1950
Péret, Benjamin
Un poète surréaliste à Paimpont
Le poète surréaliste Benjamin Péret (1899-1959) est venu à Paimpont en août 1950 pour y rejoindre son ami André Breton. Il y écrit le Règne minéral, texte publié en 1958 dans Histoire naturelle et se fait photographier respirant une fleur d’artichaut, photographie publiée dans la revue Le Surréalisme, même en 1957.
1899-1959 — Éléments biographiques
Benjamin Péret est né en 1899 à Rezé (Loire-Atlantique). Il passe son enfance dans la région de Nantes, y fait ses études secondaires puis entre dans une école de dessin industriel. Contraint de s’engager dans l’armée à la fin de la Première Guerre mondiale, il intègre le 1er régiment de cuirassiers et participe à l’expédition de Salonique 1.
J’avais pris contact avec l’armée au 1er régiment de cuirassiers, véritable bagne où les gradés de tous rangs n’avaient envers leurs soldats que les insultes les plus grossières à la bouche, accompagnées de continuelles menaces de sanctions.
Rapatrié en raison d’une dysenterie, il est affecté en Lorraine jusqu’à la fin de la guerre. En 1919, il rencontre André Breton et fait ses premiers pas dans le mouvement surréaliste où ses talents de provocateur puis de poète lui valent ses premiers succès.
En 1921, il participe avec André Breton et Louis Aragon à la Mise en accusation et jugement de M. Maurice Barrès 2 par Dada, performance théâtrale dans laquelle il joue le rôle du soldat inconnu allemand. La même année, il fait une entrée remarquée dans la constellation des poètes surréalistes avec la publication de son premier recueil de poèmes, Le Passager du Transatlantique 3. — PÉRET, Benjamin, Le passager du transatlantique, Paris, 1921, Voir en ligne. —
En 1923, il publie son premier conte surréaliste - Au 125 Boulevard Saint Germain - inspiré par l’écriture automatique et illustré par Max Ernst . — PÉRET, Benjamin, « Au 125 boulevard Saint-Germain », in Contes suivis de Histoire Naturelle, 1923, Rennes, Les Perséïdes, 2020, p. 27-44, Voir en ligne. —
L’année suivante, on lui confie avec Pierre Naville 4 la réalisation des trois premiers numéros de la revue La Révolution Surréaliste. En 1925, il cosigne avec Paul Éluard 5, 152 proverbes mis au goût du jour. — PÉRET, Benjamin et ELUARD, Paul, 152 proverbes mis au goût du jour, Paris, Librairie Gallimard, 1925, Voir en ligne. —
Il adhère au Parti communiste en janvier 1927 et occupe quelque temps un poste de journaliste à l’Humanité où il signe quelques articles anticléricaux et comptes rendus cinématographiques. — POTEL, Jean-Yves et BOUJOU, Marie-Cécile, « PÉRET Benjamin, dit PERALTA, dit MAURICIO », 2010, Voir en ligne. —
En 1928, Benjamin Péret écrit Les Rouilles encagées, édition illustrée par des dessins d’Yves Tanguy. Le livre, saisi alors qu’il n’est qu’en phase de fabrication à l’imprimerie sur commande de l’éditeur clandestin René Bonnel, est interdit avant même sa publication 6. — PÉRET, Benjamin et TANGUY, Yves, Les rouilles encagées, 1928, Paris, Losfeld, 1970. —
En 1928, il épouse la cantatrice brésilienne Elsie Houston, belle sœur du militant communiste Mário Pedrosa, qui le met en contact avec Léon Trotsky 7. Le couple émigre au Brésil en 1929. Durant son séjour, il mène de front recherches ethnographiques et publications sur la « makumba » et le « candomblé », défend la cause des anciens esclaves et la « résistance noire », découvre la vie de père avec la naissance de son fils Geyser, continue l’écriture de poèmes, entreprend des activités politiques révolutionnaires qui lui valent l’emprisonnement en tant qu’agitateur communiste
et finalement l’expulsion du pays. Il revient en France en 1931 et reprend ses activités dans le groupe surréaliste. — RIAUDEL, Michel, « Benjamin Péret, liens de famille », BNF, 2020, Voir en ligne. —
