Fin 18e - Début 20e siècle
Les cloutiers de la forêt de Paimpont
Histoire d’un métier disparu et d’une technique oubliée
Une histoire du clou
Les plus anciens clous sont en cuivre. Ils ont été découverts en Mésopotamie, et datent d’environ 3500 ans avant J.-C.
Connue uniquement par l’archéologie, l’histoire du clou en fer commence véritablement à partir du 4e siècle avant J.-C.
Dès l’ère romaine et jusque vers 1950, des clous ont été produits artisanalement au marteau à partir de tiges de fer chauffées au rouge.
Des fragments de clous datant de l’époque gallo-romaine, 2e siècle de notre ère, ont été découverts sur le site métallurgique de Couédouan en Plélan-le-Grand (Ille-et-Vilaine), ainsi que sur de nombreux sites archéologiques régionaux. — LARCHER, Guy, « Sites métallurgiques de la région de Paimpont - Couédouan en Plélan-le-Grand », SRA, 1992, p. 74, Voir en ligne. —
Les bas fourneaux au Moyen Âge
Historiquement, l’Âge du fer débute avec l’invention du bas fourneau.
Dans sa forme la plus primitive, on appelle « bas foyer » le bas fourneau. Il consiste en un trou dans le sol d’environ trente centimètres de diamètre, rempli de charbon de bois et de minerai de fer.
Au début de l’Âge du fer et jusqu’au Moyen Âge, il permet de transformer le minerai en fer métallique.
Pendant tout le Moyen Âge, le bas fourneau est un four que l’on édifie en fonction des affleurements de minerai et de la disponibilité du combustible.
Après une montée en température adéquate (de l’ordre de 1200°C) le minerai de fer se transforme en un amas composé de métal et de scories que l’on appelle « loupe », « massiau » ou « éponge de fer ».
Cette loupe est nettoyée et cinglée par martelage, afin de retirer les scories et d’obtenir un bloc de métal.
Les forgerons mettent en forme ce bloc pour fabriquer des outils (faux, serpe, etc.), des armes ou des armures (lances, fléaux d’armes, viretons d’arbalètes, épées, cottes de mailles etc.).
Les forgerons du Moyen Âge étaient craints et respectés pour leur savoir et leur maîtrise du feu de forge, souvent assimilés au feu de l’enfer. La réputation des cloutiers en ces temps « mystiques » était encore plus mal perçue, voir presque « satanisée » chez les esprits les plus bigots, car les clous avaient servi à crucifier le Christ.
Au 13e siècle à Paimpont, nous trouvons une simple mention de l’existence de forges monastiques.
Aux 15e et 16e siècles, on note quelques mentions écrites de forges grossières
et de communautés de forgerons, en particulier au Gué de Brécilien. — VIVET, Jean-Bernard, Métallurgie médiévale et forêt en prélude aux Grandes Forges de Paimpont (Ille-et-Vilaine), Centre Régional d’Archéologie d’Alet, 2009, (« Les Dossiers du Centre Régional d’Archéologie d’Alet »). —
Les hauts fourneaux
Dès le 1er siècle de notre ère, la Chine développe l’usage du haut fourneau en même temps que la fonderie.
En Europe, l’évolution du bas fourneau vers le four à masse (de taille intermédiaire entre bas et haut fourneau), se produit entre le 12e et le 15e siècle.
Les différences essentielles entre le bas fourneau et le haut fourneau sont :
- la température : 1200°C pour le bas fourneau, 1600°C pour le haut fourneau (la température de liquéfaction du fer est de 1535°C),
- la quantité de métal produite à chaque coulée : quelques kilos pour le bas fourneau, quelques centaines de kilos pour le haut fourneau,
- le métal produit : fer pour le bas fourneau, fonte pour le haut fourneau.
Les Forges de Paimpont, construites autour de 1660, permettent, avec leurs deux hauts fourneaux et leur fenderie, de fabriquer des verges de fer pour les cloutiers.
Les verges de fer provenaient de fenderies souvent spécialisées qui découpaient de fines baguettes de métal à partir de barres plates, de sections s’étageant de 6 à 20 mm.
Le fer ayant été souvent exclusivement réservé aux armes, la clouterie ne s’affirmera universellement qu’à partir du XIIIe siècle, sans aucune mécanisation avant le début du XXe siècle.
Vers la fin du XVIIIe siècle la clouterie se précarise, quand les marchands deviennent les donneurs d’ordres des cloutiers en leurs confiant du fer en botte, payant très chichement la façon des clous qu’ils récupéraient le mois suivant.
Peut-être leur doit-on l’expression “ne pas valoir un clou”.
Cette exploitation artisanale annonce le prolétariat du XIXe siècle.
Technique de fabrication des clous
Les cloutiers fabriquent les clous à la main à partir de tiges de fer :
- La section des tiges est de forme carrée ou rectangulaire.
