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1952-2019

Les trois vies des Affolettes

« Un jardin extraordinaire » dans la vallée de l’Aff

Créé en 1952 par Fernand Jaillet, le jardin des Affolettes est niché au cœur de la vallée de l’Aff. Depuis les années 1970, il connait plusieurs vies. En 2017, la commune de Beignon, devenue propriétaire, a ouvert son accès au public.

1952 - 1972 — Fernand Jaillet - L’œuvre d’une vie

Éléments biographiques

Fernand Jaillet (1905-1980) naît à Constantine en Algérie. Après avoir effectué en 1926 son service militaire au camp de Coëtquidan, il s’engage et fait une carrière militaire dans ce même camp comme sous-officier dans le génie. Joseph Boulé qui l’a connu dans les années 1960-70 garde le souvenir d’un homme grand au visage affable.

Il avait le regard doux un peu rêveur mais pouvant être très observateur d’autrui. Ses gestes, mesurés et lents, respiraient la bonté. Sa voix douce au vocabulaire choisi parlait de recherches philosophiques sur le sens de la vie, la place de l’amour entre les êtres et le respect de la nature. Un sage laissant entendre qu’il ne l’avait pas toujours été et qui se jugeait durement, se culpabilisant facilement.

Témoignage de Joseph Boulé, juin 2019

L’homme est discret et aime la solitude de ses bois. Il assurera à la fin des années 1950, la fonction de garde-chasse sur le camp de Coëtquidan.

Il avait une prime pour ses captures. Quand il s’arrêtait au restaurant de Pierre Labbé, un renard trônait souvent sur le porte-bagage de son solex.

Témoignage d’André Crosnier, novembre 2019

Il participe néanmoins à la vie de la commune. Il figure sur une liste aux élections municipales de 1947 et de 1965.

1952 — La création du jardin des Affolettes

Saisi par la beauté du site de la vallée de l’Aff, et souhaitant s’isoler 1, il acquiert en 1952 une parcelle surplombant la vallée et dominée par le « Rocher glissant ».

Ce coin de lande est magnifiquement situé en surplomb de la rivière de Beauvais ; il faisait partie des territoires communaux vendus pour payer l’électrification de Beignon.

BRIDIER, Pierre, Le pays de Beignon témoin de l’histoire, Beignon, autoédition, 1987. [page 100]
Les Affolettes en 1957
Propriété de Pierre Bridier (à gauche) et de Fernand Jaillet (à droite)
Carte postale

Il commence par défricher le terrain puis y construit une demeure aux dimensions modestes.

Cette maison de bois, je l’ai élevée de mes mains et de mes arbres.

Fernand Jaillet in Ouest-France 1956
Le chalet "Mab" de Fernand Jaillet aux Affolettes
André Régnault

Son voisin, Pierre Bridier, évoque l’arrivée de Fernand Jaillet.

La beauté des lieux avait, pendant la dernière guerre, retenu l’attention d’un militaire de carrière, affecté à Coëtquidan, mais originaire de Sétif [en fait Constantine] en Algérie. Il s’en était rendu acquéreur pour une bouchée de pain à la grande surprise de beaucoup de personnes qui se demandaient ce que cet étranger pourrait bien faire d’un petit bout de lande sauvage.

Bridier, Pierre (1987) op. cit., p. 101

Pourvu d’une force physique hors du commun, l’homme, surnommé l’Ermite par les beignonnais, se lance alors dans la création d’un jardin ou le minéral et le végétal vont s’unir en un bouquet de formes et de couleurs.

