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1913

Les miracles de saint Nicolas

Une légende de Guer publiée par François Cadic

Les miracles de saint Nicolas est une légende du village de Saint-Nicolas en Guer. Elle a fait l’objet de deux versions, la première publiée par François Cadic en 1913, la seconde, plus courte, par l’abbé Le Claire en 1915.

1913 — Une légende publiée par François Cadic

La légende des Miracles de saint Nicolas a été publiée par François Cadic (1864-1929) en mai 1913 dans la revue de la Paroisse bretonne de Paris. —  CADIC, François, « Les miracles de saint Nicolas », La Paroisse bretonne, 1913. —

François Cadic écrit avoir recueilli cette légende, comme tous ses contes collectés à Guer, auprès de M. Lecomte.

Cette légende se passe au moment de la « révolte des Bonnets rouges » - entre avril et septembre 1675. Elle raconte un miracle opéré par saint Nicolas de Guer.

Chapelle Saint-Nicolas de Guer

Rééditions

1914-1925 — François Cadic

Cette légende a fait l’objet de deux rééditions du vivant de l’abbé, sous le titre Saint Nicolas et les trois enfants de Guer.

  • en 1914 —  CADIC, François, « Saint Nicolas et les trois enfants de Guer », in Contes et légendes de Bretagne, 11e série, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1914, p. 71-75. —
  • en 1925 —  CADIC, François, « Saint Nicolas et les trois enfants de Guer », in Nouveaux contes et légendes de Bretagne, Deuxième série, Paris, Maison du Peuple Breton, 1925, p. 203-207. —

2001 — Terre de Brume

La légende des Miracles de saint Nicolas est rééditée dans les œuvres complètes de François Cadic publiées entre 1998 et 2001 aux éditions Terre de Brume. —  CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 1, Terre de Brume Editions, 2001, 399 p. [pages 153-157] —

Le texte intégral des Miracles de saint Nicolas

On était au mois de juin, par un clair soleil réjouissant. Le village de Saint-Nicolas, en Guer, autour de son antique prieuré de moines de Marmoutiers dormait dans un rayon d’or. Les hommes sarclaient les blés aux champs et les femmes battaient linge au lavoir. Seuls dans une humble chaumière, à l’entrée du hameau, trois enfants jouaient, trois innocents dont l’aîné n’avait pas six ans.

Soyez sages, mes petits, leur avait recommandé la mère. Il rôde par les chemins de mauvais gars qui n’ont pas de bonnes intentions. Ouvrez l’œil et gardez bien la maison. Elle avait raison de parler ainsi, la brave créature. En ce temps là, c’était en l’année 1675, il y avait grande pitié au pays de Bretagne. À la suite de taxes exagérées imposées par le roi et qui faisaient crier misère au pauvre monde, des révoltes avaient éclaté dans les campagnes. Des bandes de rebelles que l’on distinguait à la couleur de leurs coiffures et que l’on appelait les « bonniaux bleus » ou les « bonniaux rouges » s’en allaient d’une bourgade à l’autre, narguant l’autorité, semant sur leur passage le pillage, l’incendie, la mort.

Traquée par les troupes du gouvernement, l’une de ces bandes venait précisément de se jeter sur Guer. Elle n’avait pas de miséricorde à espérer. La prison et la corde attendaient chacun de ces hommes. Autant valait profiter des derniers bons jours

Le hasard de la route conduisit ce matin-là les malfaiteurs au village de Saint-Nicolas. L’occasion était favorable ; toute la population était absente. Il poussèrent une première porte. Il n’y avait que trois petits garçons qui s’amusaient tranquillement. Ils voulurent faire main basse sur les provisions, mais voilà que ceux-ci se mirent à crier au secours. Les paysans pouvaient entendre. Le danger devenait pressant. D’elles-mêmes les armes partirent et les trois innocents tombèrent sans vie sur le sol.

Lorsque la nuit ramena les ouvriers des champs, le premier spectacle qui frappa le regard de la malheureuse mère, au seuil de sa demeure, fut celui-là : ses enfants gisaient dans une mare de sang. Elle se pencha sur eux, les saisit dans ses bras. Nul doute, ils étaient bien morts. Aucun souffle ne sortait de leurs lèvres. Qui donc avait été assez cruel pour immoler des innocents !

