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1950

Péret, Benjamin

Un poète surréaliste à Paimpont

Le poète surréaliste Benjamin Péret (1899-1959) est venu à Paimpont en août 1950 pour y rejoindre son ami André Breton. Il y écrit le Règne minéral, texte publié en 1958 dans Histoire naturelle et se fait photographier respirant une fleur d’artichaut, photographie publiée dans la revue Le Surréalisme, même en 1957.

1899-1959 — Éléments biographiques

Benjamin Péret est né en 1899 à Rezé (Loire-Atlantique). Il passe son enfance dans la région de Nantes, y fait ses études secondaires puis entre dans une école de dessin industriel. Contraint de s’engager dans l’armée à la fin de la Première Guerre mondiale, il intègre le 1er régiment de cuirassiers et participe à l’expédition de Salonique 1.

J’avais pris contact avec l’armée au 1er régiment de cuirassiers, véritable bagne où les gradés de tous rangs n’avaient envers leurs soldats que les insultes les plus grossières à la bouche, accompagnées de continuelles menaces de sanctions.

PÉRET, Benjamin, « Introduction », in Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, 1942, Albin Michel, 1960.

Rapatrié en raison d’une dysenterie, il est affecté en Lorraine jusqu’à la fin de la guerre. En 1919, il rencontre André Breton et fait ses premiers pas dans le mouvement surréaliste où ses talents de provocateur puis de poète lui valent ses premiers succès.

En 1921, il participe avec André Breton et Louis Aragon à la Mise en accusation et jugement de M. Maurice Barrès 2 par Dada, performance théâtrale dans laquelle il joue le rôle du soldat inconnu allemand. La même année, il fait une entrée remarquée dans la constellation des poètes surréalistes avec la publication de son premier recueil de poèmes, Le Passager du Transatlantique 3. —  PÉRET, Benjamin, Le passager du transatlantique, Paris, 1921, Voir en ligne. —

En 1923, il publie son premier conte surréaliste - Au 125 Boulevard Saint Germain - inspiré par l’écriture automatique et illustré par Max Ernst . —  PÉRET, Benjamin, « Au 125 boulevard Saint-Germain », in Contes suivis de Histoire Naturelle, 1923, Rennes, Les Perséïdes, 2020, p. 27-44, Voir en ligne. —

Illustration pour "Au 125 boulevard Saint-Germain"
Max Ernst

L’année suivante, on lui confie avec Pierre Naville 4 la réalisation des trois premiers numéros de la revue La Révolution Surréaliste. En 1925, il cosigne avec Paul Éluard 5, 152 proverbes mis au goût du jour. —  PÉRET, Benjamin et ELUARD, Paul, 152 proverbes mis au goût du jour, Paris, Librairie Gallimard, 1925, Voir en ligne. —

Il adhère au Parti communiste en janvier 1927 et occupe quelque temps un poste de journaliste à l’Humanité où il signe quelques articles anticléricaux et comptes rendus cinématographiques. —  POTEL, Jean-Yves et BOUJOU, Marie-Cécile, « PÉRET Benjamin, dit PERALTA, dit MAURICIO », 2010, Voir en ligne. —

En 1928, Benjamin Péret écrit Les Rouilles encagées, édition illustrée par des dessins d’Yves Tanguy. Le livre, saisi alors qu’il n’est qu’en phase de fabrication à l’imprimerie sur commande de l’éditeur clandestin René Bonnel, est interdit avant même sa publication 6. —  PÉRET, Benjamin et TANGUY, Yves, Les rouilles encagées, 1928, Paris, Losfeld, 1970. —

André Breton, Paul Éluard, Tristan Tzara et Benjamin Péret en 1932

En 1928, il épouse la cantatrice brésilienne Elsie Houston, belle sœur du militant communiste Mário Pedrosa, qui le met en contact avec Léon Trotsky 7. Le couple émigre au Brésil en 1929. Durant son séjour, il mène de front recherches ethnographiques et publications sur la « makumba » et le « candomblé », défend la cause des anciens esclaves et la « résistance noire », découvre la vie de père avec la naissance de son fils Geyser, continue l’écriture de poèmes, entreprend des activités politiques révolutionnaires qui lui valent l’emprisonnement en tant qu’agitateur communiste et finalement l’expulsion du pays. Il revient en France en 1931 et reprend ses activités dans le groupe surréaliste. —  RIAUDEL, Michel, « Benjamin Péret, liens de famille », BNF, 2020, Voir en ligne. —

En 1934, il publie De Derrière les fagots, recueil de poèmes écrits au Brésil, accompagné d’illustrations de Pablo Picasso. —  PÉRET, Benjamin, De Derrière les fagots, Paris, José Corti, 1934, Voir en ligne. —

La mort de Marat
In-8 à très grandes marges (262 x 151 mm). Pointe-sèche originale de Pablo Picasso en frontispice, La Mort de Marat, rehaussée à la main en couleurs pour De Derrière les fagots, recueil de poème de Benjamin Péret publié en 1934.
Pablo Picasso