Il expliquait volontiers pourquoi il avait appelé son petit domaine “Les Affolettes”. En toute bonne foi, il pensait que la rivière qui coule au fond de la vallée était l’Aff 2. Nous avons vu qu’il s’agit en réalité de la rivière, appelée parfois ruisseau, de Beauvais ; mais les cartes d’état-major et le cadastre, depuis plus d’un siècle ont donné le nom de la rivière principale à ce petit affluent. L’erreur est complètement excusable. Il disait également que jadis, quand ce coin de Beignon fortement boisé, était encore sauvage, les gens avaient peur d’y passer, surtout la nuit… qu’ils étaient « affolés » ; d’où un double jeu de mots sur le nom de la rivière et sur l’angoisse des promeneurs.

Bridier, Pierre (1987) op. cit., p. 101
Au jardin des Affolettes, sous le Rocher glissant
André Régnault

Sur une pente vertigineuse, le paysagiste façonne escaliers aux courbes savantes, terrasses et murs de soutien. Il n’oublie pas ses talents de sculpteur 3 en composant des visages sur la pierre et en érigeant une grotte mystérieuse.

Les Affolettes : la grotte
André Régnault
Une sculpture des Affolettes
André Régnault

Il récupère la matière première à « Treslan », un village exproprié lors de l’extension du camp de Coëtquidan en 1912 et situé à 1,5 km des Affolettes. Un habitant de Beignon, André Crosnier, se souvient des travaux de Fernand Jaillet dans les années 1950.

Fernand rapportait les pierres avec une remorque, constituée de brancards et de roues de moto, qu’il avait lui-même fabriquée.

Témoignage d’André Crosnier, novembre 2019
Maison en ruine dans le village de Treslan en 1988
Village exproprié en 1910 par le camp de Coëtquidan
André Crosnier

Il agrémente son œuvre monumentale d’une architecture végétale en plantant notamment quelques cinq cents rhododendrons aux couleurs variées. Pour cela, il achemine sur les plates-formes et le long des escaliers un volume considérable de terre de bruyère. Il lui faut également charrier, pour démarrer ses plantations, beaucoup d’eau, qu’il transporte avec des seaux.

On aurait pu dire qu’il se tuait à la tâche ! Il consacrait cependant chaque jour du temps à la lecture et à l’écoute de la musique classique.

Témoignage de Joseph Boulé, juin 2019

L’Ermite des Affolettes est robuste mais aussi ingénieux : il installe un treuil à bras muni de plusieurs points d’ancrage lui permettant de remonter, centimètre par centimètre, d’énormes dalles de schiste. Autre invention de sa composition, une mini-centrale électrique - une roue de vélo équipée d’une dynamo - au niveau de la rivière, assurant à son logis un éclairage d’appoint. Il recharge aussi des batteries pour avoir du courant, lors des périodes creuses - quand le cours de la rivière est au plus bas. Il sait aussi mêler l’ingéniosité à un certain humour : c’est avec des douilles d’obus de 75 mm, sciées et emmanchées, qu’il draine son « jardin d’Eden ».

Années 1960 — L’ouverture au public

Dans les années 1960, Fernand Jaillet ouvre son jardin au public. L’entrée est libre de participation.

A ses débuts aux Affolettes, il ne recevait que de rares personnes qui aimaient la nature, les arbres, les fleurs, la lumière des sous-bois. Quand ses Affolettes ont commencé à avoir belle allure, il en a ouvert les portes. Il ne demandait rien mais acceptait les dons faits par les visiteurs (de l’argent avec gêne, des plantes avec joie).

Témoignage de Joseph Boulé, juin 2019
Carte postale des Affolettes
Années 1960

Ce sont d’abord les beignonnais qui découvrent son œuvre lors de leurs sorties dominicales, puis les visiteurs affluent en grand nombre.

Pendant une dizaine d’années, le site des Affolettes devient un incontournable pour les touristes de passage, tour à tour éblouis par la beauté des rhododendrons et par le détail des constructions de pierre dominant l’Aff. Les anciens du village n’ont pas oublié les cars arrivant parfois de très loin et faisant halte aux Affolettes ou bien les jeunes mariés posant devant un des nombreux massifs de fleurs. Les gens qui ont connu l’ancien militaire devenu poète jardinier, se souviennent d’un homme affable et communicatif.

