aller au contenu

Simon le Rond

Un conte localisé à Mauron

Simon le Rond est un conte publié par Jean-Claude Fichet, localisé au Rox en Mauron.

Un conte publié par Jean-Claude Fichet

Simon le Rond est un conte publié par Jean-Claude Fichet dans la revue Souche en 2019.—  FICHET, Jean-Claude, « Simon le Rond », Souche, Revue du Cegenceb, Mauron, Vol. 67 - 3e semestre, 2019, p. 29-31, Voir en ligne. —

En 2020, il est intégré à Tombeaux en Brocéliande. —  FICHET, Jean-Claude et DESSUS, Jean, Tombeaux en Brocéliande, Noyal-Chatillon-sur-Seiche, Yellow Concept, 2020, 181 p. [pages 71-75] —

Jean-Claude Fichet, originaire du Pont-Ruelland en Mauron (Morbihan) écrit l’avoir entendu de la bouche de son père.

Mon père, lors d’une veillée aux châtaignes, un soir d’automne d’après guerre, m’a conté cette histoire. Un événement qui se serait passé au début des années 1900, voire 1910…

Fichet, Jean-Claude (2020) op. cit., p. 71

Le conte en version intégrale

Ce soir là, après le dîner qui venait de conclure la fin des battages, (chez nous on appelait cette soirée « les nicolailles ») un accordéoniste amateur, toujours de bonne humeur lorsqu’il était imprégné de bolées de cidre, empoigna son instrument et s’installa sur une chaise. Il commença à se contorsionner sur son engin et les travailleurs après avoir refermé leur couteau de poche, se mirent à danser devant la grande table qu’on avait un peu repoussée. Les danses se succédèrent au fur et à mesure de l’avancée des aiguilles de l’horloge de bois sculpté, et la porte vitrée laissait entrevoir le balancier coloré dont le mouvement incessant faisait jaillir des éclats de lumière, catapultés sur les danseurs. Une forte odeur de pétrole émanait d’une grosse lampe accrochée à un clou planté sur le côté d’une poutre du plafond. Dehors, le calme régnait en cette claire et étoilée nuit d’août…

Tout à coup on entendit des aboiements affolés de chien, comme si quelque chose d’imprévu les avait soudainement dérangés. Et, quelques minutes plus tard, un homme de forte taille et élégamment habillé de noir poussa les deux battants de la porte et pénétra dans la pièce. La musique continua et personne apparemment ne prêta attention à cet individu, égaré sans doute, car personne dans l’assemblée ne semblait le connaitre. La maitresse de maison, toujours très hospitalière, lui proposa une collation.

Quand il fut repu ou plutôt gavé, et qu’il eut avalé plusieurs bolées d’un bon cidre « tiré » au cul du fût, l’étranger daigna entrer dans la danse. Il n’eut aucune difficulté à inviter la plus belle fille du village, éblouie et même envoûtée par autant d’aptitude à valser qu’aucun des autre gars ne possédait ! … Les personnes un peu plus âgées, assises sur le banc, l’anse de leur bol coincé autour de leurs deux plus longs doigts, éprouvaient un curieux plaisir à voir évoluer ce couple modèle sur la terre battue…

Cependant, dans un coin de la salle près de la cheminée, reposant sur la huche à pain, la fermière, propriétaire des lieux dorlotait son bébé.. Et, chose curieuse, à chaque passage du couple constitué par l’étranger et la belle paysanne, l’enfant éclatait en sanglots et se serrait contre sa mère, complètement apeuré. Celle-ci intriguée, examina alors de plus près l’inconnu. Elle s’aperçut soudain que malgré des chaussures reluisantes, les pieds de l’homme apparaissaient anormaux et que le cuir ne les cachait pas entièrement. Elle distingua nettement au bout d’un moment que le beau danseur avait des pieds de bœuf !

Enveloppant son bébé de ses bras, elle se leva d’un bond, se rua au milieu de tous et s’écria : « A bas la danse !… A bas la danse !... »

L’accordéon se tut immédiatement comme si d’un coup, toutes les notes de musique se seraient dérobées en vrac sur le sol ! Les danseurs se figèrent sur place et seul l’étranger, fou de rage se précipita vers celle qui venait de hurler et d’arrêter la fête.

« Ah !… Maudite femme ! Tu as su me reconnaitre juste à temps car un tour de salle de plus et toute la maisonnée était pour moi ! Mais toi tu ne m’échapperas pas. Je reviendrai demain à la même heure et si tu ne te rappelles pas de mon nom, je t’emporterai avec moi en enfer. Retiens bien mon nom : je me nomme Simon le Rond, tu entends ? Simon le Rond ! »

Le diable alors décampa en criant sans cesse des « Je suis Simon le Rond, » qui s’entendirent de moins en moins au fur et à mesure qu’il s’éloignait.