En 1936, il fait paraitre Je ne mange pas de ce pain-là, recueil de poèmes dans lequel il se livre à une véritable entreprise de démolition à l’égard de la religion, de la patrie, du nationalisme et des politiciens de son époque. —  PÉRET, Benjamin, Je ne mange pas de ce pain là, Paris, Éditions surréalistes, 1936, Voir en ligne. —

En août 1936, Benjamin Péret part combattre en Espagne dans les rangs du POUM 8. Il s’installe à Barcelone en octobre où il assure l’émission portugaise de Radio-POUM et rencontre la peintre Remedios Varo qui devient sa compagne. Il rejoint le front d’Aragon au début du mois de novembre puis en mars 1937 s’engage dans une milice anarchiste avec laquelle il participe aux combats de Pina del Ebro. —  POTEL, Jean-Yves et BOUJOU, Marie-Cécile, « PÉRET Benjamin, dit PERALTA, dit MAURICIO », 2010, Voir en ligne. —

Lettre de Benjamin Péret à André Breton - Barcelone - 11 août 1936Mon très cher André
Si tu voyais Barcelone telle qu’elle est aujourd’hui, émaillée de barricades, décorée d’églises incendiées dont il ne reste plus que les 4 murs, tu serais comme moi, tu exulterais.

Breton, André et Péret, Benjamin (2017) op. cit., p. 43

Mobilisé en février 1940, il est affecté à Nantes (Loire-Atlantique), puis revient en région parisienne début mai. Le 30 mai, il est arrêté pour avoir voulu reconstituer une organisation trotskiste 9. Emprisonné à Rennes, il est libéré sous caution le 22 juin 1940, dans une France occupée par les nazis.

C’était à la prison de Rennes où il m’avaient fait enfermer au mois de mai 1940 parce que j’avais commis le crime d’estimer qu’une semblable société était mon ennemie, quand ce ne serait que pour m’avoir obligé, moi comme tant d’autres, à la défendre deux fois dans ma vie alors que je ne me reconnaissais rien de commun avec elle.

PÉRET, Benjamin, « Introduction », in Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, 1942, Albin Michel, 1960.

Benjamin Péret retourne à Paris où dans la semi-clandestinité il participe durant quelques mois à des revues littéraires proches des surréalistes. Dénoncé par des journaux collaborateurs, il doit s’enfuir et rejoint Marseille où il retrouve André Breton. En mars 1941, il obtient un visa pour le Mexique. Il réussit à s’embarquer en octobre 1941 pour Casablanca d’où il embarque sur l’un des derniers bateaux en partance pour Vera Cruz.

Victor Serge, Benjamin Péret, Rémédios Varo et André Breton

Benjamin Péret poursuit son activité surréaliste au Mexique et commence une anthologie des mythes et légendes d’Amérique latine qu’il achève peu de temps avant sa mort. En 1945, il écrit Le Déshonneur des poètes 10, pamphlet dans lequel il attaque notamment Paul Éluard et Louis Aragon—  PÉRET, Benjamin, Le déshonneur des poètes, Mexico, 1945, Voir en ligne. —

Il est en effet significatif que la plupart de ces textes associent étroitement le christianisme et le nationalisme comme s’ils voulaient démontrer que dogme religieux et dogme nationaliste ont une commune origine et une fonction sociale identique. Le titre même de la brochure, L’Honneur des poètes, considéré en regard de son contenu, prend un sens étranger à toute poésie. En définitive, l’honneur de ces « poètes » consiste à cesser d’être des poètes pour devenir des agents de publicité.

PÉRET, Benjamin, Le déshonneur des poètes, Mexico, 1945, Voir en ligne.

Séparé de Remedios Varo en 1948, il revient en France et participe aux revues Néon et Médium. Il continue la publication de recueils de poèmes parmi lesquels Toute une vie, écrit à l’île de Sein en 1948 ou Air mexicain en 1952. En 1958, parait Histoire naturelle, écrit de 1945 à 1958 entre Mexico, Paimpont et Paris. —  PÉRET, Benjamin, Histoire naturelle, Ussel, Impr. d’A. Rico, 1958, 63 p., Voir en ligne. —

Hospitalisé au printemps, il meurt le 18 septembre 1959 d’une thrombose de l’aorte.

Son anthologie des mythes et légendes d’Amérique Latine parait à titre posthume en 1959. —  PÉRET, Benjamin, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Albin Michel, 1959. — En mai 1963, ses amis fondent L’Association des amis de Benjamin Péret, afin de défendre la mémoire du poète surréaliste et assurer le rayonnement des idées qui ont animé son œuvre et sa vie, notamment en favorisant l’édition de textes inédits.