Doué d’une grande facilité de parole, il provoquait à la fois la curiosité et une certaine admiration.

Bridier, Pierre (1987) op. cit., p. 101

En 1964, attirée par la renommée naissante des Affolettes, une journaliste en quête de mystères présente Fernand Jaillet et son parc comme un des enchantements de Brocéliande.

La porte est ouverte. J’entre, puisque la clochette plusieurs fois agitée n’a éveillé nul écho. Deux chalets de bois. Une bouteille de lait posée par terre. Personne. Et ce silence, particulier à Brocéliande...
— Madame ?
Un homme d’une cinquantaine d’années, solide, vêtu d’un très vieux pantalon militaire et portant une scie de bûcheron débouche d’un buisson. L’ermite, certainement, c’est lui. Et il me regarde sans aménité.
— Puis-je parler un peu avec vous, monsieur ?
— Quelle drôle d’idée !
Il semble extrêmement las et triste. Ses épaules ploient sous on ne sait quel fardeau. Tout en lui est poids et chaînes. Ce n’est pas ainsi que j’imaginais les ermites.
— Vous avez, paraît-il, monsieur, aménagé un très beau parc parmi tous ces rocs de Brocéliande ?
— Ah, le parc ? Si vous voulez, visitez-le.
Taillé dans les pierres brutes, un immense escalier, descend, tourne entouré de plantes rares, de vingt sortes de rhododendrons, jusqu’à une invisible et murmurante rivière.
— Mon travail, depuis trente ans, dit l’ermite. La dynamite, les blocs énormes que je transporte, les grottes que je crée...
— Qu’est-ce qui vous a amené à choisir cette vie pour le moins singulière ?
— Un besoin effréné de solitude, dit-il en s’animant soudain. Depuis mon enfance, depuis l’Afrique de ma jeunesse, je voulais être seul ! J’ai réalisé ce désir.
— Pourquoi à Brocéliande ?
— Militaire à Coëtquidan, j’ai découvert cette forêt merveilleuse : je ne pouvais plus la quitter, j’étais comme envoûté.
— Vous croyez aux fées, monsieur ?
— Évidemment !
Comme j’aurais aimé connaître les « Pourquoi ? » de la vie de l’Ermite de Brocéliande ! Mais je l’ai quitté sur son mystère.

GARNIER, Christine, « Les enchanteurs de Brocéliande », Revue des deux mondes, 1964, p. 207-215, Voir en ligne. [pp. 214-215]

Un artiste aux multiples facettes

Si Fernand Jaillet montre au public ses talents de jardinier, de paysagiste et de sculpteur, il cultive également dans la plus grande discrétion d’autres jardins, ceux de la poésie et de la peinture. Très sensible à la nature et à la beauté des paysages, il sait transcrire par des mots ou des couleurs la passion qui l’habite.

Tour à tour mystérieuse et sombre,
Enjouée et flamboyante, parfumée et entêtante,
Ou mouvante et fauve, quand dans tes enclaves
Tu déploies l’or de tes genêts, le long des pentes,
Ou les teintes tardives d’opulentes fougères,
Comme l’onde nuancée des cheveux de l’ilienne,
Nous trainons dans nos cœurs des lambeaux de ton âme
Et nous écoutons pleurer le vent de ta forêt,
Parce que nous avons besoin de tristesse.
Mais que tu es belle et comme nous t’aimons !
Sais-tu qu’un seul printemps te rend inoubliable ?
Un amour légendaire a erré sur tes landes,
Sans que l’on ait pu jamais en situer l’alcôve.
Cependant : Bois, vallées, étangs, tout ici
Est imprégné de son touchant lyrisme…
Et tant mieux ! Car sans lui, Brocéliande ne serait.