La fête des battages cessa car les gens n’avaient plus le cœur à rire et à danser. Ils quittèrent les lieux sans même boire le grog qu’on leur proposait. La maitresse de maison étendit l’enfant dans un berceau de bois puis elle gagna le lit de coin où déjà son mari venait de s’assoupir. Ce dernier, exerçant la profession de menuisier devait de bonne heure le lendemain matin se rendre à vélo au bourg de Brignac où l’attendait sa besogne.

Le lendemain aux coups de midi, le diable, impatient et sceptique, décida de revenir au village afin de tester la paysanne qui filait sa quenouille de lin. Son travail n’avançait d’ailleurs pas beaucoup tant elle était énervée !

— « Alors femme !... l’échéance approche, te souviens-tu de mon nom ? »

La pauvre hélas, ne sut que répondre et fondit en larmes : elle ne se souvenait pas quel nom l’étranger lui avait donné la veille. L’individu, rassuré et fort content proposa même à sa future victime de filer pour elle en prime ! Puis il s’en alla en sautant, gesticulant par les rues et les cours entre les fraiches meules de paille. Il savait que dans quelques heures il s’accaparerait l’âme de la fermière distraite…

Il était un peu plus de 18 heures dans tous les goussets d’argent des hommes de la contrée, quand le menuisier grimpa la côte de Saint-Utel en se déhanchant sur sa bicyclette. Il avait hâte de rentrer chez lui et d’y retrouver femme et enfant.

Tout à coup, il fut surpris de voir devant lui un grand escogriffe qui zigzaguait et gambadait au travers de la chaussée en chantant :

« Je m’appelle Simon, Simon,

Je m’appelle Simon le Rond.

La femme pour qui je file ne sait pas mon nom,

Je m’appelle Simon le Rond… »

Etc…

Le cycliste dut faire un imposant écart en croisant cet abruti afin de l’éviter ; celui-ci ne fit même pas attention à l’ouvrier qui en perdit quelques outils. Il continuait de clamer son éternelle litanie... Tant pis pour le mètre pliant et le rabot, le menuisier apeuré après avoir hésité à faire demi-tour préféra poursuivre son chemin.

Lorsqu’il arriva à la maison, il fut étonné de voir son épouse présenter comme on dit « sa tête des mauvais jours » et de voir les fuseaux embrouillés auprès d’elle. Il lui annonça cependant qu’il venait de rencontrer un grand échalas qui déambulait sur la route des Landes de Saint-Utel en chantant de toutes ses forces comme pour être mieux entendu des environs !... Sûr, qu’il en avait fallu des bolées de cidre pour le rendre dans cet état !

— « Que chantait-il ? » demanda brusquement l’épouse.

— « Ah ! Je ne sais pas trop, attends, si… il disait qu’il s’appelait … ? Comment déjà ? Ah ! Oui, Simon le Rond je crois ! »

La femme ne questionna plus ; elle resta là, prostrée, les yeux hagards, la quenouillée entre les mains et dans sa tête ne cessait de ressasser inlassablement : « Simon le Rond, Simon le Rond… »

Quand le diable revint tard dans la soirée, il dressa sa silhouette devant la maitresse de maison qui n’avait pas desserré les lèvres depuis le retour de son mari. La quenouille tombée à ses pieds était vide et près d’elle sur une autre tige de bois on voyait un enroulement de fin fil de lin.

— « Alors, femme, comment je m’appelle ?

— Simon le Rond » Répondit celle-ci.

— Ah !... « Garce » tu as « causé » avec plus malin que toi ! »

Et le diable, dépité disparut comme un courant d’air laissant derrière lui trainer une odeur de fumée et de roussi…

Jamais on ne revit l’étranger avec ses pieds de bœuf dans le village du Rox !

Jean-Claude Fichet (Août 1992)

Éléments de comparaison

Simon le Rond est une déclinaison du conte type Rumpelstilzchen, AT 500 "le nom de l’aide" dans la classification Aarne-Thompson-Uther. Ce conte type est la plupart du temps nommé à partir du nom du personnage principal 1, Rumplestiltskin par les frères Grimm - traduit par Outroupistache en français - Mirlikovir dans des versions de Haute-Bretagne ou Simon le Rond dans cette version localisée à Mauron.


Bibliographie

FICHET, Jean-Claude, « Simon le Rond », Souche, Revue du Cegenceb, Mauron, Vol. 67 - 3e semestre, 2019, p. 29-31, Voir en ligne.

FICHET, Jean-Claude et DESSUS, Jean, Tombeaux en Brocéliande, Noyal-Chatillon-sur-Seiche, Yellow Concept, 2020, 181 p.


↑ 1 • Dans la plupart des versions, le personnage principal est un nain, nommé par sa traduction anglophone Rumplestiltskin, ou bien par Bibamboulor, Bimbamboulor, Barbichu, Grigrigredinmenufretin, Oustroupistache, Gargouilligouilla, Broumpristoche, Ricouquet, Mirlikovir, Myrmidon, Tom-Tit-Tot ou encore Vircocolire.