figuré, cette frontalité pourra être dissymétrique (Baudry, Bozo, 1978) ; les différences entre les deux côtés du buste ne devront alors pas nuire à la verticalité de l’axe qui partage les corps en deux moitiés globalement symétriques, à l’exception des bras ou de certains détails ;
  • la tête doit être figurée en réelle ronde-bosse, et non intégrée au volume de la stèle comme pour les statues menhirs plus anciennes ;
  • par contre, la forme du torse ne doit que faiblement s’écarter de celle, géométrique, du bloc équarri ; les bras, lorsqu’ils sont figurés, sont plaqués sur la poitrine ou le long du corps
    MÉNEZ, Yves, GIOT, Pierre-Roland, LAUBENHEIMER, Fanette, [et al.], « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-d’Armor) », Gallia, Vol. 56 / 1, 1999, p. 357-414, Voir en ligne.