Fernand Jaillet, in ANONYME, Guide officiel diffusé par le syndicat d’initiative et le groupement touristique intercommunal de Brocéliande, Office Publicitaire de l’Ouest, 1970.

Son œuvre picturale, plus conséquente que ses écrits, révèle aussi une autre facette d’un artiste talentueux et désintéressé. Pierre Labbé 4 en témoigne.

Je lui rendais souvent service. Il n’avait pas de voiture et je l’emmenais souvent à Ploërmel. Pour me remercier il me donnait un tableau.

Témoignage de Pierre Labbé, 2019
La vallée de l’Aff
Peinture à l’huile de Fernand Jaillet

1972 — La vente des Affolettes

Après vingt années d’un travail solitaire de création, Fernand Jaillet vend l’œuvre de sa vie à Eugène Renault et son épouse Lucette Lorandel, restaurateurs à Montfort-sur-Meu, le 20 septembre 1972. Il quitte Beignon et rejoint Les Cluzes, petite commune des Pyrénées-Orientales, où il meurt en 1980.

Pierre Bridier évoque en termes peu élogieux le comportement des nouveaux propriétaires.

Le fondateur des “Affolettes” a quitté le pays pour finir ses vieux jours plus près du soleil de son enfance. Il a vendu son petit chef d’œuvre d’arboriculteur et de paysagiste à quelqu’un qui en a détruit une partie en tronçonnant brutalement des arbres fruitiers en plein rapport, des rhododendrons, des genévriers de toute beauté, jetés aux déchets de bois… avant de tout revendre à un breton, marié à une roubaisienne.

Bridier, Pierre (1987) op. cit., pp. 101-102

1979 - Denise et Léon Francès aux Affolettes

La culture entre au jardin

Denise et Léon Francès acquièrent les Affolettes le 2 mai 1979. Les nouveaux propriétaires viennent du Nord de la France. Denise, née à Roubaix (Nord), était institutrice de maternelle et Léon Francès, originaire de Melgven (Finistère), a d’abord travaillé dans la teinturerie en qualité d’homme à tout faire avant d’exercer le métier de tourneur sur bois.

Afin de faire revivre le lieu, Denise 5 crée en 1981 une association, « Les Affolettes », ayant pour objectif la visite du jardin mais également l’animation culturelle.

Elle propose pendant la belle saison, principalement le samedi et le dimanche - entrée fixée à 5 francs - d’accueillir, dans la salle de séjour aménagée à cet effet par Léon, des expositions de photographie, de peinture, de sculpture, d’art floral, d’artisans d’art, des conférences sur la forêt et ses légendes, des dédicaces d’écrivains et de poètes. À l’ombre du « Rocher glissant » sont occasionnellement organisées des représentations théâtrales et des spectacles musicaux.

Denise crée sa petite maison d’édition, « Les Affolettes » au début des années 1980. Elle se mobilise également contre le projet de barrage sur l’Aff dans les années 1990 en écrivant un livre. —  FRANCÈS, Denise et POUGET-TOLU, Anne, En Brocéliande est le jardin des Affolettes, Marc-Aurèle, 1994. —.

Denise Francès aux Affolettes, à l’ombre des rhododendrons

Chargée de la programmation, elle présente au public de nombreux artistes locaux : les peintres et illustratrices Hélène Roinel et Gisèle Jan Simon, la sculptrice Colette Cov, l’aquarelliste Émile Griffon, le photographe Yvon Ristori, l’écrivain Jean Markale, le conteur Patrick Lebrun.

Après le décès de Fernand Jaillet, le jardin sommeillait, lorsqu’à leur tour, deux amoureux de la forêt, en visite, ont découvert le jardin extraordinaire. Ils ont rêvé de s’installer dans ce havre de paix et leur rêve est devenu réalité. Le bruit s’est vite répandu que les Affolettes étaient de nouveau habitées et les gens reprirent peu à peu l’habitude d’y revenir comme ils le faisaient jadis. Le jardin s’est alors ouvert aux artistes, poètes et écrivains désireux d’y poser toiles, sculptures et rimes.