André Breton chassant les papillons avec Benjamin Péret en 1959
Lettre d’André Breton à Benjamin Péret du 14 août 1946

Il m’arrive de plus en plus de penser à toi avec gravité et cette pensée met en cause le sort, le destin dont parlent les livres. On regarde derrière soi, que d’écroulements. Et l’amitié partie d’un si bon pied quand nous avions vingt ans, que sera-t-elle devenue ? Mais lancé sur ce chemin-là il y a de merveilleux que je te découvre, toi et toi seul. Que c’est toi qui m’a ému de jour en jour davantage, de près comme de loin.

BRETON, André et PERET, Benjamin, Correspondance (1920-1959), Gallimard, 2017, 464 p., (« Blanche »), Voir en ligne.

1949 — L’abbé Gillard, André Breton et Benjamin Péret

André Breton rencontre l’abbé Gillard au presbytère de Tréhorenteuc au cours de sa première visite en forêt de Brocéliande, datée de 1949. Selon Jean Markale, sa visite au recteur de Tréhorenteuc a suscité la réaction de Benjamin Péret.

Quelques années après [en 1949], André Breton, le grand initiateur du Surréalisme, vint en Brocéliande, sans doute à la recherche du Graal et de cette Fata Morgana dont il avait fait le titre d’un de ses poèmes. Il alla à Tréhorenteuc, visita l’église, dialogua avec l’abbé Gillard, le suivit au presbytère et - chose incroyable pour un homme qui affirmait avec tant de force son athéisme et son anticléricalisme - but dans le verre du pape. Plus tard, au cours d’une réunion, je parlais avec André Breton de l’abbé Gillard et de son accueil au presbytère. Benjamin Perret qui se trouvait à côté et qui avait suivi la conversation, s’écria : « Pouah ! ça devait sentir l’horreur dans cette baraque de curé ! » André Breton se retourna vers lui et lui dit en souriant : « Tais-toi, Benjamin. Tu ne peux pas savoir ce que c’est. Ce n’est pas un homme comme les autres, celui-là. » Je n’ai jamais entendu plus bel hommage à l’abbé Gillard, et cet hommage lui a été rendu par l’un des plus brillants esprits de ce siècle.

MARKALE, Jean et GUÉPIN, Yves, Brocéliande : La forêt des Chevaliers de La Table Ronde, Paris, Berger-Levrault, 1984, 95 p. [page 56]
Notre collaborateur Benjamin Péret injuriant un prêtre
La Révolution surréaliste, décembre 1926

1950 — Benjamin Péret à Paimpont

Début août 1950, André Breton et son épouse Élisa Breton 11 alors en vacances en Bretagne, invitent Benjamin Péret à les rejoindre pour quelques jours à Paimpont.

André Breton à Benjamin Péret, Lorient, 11 août 1950

Cher petit Benjamin.
Mon père veut bien mettre 20 000 francs à ta disposition pour que tu viennes nous rejoindre à Paimpont où nous serons à partir du 20 août. Je vais téléphoner à l’hôtel Allaire pour retenir une place à ton intention. Écoute moi bien, il faudrait que tu ailles trouver L[ouis] Pauwels 12 qui peut, je crois, mettre à ta disposition un permis 1ere cl. Aller retour Paris-Rennes [...] Voilà. On espère au moins passer cette fin de vacances avec toi et on t’embrasse.

Petit on t’attend avec la tendresse de toujours dépêche-toi pour chasser des papillons et surtout ne crains pas l’humidité. Paimpont est bien pour toi — t’embrasse. Élisa

Cher Monsieur Péret Si vous pouvez rejoindre Elisa, Aube et André à Paimpont vous lui ferez le plus grand plaisir et à moi aussi. Très amicalement. L[ouis] Breton 13

BRETON, André et PERET, Benjamin, Correspondance (1920-1959), Gallimard, 2017, 464 p., (« Blanche »), Voir en ligne.

Benjamin Péret, désargenté, suit les conseils d’André Breton pour se procurer les moyens de rejoindre son ami en Bretagne. Il lui répond une semaine après l’envoi de la lettre de Paimpont.

Benjamin Péret à André Breton, Paris, 18 août 1950

Très cher André,
J’ai été très touché de ta lettre qui a été une grande et heureuse surprise pour moi et je te prie de remercier chaleureusement ton père pour moi, avant que je le fasse moi même véritablement. Dès lundi, je suis allé à « Combat » et j’ai vu Pauwels. L’entretien que j’ai eu avec lui m’a donné l’impression que cela ne marcherait pas et je ne m’étais pas trompé. Je devais lui téléphoner hier soir et j’ai alors appris que le contingent de presse qui leur était accordé pour le mois d’août était déjà complet ; tout espoir est donc perdu de ce côté. Heureusement, je n’avais guère d’illusions et j’ai cherché par ailleurs, si bien que j’ai la quasi certitude d’avoir l’argent du voyage mardi ou mercredi. Je partirai donc mercredi ou jeudi. De toutes manières, je te télégraphierai l’heure de mon arrivée de Paimpont (département ?) pour que je fasse suivre mes lettres. Je suis désolé de perdre quelques jours de vacances mais je ne pense pas pouvoir partir plus tôt, à moins d’un miracle !
Merci mille fois encore, je me réjouis déjà de passer avec vous quelques vacances dont j’avais fait mon deuil.
A bientôt donc, je vous embrasse tous.