En 1934, il publie De Derrière les fagots, recueil de poèmes écrits au Brésil, accompagné d’illustrations de Pablo Picasso. — PÉRET, Benjamin, De Derrière les fagots, Paris, José Corti, 1934, Voir en ligne. —
En 1936, il fait paraitre Je ne mange pas de ce pain-là, recueil de poèmes dans lequel il se livre à une véritable entreprise de démolition à l’égard de la religion, de la patrie, du nationalisme et des politiciens de son époque. — PÉRET, Benjamin, Je ne mange pas de ce pain là, Paris, Éditions surréalistes, 1936, Voir en ligne. —
En août 1936, Benjamin Péret part combattre en Espagne dans les rangs du POUM 8. Il s’installe à Barcelone en octobre où il assure l’émission portugaise de Radio-POUM et rencontre la peintre Remedios Varo qui devient sa compagne. Il rejoint le front d’Aragon au début du mois de novembre puis en mars 1937 s’engage dans une milice anarchiste avec laquelle il participe aux combats de Pina del Ebro. — POTEL, Jean-Yves et BOUJOU, Marie-Cécile, « PÉRET Benjamin, dit PERALTA, dit MAURICIO », 2010, Voir en ligne. —
Lettre de Benjamin Péret à André Breton - Barcelone - 11 août 1936Mon très cher André
Si tu voyais Barcelone telle qu’elle est aujourd’hui, émaillée de barricades, décorée d’églises incendiées dont il ne reste plus que les 4 murs, tu serais comme moi, tu exulterais.
Mobilisé en février 1940, il est affecté à Nantes (Loire-Atlantique), puis revient en région parisienne début mai. Le 30 mai, il est arrêté pour avoir voulu reconstituer une organisation trotskiste 9. Emprisonné à Rennes, il est libéré sous caution le 22 juin 1940, dans une France occupée par les nazis.
C’était à la prison de Rennes où il m’avaient fait enfermer au mois de mai 1940 parce que j’avais commis le crime d’estimer qu’une semblable société était mon ennemie, quand ce ne serait que pour m’avoir obligé, moi comme tant d’autres, à la défendre deux fois dans ma vie alors que je ne me reconnaissais rien de commun avec elle.
Benjamin Péret retourne à Paris où dans la semi-clandestinité il participe durant quelques mois à des revues littéraires proches des surréalistes. Dénoncé par des journaux collaborateurs, il doit s’enfuir et rejoint Marseille où il retrouve André Breton. En mars 1941, il obtient un visa pour le Mexique. Il réussit à s’embarquer en octobre 1941 pour Casablanca d’où il embarque sur l’un des derniers bateaux en partance pour Vera Cruz.
Benjamin Péret poursuit son activité surréaliste au Mexique et commence une anthologie des mythes et légendes d’Amérique latine qu’il achève peu de temps avant sa mort. En 1945, il écrit Le Déshonneur des poètes 10, pamphlet dans lequel il attaque notamment Paul Éluard et Louis Aragon— PÉRET, Benjamin, Le déshonneur des poètes, Mexico, 1945, Voir en ligne. —
Il est en effet significatif que la plupart de ces textes associent étroitement le christianisme et le nationalisme comme s’ils voulaient démontrer que dogme religieux et dogme nationaliste ont une commune origine et une fonction sociale identique. Le titre même de la brochure, L’Honneur des poètes, considéré en regard de son contenu, prend un sens étranger à toute poésie. En définitive, l’honneur de ces « poètes » consiste à cesser d’être des poètes pour devenir des agents de publicité.
Séparé de Remedios Varo en 1948, il revient en France et participe aux revues Néon et Médium. Il continue la publication de recueils de poèmes parmi lesquels Toute une vie, écrit à l’île de Sein en 1948 ou Air mexicain en 1952. En 1958, parait Histoire naturelle, écrit de 1945 à 1958 entre Mexico, Paimpont et Paris. — PÉRET, Benjamin, Histoire naturelle, Ussel, Impr. d’A. Rico, 1958, 63 p., Voir en ligne. —
Hospitalisé au printemps, il meurt le 18 septembre 1959 d’une thrombose de l’aorte.