FRANCÈS, Denise et POUGET-TOLU, Anne, En Brocéliande est le jardin des Affolettes, Marc-Aurèle, 1994.

Léon se consacre à l’entretien et à l’embellissement du jardin et de la propriété. Il réalise également de nombreux travaux de bricolage dans la maison. Il aménage ainsi la salle à manger qui sera spécialement dédiée aux expositions et conférences. Le journaliste Jean-Pierre Alliot évoque le projet de Léon Francès :

Initier les visiteurs à la nature. Braquer des optiques puissantes sur les nids innombrables. “Apprendre aux gens à découvrir et observer, ne serait-ce qu’une fourmilière”, sans que l’enfer des hommes ne perturbe jamais ce creuset de vie intense. “Car le paradis de Brocéliande n’est pas imaginaire” , précise Mme Francès.

ALLIOT, J.P., « Au paradis des Affolettes à Beignon », Ouest-France, 28 juillet, 1981, Voir en ligne.

Les Affolettes face à des projets controversés

Juin 1993 — Un projet de barrage sur l’Aff

Au début de l’été 1993, des nuages noirs et lourds s’amoncellent sur la vallée de l’Aff et le jardin des Affolettes. Le 29 juin, un projet de barrage, en gestation depuis plusieurs mois, voit le jour sur le massif de Paimpont et l’étude de faisabilité retient le site de l’Aff. Le cabinet en charge du dossier n’y voit que des avantages : qualité excellente des eaux, apport de 4 à 7 millions de mètres cubes, terres forestières peu polluées et coût de construction raisonnable. Au lendemain de la réunion du projet par le syndicat d’eau potable Ouest 35, la fronde, menée notamment par les propriétaires de la crêperie « Aux berges de l’Aff », Thérèse et Guy Piérin, s’organise. Une association pour sauvegarder la vallée est créée le 5 juillet et prend le nom de « SOS Brocéliande ».

Une affiche de SOS Brocéliande
Association pour la sauvegarde de la vallée de l’Aff (juillet 1993)

Denise et Léon Francès y adhèrent sans hésiter, une partie du jardin sera noyé et ils seront expropriés si le barrage est réalisé. Ce projet soulève une levée de boucliers dans la population. Un tollé sans précédent se répand dans les milieux écologiques bretons – les manifestations et les soutiens sont nombreux - et s’invite jusque dans la presse nationale. Des artistes et écrivains prennent la plume et dénoncent un désastre à venir. Parmi eux, Charles Le Quintrec.

Entre la source de l’Aff et le Pont du secret coule la poésie de Denise Francès. Cette poésie est mise au service d’un site merveilleux guetté par toutes sortes de prédateurs qui ne rêvent que de transformer le vieux monde des chevaliers et des enchantements en terrasses babyloniennes et cités de béton. Puisse la grâce d’un conte les faire reculer.
Non l’ennoiement du jardin magique ne se fera pas !
Denise Francès veille sur un dernier paradis. Aidons-la à y maintenir cette beauté qui ne coûte rien et qui se révèle sans prix dès qu’on y touche.
La vallée de Lancelot et de Guenièvre doit rester ce qu’elle a toujours été, le lieu magique de la ferveur et de l’amour.

Charles Le Quintrec, in FRANCÈS, Denise et POUGET-TOLU, Anne, En Brocéliande est le jardin des Affolettes, Marc-Aurèle, 1994.

Ce n’est qu’en 1996 que le conseil général d’Ille-et-Vilaine, n’osant pas toucher au mythe de Brocéliande, abandonne le projet de barrage sur l’Aff.