BRETON, André et PERET, Benjamin, Correspondance (1920-1959), Gallimard, 2017, 464 p., (« Blanche »), Voir en ligne.

Benjamin Péret rejoint André, Élisa et Aube Breton à l’hôtel Allaire de Paimpont le mercredi 23 ou le jeudi 24 août. Au cours de son séjour paimpontais, il écrit un texte intitulé Le règne minéral, finalement publié en 1958 dans Histoire naturelle et se fait photographier respirant une fleur d’artichaut.

Pour donner sens à l’écriture de ce texte à Paimpont et à la présence d’une fleur d’artichaut sur la photographie de Benjamin Péret, il faut remonter à l’année 1942 et à l’exil des membres du mouvement surréaliste en Amérique.

1942 — Le renouveau du surréalisme par le merveilleux

Au début de l’année 1942, André Breton en exil à New-York, écrit à Benjamin Péret alors à Mexico, sur la nécessité de renouvellement du surréalisme dans le contexte de bouleversement des valeurs induit par la Seconde Guerre mondiale.

Lettre d’André Breton à Benjamin Péret - New-York - 4 janvier 1942 Il faut repartir presque de zéro. A mon avis, poétiquement même, il serait tout a fait insuffisant de se poursuivre, de se contenter de survivre. A l’exception d’Apollinaire - et encore non sans réserves graves - la poésie française d’avant l’autre guerre s’est trouvée en 1918-1920 devant un fossé d’incompréhension que lui ouvraient les hommes de la nouvelle génération dont nous-mêmes. La même faillite guetterait le surréalisme si celui-ci n’envisageait, en dépit de ce qui agite la bouteille mondiale, que de se prolonger. Il faut absolument qu’il se modifie, qu’il reparte de nouvelles expériences et de nouvelles audaces pour revivre. A cet égard, je me fie entièrement à toi parce que tu es l’homme de l’audace, que tu as toujours eu horreur de ce qui était déjà entrepris, de ce qui était déjà gagné, parce que aussi tu es l’homme de la conscience révolutionnaire jamais en repos et que tu sais d’instinct que les tourmentes de l’ordre de celle qui tient le monde ne laissent à peu près rien debout : même ce qui a été nos plus belles certitudes, je crois le moment venu d’en faire le tour ; il faut être prêt à sacrifier beaucoup : ce que nous garderons et ce que nous trouverons n’en aura que plus de prix.

BRETON, André et PERET, Benjamin, Correspondance (1920-1959), Gallimard, 2017, 464 p., (« Blanche »), Voir en ligne. [page 113]

Benjamin Péret abonde dans le sens d’André Breton et lui propose de refonder le surréalisme à partir d’une forme de merveilleux qui exprime et transfigure notre époque.

Lettre de Benjamin Péret à André Breton - Mexico - 12 janvier 1942Je suis persuadé également qu’il va falloir abandonner beaucoup du surréalisme, presque tout sans doute. Ce qui me semble avoir grandi à nos yeux ces dernières années et qui pourrait peut-être constituer un point de départ, c’est le « merveilleux » sous toutes ses formes. Y-a-t-il une place pour un merveilleux moderne ? Ceci est très mal dit ; je veux parler d’une forme de merveilleux qui exprime et transfigure notre époque. Quelles nouvelles expériences vois-tu qui pourraient nous servir de point de départ ?

BRETON, André et PERET, Benjamin, Correspondance (1920-1959), Gallimard, 2017, 464 p., (« Blanche »), Voir en ligne. [page 121]

Si, chez André Breton la refondation du surréalisme par le merveilleux passe par une réinterrogation du mythe du Graal, chez Benjamin Péret - dès juin 1942 - elle s’appuie sur une étude et une réinterprétation des mythes et légendes d’Amérique latine.

Lettre de Benjamin Péret à André Breton - Mexico - 24 juin 1942Je veux essayer de faire une sorte d’anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique latine du point de vue du merveilleux.

BRETON, André et PERET, Benjamin, Correspondance (1920-1959), Gallimard, 2017, 464 p., (« Blanche »), Voir en ligne. [page 143]

Dans la première partie de l’introduction de son Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique datée de 1942, Benjamin Péret développe une longue définition poétique du merveilleux qui fait écho à celle formulée par André Breton dans le Manifeste du surréalisme de 1924 14. —  BRETON, André, Manifeste du surréalisme, Paris, Editions du Sagittaire, 1924, Voir en ligne. —

On attend sans doute ici que je définisse le merveilleux poétique. Je m’en garderai bien. Il est d’une nature lumineuse qui ne souffre pas la concurrence du soleil : il dissipe les ténèbres et le soleil ternit son éclat. Le dictionnaire bien sûr, se borne à en donner une étymologie sèche où le merveilleux se reconnait aussi mal qu’une orchidée conservée dans un herbier. J’essaierai seulement de le suggérer.

