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11e siècle

À l’origine des seigneurs de Gaël

La seigneurie de Gaël-Montfort

La fin de l’empire carolingien au 10e siècle met un terme à la royauté de la Bretagne. Ainsi les biens de l’Église et les immenses domaines publics profitent à l’aristocratie. Les nouveaux seigneurs construisent des châteaux, imposent le ban et s’entourent de vassaux chargés de gérer leurs biens.

Dans la première moitié du 11e siècle, le duc de Bretagne Alain III restaure les grands monastères de Bretagne suite aux destructions vikings. La redistribution des terres monastiques occasionne d’importantes révoltes. La reconstruction de l’abbaye de Gaël et les évènements qui y sont liés donnent naissance à la seigneurie de Gaël.

Les invasions vikings mettent fin à la royauté en Bretagne

En 874 Salomon, roi de Bretagne, est livré à ses meurtriers francs par une conjuration ayant à sa tête des aristocrates bretons, Pascweten son gendre et Gurvant (ou Gurwant). Pascweten est comte dans le vannetais et Gurvant contrôle la région rennaise. —  CHÉDEVILLE, André et GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1984. [page 354] — Ils ne s’accordent pas pour gouverner la Bretagne. Leur rivalité profite aux Vikings qui rôdent le long des côtes bretonnes. Ces luttes internes les amènent à s’affronter jusqu’à leur mort.

En 890 Alain Ier le Grand, frère de Pascweten, remporte une large victoire sur les Vikings à Saint-Lô (Manche), à la limite est du royaume breton. Elle marque l’autorité d’Alain sur l’ensemble de la Bretagne. Deux diplômes attestent son titre de roi. Dernier roi de Bretagne, Alain Ier le Grand meurt (entre 897 et 908) sans laisser de descendance masculine. Il a cependant une fille, mariée à Mathuédoï, comte de Poher 1. De ce couple va naitre vers 900-910 Alain (dit Barbetorte), petit-fils et filleul d’Alain Ier le Grand.

Cette vacance du pouvoir laisse le champ libre à de nouvelles incursions vikings.

En 911 au traité de Saint-Clair-sur-Epte (Val d’Oise), le roi de Francie occidentale, Charles III le Simple (898-922) cède à Rollon 2, chef viking, un territoire centré sur Rouen. Rollon règne de 911 à sa mort en 927. Dorénavant, la dénomination « Normands » s’applique aux habitants de cette région.

De 913 à 921

La Bretagne est alors dirigée par Gourmaëlon, comte de Cornouaille, incapable de faire face aux Vikings. Les moines des abbayes bretonnes s’enfuient de leurs monastères : Redon, Landévennec, Locminé, Léhon, Saint-Malo, Saint-Gildas-de-Rhuys, et notamment Saint-Méen en Gaël et Saint-Maixent en Plélan, sont abandonnés. Les moines se replient en Francie occidentale 3, emportant leurs manuscrits et les reliques de leurs saints.

Des troupes de Vikings commencent à s’établir en Bretagne et dans certains cas encadrent directement les habitants. Toute la Bretagne est touchée. Le climat de violences provoqué par les occupants entraine un exode de l’élite bretonne. La Bretagne se trouve livrée à elle-même.

Les dirigeants de la Bretagne sont en fuite, soit en France, soit en Angleterre. C’est le cas de Mathuédoï, comte de Poher et de son fils, Alain Barbetorte, réfugiés en Angleterre auprès d’Athelstan, roi de Wessex 4.

La situation du regnum breton était grave, car littéralement il se disloquait : les Scandinaves contrôlaient plus ou moins la Cornouaille et une partie du Nantais tandis qu’une autre portion de ce comté passait sous obédience angevine. Le risque majeur était de voir les titulaires des principautés voisines s’entendre pour partager une Bretagne désertée par une bonne partie de ses élites. C’est dans ces circonstances décisives que le retour des moines de Landévennec est constaté.