Son anthologie des mythes et légendes d’Amérique Latine parait à titre posthume en 1959. — PÉRET, Benjamin, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Albin Michel, 1959. — En mai 1963, ses amis fondent L’Association des amis de Benjamin Péret, afin de défendre la mémoire du poète surréaliste et assurer le rayonnement des idées qui ont animé son œuvre et sa vie, notamment en favorisant l’édition de textes inédits.
Il m’arrive de plus en plus de penser à toi avec gravité et cette pensée met en cause le sort, le destin dont parlent les livres. On regarde derrière soi, que d’écroulements. Et l’amitié partie d’un si bon pied quand nous avions vingt ans, que sera-t-elle devenue ? Mais lancé sur ce chemin-là il y a de merveilleux que je te découvre, toi et toi seul. Que c’est toi qui m’a ému de jour en jour davantage, de près comme de loin.
1949 — L’abbé Gillard, André Breton et Benjamin Péret
André Breton rencontre l’abbé Gillard au presbytère de Tréhorenteuc au cours de sa première visite en forêt de Brocéliande, datée de 1949. Selon Jean Markale, sa visite au recteur de Tréhorenteuc a suscité la réaction de Benjamin Péret.
Quelques années après [en 1949], André Breton, le grand initiateur du Surréalisme, vint en Brocéliande, sans doute à la recherche du Graal et de cette Fata Morgana dont il avait fait le titre d’un de ses poèmes. Il alla à Tréhorenteuc, visita l’église, dialogua avec l’abbé Gillard, le suivit au presbytère et - chose incroyable pour un homme qui affirmait avec tant de force son athéisme et son anticléricalisme - but dans le verre du pape. Plus tard, au cours d’une réunion, je parlais avec André Breton de l’abbé Gillard et de son accueil au presbytère. Benjamin Perret qui se trouvait à côté et qui avait suivi la conversation, s’écria : « Pouah ! ça devait sentir l’horreur dans cette baraque de curé ! » André Breton se retourna vers lui et lui dit en souriant : « Tais-toi, Benjamin. Tu ne peux pas savoir ce que c’est. Ce n’est pas un homme comme les autres, celui-là. » Je n’ai jamais entendu plus bel hommage à l’abbé Gillard, et cet hommage lui a été rendu par l’un des plus brillants esprits de ce siècle.
1950 — Benjamin Péret à Paimpont
Début août 1950, André Breton et son épouse Élisa Breton 11 alors en vacances en Bretagne, invitent Benjamin Péret à les rejoindre pour quelques jours à Paimpont.
Cher petit Benjamin.
Mon père veut bien mettre 20 000 francs à ta disposition pour que tu viennes nous rejoindre à Paimpont où nous serons à partir du 20 août. Je vais téléphoner à l’hôtel Allaire pour retenir une place à ton intention. Écoute moi bien, il faudrait que tu ailles trouver L[ouis] Pauwels 12 qui peut, je crois, mettre à ta disposition un permis 1ere cl. Aller retour Paris-Rennes [...] Voilà. On espère au moins passer cette fin de vacances avec toi et on t’embrasse.Petit on t’attend avec la tendresse de toujours dépêche-toi pour chasser des papillons et surtout ne crains pas l’humidité. Paimpont est bien pour toi — t’embrasse. Élisa
Cher Monsieur Péret Si vous pouvez rejoindre Elisa, Aube et André à Paimpont vous lui ferez le plus grand plaisir et à moi aussi. Très amicalement. L[ouis] Breton 13
Benjamin Péret, désargenté, suit les conseils d’André Breton pour se procurer les moyens de rejoindre son ami en Bretagne. Il lui répond une semaine après l’envoi de la lettre de Paimpont.