Lancelot et la reine Guenièvre ont gagné... Le conseil général d’Ille-et-Vilaine n’a pas osé toucher au mythe de Brocéliande et à sa vallée légendaire de l’Aff. Il a abandonné, hier en assemblée extraordinaire à Rennes, son projet de retenue en pleine forêt de Paimpont. On envisageait d’y stocker près de 7 millions de m3 d’eau très pure à l’horizon de l’an 2000 ! Voici trois ans, ce projet, au pays des Chevaliers de la Table ronde, avait soulevé un tollé général dans les milieux écologiques et jusque dans la presse parisienne.

GALLOT, Jacques, « Conseil général : un barrage sur le Meu - Après l’abandon des projets sur l’Aff et le Canut », Ouest-France, 27-28 avril, 1996, Voir en ligne.

Septembre 1995 — Un projet de « Art Cultures Sida »

En 1995, l’association « Art Cultures Sida » propose de créer un lieu d’accueil et d’expression artistique pour les personnes séropositives. Le propriétaire des lieux souhaite vendre les Affolettes et confier le site aux initiateurs du projet qui sauront garder l’originalité du lieu et la faire partager. La mairie de Beignon est également sollicitée afin de mettre à disposition le terrain communal du « Rocher glissant » jouxtant le jardin des Affolettes. Un débat animé s’établit alors, provoquant des réactions aussi vives que diverses. Devant une forte opposition des beignonnais et la signature d’une pétition, la commune rejette la mise à disposition du terrain.

Le 13 novembre 2000, Denise et Léon Francès vendent le jardin des Affolettes à Annick et Joseph Touzet et se retirent à Paimpont.

2017 — La renaissance

L’acquisition des Affolettes par la commune de Beignon

Le 24 mars 2017, Annick et Joseph Touzet cèdent le jardin à la commune de Beignon. En réalité, c’est un échange de parcelles entre les deux parties. Il ne comprend pas deux terrasses et une petite tour, réalisées par Fernand Jaillet, proches de la maison de Madame et Monsieur Touzet.

Les Affolettes
Partie du jardin (puits, terrasse et escaliers) restant propriété d’Annick et de Joseph Touzet
André Régnault

La municipalité de Beignon a compris l’enjeu patrimonial de redonner au jardin son lustre d’antan. Elle qui avait, jusqu’alors, privilégié le développement économique et industriel, affiche une volonté de s’orienter vers les loisirs et le tourisme. Cette politique passe par la mise en valeur de son patrimoine naturel. Elle organise en juin 2017 une « journée découverte », invitant les habitants de la commune à découvrir ou redécouvrir le jardin. Autre action concrétisant cet élan, la création d’un parcours pédestre d’environ sept kilomètres, jalonné de panneaux descriptifs et traversant les deux lieux emblématiques et légendaires de la commune, le Pont du secret et le « Rocher glissant ».

Le panneau descriptif des Affolettes
André Régnault

Le parcours, intitulé « La balade de Lancelot » traverse le jardin des Affolettes ; il est inauguré en juin 2019. Celui-ci devrait, avec l’aide des services techniques communaux et la participation d’une association, retrouver son caractère initial, à savoir, un « paradis floral » peuplé d’imaginaire mais d’une beauté bien réelle.

A l’automne 2021, la municipalité de Beignon fait rénover la toiture du chalet « Mab » du jardin des Affolettes afin d’empêcher sa détérioration.—  ANONYME, « Le chalet des Affolettes a un nouveau toit », Les Infos du Pays de Ploërmel, 03/11, 2021, Voir en ligne. —

Le chalet "Mab" des Affolettes en 2023
André Régnault

Une action des écoles du pays de Guer

Le jardin des Affolettes a failli maintes fois tomber dans l’oubli. Mais il s’est toujours trouvé une main secourable pour qu’il renaisse et retrouve la lumière. Les jeunes générations, encouragées par leurs parents et grands-parents ou par quelque légende entendue, comptent bien lui rendre cet éclat incomparable que lui avait prodigué son créateur. En témoigne le livre écrit par les élèves de plusieurs écoles du pays de Guer 6 qui se sont inspirés d’éléments historiques du patrimoine local pour faire leurs premières armes en littérature. Le chapitre consacré au jardin des Affolettes est l’œuvre des enfants de l’école Sainte-Marie de Beignon.