Chédeville André ; Guillotel Hubert (1984) op. cit., p. 397

En 935 Guillaume Ier de Normandie 5 cesse de protéger les bandes vikings installées en Bretagne. Cette relative accalmie permet à Jean, abbé de Landévennec en Cornouaille 6, de servir d’intermédiaire entre le roi Athelstan et Guillaume Ier pour négocier le retour d’Alain II Barbetorte 7.

En 936 Alain II revient d’Angleterre et engage de nombreux combats contre les Vikings. Il participe à des alliances qui renforcent son autorité en privilégiant les relations avec les princes voisins de Francie occidentale. Ayant chassé les Vikings de la ville de Nantes en 937, il est reconnu Brittonum dux par les comtes voisins.

La Bretagne après les invasions vikings

En 952 la mort d’Alain II fait place à une rivalité entre les comtes de Nantes et de Rennes. Chaque comté cherche à se créer des alliances. Les fils d’Alain II Barbetorte : Drogon, Hoël et Guérec se succèdent au comté de Nantes jusqu’en 988.

Entre 960 et 970 la Bretagne est soumise aux influences du duc de Normandie et des comtes d’Anjou, de Blois et de Tours.

[...] les grands aristocrates laïcs et ecclésiastiques se combattent sans merci pour renforcer leur pouvoir et assurer leur hégémonie mais cette lutte dépasse le caractère breton. […] Commence alors une longue période où la Bretagne va être soumise aux influences extérieures.

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, « XIe-XIIIe siècle », in La Bretagne féodale, Rééd. 2001, Rennes, Editions Ouest-France, 1987. [page 31]

En 970 le duc de Bretagne Conan Ier, comte de Rennes, veut donner à Rennes l’hégémonie sur la Bretagne. Il se heurte au comte Hoël de Nantes dans des guerres sporadiques qui conduisent le nord du comté nantais à passer sous domination rennaise.

En 979 Guérec succède à Hoël et se dégage de la domination rennaise mais devient vassal du comte d’Anjou. Guérec meurt en 988, son fils est trop jeune pour lui succéder. Conan Ier profite de cette occasion pour s’emparer du comté de Nantes. Cette mainmise provoque l’intervention du voisin, Foulques Nerra 8, comte d’Anjou.

En 992, Conan Ier est tué lors de la bataille de Conquereuil (Loire-Atlantique). Le comte d’Anjou s’empare du comté nantais. Geoffroy Ier, comte de Rennes, fils ainé de Conan, succède à son père. Le jeu des alliances avec les comtes de Nantes, d’Anjou et de Blois ne suffit pas pour assurer l’hégémonie de Geoffroy sur l’ensemble de la Bretagne. En revanche et pour le même motif, le duc Geoffroy Ier, s’allie avec son voisin normand.

En 996 Geoffroy Ier épouse Havoise, la sœur de Richard II 9 duc de Normandie. Vers 1003, il donne sa sœur, Judith de Rennes en mariage à Richard II (†1027). Geoffroy Ier règne jusqu’en 1008, date de sa mort. —  QUAGHEBEUR, Joëlle et MERDRIGNAC, Bernard, Bretons et Normands au Moyen Âge. Rivalités, malentendus, convergences, Presses universitaires de Rennes, 2008. [page 182] —

De 1008 à 1040 Alain III succède à son père Geoffroy Ier au duché de Bretagne. Il épouse Berthe, fille du comte Eudes II de Blois. Les ducs successifs créent des alliances pour que le comté de Rennes soit considérablement agrandi et puisse ainsi prendre l’ascendant sur celui de Nantes. Alain III consolide son autorité sur l’ensemble de la Bretagne. Les structures administratives carolingiennes, maintenues jusqu’au milieu du 11e siècle, permettent au duc d’exercer pleinement l’autorité ducale.