Très cher André,
J’ai été très touché de ta lettre qui a été une grande et heureuse surprise pour moi et je te prie de remercier chaleureusement ton père pour moi, avant que je le fasse moi même véritablement. Dès lundi, je suis allé à « Combat » et j’ai vu Pauwels. L’entretien que j’ai eu avec lui m’a donné l’impression que cela ne marcherait pas et je ne m’étais pas trompé. Je devais lui téléphoner hier soir et j’ai alors appris que le contingent de presse qui leur était accordé pour le mois d’août était déjà complet ; tout espoir est donc perdu de ce côté. Heureusement, je n’avais guère d’illusions et j’ai cherché par ailleurs, si bien que j’ai la quasi certitude d’avoir l’argent du voyage mardi ou mercredi. Je partirai donc mercredi ou jeudi. De toutes manières, je te télégraphierai l’heure de mon arrivée de Paimpont (département ?) pour que je fasse suivre mes lettres. Je suis désolé de perdre quelques jours de vacances mais je ne pense pas pouvoir partir plus tôt, à moins d’un miracle !
Merci mille fois encore, je me réjouis déjà de passer avec vous quelques vacances dont j’avais fait mon deuil.
A bientôt donc, je vous embrasse tous.
Benjamin Péret rejoint André, Élisa et Aube Breton à l’hôtel Allaire de Paimpont le mercredi 23 ou le jeudi 24 août. Au cours de son séjour paimpontais, il écrit un texte intitulé Le règne minéral, finalement publié en 1958 dans Histoire naturelle et se fait photographier respirant une fleur d’artichaut.
Pour donner sens à l’écriture de ce texte à Paimpont et à la présence d’une fleur d’artichaut sur la photographie de Benjamin Péret, il faut remonter à l’année 1942 et à l’exil des membres du mouvement surréaliste en Amérique.
1942 — Le renouveau du surréalisme par le merveilleux
Au début de l’année 1942, André Breton en exil à New-York, écrit à Benjamin Péret alors à Mexico, sur la nécessité de renouvellement du surréalisme dans le contexte de bouleversement des valeurs induit par la Seconde Guerre mondiale.
Lettre d’André Breton à Benjamin Péret - New-York - 4 janvier 1942 Il faut repartir presque de zéro. A mon avis, poétiquement même, il serait tout a fait insuffisant de se poursuivre, de se contenter de survivre. A l’exception d’Apollinaire - et encore non sans réserves graves - la poésie française d’avant l’autre guerre s’est trouvée en 1918-1920 devant un fossé d’incompréhension que lui ouvraient les hommes de la nouvelle génération dont nous-mêmes. La même faillite guetterait le surréalisme si celui-ci n’envisageait, en dépit de ce qui agite la bouteille mondiale, que de se prolonger. Il faut absolument qu’il se modifie, qu’il reparte de nouvelles expériences et de nouvelles audaces pour revivre. A cet égard, je me fie entièrement à toi parce que tu es l’homme de l’audace, que tu as toujours eu horreur de ce qui était déjà entrepris, de ce qui était déjà gagné, parce que aussi tu es l’homme de la conscience révolutionnaire jamais en repos et que tu sais d’instinct que les tourmentes de l’ordre de celle qui tient le monde ne laissent à peu près rien debout : même ce qui a été nos plus belles certitudes, je crois le moment venu d’en faire le tour ; il faut être prêt à sacrifier beaucoup : ce que nous garderons et ce que nous trouverons n’en aura que plus de prix.
Benjamin Péret abonde dans le sens d’André Breton et lui propose de refonder le surréalisme à partir d’une forme de merveilleux qui exprime et transfigure notre époque
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Lettre de Benjamin Péret à André Breton - Mexico - 12 janvier 1942Je suis persuadé également qu’il va falloir abandonner beaucoup du surréalisme, presque tout sans doute. Ce qui me semble avoir grandi à nos yeux ces dernières années et qui pourrait peut-être constituer un point de départ, c’est le « merveilleux » sous toutes ses formes. Y-a-t-il une place pour un merveilleux moderne ? Ceci est très mal dit ; je veux parler d’une forme de merveilleux qui exprime et transfigure notre époque. Quelles nouvelles expériences vois-tu qui pourraient nous servir de point de départ ?