- La tête du clou est travaillée dans des clouyères ou cloutières, avec des orifices de différents diamètres.
Avant le façonnage du clou, la tige de fer est chauffée au feu de forge. Le soufflet est activé soit par un enfant, appelé chauffeur ou souffleur, soit par un chien dressé pour faire tourner une roue (voir carte postale ou schéma ci-dessous).
Le clou est forgé sur la place (2), puis rabattu sur le tranchet (4) et introduit dans la clouyère (3) fixée sur le pied d’étape (1), pour façonner la tête (7). Le ressort plat (6) sert à expulser le clou.
Cloutiers en Brocéliande
Les métiers liés au fer
Le travail du fer, en particulier durant la période d’activité de « l’usine à fer » des Forges - entre 1660 et 1884 - induit l’existence de plusieurs types de métiers, répartis entre les forges, la forêt et les villages.
- Les métiers représentés au village des Forges : fondeur, mouleur, fendeur, souffletier, martineur, renoueur, etc.
- Les métiers en forêt :
— les mineurs, car le minerai provient, au moins partiellement, des environs.
— les bûcherons et les charbonniers, car ces forges fonctionnent au charbon de bois, et elles engloutissent chaque année environ 10 000 cordes de bois. - Les métiers de cloutiers dans certains lieudits de Paimpont et de Concoret.
Repères historiques
À la fin du 18e siècle, les forges de Paimpont fabriquent des clous. Les livres de comptes de 1776-1777 notent : 430 livres 12 soles payées aux cloutiers de la forge, compris le souffleur, pour 3809 livres de clous fabriqués.— EALET, Jacky et LARCHER, Guy, Paimpont en Brocéliande, Beignon, Les oiseaux de papier, 2015. —
Au début du règne de Louis XVI, les forges de Paimpont coulaient environ 1 200 000 livres de fonte, mais seulement les deux-tiers de cette production étaient transformés en fer 1.
Cette production est toutefois insuffisante pour subvenir aux demandes de la Marine de Lorient et de l’Arsenal de Rennes.
En janvier 1796 (nivôse an 3), l’intendant des forges Nicole sollicite le district de Montfort pour la mise en exploitation d’une coupe extraordinaire de bois afin d’augmenter la production de fers.
Lettre de l’intendant au district de Montfort
La Marine de Lorient m’en demande beaucoup... De son côté la direction de l’Arsenal de Rennes me presse de lui en fabriquer 20 milliers. Les agriculteurs abondent ici pour transporter nos fers au fur et à mesure qu’ils se fabriquent [...] Je ferai voiturer à leur intention 15 milliers de fers propres à clous de cheval et à fers de maréchal.
En 1813, il existe déjà un vingtaine de clouteries sur le territoire et au milieu du 19e siècle l’on compte environ cent cinquante cloutiers à Paimpont, une cinquantaine à Concoret et quelques-uns à Beignon. — EALET, Jacky et LARCHER, Guy, Paimpont en Brocéliande, Beignon, Les oiseaux de papier, 2015. —
Au milieu du 19e siècle, le métier de cloutier, favorisé par la proximité des forges, emploie environ 200 personnes sur les communes de Paimpont et Concoret.
Un métier disparu
Le métier artisanal disparait vers 1900 à cause de l’industrialisation.
Le métier s’efface de la mémoire collective pour deux raisons principales.
- Il n’existe pas ou peu de traces de cette activité dans le paysage. Les ateliers de clouterie ont été soit démolis, soit transformés profondément, sans qu’il soit possible de discerner leur usage ancien.
- Très peu d’outils nous sont parvenus. Les clouyères ou cloutières ont été dispersées, vendues à la ferraille. Néanmoins, un pied ou « pié d’étape », « étapou » ou « pilon » 2 a été retrouvé au lieudit « les Rues Coudées » en Paimpont.
Appellations des cloutiers dans les recensements
La consultation des archives et des recensements des communes de Paimpont et Concoret permet de distinguer différentes appellations liées à l’activité de clouterie.
- l’ouvrier cloutier,
- le marchand cloutier,
- le maître de boutique,
- le maître cloutier,
- cloutier propriétaire,
- cloutier débitant,
- cloutier cultivateur,
- cloutier laboureur.
- le souffleur ou chauffeur : un jeune enfant qui actionne le soufflet 3.
Pourtant, les recensements de Paimpont et de Concoret au 19e siècle 4 montrent qu’ils étaient fort nombreux. Les noms mentionnés sont des patronymes encore très répandus localement.
Par conséquent, nombre de Paimpontais et de Concoretois actuels ont des cloutiers dans leurs ancêtres.
Nos sources sur les métiers de cloutier
Bulletin paroissial de 1932
Un article du bulletin paroissial de Paimpont de février 1932 contient de précieux renseignements sur le métier de cloutier.