Le déclin carolingien et l’entrée de la Bretagne dans la féodalité

Naissance des seigneuries

Au cours du 10e siècle, le pouvoir carolingien s’effrite suite aux mésententes entre les familles 10 et à son incapacité à gérer les conséquences des invasions vikings. Le démembrement de l’empire dans tout l’Occident conduit à de grandes transformations sociales et politiques. Les Carolingiens perdent le contrôle de l’Église. D’immenses domaines publics sont attribués principalement aux comtes et aux monastères et deviennent héréditaires (dits « bienfaits héréditaires »).

Pour autant, les structures administratives carolingiennes mises en place dans l’ancien royaume breton continuent d’exister jusqu’au 11e siècle. Ainsi, les comtes gardent l’ascendant sur les vicomtes qui vivent dans leur entourage. Ces derniers ne parviennent pas à créer des circonscriptions autonomes avant le milieu du 11e siècle. La charge des comtes est héréditaire mais le duc conserve le droit de nommer un nouveau titulaire s’il n’y a pas d’héritier. Le comté est divisé en circonscriptions territoriales nommées vicaria, mises en place par les Carolingiens. — Chédeville André ; Tonnerre Noël-Yves (1987) op. cit., p. 50 —

[...] la puissance publique est restée longtemps monopolisée par les comtes et les vicomtes, c’est-à-dire les descendants des fonctionnaires carolingiens. Le morcellement de la puissance publique au profit des seigneuries châtelaines n’est qu’une conséquence directe des invasions, il s’est fait progressivement au cours du XIe siècle.

Chédeville André ; Tonnerre Noël-Yves (1987) op. cit., p. 23

Une nouvelle forme de société prend naissance. L’institution souveraine se morcelle et ce sont les comtes les plus proches et les plus puissants du pouvoir royal qui tirent profit dans leur circonscription de cette situation.

[...] L’autorité publique, le ban, c’est-à-dire le droit de commander, contraindre, punir échappe à l’autorité royale [...] les comtes et les vicomtes, c’est-à-dire les agents locaux du pouvoir royal, réussissent à se maintenir dans une même circonscription et à transmettre à leurs héritiers leurs charges. En même temps ils parviennent à se constituer un important domaine foncier en regroupant les alleux du patrimoine familial, les biens du fisc royal qu’ils ont usurpés et les bénéfices que le roi ou de puissantes abbayes leur ont concédés. Devenus les hommes forts de leur région, ils cherchent avec succès à exercer l’autorité publique à leur profit. La construction d’un château de même que la constitution d’une clientèle de fidèles unis par des relations vassaliques matérialisent ce nouveau pouvoir.

Chédeville André ; Tonnerre Noël-Yves (1987) op. cit., p. 45-46

Le duc de Bretagne Alain III, issu lui-même de familles comtales, est contraint d’instaurer un système féodal qui fait des comtes et des vicomtes ses vassaux. À leur tour, ils constituent des seigneuries vassales d’importances diverses, à la tête desquelles ils placent des châtelains étroitement liés à leur suzerains immédiats.

Cette mutation conduit progressivement à l’instauration du système féodal.

10e - 11e siècle : reconstruction des abbayes bretonnes et distribution des terres monastiques

C’est au cours de cette période que les nouveaux seigneurs prennent possession des terres. Les ducs de Bretagne n’attendent pas les injonctions pontificales pour restaurer les abbayes détruites par les Vikings et rétablir les moines dans les églises. Dès le milieu du 10e siècle, Alain II Barbetorte s’emploie à la reconstruction de la grande abbaye de Landevennec.

[...] la restauration des institutions ecclésiastiques correspondait en partie à la naissance des seigneuries, fondées sur la donation des terres comtales, sur lesquelles on construisit des châteaux.