PÉRET, Benjamin, « Introduction », in Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, 1942, Albin Michel, 1960.

De 1942 à sa mort en 1959, son intérêt pour le merveilleux poétique des mythes et légendes d’Amérique latine n’a de cesse. Son anthologie ne paraitra d’ailleurs qu’à titre posthume en 1960. —  PÉRET, Benjamin, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Albin Michel, 1959. —

Dans le même temps - entre 1945 et 1958 - il développe un nouveau style littéraire mariant le merveilleux des mythes amérindiens à l’écriture automatique, renouvellement du surréalisme qui aboutira à la publication d’Histoire naturelle un an avant sa mort.

1950 — Le règne minéral, un texte composé à Paimpont

C’est au cours du mois d’août 1950 à Paimpont que Benjamin Péret écrit un texte intitulé Le règne minéral, finalement publié en 1958 dans Histoire naturelle.

Le cycle [...] d’Histoire naturelle, composé entre 1945 et 1958, est paru quant à lui en 1958 à Ussel, sans nom d’éditeur. Bien qu’il présente des analogies avec certain contes étiologiques, ce dernier texte se singularise du reste du corpus. La prose poétique y est constellée d’images qu’inspirèrent à Péret les mythologies amérindiennes qu’il découvrit au Brésil puis au Mexique et dont il rendit compte dans son importante « Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique » parue en 1960 aux éditions Albin Michel.

QUÉMÉNEUR, Gaëlle et PÉRET, Benjamin, « Préface », in Contes suivis de Histoire naturelle, Les Perséides, 2020, p. 9-17.

Histoire naturelle est publié un an avant la mort de Benjamin Péret. Le poète s’y livre à l’écriture d’un conte surréaliste des origines dans lequel son goût pour les images mentales nées de l’écriture automatique, s’allie à sa passion pour le merveilleux des contes et de la mythologie.

On peut en tout cas être assuré que les explications que le primitif donne des origines du monde et de sa propre origine et nature sont des produits de l’imagination pure où la part de la réflexion consciente demeure nulle ou quasi. De là vient sans doute que, non limitées, non critiquées, ces créations ressortissent presque toujours au merveilleux poétique.

PÉRET, Benjamin, « Introduction », in Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, 1942, Albin Michel, 1960.

Histoire naturelle est composé de quatre parties. La première, intitulée Les quatre éléments, est écrite en 1945, durant l’exil de Benjamin Péret à Mexico. Elle est suivie du règne minéral (Paimpont 1950), du règne végétal (Paris 1958) et du règne animal.

"Histoire naturelle" de Benjamin Péret
—  PÉRET, Benjamin, Histoire naturelle, Ussel, Impr. d’A. Rico, 1958, 63 p., Voir en ligne. —

Le règne minéral — extraits

Lorsque l’eau, l’air, la terre et le feu furent lassés de danser en rond autour d’une glaciale flamme de vide, ils soufflèrent dessus, l’éteignirent et, rompus de fatigue, s’assirent serrés les uns contre les autres car ils avaient froid et s’ils avaient dansé si longtemps un ballet d’ours en cage, c’était tout simplement pour se réchauffer.

– Je suis presque mort, dit le feu en épongeant son front ruisselant d’une sueur qui s’évaporait cependant très vite et devenait une fine neige tombant sur leurs pieds qu’elle glaçait.

– Il faut absolument que nous fassions quelque chose pour ne pas geler, dit la terre en frissonnant si fort que l’air, comprimé entre elle et l’eau, devint un immense parapluie sous lequel les autres s’abritèrent en grelottant.

L’eau souffla dans ses mains aux doigts gourds et si rouges qu’on aurait dit des braises, dont la lueur aurait pu les illuminer. Quelque chose s’y solidifia, que l’eau commença de triturer machinalement comme une vague mie de pain.

Illustration de Toyen pour "Histoire naturelle" de Benjamin Péret
—  PÉRET, Benjamin, Histoire naturelle, Ussel, Impr. d’A. Rico, 1958, 63 p., Voir en ligne. —

– Ces imbéciles vont se tuer, dit l’air avec un sourire de fatuité.

Ce sourire, plus que tout ce qui avait précédé, exaspéra le feu qui lui lança une si terrible gifle que le malheureux, chassé au loin, alla s’aplatir contre l’horizon où il resta assommé.

Débarrassé de l’air, le feu se retourna vers les mégères déchaînées. La terre avait déjà les deux yeux pochés et l’eau était presque chauve, à demi scalpée par l’étain. Le feu saisit l’eau par les pieds et la fit tournoyer au-dessus de sa tête. Elle se défit rapidement pour devenir un immense lasso que le feu lança sur l’air en lâchant l’extrémité qu’il tenait. Elle alla s’enrouler autour de l’air, où elle s’effilocha, et la première rivière en coula, se dirigeant, menaçante, vers la terre évanouie, si menaçante que le feu prit peur et, tout tremblant, se cacha sous la terre. La lutte des métaux s’arrêta alors aussi brusquement qu’elle avait commencé. Un calme total se fit et le silence recouvrit le tout. Hésitant, chacun restait à sa place. Même l’eau, que cette paix soudaine surprenait, n’osait pas se rapprocher de son ennemie. Sous la terre, le feu guettait.

