aller au contenu

1989

Mon petit chevreuil

Un conte d’Hubert Mauguet

Mon petit chevreuil est un conte d’Hubert Mauguet écrit en 1989 dans lequel un chevreuil guide un vieil homme en forêt vers l’emplacement d’une ancienne fouée.

Un conte d’Hubert Mauguet

Mon petit chevreuil est un conte d’Hubert Mauguet (1918-2008) 1 écrit en 1989. Il a été collecté à l’été 2007 à l’occasion de la publication d’un ouvrage consacré aux charbonniers de la forêt de Paimpont. —  GLAIS, Pascal, GOOLAERTS, Laurent et CHENU, Frédéric, Charbonniers de Brocéliande : L’art de la fouée, Amis de la Bibliothèque de Paimpont, 2007, 86 p., Voir en ligne. [pages 82-83] —

Mon petit chevreuil a été adapté et interprété par la conteuse Marie Tanneux à l’occasion des Rendez-vous avec la lune 2016.

Le récit intégral de Mon petit chevreuil

Ça c’est passé un soir d’automne à la nuit tombante, alors que je revenais du Tombeau du Géant. Mais voilà que sur le chemin du retour, j’eus la grande surprise de voir surgir, à ma droite, un tout petit chevreuil qui s’arrêta sur le milieu de la route, continua sa marche jusque sur le bas-côté et y resta un bon moment. Mais, ce qui m’avait rassuré, c’est que je ne l’avais pas renversé. Cette chose inattendue m’a quand même fait réfléchir. Il m’a semblé que ce petit animal voulait me dire quelque chose.

C’est alors que le lendemain, j’ai décidé de refaire ce parcours à la même heure précise, à l’endroit même où je l’avais observé. Mais voilà que se reproduisit la même chose. Alors je m’arrêtai bien doucement sur le bord de la route à environ quarante mètres de celui-ci et tout doucement je descendis de ma voiture, me dirigeai vers lui en tendant un bras, puis marchai à sa rencontre à pas lents. Mon cœur battait très fort. J’allai dans la direction de celui que j’appellerais mon idole, car j’ai une extrême tendresse pour la beauté et l’élégance de cette merveilleuse créature.

J’arrivai jusqu’à lui, je le caressai tout le long de son dos, mais tout à coup assez nerveusement, il fit plusieurs bonds et il rentra en forêt environ sur vingt mètres et il s’arrêta au milieu des fougères, et de nouveau il me regarda, comme pour me faire comprendre qu’il fallait le suivre. Aussitôt je fus dans sa direction et nous voilà partis tous les deux, lui me précédant, pour me faire voir où il voulait aller. Chemin faisant, je réfléchissais beaucoup, car ce déroulement me paraissait un peu bizarre.

Nous avons marché environ un quart d’heure, nous étions déjà bien avancés dans la forêt, mais voilà que mon petit guide stoppa nettement devant un fourré presque impénétrable où il y avait beaucoup d’ajoncs. C’était le lieu même d’une très ancienne place de fouée où autrefois on brûlait le bois pour en sortir du charbon. Le petit chevreuil passa le premier facilement, mais moi, il me fallut me mettre à quatre pattes, et quand je suis arrivé au milieu de ce fourré, cette petite bête était couchée, en travers de mon passage.

Arrivé à lui, il se mit debout, fit deux mètres sur ma gauche, et se mit à gratter avec une de ses pattes de devant pour marquer l’endroit où il fallait que moi aussi je fisse un trou. Puis il recula un peu et me regarda, mais son geste ne me disait pas grand-chose, j’ignorais totalement, qu’à cet endroit précis, il y avait une valeur et surtout un très grand souvenir. Alors je me mis à creuser avec mes deux mains jusqu’à vingt centimètres de profondeur. Il me fallut arrêter car je tombai sur une énorme racine qui venait d’un gros chêne qui était à quelques mètres, mais l’animal est revenu auprès de moi comme pour me dire qu’il fallait continuer, alors je me remis à creuser en agrandissant le trou. Et puis tout à coup j’ai senti quelque chose, j’ai glissé ma main sous cette grosse racine pour pouvoir prendre cet objet encore indéterminé.

Après l’avoir pris dans mes mains, j’ai constaté avec certitude que c’était deux grosses alliances en or, alors je me suis mis debout pour bien les regarder. Mais ces deux précieux bijoux me faisaient mal aux yeux tellement ils brillaient, avec le reflet du soleil couchant. J’étais comblé de joie, à tel point que je me considérais comme le premier homme à avoir trouvé ce que l’être humain n’a jamais découvert. Aussitôt mon regard se tourna vers celui qui m’avait conduit jusqu’ici, mais il avait disparu sans le moindre bruit.

C’est alors qu’à ce moment même je sentis un grand frisson, car ceci me parut étrange et instantanément, j’ai senti derrière moi un grand courant d’air accompagné d’un drôle de cri. Je fus saisi d’une peur glaciale, comme si la mort s’approchait de moi, je fis demi-tour et j’eus la grande surprise de me trouver face à une nuée qui tournoyait sur elle-même et dedans j’entrevoyais comme la silhouette d’une personne, et de cet endroit j’entendis une voix qui me dit :
« — N’aie pas peur, rassure-toi et écoute-moi. Je me suis transformé en chevreuil pour attirer ton attention parce que c’est toi que j’ai choisi pour retrouver ce que j’avais caché, il y a environ deux siècles, dans cette grande et belle forêt de Brocéliande, le jour où mon époux est décédé, dans notre hutte en brousses, j’ai retiré l’alliance de son doigt et après j’ai enlevé la mienne et c’est alors que j’ai creusé un gros bout de charbon et je les aies mises dedans, et je les aies enfouies dans la place de fouée, endroit du dernier lieu de travail de notre vie car dans cette terre nos corps seront séparés, c’est pour cela que j’ai voulu que nos deux alliances restent unies comme si nous étions encore ensemble tous les deux sur cette terre jusqu’à la fin des temps, mais moi aussi je veux m’endormir dans le soleil de l’éternité à l’endroit même où mon mari a serré ma main pour la toute dernière fois, mais elle avait à peine fini sa phrase que j’entendis une voix qui me dit : — Va mon ami, espère.


Bibliographie

GLAIS, Pascal, GOOLAERTS, Laurent et CHENU, Frédéric, Charbonniers de Brocéliande : L’art de la fouée, Amis de la Bibliothèque de Paimpont, 2007, 86 p., Voir en ligne.


↑ 1 • Hubert Mauguet est né le 13 octobre 1918 à Paimpont. Il fut tour à tour aide charbonnier à 15 ans pour Jean Caro en 1933, carrier à Jacob en Paimpont, mouleur aux Forges de Paimpont, bûcheron, manœuvre à la gare de Rennes puis cageotier.