Si, chez André Breton la refondation du surréalisme par le merveilleux passe par une réinterrogation du mythe du Graal, chez Benjamin Péret - dès juin 1942 - elle s’appuie sur une étude et une réinterprétation des mythes et légendes d’Amérique latine.
Lettre de Benjamin Péret à André Breton - Mexico - 24 juin 1942Je veux essayer de faire une sorte d’anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique latine du point de vue du merveilleux.
Dans la première partie de l’introduction de son Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique datée de 1942, Benjamin Péret développe une longue définition poétique du merveilleux qui fait écho à celle formulée par André Breton dans le Manifeste du surréalisme de 1924 14. — BRETON, André, Manifeste du surréalisme, Paris, Editions du Sagittaire, 1924, Voir en ligne. —
On attend sans doute ici que je définisse le merveilleux poétique. Je m’en garderai bien. Il est d’une nature lumineuse qui ne souffre pas la concurrence du soleil : il dissipe les ténèbres et le soleil ternit son éclat. Le dictionnaire bien sûr, se borne à en donner une étymologie sèche où le merveilleux se reconnait aussi mal qu’une orchidée conservée dans un herbier. J’essaierai seulement de le suggérer.
De 1942 à sa mort en 1959, son intérêt pour le merveilleux poétique des mythes et légendes d’Amérique latine n’a de cesse. Son anthologie ne paraitra d’ailleurs qu’à titre posthume en 1960. — PÉRET, Benjamin, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Albin Michel, 1959. —
Dans le même temps - entre 1945 et 1958 - il développe un nouveau style littéraire mariant le merveilleux des mythes amérindiens à l’écriture automatique, renouvellement du surréalisme qui aboutira à la publication d’Histoire naturelle un an avant sa mort.
1950 — Le règne minéral, un texte composé à Paimpont
C’est au cours du mois d’août 1950 à Paimpont que Benjamin Péret écrit un texte intitulé Le règne minéral, finalement publié en 1958 dans Histoire naturelle.
Le cycle [...] d’Histoire naturelle, composé entre 1945 et 1958, est paru quant à lui en 1958 à Ussel, sans nom d’éditeur. Bien qu’il présente des analogies avec certain contes étiologiques, ce dernier texte se singularise du reste du corpus. La prose poétique y est constellée d’images qu’inspirèrent à Péret les mythologies amérindiennes qu’il découvrit au Brésil puis au Mexique et dont il rendit compte dans son importante « Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique » parue en 1960 aux éditions Albin Michel.
Histoire naturelle est publié un an avant la mort de Benjamin Péret. Le poète s’y livre à l’écriture d’un conte surréaliste des origines dans lequel son goût pour les images mentales nées de l’écriture automatique, s’allie à sa passion pour le merveilleux des contes et de la mythologie.
On peut en tout cas être assuré que les explications que le primitif donne des origines du monde et de sa propre origine et nature sont des produits de l’imagination pure où la part de la réflexion consciente demeure nulle ou quasi. De là vient sans doute que, non limitées, non critiquées, ces créations ressortissent presque toujours au merveilleux poétique.
Histoire naturelle est composé de quatre parties. La première, intitulée Les quatre éléments, est écrite en 1945, durant l’exil de Benjamin Péret à Mexico. Elle est suivie du règne minéral (Paimpont 1950), du règne végétal (Paris 1958) et du règne animal.
Le règne minéral — extraits
Lorsque l’eau, l’air, la terre et le feu furent lassés de danser en rond autour d’une glaciale flamme de vide, ils soufflèrent dessus, l’éteignirent et, rompus de fatigue, s’assirent serrés les uns contre les autres car ils avaient froid et s’ils avaient dansé si longtemps un ballet d’ours en cage, c’était tout simplement pour se réchauffer.
– Je suis presque mort, dit le feu en épongeant son front ruisselant d’une sueur qui s’évaporait cependant très vite et devenait une fine neige tombant sur leurs pieds qu’elle glaçait.