Et le soleil se leva pour la première fois.

Paimpont, 1950.

PÉRET, Benjamin, Histoire naturelle, Ussel, Impr. d’A. Rico, 1958, 63 p., Voir en ligne.

1950 — Une photographie de Benjamin Péret à Paimpont

La photographie intitulée Benjamin Péret respirant une fleur d’artichaut a été prise à Paimpont et intégrée à un article de 1957 de la revue Le Surréalisme, même. —  MAYOUX, Jehan, « Benjamin Péret, la fourchette coupante (suite) », Le Surréalisme, même, 1957, p. 53-58. —

Benjamin Péret respirant une fleur d’artichaut
—  MAYOUX, Jehan, « Benjamin Péret, la fourchette coupante (suite) », Le Surréalisme, même, 1957, p. 53-58. —

Cette photographie, bien que datée de 1951, a très vraisemblablement été prise à la fin août 1950 lors du seul séjour attesté de Benjamin Péret à Paimpont. Aucune mention d’un séjour du poète en Bretagne n’apparait dans sa correspondance de l’année 1951.

L’artichaut est un thème récurrent dans l’œuvre de Benjamin Péret. Outre le fait qu’il aimait en manger la tête ou capitule, cette « astéracée » revient dans nombre de ses poèmes 15. On peut cependant se demander si sa présence sur cette photographie n’est pas plus qu’une référence à un topos de l’univers mental du poète et si l’artichaut n’est pas pour Benjamin Péret une représentation du merveilleux.

Dans l’introduction de 1942 dans laquelle il propose une suggestion de définition du merveilleux poétique il évoque la forme du premier artichaut.

Ce sont des êtres moins nets qu’un grain de poussière dans un rayon de soleil. Dans leur tête de racine, leurs yeux de feux follets se déplacent en tous sens et leurs douze ailes munies de griffes leur permettent d’agir avec la rapidité de l’éclair qu’ils trainent dans leur sillage. Dans ma main, ils mangent les yeux des plumes de paon et si je les presse entre le pouce et l’index, je modèle une cigarette qui, entre les pieds d’une armure, prend vite la forme du premier artichaut. Cependant le merveilleux est partout, dissimulé aux regards du vulgaire, mais prêt à éclater comme une bombe à retardement.

PÉRET, Benjamin, « Introduction », in Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, 1942, Albin Michel, 1960.

C’est au cours de ce séjour à Paimpont que Benjamin Péret écrit la deuxième partie du Règne minéral, qui représente à ses yeux une des formes du renouvellement du surréalisme par le merveilleux. Or, dans la première partie de cette œuvre, écrite à Mexico en 1945, l’artichaut est aussi invoqué.

Remontée à la surface du sol, l’eau de puits s’évapore rapidement, laissant au fond du récipient un résidu d’un beau vert clair : le principe de causalité, qui, soluble dans l’huile, est le père de l’artichaut.

PÉRET, Benjamin, Histoire naturelle, Ussel, Impr. d’A. Rico, 1958, 63 p., Voir en ligne.

Bibliographie

ROCHE, Gérard, « Association des amis de Benjamin Péret », 2020, Voir en ligne.

ASSOCIATION ATELIER ANDRÉ BRETON, « André Breton », 2015, Voir en ligne.

MARKALE, Jean et GUÉPIN, Yves, Brocéliande : La forêt des Chevaliers de La Table Ronde, Paris, Berger-Levrault, 1984, 95 p.

MAYOUX, Jehan, « Benjamin Péret, la fourchette coupante (suite) », Le Surréalisme, même, 1957, p. 53-58.

POTEL, Jean-Yves et BOUJOU, Marie-Cécile, « PÉRET Benjamin, dit PERALTA, dit MAURICIO », 2010, Voir en ligne.

QUÉMÉNEUR, Gaëlle et PÉRET, Benjamin, « Préface », in Contes suivis de Histoire naturelle, Les Perséides, 2020, p. 9-17.

RIAUDEL, Michel, « Benjamin Péret, liens de famille », BNF, 2020, Voir en ligne.

SOUPAULT, Philippe, « Le Passager du Transatlantique - Benjamin Péret », Paris, 1921, 2 p., Voir en ligne.

Oeuvres de Benjamin Péret

PÉRET, Benjamin, Le passager du transatlantique, Paris, 1921, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin, « Une vie pleine d’intérêt », in Œuvres complètes, Vol. 1, 1922, Eric Losfeld, 1969, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin, « La fleur de Napoléon », in Œuvres complètes, Vol. 1, 1922, Eric Losfeld, 1969, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin, « Au 125 boulevard Saint-Germain », in Contes suivis de Histoire Naturelle, 1923, Rennes, Les Perséïdes, 2020, p. 27-44, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin et ELUARD, Paul, 152 proverbes mis au goût du jour, Paris, Librairie Gallimard, 1925, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin et TANGUY, Yves, Les rouilles encagées, 1928, Paris, Losfeld, 1970.