Dans l’âme d’une bretonne, surtout quand le malheur la visite, il y a toujours une chrétienne qui sommeille. Malgré la douleur immense qui brisait son cœur, sa première pensée fut pour Dieu ! « Seigneur, s’écria-t-elle, vous me les aviez donnés ; vous me les avez repris, rendez-les moi ! » Et alors on fut témoin d’un acte vraiment inouï. On vit la vaillante femme, telle une lionne blessée qui veut arracher ses petits aux traits du chasseur, partir à la course, emportant avec elle les trois corps pantelants.

Une chapelle dédiée à saint Nicolas s’élevait au centre du village, à côté du prieuré. Ce fut là qu’elle entra. Elle se dirigea vers la statue du saint patron, et, déposant à ses pieds son précieux fardeau : « Grand protecteur de l’enfance, s’exclama-t-elle, toi qui jadis arracha du saloir et ramena à la vie des innocents qu’un boucher cruel avait immolé, je t’implore à mon tour : fais en ma faveur le même miracle.

Les larmes de la mère, dit-on, montent jusqu’au ciel et font pleurer le bon Dieu et les saints. La prière de la pauvre paysanne était à peine achevée que, dans la chapelle, saint Nicolas manifesta sa puissance. La statue se pencha sur les trois petits corps, la main dessina sur eux le signe de la croix et aussitôt, ils se redressèrent plein de vie. L’amour maternel avait triomphé de la mort.

Or, comme la bretonne, ses premiers transports de joie apaisés, rentrait dans sa chaumière avec ses ressuscités, il lui sembla que ceux-ci ne répondaient qu’à regret à ses questions. Loin de manifester leur contentement de lui être rendus on lisait sur leur visage les marques d’une tristesse profonde.

Eh quoi ! était-ce ainsi qu’elle était récompensée d’avoir obtenu du ciel un miracle en leur faveur ? Voilà comment ils lui savaient gré d’avoir forcé la main à saint Nicolas ! De nouveau ses larmes se mirent à couler et des paroles d’amertume montèrent à ses lèvres : « Mes enfants, mes pauvres mignons chéris, n’êtes vous donc pas satisfaits de vous retrouver avec moi ? Ne m’aimez-vous plus depuis que la mort vous a frappés ?

L’aîné des garçonnets répliqua pour ses frères : Oh ! petite maman, pourquoi vous méprendre ainsi sur la nature de nos sentiments ? Notre amour pour vous n’a été diminué en rien par cette cruelle séparation, croyez-le bien, mais ignorez-vous d’où nous revenons et ce que nous avons perdu ? Nous étions déjà là-haut dans la compagnie des anges ; nous chantions avec eux les gloires du ciel et nous jouissions dans l’amour du bon Dieu d’un bonheur que nous pouvions croire éternel, lorsque la voix de Monsieur Nicolas nous a rappelé à la triste réalité : Enfants, nous disait-il, il vous faut quitter ce séjour. Votre mère, là-bas sur la terre, vous redemande, et elle le fait avec des accents si déchirants qu’à l’écouter une pierre se briserait et que moi j’en ai le cœur endolori. Retournez dans votre village sans retard. Et dociles à l’ordre de notre bienheureux patron, nous sommes revenus, mais ça n’a pas été sans regret. L’âme qui a vu Dieu une seule fois ne peut se consoler de n’être plus en sa présence. Voilà ce qui vous explique la tristesse que reflète notre visage. Sûrement nous mourrons bientôt de chagrin et ce nous sera une délivrance. Nous remonterons avec allégresse au paradis que nous avons quitté.

La mère avait écouté cette réponse, sans prononcer une parole, mais au fond de son âme un grand combat se livrait. Avait-elle le droit de disputer ses enfants au bon Dieu ? Pouvait-elle mettre en balance la satisfaction de son amour maternel avec le bonheur dont elle les privait ?

Et de nouveau, la vaillante créature eut un geste héroïque. Elle reprit le chemin de la chapelle avec les siens et s’agenouillant devant la statue de saint Nicolas, « Bienheureux patron de ce village, s’écria-t-elle, vous me les avez rendus ; merci. Voici que je vous les ramène. Ils sont à vous. Reconduisez-les au paradis. J’aime mieux les savoir heureux là-haut que les garder une minute auprès de moi dans les tristesses et la peine. » Alors, pour la seconde fois, dans la même journée, en faveur de la même personne, saint Nicolas opéra un miracle éclatant. Sa statue tendit les bras, enveloppa les innocents dans une caresse, et soudain, tous les trois disparurent, sans que la mère pût s’expliquer de quelle façon.