KEATS-ROHAN, Katharine, « Raoul Anglicus et Raoul de Gaël : un réexamen des données anglaises et bretonnes », in Montfort-sur-Meu et son pays. Histoire et patrimoine., Rennes, S.H.A.B Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 2016, p. 33-63. [page 39]

À l’énorme tâche que représente la reconstitution du patrimoine monastique, vient s’ajouter celle de restituer les biens et droits aux abbayes. L’historien Michel Brand’honneur explique que les anciens biens et terres monastiques, abandonnés par les moines, avaient été, soit largement distribués par les comtes à leurs vassaux laïcs ou ecclésiastiques, soit récupérés par des nobles, voire sans doute par des paysans pour leur propre compte.

Dans un tel contexte, il fallait s’attendre à de fortes réticences de la part des nouveaux maîtres de la terre, établis à demeure depuis plusieurs générations, tant l’absence des moines en Bretagne fut parfois longue.

BRAND’HONNEUR, Michel, « La motte et le clocher : l’affrontement des symboles ? », Vol. 43, 2000, (« Cahiers de civilisation médiévale »), Voir en ligne. [page 14]

L’historienne Katharine Keats-Rohan fait part des transformations effectuées sur les églises dans le diocèse d’Alet au cours des 10e et 11e siècles et des conséquences qu’entrainent de tels remaniements auprès des populations. Plusieurs abbayes très importantes sont touchées par ces transformations. Celle de Saint-Méen et Saint-Judicaël, détruite en 811 puis reconstruite en 816 a de nouveau été ruinée un siècle plus tard lors des invasions vikings.

[…] Attaqués par les Vikings, les moines de Saint-Méen furent l’une des nombreuses communautés de Bretagne qui prirent la fuite vers des régions plus sûres [...] Ils trouvèrent refuge à Saint-Jouin-de-Marnes, dans le Poitou.

Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 42-43

En 1008, le duc de Bretagne Geoffroy Ier trouve la mort au retour d’un pèlerinage. Cette même année, à l’initiative de la duchesse Havoise et de ses fils, le duc Alain III de Bretagne et son frère Eudes, comte de Penthièvre, l’abbaye de Gaël est l’objet d’une première refondation. Elle est reportée suite à une importante révolte paysanne qui éclate mettant en cause la restauration des monastères de Locminé et de Saint-Gildas-de-Rhuys.

[...] Seize ans plus tard, en 1024, eut lieu une nouvelle révolte, cette fois de barons, menée par Gleudennus, fils de Judicaël Cham [plus vraisemblablement Gleudennus Judicaël, fils de Cham], qui était à la tête d’un castrum 11 à Gaël et possédait des terres voisinant l’ancienne abbaye réduite à l’état de ruines. Il fut défait par Alain III et exécuté. […]

Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 43

Il apparait que Gleudennus Judicaël, fils de Cham, est un haut personnage de l’aristocratie bretonne qui s’oppose à la volonté comtale, à la reconstitution d’anciens patrimoines ecclésiastiques et à la création de nouveaux monastères.

Le cas précis de l’abbaye de Gaël nous intéresse. Une des raisons de la révolte de Gleudennus, personnage appartenant de toute évidence à la noblesse bretonne, pourrait être liée à la restitution des terres aux moines de Saint-Méen. D’après le préambule de l’acte de la restauration de Saint-Méen, Gleudennus Judicaël Cham filius s’enferma dans un castrum mais les comtes Alain III et Eudes, avec l’aide de leurs milites, le prirent et condamnèrent à mort le révolté. Puis, les deux comtes donnèrent l’église de Gaël avec toute la terre et la foresta alentour. 12.

Brand’honneur, Michel (2000) op. cit. [p. 14]

Raoul l’Anglais reçoit les terres de Gleudennus

Il est vraisemblable que Gleudennus Judicaël est un comte installé à Gaël, dont l’ambition était de créer une seigneurie autour de son castrum. Les terres de Gaël sont distribuées par le duc Alain III après l’année 1024 et la défaite de Gleudennus.

Lors de cette période de reconstruction, le nom de Radulphus Anglicus (Raoul l’Anglais), que certains historiens bretons nomment Ralph l’Ecuyer, apparait dans plusieurs actes.