PÉRET, Benjamin, De Derrière les fagots, Paris, José Corti, 1934, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin, Je ne mange pas de ce pain là, Paris, Éditions surréalistes, 1936, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin, « Introduction », in Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, 1942, Albin Michel, 1960.

PÉRET, Benjamin, Le déshonneur des poètes, Mexico, 1945, Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin, Histoire naturelle, Ussel, Impr. d’A. Rico, 1958, 63 p., Voir en ligne.

PÉRET, Benjamin, Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Albin Michel, 1959.

PÉRET, Benjamin, « Sans tomates, pas d’artichauts », in Œuvres complètes, Vol. 1, Eric Losfeld, 1969, Voir en ligne.

BRETON, André et PERET, Benjamin, Correspondance (1920-1959), Gallimard, 2017, 464 p., (« Blanche »), Voir en ligne.


↑ 1 • L’expédition de Salonique, aussi nommée Front d’Orient, Front de Salonique ou Front de Macédoine, est une opération menée par les armées alliées à partir du port grec macédonien de Salonique pendant la Première Guerre mondiale.

↑ 2 • Maurice Barrès, né le 19 août 1862 à Charmes (Vosges) et mort le 4 décembre 1923 à Neuilly-sur-Seine (Seine), est un écrivain et homme politique français, figure de proue du nationalisme français. Il est resté l’un des maîtres à penser de la droite nationaliste durant l’entre-deux-guerres.

↑ 3 • Le Passager du Transatlantique reçoit notamment les éloges de Philippe Soupault : J’avoue que je suis un ignoble individu de ne pas l’avoir fait plus tôt, mais j’ai une excuse : l’activité de certains personnages louches est tellement écœurante... Je sais bien que personne n’a parlé et ne parlera des petites crottes de biques sculptées de Radiguet que Cocteau essaye de nous faire prendre pour du crottin d’éléphant, mais j’espérais tout de même que l’imbécillité de mes chers contemporains ne les contraindrait pas à jeter dans le même sac de silence ce livre de Péret et les raclures de Radiguet. Je n’aime pas beaucoup faire le maître d’école mais je dois déclarer que ce Passager du Transatlantique est un livre remarquable. —  SOUPAULT, Philippe, « Le Passager du Transatlantique - Benjamin Péret », Paris, 1921, 2 p., Voir en ligne. —.

↑ 4 • Pierre Naville, né le 1er février 1904 à Paris et mort le 24 avril 19932, également à Paris, est un écrivain, homme politique et sociologue français. Surréaliste de 1924 à 1926, membre du Parti communiste français jusqu’en 1928, puis trotskyste avant de rejoindre le PSU, il a mené en parallèle de son engagement politique une carrière de sociologue du travail.

↑ 5 • Paul Éluard, nom de plume d’Eugène Grindel, né à Saint-Denis le 14 décembre 1895 et mort à Charenton-le-Pont le 18 novembre 1952 (à 56 ans), est un poète français. En 1916, il choisit le nom de Paul Éluard, patronyme emprunté à sa grand-mère maternelle. Il adhère au dadaïsme et devient l’un des piliers du surréalisme en ouvrant la voie à une action artistique politiquement engagée auprès du Parti communiste.

↑ 6 • Les Rouilles encagées est interdit jusqu’en 1954 année où l’éditeur Éric Losfeld le publie, à tirage limité à cent exemplaires. Le livre est finalement interdit un an plus tard et définitivement autorisé en 1975, seize ans après la mort de Benjamin Péret. Il est réédité par les éditions Prairial en novembre 2015.

↑ 7 • Léon Trotsky, de son vrai nom Lev Davidovitch Bronstein, né le 26 octobre 1879 à Ianovka (alors dans l’Empire russe, aujourd’hui en Ukraine) et mort assassiné le 21 août 1940 à Mexico (Mexique) par Staline, est un juif révolutionnaire communiste et homme politique russo-soviétique. En 1917, il est le principal acteur, avec Lénine, de la révolution d’Octobre qui permet aux bolcheviks d’arriver au pouvoir.

↑ 8 • Le Parti ouvrier d’unification marxiste est une organisation révolutionnaire espagnole, créée en 1935 et devenue illégale en 1937, qui a participé activement à la guerre d’Espagne contre le général Franco. Violemment réprimé, le POUM a, par la suite, survécu en Espagne et en exil, notamment en France, luttant contre la dictature franquiste.

↑ 9 • Benjamin Péret rejoint les rangs du Parti Ouvrier Internationaliste (POI) en 1937. En 1939, le gouvernement dissout les deux principales organisations trotskistes, ce qui reste du POI d’Yvan Craipeau et Jean Rous et le Parti Communiste Internationaliste (PCI) de Pierre Franck et Raymond Molinier.