– Il faut absolument que nous fassions quelque chose pour ne pas geler, dit la terre en frissonnant si fort que l’air, comprimé entre elle et l’eau, devint un immense parapluie sous lequel les autres s’abritèrent en grelottant.
L’eau souffla dans ses mains aux doigts gourds et si rouges qu’on aurait dit des braises, dont la lueur aurait pu les illuminer. Quelque chose s’y solidifia, que l’eau commença de triturer machinalement comme une vague mie de pain.
– Ces imbéciles vont se tuer, dit l’air avec un sourire de fatuité.
Ce sourire, plus que tout ce qui avait précédé, exaspéra le feu qui lui lança une si terrible gifle que le malheureux, chassé au loin, alla s’aplatir contre l’horizon où il resta assommé.
Débarrassé de l’air, le feu se retourna vers les mégères déchaînées. La terre avait déjà les deux yeux pochés et l’eau était presque chauve, à demi scalpée par l’étain. Le feu saisit l’eau par les pieds et la fit tournoyer au-dessus de sa tête. Elle se défit rapidement pour devenir un immense lasso que le feu lança sur l’air en lâchant l’extrémité qu’il tenait. Elle alla s’enrouler autour de l’air, où elle s’effilocha, et la première rivière en coula, se dirigeant, menaçante, vers la terre évanouie, si menaçante que le feu prit peur et, tout tremblant, se cacha sous la terre. La lutte des métaux s’arrêta alors aussi brusquement qu’elle avait commencé. Un calme total se fit et le silence recouvrit le tout. Hésitant, chacun restait à sa place. Même l’eau, que cette paix soudaine surprenait, n’osait pas se rapprocher de son ennemie. Sous la terre, le feu guettait.
Et le soleil se leva pour la première fois.
Paimpont, 1950.
1950 — Une photographie de Benjamin Péret à Paimpont
La photographie intitulée Benjamin Péret respirant une fleur d’artichaut a été prise à Paimpont et intégrée à un article de 1957 de la revue Le Surréalisme, même. — MAYOUX, Jehan, « Benjamin Péret, la fourchette coupante (suite) », Le Surréalisme, même, 1957, p. 53-58. —
Cette photographie, bien que datée de 1951, a très vraisemblablement été prise à la fin août 1950 lors du seul séjour attesté de Benjamin Péret à Paimpont. Aucune mention d’un séjour du poète en Bretagne n’apparait dans sa correspondance de l’année 1951.
L’artichaut est un thème récurrent dans l’œuvre de Benjamin Péret. Outre le fait qu’il aimait en manger la tête ou capitule, cette « astéracée » revient dans nombre de ses poèmes 15. On peut cependant se demander si sa présence sur cette photographie n’est pas plus qu’une référence à un topos de l’univers mental du poète et si l’artichaut n’est pas pour Benjamin Péret une représentation du merveilleux.
Dans l’introduction de 1942 dans laquelle il propose une suggestion de définition du merveilleux poétique il évoque la forme du premier artichaut.
Ce sont des êtres moins nets qu’un grain de poussière dans un rayon de soleil. Dans leur tête de racine, leurs yeux de feux follets se déplacent en tous sens et leurs douze ailes munies de griffes leur permettent d’agir avec la rapidité de l’éclair qu’ils trainent dans leur sillage. Dans ma main, ils mangent les yeux des plumes de paon et si je les presse entre le pouce et l’index, je modèle une cigarette qui, entre les pieds d’une armure, prend vite la forme du premier artichaut. Cependant le merveilleux est partout, dissimulé aux regards du vulgaire, mais prêt à éclater comme une bombe à retardement.
C’est au cours de ce séjour à Paimpont que Benjamin Péret écrit la deuxième partie du Règne minéral, qui représente à ses yeux une des formes du renouvellement du surréalisme par le merveilleux. Or, dans la première partie de cette œuvre, écrite à Mexico en 1945, l’artichaut est aussi invoqué.
Remontée à la surface du sol, l’eau de puits s’évapore rapidement, laissant au fond du récipient un résidu d’un beau vert clair : le principe de causalité, qui, soluble dans l’huile, est le père de l’artichaut.