Selon Katharine Keats-Rohan, tous les biens de Gaël seraient revenus à Raoul l’Anglais.

Radulphus Anglicus est une appellation sans patronyme que l’on trouve des deux côtés de la Manche. A cette époque, l’ethnonyme anglicus signifiait que celui qui le portait était né en Angleterre. Katharine Keats-Rohan émet une hypothèse pour expliquer la naissance du personnage outre-Manche. Le père de Raoul l’Anglais aurait fait partie de l’entourage des comtes de Rennes. Il aurait suivi Judith de Rennes, fille de Geoffroy Ier, lors de son mariage avec Richard II duc de Normandie qui eut lieu vers l’an 1000 à l’abbaye du Mont-Saint-Michel.

Son père, qui nous est inconnu, se rendit peut-être d’abord en Normandie avec Judith de Rennes qui épousa Richard II de Normandie ; puis quelques années plus tard il se rendit en Angleterre, avec la sœur de Richard, Emma, femme successivement d’Ethelred II et de Cnut, rois d’Angleterre.

KEATS-ROHAN, Katharine, « Le rôle des Bretons dans la politique de la colonisation normande d’Angleterre (c.1042-1135) », in Published MSHAB 74, 1996, p. 181-215, Voir en ligne.

De l’union d’Emma 13 et du roi Æthelred II 14, nait Édouard le Confesseur 15, futur roi d’Angleterre en 1042.

Probablement né vers 1000-1010, Raoul l’Anglais réside en Angleterre.

[Pour autant] les liens de Raoul avec la Bretagne sont indiscutables avant 1042, les témoignages le concernant après cette date nous le montrent comme ayant été un membre influent de l’entourage d’Edouard le Confesseur, qu’il servit en qualité d’administrateur local privilégié (staller).

Keats-Rohan, Katharine (1996) op. cit., p. 181-215

Edouard le Confesseur est roi d’Angleterre de 1042 à 1066. Les documents anglais montrent Raoul l’Anglais à la cour du roi après 1034, où il occupe le rang élevé de « staller », à mi-chemin entre celui de « sheriff » (vicomte) et celui de « comes » (comte). En 1066, il participe à la conquête normande aux côtés de Guillaume II de Normandie (surnommé ensuite « Guillaume le Conquérant »). C’est seulement suite à la victoire du conquérant qu’il se voit donner le comté d’Est Anglie (Norfolk et Suffolk). Dès lors, son statut change, il n’est plus qualifié Radulfus staller mais Radulfus comes vetus — Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 51-52 —

Raoul l’Anglais cité dans les actes de Bretagne entre 1024 et 1034

Le nom de Raoul l’Anglais est cité entre 1024 et 1034 dans plusieurs actes de Bretagne sous diverses formes : Ratdulfi ou Radulphi Angli ou Anglici, Radulfus ou Radulphus Anglus ou Anglicus. Katharine Keats-Rohan note que ces dates correspondent à la reconstruction de l’ancienne abbaye de Gaël au moment de la révolte de Gleudennus et à la période au cours de laquelle il est censé résider en Bretagne.

[Raoul l’Anglais entre] en possession de nombreux alleux autour de la forêt de Paimpont. Une partie d’entre eux avaient sans doute été donnée par Alain III à Ralph l’Ecuyer puisqu’un Radulphus Anglus est mentionné dans plusieurs actes ducaux de la première moitié du XIe siècle.