Le sacrifice était dur pour elle. La miséricordieuse bonté du bienheureux ne voulut pas cependant qu’elle fût sans consolation. Elle s’arrangea de façon à lui laisser leurs portraits. À la place qu’ils occupaient à ses pieds, il y avait maintenant trois gracieuses statuettes en bois revêtues d’un blanc surplis, les mains jointes, et dont les traits rappelaient à s’y méprendre ceux des enfants ravis au ciel. Saint Nicolas se révélait artiste habile autant qu’il s’était montré puissant thaumaturge.

Une immense joie avait rempli le cœur de la femme. Il lui sembla que ses petits n’étaient pas complétement perdus pour elle. Elle prit les statuettes, les embrassa longuement et pour marquer sa reconnaissance, les laissa sur l’autel. On les y voit encore, de nos jours, et voilà pourquoi le voyageur qui vient visiter le prieuré des moines de Marmoutiers et qui pénètre dans l’église bâtie à côté, parmi les pierres tombales d’un vieux cimetière abandonné, s’arrête surpris, en regardant la statue de saint Nicolas.

Crosse en main, mitre en tête, le grand évêque de Mire étend sa main bénissante, mais on n’aperçoit pas à ses pieds ce qu’on retrouva ailleurs, trois enfants émergeant du saloir où, d’après la légende, un boucher féroce avait découpé leurs petits corps. Les enfants sont là, mais sans l’affreux saloir. Ils y sont dans l’attitude d’anges adorateurs et leurs regards de reconnaissance prouvent que le pouvoir de saint Nicolas n’est pas moins efficace en terre de Bretagne qu’il ne l’était jadis en Asie. Saint Nicolas, patron des enfants, protégez nos petits gars !

—  CADIC, François, « Les miracles de saint Nicolas », La Paroisse bretonne, 1913. —

1915 — La version de l’abbé Le Claire

En 1915, l’abbé Le Claire (1853-1930) publie une volumineuse histoire de Guer dans laquelle il évoque plusieurs légendes de la paroisse, parmi lesquelles celle de Saint Nicolas et des trois petits anges.—  LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne.page 119 —

Le texte intégral de l’abbé Le Claire

La légende de Saint Nicolas et des trois petits anges. —

Au temps des « bonnets rouges », une mère, revenant du lavoir, trouva ses trois petits garçons inanimés, victimes de la barbarie des révoltés qui n’épargnaient personne. Aussitôt, la mère les porta devant la statue de Saint Nicolas qui les ressuscita et les rendit à leur mère.

Mais les enfants ayant reproché à leur mère de les avoir retirés du séjour des bienheureux, elle retourna vers la statue, suppliant le saint de les reprendre pour Dieu et dans leur intérêt. Saint Nicolas l’exauça de nouveau et l’âme des petits s’en retourna vers Dieu.

Néanmoins, pour consoler la mère et la récompenser de son sacrifice, il voulut lui laisser leurs portraits. Les trois gracieuses statuettes en bois revêtues de blancs surplis, les mains jointes et les traits rappelant dit-on, à s’y méprendre les trois enfants ravis du ciel.

Statue des trois anges de la chapelle Saint-Nicolas de Guer

Bibliographie

CADIC, François, « Les miracles de saint Nicolas », La Paroisse bretonne, 1913.

CADIC, François, « Saint Nicolas et les trois enfants de Guer », in Contes et légendes de Bretagne, 11e série, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1914, p. 71-75.

CADIC, François, « Saint Nicolas et les trois enfants de Guer », in Nouveaux contes et légendes de Bretagne, Deuxième série, Paris, Maison du Peuple Breton, 1925, p. 203-207.

CADIC, François et POSTIC, Fanch, Contes et légendes de Bretagne : Les récits légendaires, Vol. 1, Terre de Brume Editions, 2001, 399 p.

LE CLAIRE, abbé Jacques-Marie, L’Ancienne Paroisse de Guer, Hennebont, Imprimerie Charles Normand, 1915, Voir en ligne.