C’est l’histoire de deux meilleurs amis de dix ans qui s’appellent Chloé et Théo. Un beau jour d’été, ils décident d’aller se promener dans le jardin des Affolettes car tout le monde parle de ce lieu au village et ils souhaitent le découvrir ensemble. L’office de tourisme de Beignon leur avait donné un plan du jardin. Sur ce plan, il y a une maison abandonnée d’indiquée. Les enfants montent pour la visiter.
Ils passent à côté du Rocher Glissant et rencontrent une dame en train d’écouter le chant des oiseaux. Ils s’approchent d’elle : « Bonjour, connaissez-vous la maison abandonnée ? »
— Bonjour les enfants, la maison n’est pas du tout abandonnée, c’est la mienne ! Venez la visiter, je vous invite à boire quelque chose.

LES ENFANTS DE L’ÉCOLE SAINTE MARIE DE BEIGNON, « La brûlante histoire des Affolettes », in Une histoire à plusieurs mains, René Carletto, 2019. [page 62]
Une classe de CM1 de Beignon s’inspire des Affolettes

Bibliographie

ALLIOT, J.P., « Au paradis des Affolettes à Beignon », Ouest-France, 28 juillet, 1981, Voir en ligne.

ANONYME, Guide officiel diffusé par le syndicat d’initiative et le groupement touristique intercommunal de Brocéliande, Office Publicitaire de l’Ouest, 1970.

ANONYME, « Le chalet des Affolettes a un nouveau toit », Les Infos du Pays de Ploërmel, 03/11, 2021, Voir en ligne.

BRIDIER, Pierre, Le pays de Beignon témoin de l’histoire, Beignon, autoédition, 1987.

FRANCÈS, Denise et POUGET-TOLU, Anne, En Brocéliande est le jardin des Affolettes, Marc-Aurèle, 1994.

GALLOT, Jacques, « Conseil général : un barrage sur le Meu - Après l’abandon des projets sur l’Aff et le Canut », Ouest-France, 27-28 avril, 1996, Voir en ligne.

GARNIER, Christine, « Les enchanteurs de Brocéliande », Revue des deux mondes, 1964, p. 207-215, Voir en ligne.

HAUFFRAY, L., « Les Affolettes, jardin fleuri de Brocéliande », Ouest-France, sans date, Voir en ligne.

LES ENFANTS DE L’ÉCOLE SAINTE MARIE DE BEIGNON, « La brûlante histoire des Affolettes », in Une histoire à plusieurs mains, René Carletto, 2019.


↑ 1 • Certains témoignages associent cette volonté d’isolement à une rupture conjugale - Il a eu deux enfants de ce mariage : une fille et un garçon.

↑ 2 • Bridier pense à tort que la rivière qui coule sous les Affolettes s’appelle la rivière de Beauvais, alors qu’il s’agit bien de l’Aff.

↑ 3 • Fernand Jaillet est l’auteur du Menhir de la Reddition de Caudan. Cette stèle en granit a été érigée après la guerre pour commémorer la reddition de Caudan du 10 mai 1945.

↑ 4 • Pierre Labbé a été restaurateur. Il est maire de Beignon de 1977 à 1983.

↑ 5 • Denise, habitée depuis toujours par l’envie d’écrire est l’auteur de livres pour enfants (Une mignonne petite chatte, Minette a un secret, Le grand chêne), d’un recueil de nouvelles (Hortense) et d’un recueil de chansons (La vie, c’est ainsi).

↑ 6 • Le projet a réuni 13 classes de CM1, CM2 et sixième des communes de Guer, Saint-Raoul, Carentoir, Beignon et Porcaro.