Chédeville André ; Tonnerre Noël-Yves (1987) op. cit., p. 156

Principaux actes de Bretagne qui mentionnent Raoul l’Anglais

1032. Acte où le duc Alain III restitue à l’abbaye du Mont-Saint-Michel deux églises, Saint-Méloir et Saint-Méen-et-Saint-Judicaël (Cancale), sises dans le pays d’Alet. Raoul l’Anglais est souscripteur 16, ainsi que Raoul le chantre :

[…] $ Ratdulfi Angli […] Signum Radulphi cantoris
[…] S(eing) de Raoul l’Anglais […] Seing de Raoul le chantre

GUILLOTEL, Hubert, GUIGON, Philippe, HENRY, Cyprien, [et al.], Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, Presses Universitaires de Rennes, 2014. [ Acte 22 pp. 209-211]

Même acte chez Dom Morice : Dons faits au Mont S. Michel par le Duc Alain III :

[…] Signum Radulphi cantoris […] S. Ratdulfi Angli.—
[…] Seing de Raoul le chantre […] S(eing) de Raoul l’Anglais

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne. col. 372-373

1024-1034. Raoul l’Anglais mentionné comme témoin. Fondation de l’Abbaye Saint-Georges de Rennes.

On ignore la date exacte de la fondation de l’Abbaye Saint-Georges de Rennes. Cet acte est postérieur — mais de combien ? — à 1024 :

[...] Radulfus cantor testis ; Incomaris gramaticus testis ; Radulfus Anglicus testis [...] et multi alii.
[...] Raoul le chantre témoin ; Ingomar « le grammairien » témoin (cf. Judicaël : Ingomar, le moine grammaticus de Saint-Méen de Gaël) ; Raoul l’Anglais témoin [...] et beaucoup d’autres.

Guillotel Hubert (2014) op. cit. Acte 28, p. 228-232

Même acte chez Dom Morice : Fondation de l’Abbaye Saint Georges de Rennes

[…] […] Radulphus Cantor, & Radulphus Anglicus.
[…] Raoul le chantre et Raoul l’Anglais.

Morice, Dom Pierre-Hyacinthe (1742) op. cit., col. 369

1024-1034, acte antérieur au 21 février 1034 dont Raoul l’Anglais est souscripteur.

Charte-notice relatant la donation à l’abbaye Saint-Georges de Rennes, par Alain, duc des Bretons, de la moitié de l’île d’Arz, située en Bretagne, avec tout le droit, toutes les coutumes qui appartiennent au comte et à la comtesse.

[…] Signum Gingenei archiepiscopi. […] S. Fulcherii capellani. S. Radulphi Anglici. […]
[…] Seing de Gingeneus, archevêque (de Dol). […] S. de Foulques, chapelain. S. de Raoul l’Anglais. […]

Guillotel Hubert (2014) op. cit. Acte 31 p. 238-239

Le fils aîné de Raoul l’Anglais reconnu premier seigneur de Gaël

La Chronique Anglo-Saxonne rapporte que le fils ainé de Raoul l’Anglais, Raoul de Gaël, est Breton par sa mère, alors que son père, appelé Raoul lui aussi, était Anglais et né dans le Norfolk.

Dans un acte non daté, que les spécialistes s’accordent à situer sur une période allant du 30 octobre 1055 au 11 décembre 1066, Raoul de Gaël apparaît comme témoin avec le comte Conan, duc des Bretons, et le fils d’Alain III († 1040).

Haec carta confirmata est iterum coram Conano... comes, Radulfus de Wadel, Radulfus filius Alani, Goffridus filius... .
Cette charte est ratifiée derechef en présence de Conan… comte, Raoul de Gaël, Raoul fils d’Alain, Geoffroy fils de…

Guillotel Hubert (2014) op. cit. p. 319-320

Pour Katharine Keats-Rohan, cet acte confirme que la naissance de la seigneurie de Gaël est bien l’héritage que Raoul l’Anglais a légué à son fils Raoul de Gaël. Celui-ci (Radulfus de Wadel 17) apparaît dans cet acte pour la première fois comme seigneur de Gaël.

Si la seigneurie existait déjà, elle n’était pas contrôlée par son père en personne, car il était, au même moment, en train de se faire connaître à la cour d’Edouard le Confesseur. [...] les premiers indices attestant la naissance d’une seigneurie se voient dans une charte associant Raoul de Gaël et Conan II. Ce toponyme et ce prénom établissent avec certitude qu’il est le fils aîné et l’héritier de son père.

Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 47-48

Raoul de Gaël et l’héritage de Gaël

L’épouse de Raoul l’Anglais était bretonne, ils se marient avant de quitter la Bretagne. Katharine Keats-Rohan émet la possibilité que l’épouse de Raoul l’Anglais appartienne à la lignée de Gleudennus Judicaël au castrum de Gaël.

[…] une femme dont les parents survivants auraient permis de compenser l’absence [à la seigneurie] d’abord de son mari, puis de son fils.

Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 48

Il est très probable que Raoul de Gaël, le fils de Raoul l’Anglais, soit né en Bretagne. Il prend possession des alleux de Gaël, peut-être du castrum de Gleudennus Judicaël 18. Sa seigneurie s’étend sur une quarantaine de paroisses. En 1066, Raoul de Gaël rejoint son père lors de la conquête de l’Angleterre et il est au côté de Guillaume II de Normandie (le Conquérant) à la bataille d’Hastings.

Raoul l’Anglais meurt en Angleterre vers 1069.

[…] le souverain n’était pas obligé de remplacer un comte qui venait de mourir, et encore moins de lui substituer un membre de la famille du défunt. Cependant, le cadet des deux Raoul, Raoul de Gaël, avait, à ce stade, rendu un fameux service au nouveau roi en repoussant, en 1069, une attaque des Danois sur Norwich 19 . Il s’était vu récompenser par le don des deux comtés d’East-Anglia peu de temps après le décès de son père.

Keats-Rohan, Katharine (2016) op. cit., p. 53

En 1075, Raoul de Gaël se révolte contre Guillaume le Conquérant avec d’autres comtes, dont Guillaume de Breteuil, comte d’Hereford, son beau-frère. Ils veulent s’emparer du pouvoir mais l’insurrection est un échec. Raoul parvient à regagner la Bretagne mais perd ses biens en Angleterre. Il bâtit un château à Montfort (aujourd’hui Montfort-sur-Meu en Ille-et-Vilaine) et prend alors le nom de Raoul Ier de Gaël.


Bibliographie

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CHÉDEVILLE, André et GUILLOTEL, Hubert, La Bretagne des saints et des rois Ve-Xe siècle, Rennes, Editions Ouest-France, 1984.

CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, « XIe-XIIIe siècle », in La Bretagne féodale, Rééd. 2001, Rennes, Editions Ouest-France, 1987.

FAVEREAU, Francis, Dictionnaire usuel du breton contemporain, Skol Vreizh, Morlaix, 1999.

GUILLOTEL, Hubert, GUIGON, Philippe, HENRY, Cyprien, [et al.], Les actes des ducs de Bretagne (944-1148), Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, Presses Universitaires de Rennes, 2014.

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MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Delaguette, 1750, Voir en ligne.

MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Charles Osmont, 1742, Voir en ligne.

QUAGHEBEUR, Joëlle et MERDRIGNAC, Bernard, Bretons et Normands au Moyen Âge. Rivalités, malentendus, convergences, Presses universitaires de Rennes, 2008.

VITAL, Orderic, Historiae ecclesiasticae libri trecedim, Vol. 2, Parisis, 1840, Voir en ligne.


↑ 1 • Carhaix est à l’origine de Poher ou Pou Caer, qui fit ensuite partie du diocèse de Cornouaille. — Chédeville André ; Guillotel Hubert (1984) op. cit., p. 85 —

↑ 2 • nommé aussi Roll, Rou.

↑ 3 • La Francie occidentale est le royaume que reçut le carolingien Charles le Chauve lors du traité de Verdun, en 843. Il s’agit des anciennes régions de Neustrie et d’Aquitaine, avec la partie ouest de l’Austrasie et le nord de la Bourgogne, autrement dit, la France des quatre fleuves (le Rhône, la Saône, la Meuse et l’Escaut). Cette partie apparaît vite comme la seule Francie, puisqu’au 10e siècle, la Francie orientale devient Germanie puis l’Empire (germanique).