Autrefois notre pays de Paimpont était, on le sait, un pays de petite industrie. Si à Paimpont, on faisait du charbon de bois, si on y fondait le minerai de fer, si on y tissait le lin et le chanvre, on y fabriquait aussi des clous, surtout dans les villages de Gaillarde, La Ville Danet et Telhouët. [...]
C’était un métier qui rapportait aux patrons. Certains sont arrivés par cette industrie à se créer une petite aisance, d’autres mêmes se sont fait une fortune. Mais l’ouvrier gagnait peu, il se faisait tout au plus trois francs ou 3,50 francs par jour.
Marguerite Rolland
Un document inédit d’une habitante de Concoret, Marguerite Rolland, donne des informations complémentaires sur la vie de cloutiers à Paimpont.
En 1856, on trouve cinq entreprises de forges et cloutiers. faisant vivre 143 personnes. En 1872, 364 personnes vivaient des mêmes activités. Le maximum apparaît surtout en 1886. La baisse est ensuite rapide.
Un rapport de 1889 sur la situation industrielle dénombre encore quatre cloutiers qui n’emploient plus que 26 ouvriers et quatre apprentis.
Hervé Tigier
Dans son travail monumental sur Paimpont au 19e siècle, il inclut de multiples occurrences sur les métiers de cloutier. — TIGIER, Hervé, Terroirs de Paimpont, auto-édition, 2022. —
- la participation des marchands cloutiers dans la vie municipale,
- des inventaires après décès démontrent que cette catégorie de travailleurs n’était pas riche,
- l’implication de cloutiers dans des faits divers.
- Liste des propriétaires de boutiques - ateliers de cloutiers - des villages du massif forestier
- Beauvais
François Chérel (Boutique du Sousingué)
Joseph Hamelin
Pierre Lemée (La Coudre)
Jacques Pontgerard
Jean Hamon
Joseph Bouteillier
Mathurin Bouteillier - Le Cannée
Pas de mention de « maitre de boutique de clouterie » - Le Pertuis en Concoret
François Ruelland - Folle Pensée
Pas de mention de« maitre de boutique de clouterie » - La Ville Danet - Gaillarde
Jean Colo
Gortais Bonaventure
Etienne Gapais
Amateur Launay
Lhermitte Paul
Rouxel Jean - Telhouët
Julien Berhaud
Julien Desbois
Guillaume Berhaut - Trudeau - Trédéal - Coganne
Pas de mention de « maitre de boutique de clouterie » - Le Buisson, la Sangle
Pas de mention de« maitre de boutique de clouterie » - Bourg de Plélan
Jolly Joseph - Beignon
Mathurin Boutelier
Pierre Tessier - Droblais en Concoret [Dorbelais]
Paul Picard
Pierre Berson - Bourg de Concoret
François Ruelland - Le Landrais
Pierre-Marie Rolland - Bourg de Paimpont
Pas de mention de « maitre de boutique de clouterie » - Le Gué
Pas de mention de « maitre de boutique de clouterie » - Les Forges
Pas de mention de « maitre de boutique de clouterie »
- Beauvais
Propriétaires de boutiques et marchands cloutiers de Paimpont d’après les ouvrages d’Hervé Tigier
- Boutiques de cloutiers au Châtenay (Beauvais)
- Quelques types de clous fabriqués en Brocéliande 5
- maillette à sabots,
- jupé,
- caboche à ferrer,
- d’affetau,
- d’un double,
- de bécheron,
- demi clou,
- d’herminette,
- à bois,
- à choque,
- à ardoise,
- à latte,
- girofle pour talon à soulier.
Maryline Le Tiec
Maryline Le Tiec a compilé les données de recensement de 1836 à 1901, à Paimpont. — LE TIEC, Maryline, « Recensement des cloutiers de Paimpont », 1993, Voir en ligne. —
André Le Coroller
André Le Coroller a compilé les données de recensement de 1831 à 1906, à Concoret. — LE COROLLER, André, « Recensements des cloutiers à Concoret », 1992, Voir en ligne. —
Auguste Brizeux
Auguste Brizeux (1803-1858) est l’auteur de « La Chanson du Cloutier ». Elle parait dans Histoires poétiques en 1874.
— BRIZEUX, Auguste, « La Chanson du Cloutier », in Histoires poétiques, Vol. 3, Paris, Alphonse Lemerre, éditeur, 1874, p. 290-291, Voir en ligne. —
Les archives du SIVU
Les archives du SIVU « Forges et métallurgie » contiennent notamment les comptes des forges de Paimpont (1838 et 1841). Celles-ci mentionnent des ventes de fer à quelques marchands cloutiers paimpontais.
Les cloutiers à la Fête du fer
Depuis 1998, la Fête du fer a lieu au mois de juillet à Paimpont. Au cours de ces manifestations, certains cloutiers viennent effectuer des démonstrations de fabrication de clous.