↑ 10 • Le Déshonneur des poètes est une réaction à L’Honneur des poètes, recueil collectif publié clandestinement à Paris pendant l’occupation nazie.

↑ 11 • Elisa Breton, née Bindorff à Viña del Mar au Chili, le 25 avril 1906 et morte au Kremlin-Bicêtre, le 5 avril 2000, est une plasticienne et écrivaine chilienne, et la troisième épouse d’André Breton, mariée en 1945.

↑ 12 • Louis Pauwels (1920-1997) est un journaliste et écrivain français. En 1946, il participe comme secrétaire à la fondation de l’association « Travail et Culture », proche du PCF, destinée à la culture des masses. Rédacteur en chef de Combat en 1949, il fonde en 1961 avec Jacques Bergier la revue Planète, consacrée à la science, à la philosophie et à l’ésotérisme. En 1970, il fonde le Figaro Magazine dont il prend la tête jusqu’en 1993. Le Matin des magiciens, co-écrit avec Jacques Bergier en 1960, constitue une de ses œuvres majeures.

↑ 13 • Louis Breton est le père d’André.

↑ 14 • Benjamin Péret comme André Breton imaginent le merveilleux à travers la figure du château. Les deux auteurs nous invitent à y pénétrer. En 1924, pour André Breton, c’est un château partiellement en ruine, peuplé de ses amis surréalistes dont Benjamin Péret.

Pour aujourd’hui je pense à un château dont la moitié n’est pas forcément en ruine ; ce château m’appartient, je le vois dans un site agreste, non loin de Paris. Ses dépendances n’en finissent plus, et quant à l’intérieur, il a été terriblement restauré, de manière à ne rien laisser à désirer sous le rapport du confort. Des autos stationnent à la porte, dérobée par l’ombre des arbres. Quelques-uns de mes amis y sont installés à demeure : voici Louis Aragon qui part ; il n’a que le temps de vous saluer ; Philippe Soupault se lève avec les étoiles et Paul Éluard, notre grand Éluard, n’est pas encore rentré. Voici Robert Desnos et Roger Vitrac, qui déchiffrent dans le parc un vieil édit sur le duel ; Georges Auric, Jean Paulhan ; Max Morise, qui rame si bien, et Benjamin Péret, dans ses équations d’oiseaux [...].

BRETON, André, Manifeste du surréalisme, Paris, Editions du Sagittaire, 1924, Voir en ligne.

En 1942, une poupée Hopi mène Benjamin Péret à la figure d’un château relevé, peuplé de colibris, de paradisiers et d’artichauts.

Je pense aux Poupées des indiens Hopi du Nouveau-Mexique, dont la tête parfois figure schématiquement un château médiéval. C’est dans ce château que je vais essayer de pénétrer. Il n’a pas de porte et ses murailles ont l’épaisseur de mille siècles. Il n’est pas en ruine comme on serait tenté de le croire. Depuis le romantisme, ses murs écroulés se sont redressés, reconstitués comme le rubis, mais aussi dure que cette gemme, ils ont, maintenant que je les heurte de la tête, toute sa limpidité.

PÉRET, Benjamin, « Introduction », in Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, 1942, Albin Michel, 1960.

↑ 15 • Benjamin Péret aimait particulièrement l’artichaut comme l’atteste nombre de ses poèmes parmi lesquels :

  • Une vie pleine d’intérêt (1922)

– Que faites-vous là, enfants d’artichaut ! Voudriez-vous un bégonia, par hasard ?

PÉRET, Benjamin, « Une vie pleine d’intérêt », in Œuvres complètes, Vol. 1, 1922, Eric Losfeld, 1969, Voir en ligne.
  • La fleur de Napoléon (1922)

De l’uniformité naît l’ennui, de l’ennui la réflexion, de la réflexion le dégoût de la vie, du dégoût de la vie des artichauts, des artichauts des vaches, des vaches les enfants, des enfants Napoléon, mais vous voyez bien que je dis cela pour plaisanter.

PÉRET, Benjamin, « La fleur de Napoléon », in Œuvres complètes, Vol. 1, 1922, Eric Losfeld, 1969, Voir en ligne.
  • Sans tomates, pas d’artichauts

Mes tomates sont plus mûres que tes sabots
et tes artichauts ressemblent à ma fille

Sur la place du marché
il y avait une tomate et un artichaut
et tous deux dansaient autour d’un navet
qui tournait sur sa racine

Dansez tomate dansez artichaut
le jour de vos noces sera clair comme le regard des carpes
Les sabots qui nous contemplent
en pleurent des larmes de poires blettes
et s’ils chantent ils font un bruit de cercueil
qui éclate et fait surgir un cadavre
Le cadavre bat des mains comme un caillou dans une vitre
et dit
Non tu n’auras pas ma tomate à ce prix-là

PÉRET, Benjamin, « Sans tomates, pas d’artichauts », in Œuvres complètes, Vol. 1, Eric Losfeld, 1969, Voir en ligne.