↑ 4 • Athelstan est le fils d’Édouard l’Ancien. Il est roi Anglo-saxon de 924 à 939. Son autorité s’étend à toute l’Angleterre.

↑ 5 • Guillaume Ier dit « Longue-Epée »

↑ 6 • abbaye détruite en 913

↑ 7 • réfugié en Angleterre avec son père Mathuédoï

↑ 8 • Foulques III, dit Foulques Nerra, en raison de son teint sombre, né vers 965/970 et mort à Metz le 21 juin 1040, fut comte d’Anjou de 987 à 1040. Il a marqué l’histoire de son temps par sa violence et les actions entreprises pour se racheter de ses crimes.

↑ 9 • Richard II est le fils du duc Richard I er (†996).

↑ 10 • Cet effritement est dû au système successoral qui conduit au morcellement de l’empire, aux rivalités et mésententes entre les différentes branches des familles carolingiennes.

↑ 11 • Castrum indique un « château-fort », un donjon en bois sur une motte. Il désigne une agglomération fortifiée n’ayant pas le statut de cité.

↑ 12 • Dans un acte signé Fragment de la Chronique de Gaël (Cette chronique est à ce jour, inconnue des historiens) le nom de Gleudennus est rapporté Glandarius Judichaël Cham filius extitit. — Morice, Dom Pierre-Hyacinthe (1742) op. cit., col. 358-359 — Une explication donnée par ailleurs par Dom Morice associe le nom de Judicaël à celui de Judhaël auquel la Chronique de Gaël aurait, d’après les propos de Dom Morice, donne le surnom de Glandarius (pour Gleudennus). Il est décrit « fils de Cham ». Dans son Histoire ecclésiastique... Dom Morice cite le « château de Malestroit » pour le castrum de Gaël. Il prend à témoin une traduction de Cham en breton qui signifie « boiteux ». Il en déduit que ce Judicaël ou Judhaël surnommé Glandarius est un fils bâtard du duc de Bretagne Conan Ier dit « le Tort » ou le « Boiteux », le grand-père d’Alain III. Précisons que « cham » n’existe pas en breton. Il s’agit ici d’un surnom biblique (Cham est un des trois fils de Noë qui repeuplèrent la terre après le déluge). « Boiteux » s’écrit kamm en breton. —  FAVEREAU, Francis, Dictionnaire usuel du breton contemporain, Skol Vreizh, Morlaix, 1999. [page 559] — La confusion peut s’expliquer du fait que « Cham » se prononce cam. —  MORICE, Dom Pierre-Hyacinthe, Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, Vol. 1, Paris, Delaguette, 1750, Voir en ligne. pp. 67-68 —

↑ 13 • Emma de Normandie est la fille de Richard Ier et de Gunnor de Crepon. Elle épouse en seconde noce Cnut Ier de Danemark

↑ 14 • Æthelred II est fils du roi d’Angleterre Edgar the Peaceful et de Aelfryth.

↑ 15 • Édouard le Confesseur est un prince de la maison de Wessex, né vers 1004 et mort le 5 janvier 1066. Fils du roi Æthelred le Malavisé, il règne sur le royaume d’Angleterre de 1042 à sa mort. Sa succession contestée est à l’origine de la conquête normande de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant quelques mois après sa mort.

↑ 16 • Les souscripteurs des actes ne sont pas systématiquement des signataires présents, d’où Signum/Seing en abrégé S ou $. Ils apportent leur garantie après coup en posant le doigt sur présentation du document à l’endroit de leur nom.

↑ 17 • Wadel signifie Gaël.

↑ 18 • Ce castrum pourrait-être celui du « château » dont l’emplacement à Gaël apparait sur l’ancien cadastre de 1823.

↑ 19 • Lire Orderic Vital : —  VITAL, Orderic, Historiae ecclesiasticae libri trecedim, Vol. 2, Parisis, 1840, Voir en ligne. pp. 191-193 —